Cette explication intervient durant le récit de l'enfance de Dietrich Bonhoeffer, au début du XXe siècle (il est né en 1905).
La culture allemande était intrinsèquement chrétienne. C'était le résultat de l'héritage de Martin Luther, moine catholique qui donna naissance au protestantisme. Luther était pour l'Allemagne ce que Moïse avait été pour Israël: il surplombait de tout son poids la culture et la nation allemande comme un père et une mère. Sa personnalité charismatique et excentrique conjuguait un amour de la nation allemande et une foi profonde: elles devinrent alors merveilleusement et intimement liées dans sa personne. L'influence de Luther sur l'Allemagne ne peut être sous-estimée. Sa traduction de la Bible en langue allemande fit l'effet d'une bombe. Luther, dans le rôle d'un John Bunyan moyen-âgeux, ébranla durablement l'édifice du catholicisme européen, créant la langue allemande, ce qui donna naissance au peuple allemand. La chrétienneté fut dès lors divisée en deux camps, et du centre de la terre jaillissait le Deutsche Volk.

La Bible de Luther fut pour la langue allemande moderne ce que l'œuvre de Shakespeare et la Bible King James furent pour la langue anglaise moderne. Avant la Bible de Luther, il n'existait pas de langue allemande unifiée. Il existait seulement un fatras de dialectes. Et l'idée même de nation allemande n'était qu'une idée lointaine, une lueur dans les yeux de Luther. Lorsque celui-ci traduisit la Bible en allemand, il introduisit une langue unique dans un seul livre que tout le monde pouvait lire. Et tout le monde le lut. En fait, il n'y avait rien d'autre à lire. Bientôt, tout le monde parla l'allemand utilisé dans la traduction de Luther. De la même façon que la télévision eut pour effet d'homogénéiser les accents et les dialectes des Américains, en adoucissant ces mêmes accent et en lissant les nasillements, la Bible de Luther donna le jour à une langue allemande unique. Des meuniers de Munich pouvaient nfin communiquer avec des boulangers de Brême. De tout cela naquit un sentiment d'héritage culturel commun.

Eric Metaxas, Bonhoeffer : pasteur, martyr, prophète, espion, p.34-35, éd. Première Partie, Paris 2014
Tout cela est par moment grandiloquent mais explique bien le problème auquel s'est heurté Hitler : comment déchristianiser l'Allemagne sans toucher au sentiment national?