Véhesse

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Billets qui ont 'enfance' comme mot-clé.

lundi 6 novembre 2017

De Narnia à Hegel en un coup

Selon l'évidence énoncée par Platon, on ne reconnaît que ce que l'on a déjà rencontré : ainsi la dimension christique des Chroniques de Narnia ne peut-elle être perceptible qu'à un chrétien :
Le nom de Dieu y est tu. Mais le silence qui est fait sur son nom libère aussi le champ d'une reconnaissance. L'œuvre contraint ainsi l'interprétation théologique. Elle peut être lue athéologiquement par celui que nulle connaissance du monde de la foi n'habilite à reconnaître, dans le monde de la féerie, un reflet du monde de la foi. Mais ce ne sera pas une lecture plénière ; celle-ci exige en effet une fusion des horizons (comme l'exige toute lecture), et c'est bien l'horizon du monde de la foi (et non pas simplement celui du monde de la vie, ou de la conscience de l'homme contemporain, etc.) qui doit s'y fondre avec celui de l'œuvre. Le Christ pseudonyme de Lewis, et son Dieu anonyme, ne sont déchiffrables que si les noms de Dieu et du Christ ont déjà été prononcés.

Jean-Yves Lacoste, Narnia, monde théologique ?, p.27
Ce qui est vrai pour un conte de fée l'est aussi pour un texte philosophique. Entre avènement de la raison et Parousie, quel écart ? Lire Hegel quand on est chrétien c'est se trouver sur un chemin balisé de signes de reconnaissance, signes invisibles à celui qui ne les connaît pas.
Un parallèle peut être éclairant, quoiqu'un peu peu surprenant. Nul ne peut aujourd'hui douter que la théologie trinitaire et la christologie soient le secret de la Logique de Hegel. Le principe de sa dialectique de l'être, de l'essence et du concept (qui décrit la vie concrète de l'esprit) est la médiation, qui est réconciliation. Et le fond de la médiation logique, la dernière instance de la fondation, est bel et bien l'œuvre trinitaire et christologique dans laquelle l'Absolu pose dans l'être l'autre que lui, et se le (ré-)concilie. Il importe peu que la théologie d Hegel ait ses déficits. Il importe en revanche qu'une structure christologique et trinitaire puisse être déployée sans que le savoir positif de la foi ne soit explicitement convoqué au lieu de ce déploiement. Du coup, la Logique s'expose elle aussi à une lecture athéologique : un bref coup d'œil à l'histoire des études hégéliennes suffit à le monter.

Ibid., p.27

jeudi 29 septembre 2011

L'incommodité du monde

L'enfance attribue a son ignorance et à sa gaucherie l'incommodité du monde; il lui semble que loin, sur la rive opposée de l'océan et de l'expérience, le fruit est plus savoureux et plus réel, le soleil plus jaune et plus amène, les paroles et les actes des hommes plus intelligibles, plus justes et mieux définis.

Juan José Saer, L'ancêtre, p.10

dimanche 5 décembre 2010

Les internes

Au milieu du car c'était plus possible de s'entendre causer, et Stella fredonnait avec les pensionnaires. Elles, on les reconnaissait à leur odeur. Petites, elles ne se lavaient pas; grandes, elles se lavaient trop, et fleuraient donc le poisson ou le Rexona, selon l'âge. L'ennui et les raviolis en conserve avaient vermoulu depuis longtemps leurs bonnes joues roses de filles de la campagne. Leurs braves parents, qui n'auraient pour rien au monde voulu les voir finir "au cul des vaches", attribuaient cette mauvaise mine aux études dans lesquelles ils plaçaient un espoir démesuré. Pour les bonnes sœurs, qui lisaient leur courrier et pouvaient à tout moment les coller des dimanches entiers au collège sans craindre d'intempestives réactions familiales, c'était une main-d'œuvre taillable et corvéable à merci. Prisonnières, les pensionnaires étaient les reines de la défense passive, du système D, des codes secrets et des secrets tout court.

Alix de Saint-André, L’ange et le réservoir de liquide à freins, Folio, p.63

mardi 11 novembre 2008

15 enquêtes policières, souvenirs

Bizarrement, A. a ramené d'Allemagne une soudaine passion pour Arsène Lupin. Elle vient de terminer les quatre que nous avons à la maison, j'exhume pour elle un livre de mon enfance, 15 enquêtes policières.
J'aimais beaucoup cette collection, elle est à mes yeux aussi mythique que les Contes et légendes blancs au dos rayé d'or.

C'est dans ce livre que j'ai lu pour la première fois Maurice Leblanc, Conan Doyle et La lettre volée d'Edgar Poe. Il m'en restais trois images, trois souvenirs-flash: celui d'un clochard aux pieds propres, celui d'un accusé décidant d'utiliser "un truc de la communale" et celui de l'enfant gagnant toujours au jeu de pair ou impair. Mes souvenirs avaient confondu les deux derniers, sans doute à cause de l'âge des enfants. Je ne me souvenais plus que la description du jeu de pair ou impair était de Poe.

» J'ai connu un enfant de huit ans, dont l'infaillibilité au jeu de pair ou impair faisait l'admiration universelle. Ce jeu est simple, on y joue avec des billes. L'un des joueurs tient dans sa main un certain nombre de ses billes, et demande à l'autre: «Pair ou non?» Si celui-ci devine juste, il gagne une bille; s'il se trompe, il en perd une. L'enfant dont je parle gagnait toutes les billes de l'école. Naturellement, il avait un mode de divination, lequel consistait dans la simple observation et dans l'appréciation de la finesse de ses adversaires. Supposons que son adversaire soit un parfait nigaud et, levant sa main fermée, lui demande: «Pair ou impair?» Notre écolier répond: «Impair!» a et il a perdu. Mais, à la seconde épreuve, il gagne, car il se dit en lui-même: « Le niais avait mis pair la première fois, et toute sa ruse ne va qu'à lui faire mettre impair à la seconde; je dirai donc impair. Il dit: «Impair», et il gagne.
» Maintenant, avec un adversaire un peu moins simple, il aurait raisonné ainsi: «Ce garçon voit que, dans le premier cas, j'ai dit «Impair», et que, dans le second, il se proposera — c'est la première idée qui se présentera à lui — une simple variation de pair à impair comme a fait le premier bêta; mais une seconde réflexion lui dira que c'est là un changement trop simple, et finalement il se décidera à mettre pair comme la première fois. Je dirai donc pair.» Il dit «Pair!» et il gagne.

Edgar Poe, La lettre volée

J'avais huit ou neuf ans, cela m'avait beaucoup impressionnée. Lors des longs voyages en voiture, je passais des heures à poursuivre le raisonnement: «mais il va penser que je vais penser qu'il n'a pas changé, donc il va changer, donc il faut que je réponde...» etc.
Plus tard, je fus très forte au "Menteur" (le jeu de cartes), tant pour ne pas me faire prendre que pour prendre les autres.

À retenir

Index

Catégories

Archives

Syndication



vehesse[chez]free.fr


del.icio.us

Library

Creative Commons : certains droits réservés

| Autres
Les billets et commentaires du blog vehesse.free.fr sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.