Nous savons maintenant qu'un texte n'est pas fait d'une ligne de mots, dégageant un sens unique, en quelque sorte théologique (qui serait le "message" de l'Auteur-Dieu), mais un espace à dimensions multiples, où se marient et se contestent des écritures variées, dont aucune n'est originelle: le texte est un tissu de citations, issues des mille foyers de la culture. Pareil à Bouvard et Pécuchet, ces éternels copistes, à la fois sublimes et comiques, et dont le profond ridicule désigne précisément la vérité de l'écriture, l'écrivain ne peut qu'imiter un geste toujours antérieur, jamais original; son seul pouvoir est de mêler des écritures, de les contrarier les unes par les autres, de façon à ne jamais prendre appui sur l'une d'elles; voudrait- il s'exprimer, du moins devrait-il savoir que la "chose" intérieure qu'il a la prétention de "traduire", n'est elle-même qu'un dictionnaire tout composé, dont les mots ne peuvent s'expliquer qu'à travers d'autres mots, et ceci indéfiniment.

Roland Barthes, "La mort de l'auteur", in Le Bruissement de la langue, p.67 (points seuil)