Véhesse

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Billets qui ont 'maladie' comme mot-clé.

lundi 13 avril 2020

Zoonoses

Je continue De l'inégalité parmi les sociétés. Pour les sociétés humaines, le bétail est un avantage, mais il est également porteur de maladies. Celles-ci ont d'autant plus de risque de muter pour franchir la barrière des espèces que les hommes vivent prochent de leurs animaux, boivent leur lait ou se servent de leur fèces comme engrais.

Je rappelle que la question posée est de comprendre pourquoi certaines populations ont pris l'avantage sur d'autres au cours des siècles. Les chapitres précédents ont étudié les cultures et le bétail domesticables selon les régions. Celui-ci aborde les épidémies. Le début de ce chapitre m'a bien fait rire.
Un cas clinique dont j'ai eu connaissance grâce à un ami médecin devait illustrer, de manière pour moi inoubliable, les liens entre le bétail et les cultures. Mon ami était encore novice lorsqu'il fuat appelé à traiter un couple qui souffrait d'un mal mystérieux. Que l'homme et la femme eussent des difficultés de communication entre eux, et avec mon ami, n'arrangeait pas les choses. Le mari, petit et timide, souffrait d'une pneumonie due à un microbe non identifié et n'avait qu'une connaissance limitée de l'anglais. Sa belle épouse faisait office de traductrice: inquiète de l'état de son mari, le milieu hospitalier l'effrayait. Mon ami était aussi épuisé par une longue semaine de travail et par ses efforts pour deviner quels facteurs de risque peu communs avaient pu produire cette étrange maladie. Sous l'effet du stress, il avait oublié toutes les règles de confidentialité: il commit l'affreuse gaffe de prier la femme de demander à son mari s'il n'avait pas eu de relations sexuelles susceptibles de causer cette infection.

Sous les yeux du docteur, le mari devint cramoisi, se recroquevilla au point de sembler encore plus petit, comme s'il avait voulu disparaître sous ses draps, et bredouilla quelques mots d'une voix à peine audible. Soudain, la femme hurla de rage et se dressa devant lui. Avant que le médecin ait pu l'arrêter, elle se saisit d'une grosse bouteille métalique, l'assena de toutes ses forces sur la tête de son mari et sortit en trombe de la chambre.

Le médecin mit un certain temps à ranimer le patient et plus longtemps encore à comprendre, à travers son anglais haché, ce qui avait provoqué la fureur de sa femme. La réponse se précisa peu à peu: il confessa avoir eu des relations sexuelles répétées avec des moutons lors d'une récente visite sur la ferme familiale; peut-être était-ce à cette occasion qu'il avait contracté ce mystérieux microbe.

À première vue, l'incident paraît étrange et dépourvu de signification générale plus large. En réalité, il illustre un immense et important sujet: celui des maladies humaines d'origine animale.

Jared Diamond, De l'inégalité parmi les sociétés, p.290, collection Folio.

jeudi 9 avril 2020

Cinq livres scientifiques et historiques pour éclairer la période du covid-19

Traduction d'un article de The Economist.
De la peste de Londres à la grippe espagnole et au-delà
Rubrique Arts et Littérature, le 4 avril 2020.

Je suis consciente de l'ironie de traduire un article qui conseille des livres non-traduits… Mettons que cela me plaît de traduire.

Note de l'éditeur : The Economist rend accessible certains de ces articles les plus importants sur l'épidémie du covid-19 aux lecteurs de The Economist Today, notre newsletter quotidienne. Pour la recevoir, rubrique coronavirus.

L'épidémie de grippe espagnole qui commença en 1918 tua environ cinquante millions de personnes en quelques années — davantage que les quatre ans de guerre précédents. Les jeunes adultes semblaient mourir de façon disproportionnée de ce qui était une forme particulièrement virulente du virus de la grippe. Comme les médecins étaient impuissants face à la maladie, les pays fermèrent leurs frontières et rejetèrent le blâme les uns sur les autres. Ce livre raconte non seulement l'histoire de la dévastation que connut cette époque, mais aussi celle d'un siècle de travail de détective qui fut nécessaire aux scientifiques pour comprendre pourquoi cette maladie fut si mortifère.

  • Spillover2 de David Quammen - éditions W.W. Norton
Certaines des épidémies qui ont causé le plus de victimes parmi les humains sont d'origine animale. Des primates non humains furent à l'origine du VIH; la grippe transite par les oiseaux et les coronavirus par les chauves-souris. Quand le système immunitaire humain est confronté pour la première fois à quelque chose qui vient de franchir la barrière des espèces — maladies dite zoonoses — il peut être terrassé. En suivant la piste de plusieurs zoonoses, ce livre explique comment de telles maladies émergent, pourquoi elles sont si dangereuses et quels sont les endroits de la planète où les prochaines risquent d'apparaître.

De nos jours, les libertés et les habitudes quotidiennes de nombreux pays sont entre les mains des épidémiologistes. En étudiant les pandémies, ces mathématiciens ont modélisé des scénarios pour expliquer comment l'interdiction de voyager, la distanciation sociale ou le confinement domestique pouvaient influencer la trajectoire du covid-19. Ce livre retrace l'histoire de cette science aujourd'hui essentielle, depuis ses origines quand elle étudiait la diffusion de la malaria au début du XXe siècle jusqu'à son rôle central au XXIe dans la prédiction de toute propagation, des maladies aux fausses informations.

  • Journal de l'année de la peste de Daniel Defoe - Oxford University Press
Journal d'un homme durant l'année 1665 quand la peste bubonique dévastait Londres, faisant cent mille victimes. Le livre raconte la transformation de la ville au fur à mesure de la progression de la maladie; il décrit les rues fantômes ou emplies des plaintes et des odeurs de la souffrance. Defoe n'avait que cinq ans en 1665 et il a écrit son livre, qui entremêle détails historiques et imagination, plus de cinquante ans après les événements. On suppose qu'il s'est appuyé sur les journaux que son oncle Henry Foe a tenu à l'époque.

  • The End of Epidemics4 de Jonathan Quick and Bronwyn Fryer - édition St Martin’s Press
Publié il y a deux ans, le message limpide de ce livre aurait dû être plus largement diffusé : plannification, préparation et transparence dans la communication sont primordiales quand il s'agit de réparer les énormes dommages sociaux et économiques causés par une nouvelle maladie. Étudiant les enseignements des épidémies du passé, les auteurs en tirent des leçons sur la façon dont des institutions pourraient coopérer pour prédire, modéliser et prévenir de futures pandémies.



Notes
1: Le Cavalier blême.
2: Contagion (si je devais traduire, je choisirais Zoonoses).
3: Les lois de la contagion.
4: La fin des épidémies

vendredi 3 avril 2020

A perdre le souffle

Je me souviens de cette nouvelle de Poe.

L'homme sans souffle ou Loss of Breath.

samedi 21 mars 2020

Germes

Aujourd'hui que nous sommes reclus pour cause d'épidémie, j'ai ouvert De l'inégalité parmi les hommes, car je me souviens de ce que m'en avait dit Olivier (qui est à l'origine de mon achat de ce livre il y a quelques années — jamais lu): «Diamond explique qu'il faut être beaucoup plus intelligent pour survivre dans la jungle qu'en ville. L'important pour survivre en ville, c'est d'être résistant aux maladies.»

La traduction du titre est nulle. Cela devrait être Fusils, pierreries et acier: Guns, Gems, and Steel.
Du moins c'est ce que je croyais jusqu'à hier soir, quand je me suis avisée que c'était Guns, GeRms, and Steel: Des fusils, des germes et de l'acier.
Etrange confusion durant toutes ces années, qui prend tout son sel aujourd'hui.
Mon impression que les Néo-Guinéens sont plus dégourdis que les Occidentaux repose sur deux raisons faciles à saisir. En premier lieu, les Européens vivent depuis des milliers d'années dans des sociétés densément peuplées avec un gouvernement central, une police et une justice. Dans ces sociétés, les maladies infectieuses épidémiques des populations denses (comme la petite vérole) ont été historiquement la principale cause de décès, tandis que les meurtres étaient relativement rares et l'état de guerre l'exception plutôt que la règle. La plupart des Européens qui échappaient aux maladies mortelles échappaient aussi aux autres causes potentielles de mort et parvenaient à transmettre leurs gènes. De nos jours, la plupart des enfants occidentaux (mortinatalité exceptée) survivent et se reproduisent, indépendamment de leur intelligence et des gènes dont ils sont porteurs.

A l'opposé, les Néo-Guinéens ont vécu dans des sociétés aux effectifs trop faibles pour que s'y propagent les maladies épidémiques de populations denses. En fait, les Néo-Guinéens traditionnels souffraient d'une forte mortalité liée aux meurtres, aux guerres tribales chroniques et aux accidents, ainsi qu'à leurs difficultés à se procurer des vivres.

Dans les sociétés traditionnelles de Nouvelle-Guinée, les individus intelligents ont plus de chances que les moins intelligents d'échapper à ces causes de mortalité. Dans les sociétés européennes traditionnelles, en revanche, la mortalité différentielle liée aux maladies épidémiques n'avait pas grand-chose à voir avec l'intelligence: elle mettait plutôt en jeu une résistance génétique liée aux détails de la chimie physique. Par exemple, les porteurs du groupe sanguin B ou O résistent mieux à la variole que ceux du groupe A.

En conséquence, la sélection naturelle encourageant les gènes de l'intelligence a probablement été beaucoup plus rude en Nouvelle-Guinée que dans les sociétés à plus forte densité de population et politiquement complexes, où la sélection naturelle liée à la chimie du corps a été plus puissante.

Jared Diamond, De l'inégalité parmi les sociétés, Folio, p.23-24

samedi 12 juillet 2014

Hervé Guibert - A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie

A l'époque, la mort d'Hervé Guibert avait fait tant de bruit que j'avais évité de le lire. Mais l'année dernière, ou il y a deux ans (juin 2012), j'ai rencontré à Porto une jeune Suissesse qui en a fait son principal objet d'étude et a éveillé ma curiosité.
Et donc quand je suis tombée par hasard sur ce livre à la bibliothèque, je l'ai emprunté.

L'écriture est alerte et vigoureuse avec une urgence, une tension, qui tient en haleine; il s'agit d'un écrivain, sans aucun doute. J'aime les phrases interminables et scandées, le rythme des mots précis et rapides.
La description des hôpitaux et des médecins est sans complaisance et constitue un précieux témoignage sur les débuts du sida, les réactions autour de la maladie, la recherche médicale, les hésitations législatives autour du dépistage, les situations dramatiques des couples non reconnus par la société… (quelle place à l'hôpital aux côtés du malade si vous êtes "son ami", quel place sur le testament puisque "vous n'êtes pas de la famille"? que de souvenirs personnels, mais vécus de loin, comme témoin inconscient d'être témoin).

Ce qui frappe vingt-cinq ans plus tard, c'est la colère du texte, son aspect règlement de comptes. Avec Adjani, avec "Bill" (l'ami qui ne lui a pas sauvé la vie: «Edwige comme Jules, avertis au téléphone, me disent que j'ai un courage fou d'aller dîner avec cet enfoiré. […] Avant de voir le salaud dans Bill, j'y vois un personnage en or massif.» (p.257) Je ne sais pas qui est Bill, mais je suis sûre qu'il a été facilement identifié à la sortie du livre), avec les médecins aux compétences variées (et souvent si incompétents), avec l'éditeur Jérôme Lindon (et au passage les critiques):
Quand je déposai le manuscrit de mon journal chez mon éditeur, le brave homme, qui avait déjà publié cinq de mes livres, me faisant signer leurs contrats dès le lendemain du jour où je les lui avais apportés, sans que j'en lise aucun paragraphe puisque c'était le contrat type et que je pouvais lui faire entière confiance, me dit qu'il n'aurait pas le temps de lire celui-là, car il faisait quatre cents pages dactylographiées, alors qu'il m'avait toujours réclamé un gros libre, un roman avec des personnages parce que les critiques étaient trop abrutis pour rendre compte de livres qui n'avaient pas d'histoire bien construite, ils étaient désemparés et du coup ne faisaient pas d'articles, au moins avec une bonne histoire bien ficelée on pouvait être sûr qu'ils en feraient un résumé dans leurs papiers puisqu'ils n'étaient pas capables d'autre chose, par contre qui serait assez fou pour accepter de lire un journale de quatre cents pages, une fois imprimé ça pourrait faire près du double et avec le prix du papier on arriverait facilement à un livre qu'on devrait vendre cent cinquante francs, or mon pauvre ami qui voudrait mettre cent cinquante francs pour un livre de vous, je ne voudrais pas être grossier mais les ventes de votre dernier livre n'ont pas été bien fameuses, vous voulez que j'appelle tout de suite pour demander les chiffres à ma comptable? En deux ans cet homme avait vendu près de vingt mille exemplaires de mes livres, il n'avait pas fait pour eux la moindre ligne de publicité, voilà que des circonstances m'amenaient à trembler devant lui pour réclamer, même pas une avance mais un décompte de droits d'auteur, qu'il me devait, et il me répliquait: «Oh! et puis vous m'énervez avec votre odieuse sensiblerie! Mettez-vous une bonne fois dans la tête que je ne suis pas votre père!»

Hervé Guibert, A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, p.87
Ce livre est bien sûr connu pour raconter les derniers mois de Foucault (Muzil, l'homme sans qualité). Je recopie ici la description du corps de l'être aimé comme poison, une réalité dont l'étendue ne s'appréhende qu'à l'expérience:
Muzil, les derniers temps qui ont précédé sa mort, avait tenu, discrètement, sans cassure, à prendre quelques distances avec l'être qu'il aimait, au point qu'il a eu le formidable réflexe, la trouvaille inconsciente d'épargner cet être à un moment où presque tout de son propre être, son sperme, sa salive, ses larmes, sa sueur, on ne le savait pas trop à l'époque, était devenu hautement contaminant, ça je l'ai appris récemment par Stéphane qui a tenu à m'annoncer, peut-être mensongèrement, qu'il n'était pas lui-même séropositif, qu'il avait échappé au péril alors qu'il s'était vanté, peu après m'avoir révélé la nature de la maladie de Muzil qu'il avait ignoré jusque-là, de s'être faufilé à l'hôpital dans le lit de l'agonisant, et de l'avoir réchauffé avec sa bouche en différents points de son corps, qui était du vrai poison.

Hervé Guibert, A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, p.135

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