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Billets qui ont 'immigration' comme mot-clé.

jeudi 22 juillet 2010

Immigration et sans papiers

Qu'est-ce que ce sujet vient faire ici? Il s'agit pour moi d'affirmer mes convictions face aux positions de Renaud Camus, bien sûr, mais surtout (parce qu'après tout ils sont plus nombreux...) devant ses lecteurs et divers sympathisants politiques (qui sont loin de tous l'avoir lu).

En mars dernier, j'ai été frappée par une remarque de Patrick Cardon [1] qui observait qu'il existait autrefois une forme de tourisme sexuel de pères de famille (comprendre: de pères de famille venant se prostituer dans les ports de Marseille et autres) qui traversaient la Méditerranée quelques semaines pour gagner un peu d'argent discrètement puis rentraient au pays.
Aujourd'hui, s'ils sont parvenus à entrer en France, ils y restent, de peur de ne pas y réussir une seconde fois.
Il y a quelques temps (un an, deux ans?), les premières enquêtes menées en Angleterre montraient que beaucoup d'immigrés d'Europe de l'Est étaient finalement retournés chez eux après cinq ans. (Il y a cinquante ans, sans la Guerre froide, la plupart des immigrés d'Europe orientale seraient rentrés chez eux.)
En résumé, la rigidité du système favorise les installations définitives.[2]

Je suis favorable à la disparition des "sans papiers": que toute personne entrant en France ait un permis de séjour légal, qui lui permette de porter plainte en cas d'esclavage par des patrons iniques ou en cas de violences familiales ou que sais-je encore. Il s'agirait de réduire la zone de non-droit qui s'établit autour d'eux, cette zone d'ombre qui permet des exploitations honteuses.

En contrepartie, il devrait être beaucoup plus difficile d'obtenir la nationalité française. Puisque tous les étrangers auraient une existence légale, il n'y aurait aucune urgence à leur accorder la naturalisation. Dans cette logique, il deviendrait beaucoup plus simple, sans atteinte au sens commun, d'expulser ceux qui ne respecteraient pas les lois.
Reste le cas des enfants nés sur le territoire français. Pour eux je n'ai pas vraiment d'opinion, mais là encore, dans la mesure où ils peuvent être scolarisés gratuitement comme n'importe quel enfant français et qu'ils sont couverts par la Sécurité sociale de leurs parents, il n'y a pas d'urgence à leur donner la nationalité française.
J'aimais bien le fait qu'ils aient dû un moment la demander, poser un acte qui les engageait, je ne sais pas pourquoi cette règle ou loi a été abolie (je n'ai pas fait de recherches, la CJUE (ex-CJCE) est-elle intervenue? De même, qu'on me pardonne (et m'explique) les éventuelles impossibilités juridiques que pourrait comporter mon billet.)

Bien évidemment, une telle mesure aurait d'abord pour conséquence un afflux d'immigrés sans qu'en sens inverse il n'y ait de départs (ou retours): il faudrait le temps (plusieurs années, un ou deux changements de gouvernement) que les gens croient que cette loi ne serait pas changée dans les mois ou années à venir, qu'ils pouvaient retourner chez eux l'esprit tranquille, qu'ils pourraient revenir plus tard s'ils changeaient (encore!) d'avis.
C'est un peu comme la libéralisation des prix en 1986: l'idée était paradoxale, puisqu'il s'agissait de lutter contre l'inflation (la hausse des prix) en laissant chacun libre de les fixer.

Notes

[1] auteur de Tous les garçons s'appellent Ali, que je bloguerai un de ces jours.

[2] Les études montrent que paradoxalement, c'est la fermeture des frontières par Valéry Giscard d'Estaing en juillet 1974 qui a provoqué l'immigration telle que nous la connaissons aujourd'hui, le rapprochement familial devenant la façon simple de venir en France.

jeudi 27 mai 2010

«Estimable rédacteur en chef...» : 60 ans de lettres d'immigrés juifs en Amérique

J'ai oublié Ulysse un matin en partant travailler, j'ai attrapé ce livre qui attendait (que je le prête à quelqu'un que je ne croise pas) sur une étagère au bureau et je l'ai lu en vingt-quatre heures, ce qui est toujours plaisant (unité de temps, saisie mentale).

Il s'agit d'une sélection du courrier des lecteurs envoyé au journal yiddish Forverts, rubrique devenue célèbre sous le nom de Bintel Brief.
La première lettre date de 1906, la dernière de 1967. Les problèmes évoluent et suivent l'histoire de l'Occident pendant un siècle, des conditions très dures de l'avant-première guerre (fuite devant les pogroms, désertion des shetls, exploitation par des patrons américains sans scrupule, misère, abandon des femmes par leur mari) aux dilemmes politiques (retourner en Russie pour mener le combat aux côtés des socialistes en 1917, émigrer en Palestine dans les années 20?), en passant par des problèmes plus spécifiquement religieux, comme les mariages mixtes (chrétiens/juifs), l'abandon des valeurs religieuses et des tradition,…

Les réponses apportées en quelques lignes (j'ai cru comprendre qu'il s'agissait du résumé des originales) sont souvent pleines de bon sens et paraissent évidentes (il est d'ailleurs étrange de constater que souvent la réponse est déjà en germe dans la lettre interrogeant: bien que connaissant instinctivement la conduite à adopter, chacun de nous semble la fuir ou vouloir la retarder).
C'est tout juste si l'on note un durcissement dans les conseils du journal après la deuxième guerre: les mariages mixtes sont systématiquement découragés, l'éducation traditionnelle (les juifs orthodoxes, par opposition aux juifs libéraux) discrètement approuvée (même si chacun a "le droit de vivre comme il l'entend"), les belles-filles encouragées à la patience, les belles-mères à la tolérance…
Avec le temps, la langue et l'accent deviennent un enjeu: avoir honte ou pas de ses parents ne parlant que le yiddish, autoriser ses enfants à les fréquenter, oser lire le Forverts en public, dans les transports en commun…

Le principe du livre (comme de la réalité!) est un peu sadique: nous avons le récit pathétique d'une personne, le conseil que lui donne le journal, puis… rien. Nous ne savons pas si le conseil a été suivi, si le lecteur écrivant a résolu ses problèmes, quel choix il a fait, s'il est venu à bout de ses difficultés. Il ne nous reste qu'à espérer (parfois pour des cas où tous les protagonistes sont morts depuis longtemps…)


Dans la postface, Henri Raczymow raconte en quelques pages ses souvenirs d'enfant d'immigrés juifs en France. Extrait (ce récit relate l'atmosphère des années trente. Il recoupe celui d'A la recherche des Juifs de Plock, de Nicole Lapierre):
Eux, les parents, se sacrifiaient, mais leurs enfants auraient une vie digne. Il suffisait de travailler. Le mérite républicain. L'école publique. L'école de tous. Où l'on apprenait Voltaire, Victor Hugo, Émile Zola, Anatole France, Romain Rolland... De si grands écrivains qu'ils sont traduits en yiddish, c'est dire! Dans l'espace public, en tout cas, on adopterait tous les signes de la «francité». À la maison seulement, on s'autorisait à maintenir les prénoms yiddish et la langue d'origine. Les parents s'adressaient à leurs enfants dans leur langue et ces derniers, scolarisés, leur répondaient généralement en français. Si bien que la langue maternelle de ces nouveaux petits Français serait souvent une mixture franco-yiddish…

>Devenir un «vrai» Français était donc un idéal. Si l'on posait aux enfants cette question aujourd'hui saugrenue, sinon incompréhensible: «Tu es juif ou français?», ils répondaient dans un haussement d'épaules et sous l'œil ému des parents: «Français!» Les parents étaient fiers que leurs enfants parlent si bien la langue de Molière, qu'ils aient de bonnes notes à l'école, qu'ils soient intégrés. Nul problème alors d'intégration. Les enfants d'immigrés étaient naturellement, ipso facto, intégrés. Ils fréquentaient naturellement l'école publique. (Les écoles juives, si répandues aujourd'hui, étaient rarissimes. Il n'existait pas, contrairement à ce qui se passait aux Etats-Unis ou en Argentine par exemple, d'écoles yiddish.)

Henri Raczymow, postface à l'édition française de «Estimable rédacteur en chef…», p.260

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