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Billets qui ont 'peinture' comme mot-clé ou genre.

dimanche 17 avril 2011

Exposition Jean-Paul Marcheschi du 29 avril au 30 septembre 2011

Une lecture de Camille morte par Hervé Lassïnce aura lieu le 29 et 30 avril. Elle sera suivie de la projection du film Vers la flamme réalisé par Stéphane Bréart et Julien Filoche.








Présentation de l'exposition

À l'occasion de la deuxième présentation des œuvres de Jean-Paul Marcheschi dans son nouveau lieu du 1er arrondissement à Paris, sont présentés des œuvres murales de grande taille, des objets et des sculptures.

Dans cette exposition personnelle intitulée «L'Astre noir», l'artiste poursuit, dans des formes nouvelles, une exploration de la nuit, de la matière noire, de la mémoire et des corps, commencée voilà plus de trente ans. Envisagé depuis les commencements comme une « chrono-biologie totale » de l'existence, l'œuvre, à travers un langage qui lui est propre - la flamme, le verre, le bronze, le papier -ne cesse de conquérir de nouveaux espaces, de nouveaux thèmes, de nouveaux lieux. Depuis les Onze mille nuits (1987-2001) jusqu'à la Voie lactée (2007, vaste voûte de lumière de 35 x 14 m, installée dans la station Carmes du métro de Toulouse) et plus récemment l'exposition «Les Fastes», dans le musée de la préhistoire de Nemours (2009-2010), où fut investie aussi la forêt alentour, c'est un «contre-monde» cohérent et tendu, où le livre et la poésie tiennent une place centrale, peu commune, qui a fini par se constituer. L'air, la terre, l'écriture, le feu et plus récemment l'eau, à travers la présence accrue des Lacs, forment l'alphabet principal du peintre et sculpteur Jean-Paul Marcheschi. Noir et solaire, intime et anonyme, ce sont là les caractéristiques principales de ces États du feu.

Œuvres présentées
- Âmes mortes: l'œuvre à dominante claire, composée de fils de suie, évoque les électroencéphalogrammes du sommeil. Sur ces tracés tremblants, ces ondes, viennent se déposer des objets incertains et sans noms. Ils flottent tels des corps élémentaires déposés sur la grève : scalps, ecce homo, débris de mèches enduits de cire, fagots ou méduses, tous sont des rejets du feu. Ce sont des âmes mortes.

- Trois fragments de la Voie lactée : rétroéclairées, ces pages noircies, enserrées dans des boîtes de lumières, sont extraites de l'installation permanente dans le métro de Toulouse.

- L'Homme clair, Visions, L'Astre noir, Mers de nuages, Stèles (murales) et NY-Volcans : sculptures-objets montrées pour la première fois à Paris. Ces corps noirs, immatériaux, très volatiles, sont composés de suie non fixée, déposée sur 1 à 12 plaques de verre ou de plexi enchâssées dans des boîtes transparentes.

- Crâne-enfant : ce tableau quasi carré (1,2 x 1 m) appartient à la manière « pétrée » de l'artiste. Haut en matière, il a la consistance et la dureté de la sculpture.

Bronzes et cires : L'Ithyphallique, Horus, Ecce homo, Freux, Sanglier.

Suite Dante : composition murale d'antiphonaires et de peinture illustrant la Divine Comédie. Suie, cire, mine noire sur papier.


mercredi 30 mars 2011

La peinture et la mort

Jean-Paul Marcheschi a écrit un tout petit livre, Camille morte, sous-titré Notes sur les Nymphéas.

Il me semble en lisant Marcheschi entendre Barthes. Rarement un style m'aura autant rappelé la voix de Barthes : «Le deuil est un effondrement du temps». (p.35) ou «Les Nymphéas font l'objet d'un réglage extraordinairement savant du point de distance. Ni élévation, ni sublime, ni abaissement en direction du cloqaue, c'est le neutre qui préside à la composition de l'ensemble.» (p.45).

(Il est possible que je sois influencée par mes rares rencontres avec Marcheschi. Je crois que pas une fois il ne m'a pas parlé de Barthes.)


Jean-Paul Marcheschi reprend le parcours pictural de Monet, de la mort de sa femme Camille à ses toutes dernières œuvres, conservées à Marmottan. Travail sur la mort, travail du deuil, travail de dessaisissement. Le peintre regarde la mort en face.

[confidence de Monet à Clemenceau]: « Un jour, me trouvant au chevet d'une morte qui m'avait été, et m'était toujours très chère, je me surpris, les yeux fixés sur la tempe tragique, dans l'acte de chercher machinalement1 la succession, l'appropriation des dégradations des coloris que la mort venait d'imposer à l'immobile visage. Des tons de bleu, de gris, de jaune, que sais-je? Voilà où j'en était venu. Bien naturel, le désir de reproduire la dernière image de celle qui allait nous quitter pour toujours2.» Le mot clé dans ce récit est machinalement. C'est là que s'engouffre toute la déprise qui s'ensuit.
Jean-Paul Marcheschi, Camille morte, p.17
Peindre, —et quel que soit l'objet à peindre—, c'est faire l'expérience d'un certain dessaisissement. Aucun des langages fournis par la communauté — l'école, la société, la culture — ne préparent à affronter une telle épreuve. Tout peintre, dès lors qu'il se saisit de son pinceau, entre dans ce vertige, cette fente au sein de la pensée — ruinant nom, mot, langue—, défait instantanément la carte psychique, identitaire, essentiellement verbale qui nous constitue. Le peintre a à affronter cet arasement. Il lui faut se débrouiller avec ça! Cette pauvreté: des pigments, du liant, de l'eau.
Ibid, p.21
Et tandis que je lisais Marcheschi nous parler de Monet, j'entendais Marcheschi nous parler de lui-même, d'un futur lui-même, d'une évolution inévitable et redoutée:
Mais ce qu'il y a à affronter aussi, en cette année 1911 de grande solitude, c'est une autre tragédie, bien peu glorieuse, mal étudiée dans l'art et pourtant tellement riche en expérience et en chefs-d'œuvre: et cette dernière épreuve est celle du vieillir. Dans le vieillir, l'ennemi principal c'est le corps. Sa lente dégradation jusqu'à la chute. C'est l'irrémédiable de la mort. Beuys a bein raison de rappeler — il connaît lui-même à la fin de sa vie un étrange affaiblissement — que, ce que l'art a à sauvegarder, à travailler, à saisir, c'est l'interminable «mourir des lignes de vie». Et son cortège, sinistre, illustré par la lente et inévitable défradation de ces organes que rien ne semble prédisposer à une trop longue vie. Pour ceux que la mort ne consent pas à emporter tout de suite, c'est une microscopique, mais lancinante et industrieuse démolition, qu'il va falloir affronter? Dossier immense à rouvrir d'urgence: celui des effets de styles suscités par le vieillir.
Ibid, p.47-48
D'où vient cet ensauvagement de la touche qui s'empare du vieux Monet dans l'œuvre de Marmottan? Plutôt que des tableaux, ce ne sont plus que départs de tableaux, fragments arrachés, chemins égarés qui ne mènent nulle part, couleurs irradiées, dé-situées, dénaturalisées. Plus l'esseulement augmente, plus le jour tombe, plus le voile s'épaissit, et plus la vue et la matière se solarisent et se désincarcèrent.
C'est sous le spectre de l'extinction, dans la diminution progressive des raisons de vivre et des objets du désir, que se peignent les derniers tableaux du vieux Monet. Lorsque tout alentour meurt et s'éteint, lorsque peindre et mourir finissent par se confondre, vers quel objet peut encore se tourner le langage?
Ibid, p.50



La peinture et la mort. Je songeais à notre désarroi à voir Renaud Camus peindre (et Jean-Paul Marcheschi écrire, mais sans doute dans une moindre mesure, puisque ce n'est pas la première fois). Que se passe-t-il?
La lecture de Camille morte me paraît apporter un élément de réponse: Camus et Marcheschi tentent de regarder la mort et d'appréhender la vieillesse, chacun à leur manière, en sortant de leur domaine traditionnel, en s'aventurant dans des contrées nouvelles: «lorsque peindre et mourir finissent par se confondre, vers quel objet peut encore se tourner le langage?»


Comment ne pas avoir remarqué que Renaud Camus a commencé à peindre après la mort de sa mère? (premier tableau photographié le 27 janvier 2010).
Faut-il interpréter cela comme un travail intérieur sur la douleur, sur l'aphasie, comme le besoin de se battre avec la matière? Ou faut-il y voir une libération, une liberté?
(Dernières phrases de Kråkmo : «Sans doute conviendrait-il d'écrire ici un mot sur ma mère, mais je ne m'en sens pas la liberté. […] Paix à son âme inquiète et déçue.»)


Hier, en cherchant une référence pour commenter L'Amour l'Automne, j'ai ouvert Vie du chien Horla et retrouvé cette page:
Il faut dire un mot de l'excrément, hélas. On sait bien que c'est un sujet désagréable, mais ceci n'est pas une hagiographie, encore moins un roman édifiant. Le maître pour sa part trouvait la matière insupportable. Son sentiment sur ce point était peut-être un peu trop fort, même. Il avait un ami peintre qui l'assurait, en ne plaisantant qu'à moitié, que son dégoût exagéré, dans ce domaine, l'empêchait non seulement d'être peintre, ce à quoi il ne songeait guère, mais même d'apprécier tout à fait la peinture pour ce qu'elle est, un art de la sécrétion, des humeurs, des fluides, de la pourriture, des déchets.
Le peintre donnait pour emblème par excellence ce que c'est que de peindre, selon lui, l'exemple de Monet scrutant indéfiniment, le pinceau à la main, le visage et le corps de son épouse morte; et changeant les couleurs sur la toile, en vertu des changements qu'apportait, sur la peau, le travail de la putréfaction. En cette attitude qui a scandalisé, cette manière d'habiter le deuil sur le motif, so to speak, l'ami du maître voyait le geste le plus pieux qui soit sans préciser tout à fait à qui, de la morte ou de la peinture, allait piété si scrupuleuse.
Renaud Camus, Vie du chien Horla, p.37-38
«… ce à quoi il ne songeait guère…» Aurons-nous quelques explications dans le prochain journal?



Notes
1 : C'est nous qui soulignons.
2 : Claude Monet cité par Marianne Alphant, Claude Monet, une vie dans le paysage, Paris, Hazan, 2010.

Tel Beethoven

Monet confia plus tard, à un autre visiteur, qu'il ne choisissait plus ses couleurs que de mémoire, se laissant seulement guider par les étiquettes collées sur les tubes de peinture.

Jean-Paul Marcheschi, Camille morte, p.47

Peindre la durée

Monet musicalise l'espace pictural — et par là il le soustrait à la vue. Ce n'est pas le réel — non plus que les objets qu'il propose — qui paraît ici, mais son ombre saisie dans le miroir des étangs, tremblante, évoluant sans cesse. Les Nymphéas ne sont pas une capture de l'instant. Ils sont un précipité d'instants distillés dans la durée. Si Monet reste fidèle à la vision albertienne du tableau fenêtre — ou tableau miroir — la médiation introduite par l'élément aquatique les change en anti-miroirs. Et ce sont bien à des condensations de la mémoire que nous avons à faire — blocs de temps saisis, non successivement, mais simultanément — au cours desquels défilent tous les styles antérieurs découverts par le peintre au cours de sa carrière.

Jean-Paul Marcheschi, Camille morte, p.46

Les artistes vieillissants

Dossier immense à rouvrir d'urgence: celui des effets de styles suscités par le vieillir. En ce domaine quelque peu abandonné par les historiens de l'art, on ne manquerait pas de rencontrer le plus prestigieux des aréopages, et probablement la plupart des grands noms de la peinture, de la musique et de la littérature. Titien y figurerait en bonne place, mais aussi avant lui Piero della Francesca, mort aveugle lui aussi, Michel-Ange, le Tintoret, Rembrandt — qui fera de cet objet le motif exclusif de l'œuvre ultime à travers les autoportraits —, puis Goya, et Matisse (avec son admirable réponse au cancer que représente la chapelle de Vence, 1951).

Jean-Paul Marcheschi, Camille morte, p.48

Peindre l'aimée morte

Honte — ou effroi — de découvrir en soi un double, qui travaille seul et pour son propre compte. Cet , fiché en nous-mêmes, intouché, et indifférent au sort commun des hommes: c'est ce que découvre Monet dans l'ordre du langage, mais après coup, lorsqu'il livre sa confidence à Clemenceau. C'est l'obscène vérité aperçue par le peintre, lorsqu'il prend conscience que là où tout s'afflige et se désespère, lui rencontre de la puissance, et, plus difficile à admettre, du plaisir — d'où le remord.

Jean-Paul Marcheschi, Camille morte, p.19

Les Nymphéas

A l'Orangerie, les Nymphéas se transforment en nymphée: ils deviennent un lieu — un temple dédié aux nymphes et à l'eau. En réalisant la synthèse de l'architecture et du tableau, Monet sanctuarise pour toujours les conditions de la visibilité. La plante aquatique, essentiellement cultivée en eaux dormantes, en eaux mortes, accueille encore mieux le deuil auquel la version peinte succède. Aux pétales blancs, jaunes, rouges, de ces grosses fleurs solitaires, Monet ajoute de plus en plus de mauve, de violet, d'outre-noir (couleurs de l'endeuillé).

Jean-Paul Marcheschi, Camille morte, p.41

samedi 13 novembre 2010

Eugène Leroy

Exposition Eugène Leroy jusqu'au 4 décembre à Paris : Galerie de France 54 rue de la Verrerie.

Il y a une quinzaine de toiles, parfaitement mises en valeur dans un bel espace.

lundi 17 mai 2010

Le blog de Günther

Je suivais avec fascination les albums de Günther sur Facebook. Thanks God il est passé sur Flickr.
(Thanks God, parce que nous savons que nos "profils" FB peuvent disparaître d'un jour à l'autre, sans explication).

D'autre part, Gunther a ouvert un blog sur l'art de Weimar.

lundi 8 juin 2009

Les Fastes, exposition Marcheschi au musée de la préhistoire de Nemours.

Pluie et froid, panne de voiture. Problèmes d'organisation, besoin d'ubiquité, comme d'habitude. Aller à Nemours voir des statues, imaginant les talons aiguilles s'enfoncer dans la boue, cela valait-il la peine, je connaissais déjà le musée, dépouillé et solitaire parmi les arbres.

Il ne pleuvait plus, il faisait encore froid. A l'entrée nous attendaient des corbeaux autour d'un lac noir, oiseaux mazoutés, réminiscence de Poe, «son frère», nous dit Rémi. Horus est magnifique contre le fond vert, dansant et prêt à s'envoler, il appartient aux lieux et semble jailli de la forêt. Des habitués reconnaissent un "clone" de Raülh, le sanglier corse (clone puisque en bronze et non en cire). Un officiel terminait son discours sous un auvent, je reconnus Jean-Paul Marcheschi, superbe en chemise et blanche et veste noire, et Jacques Roubaud en bleu marine, les cheveux plus courts qu'au dernier jeudi de l'oulipo, ayant (à ma grande surprise) troqué ses pataugas pour quelques chose qui ressemblait à des converses.

J'ai vite abandonné l'espoir d'approcher du buffet, disons que je n'y tenais pas, et je suis entrée dans le musée par une porte de service, ce qui fait que je me suis trouvée brutalement en face du Grand Lac.




C'est tout simplement splendide. Les pages claires rétro-éclairées fournissent juste la lumière nécessaire à faire de l'eau un miroir pour les pages noires, et les angles ajoutent à la profondeur, à l'abîme et l'abyme (comment choisir?) Le tout communique une profonde impression d'apaisement et de méditation, face à ces pages noircies et ce lac sombre remontent des souvenirs de forêts, de cascades claires et de lacs de montagne. C'est très étonnant.

A l'étage se trouve une salle réservée aux œuvres claires, Oracles, Morsures de l'aube, Paradis (inspiré du Titien, il me semble) et magnifique Scapulaire de la scriptrice que je ne connaissais pas.

Dans d'autres salles les œuvres marcheschiennes se mêlent aux pièces préhistoriques et se fondent étrangement, entre clin d'œil et appartenance.
J'ai ri en voyant Raüh et son ancêtre (si l'on considère Raülh contemporain) ou Raülh et son petit frère (si l'on considère que Raülh remonte à l'ancienne Egypte).




J'ai passé un long moment, très long moment, dans l'auditorium, à écouter Jean-Paul Marcheschi parler de son œuvre et raconter des légendes, à voir l'eau couler en surimpression sur le feu, m'endormant à demi, la voix me poursuivant dans mes songes.


Le catalogue de l'exposition contient des poèmes de Jacques Roubaud écrits pour l'occasion. Celui-ci semble être entré totalement en résonance avec l'œuvre marcheschienne.

Exemple : les poèmes "Tridents" (13 syllabes de trois vers de 5, 3, 5 syllabes)

que les couleurs sont
des noms propres
descendant de l'ombre

noir gris très noir gris
plutôt noir
monstres ordinaires

regarde le Lac
enfermé
dans sa gaze noire

Roubaud a également décliné la forme "pharoïne": «une pharoïne a six strophes, chacune de six vers. Les vers de chaque strophe sont terminés par des mots-rimes, toujours les mêmes, ou des équivalents des mêmes, dans chaque strophe, mais tournant de strophe en strophe selon un mouvement, toujours le même, qui caractérise la forme.» (p.44 du catalogue Les Fastes, éditeur Lienart).
Voici une strophe, ce qui ne montre rien de la complexité de la pharoïne, mais prouve l'art de Roubaud:

Un mot contient la nuit entière, entière une voix dit la nuit.
Une nuit se concentre jusqu'au point d'un mot,
Celui qui aura charge de parler un monde:
Le «brouillas» d'espace et de temps
Que manifestera la voix,
Emplie de reconnaissables fantômes.

in C Déductions des sommeils, iii: mots

samedi 4 avril 2009

Dernier séminaire

Ce dernier séminaire réunit Jean-Louis Jeannelle, Franck Lestringant, Antoine et Compagnon et Jean Rouaud (dans cet ordre devant nous). Ils vont prendre la parole tour à tour, rebondir sur un mot ou un autre.

Mes notes sont minimales, rien de très neuf n'est ressorti.

Antoine Compagnon (AC) commence par résumer les différents sémaires. Je note quelques mots sur
auquel je n'ai pas assisté, qui concernait Stendhal: «Mariella di Maïo a montré l'horreur de la campagne de Russie pour Stendhal et le silence qui l'entoure: l'horreur ne peut être relatée». (Compagnon inscrit ainsi cette intervention dans la lignée de celles qui nous ont montré les témoins se taire devant leurs souvenirs.)

Jean Rouaud (JR) intervient presque à contretemps ou contrecourant: — Là où est la souffrance, là est la littérature.
Franck Lestringant (FL) : — La souffrance ne suffit pas à créer le témoin, il faut une cause pour le martyrologue; et pour attester la cause, il faut un procès. Les protestants volaient les preuves et les publiaient, ils retourner les preuves en leur faveur. Sans preuve ni procès, les morts de la Saint-Barthélémy sont des persécutés, pas des martyrs.
AC: — Le témoignage est avant tout judiciaire.
JR: — Le témoignage a une valeur historique. Mais on peut aussi s'en servir pour faire de l'art. Par exemple, j'ai écrit sur la mort de mon père. C'est le pouvoir de l'écrivain de pouvoir mettre l'anonyme en lumière par la force poétique. On voit la différence d'approche quand on considère Germaine Tillion: elle n'est pas là pour utiliser la force poétique, ce n'est pas son approche.
On le voit avec La Trêve de Primo Levi, qui raconte son retour des camps. Il l'a écrit quinze ans plus tard. Il n'était plus dans l'urgence poétique, entre-temps il avait découvert la force poétique. Il y a de véritables pages d'ivresse poétique dans La Trêve. Si c'est un homme est écrit dans l'urgence du témoignage, La Trêve, c'est plus qu'un témoignage.

Jean-Louis Jeannelle: — Mais de quoi parle-t-on? Il s'agit soit d'une posture, soit d'un acte d'énonciation. En lisant les notes de sejan, je me suis rendu compte que l'importance chronologique n'est pas passée.
Il existe des périodes sur lesquelles nous avons beaucoup de témoignages, mais qui ne sont pas reçus: la guerre d'indochine et la guerre d'Algérie. Or les combattant d'Algérie sont nourris des rancoeurs de l'Indochine.
La guerre d'Algérie présente cette particularité que les deux camps ont écrit à peu près autant de témoignages l'un que l'autre. Pour une raison inconnue ou incompréhensible, ces ego-témoignages (égaux-témoignages) ne sont pas exploités.
Les Mémoires sont politiques; les témoignages relèvent de l'éthique.

Ici je ne sais plus qui a parlé.
??? — Qu'y a-t-il comme témoignage littéraire sur les guerres d'Indochine et d'Algérie? Jules Roy pour l'Indochine, Guyotat et Tombeau pour cent mille soldats pour l'Algérie…
JLJ: — Ils ne sont pas beaucoup lus… On les découvrira peut-être dans quelques années… il a fallu du temps avant qu'on lise les lettres des poilus…
AC: — C'est le cinéma, plutôt, qui a témoigné pour l'Algérie et l'Indochine.
JLJ: — Sans beaucoup de succès, d'ailleurs. La bataille d'Alger , c'est formidable, et pourtant cela n'a pas eu beaucoup de succès.
?? : — non… plutôt les films sur l'Indochine.

Le premier souci des survivants, c'est d'oublier. Le témoignage n'est pas un souci esthétique.

Jean Rouaud a visité aux Etats-Unis un musée des cow-boys contenant des tableaux de Remington de toute beauté qui saisissaient l'instant.
Urgence de saisir une civilisation en train de disparaître (= les indiens entre 1875 et 1915) => refus d'une réflexion d'avant-garde sur la peinture. La peinture doit témoigner, c'est le plus urgent.
AC: — Peut-on dire que l'orientalisme français reflète la même urgence, le mêm souci…?
FL: — Je pense aussi aux peintures brésiliennes… à Claude Levi-Strauss… Est-ce Lestringant ou Rouaud qui a continué sur Levi-Strauss?
Levi-Strauss voulait écrire un roman. La première phrase de Tristes tropiques est une phrase de roman.
Mais entretemps était paru L'ère du soupçon, etc : ce n'était plus possible… (AC: — D'où l'embarras des jurés du Goncourt qui aurait voulu lui donner le prix. Cela n'a pas été possible puisqu'il est réservé à "une œuvre d'invention")

JR:— L'autre jour, j'étais assis en compagnie de trois écrivains africains (noms non notés). Tous les trois avaient des pères analphabètes. Pour eux, l'urgence est de témoigner, pas de réfléchir sur la forme1.

JR: — Le témoignage n'intéresse que s'il raconte quelque chose de suffisamment tragique.
AC: — Le témoignage est une incarnation. Mais il y a aussi incarnation par la littérature.


Note
1 : remarque personnelle: Le fond de cela, en fait, est une réflexion sur le langage: à quoi sert-il?

lundi 2 mars 2009

séminaire n°8 : Jean Clair et les géants

Ce n'est pas sans surprise et avec un certain amusement que je découvre le commentaire lapidaire de sejan sur cet exposé. Moi j'ai aimé, une partie de la salle a détesté, quittant l'amphithéâtre par grappes au cours de l'exposé (attitude que je trouve scandaleuse).
Je m'interroge: suis-je si enfantine, suffit-il de me montrer quelques images pour que je sois heureuse? Ou suis-je si ignorante que tout ce qui nous a été montré m'a paru intéressant, alors que tous les autres le savaient déjà?
J'aime qu'on m'ouvre des pistes (mon instinct de chasseur, sans doute) et Jean Clair en a ouvert un certain nombre, montrant à la fois la continuité de l'utilisation du modèle du géant dans la peinture et la variation de sa valeur dans le temps.

Ce qui a cruellement manqué, c'est une feuille récapitulant la liste des œuvres montrées à l'écran, ce qui aurait permis de les retrouver sur internet. Il nous faudra attendre la publication du livre de Jean Clair.


Jean Clair avoue dès le début 1/ qu'il ne voit pas trop comment ce qu'il va raconter s'inscrit dans le cadre du cours 2/ qu'il a changé le titre de son exposé en «La barbarie ordinaire de Satan à Staline», ou «Les avatars de la stature du géant des Lumières à nos jours».

Pendant des siècles, la peinture a témoigné. Ce n'est qu'avec la peinture contemporaine que ce rôle a disparu: la peinture n'a plus de sens, plus de formes. C'est ainsi que Panofsky a dit que la peinture avait cessé d'utiliser des allégories déchiffrables, dictionnaire de symboles qu'elle avait mis des siècles à élaborer.

Jean Clair n'est pas d'accord avec ce jugement définitif: la peinture utilise encore des allégories, mais c'est devenu beaucoup plus compliqué.

Pour illustrer cette affirmation, il nous montre un tableau de George Grosz, Hitler aux enfers, qui bien sûr fait référence aux divers Satan aux enfers, et notamment celui du campo santo de Pise.




Il représente Hitler en géant au bord d'une fosse. On aperçoit Abel tué par Caïn, et la référence au meurtre est étendu au genre humain. Au loin on voit des villes en flammes. [1]

Puis Clair nous montre des dessins "peints sur le motif" à Dachau par Zoran Music: des monceaux de cadavres. Il faudra trente ans pour que Music décide de faire de ces dessins une œuvre: il peint en 1972 Nous ne sommes pas les derniers.

Ensuite, un Géant destructeur de Rudolf Schlichter, peint durant ses années en Allemagne avant d'être dénoncé comme art dégénéré. Ses descriptions sont naturalistes et prophétiques, elles sont des dénonciations politiques.

Les géants représentent la haine des Dieux. Zeus en vient à bout en les enchaînant dans le Tartare. Ils incarnent la démesure et la violence, toujours prêtes à ressurgir.

La culture chrétienne présentera à ses débuts une image bienveillante du géant. Pour Bernard de Chartres, nous sommes des nains perchés sur les épaules de géants (voir les vitraux de la cathédrale: l'homme juché sur les épaules des prophètes de l'Ancien Testament): la perfection est derrière nous.
En même temps surgissent des figures ambivalentes: Saint Christophe, dont l'origine pourrait être orientale. Représentation d'un saint cynocéphale qui ne parle pas: il est à la limite de la civilisation. Cela nous rapproche des lycanthropes, les hommes-loups, figure populaire qui deviendra plus tard les loups-garous, qui dévorent les enfants.

Au XVe siècle apparaît le fou sur le jeu de tarot de Charles VI.

Cette image a été popularisée par La Nef des fous de Sebastien Grant. Le fou des jeux des cartes s'éloigne du monde civilisé. Le fou, c'est le Mat, qui deviendra le Joker. Sa valeur dans le jeu change. La variabilité est le signe que le fou échappe aux règles d'harmonie et de nombre.

Plus tard, Charles Perrault popularise la figure de l'ogre. Le fou, c'est le père archaïque, protecteur et meurtrier, nourrissier et anthropophage.

Il y avait eu d'autres géants célèbres avant cela, dans les années 1720, 1730: Gulliver de Swift, Micromégas de Voltaire ou Le Colosse de Goya (on notera le mince croissant de lune, signale Jean Clair, signe de déséquilibre mental).

Il y a retournement. Le géant n'est plus bienveillant. C'est l'homme moderne. Ce sont les hommes du passé qui sont devenus des nains. C'est aussi l'image de la Révolution qui dévore ses enfants. C'est l'anéantissement de l'homme par l'homme, avec la figure de Chronos qui dévore ses enfants.

Les tyrans: adopteront la figure du géant guidant les hommes vers la lumière (en fait, leur perte).

Que s'est-il passé?

A la Renaissance, l'homme est la mesure du monde et le monde est à sa mesure.
A un moment donné, l'homme cesse de regarder vers le haut pour regarder vers l'avant : Trotsky, Gorky, chants hitlériens => vers l'avant.

Les nus d'Arno Brecker n'ont rien de l'harmonie de l'écorché de Houdon: L'homme de Brecker est un homme creux, vide, tandis que la statue de Houdon évoque la plénitude.

Un tableau de Granville, Atlante portant le monde (image de l'homme désormais).
Gulliver: pose une question morale aux Lumières. Swift: l'homme n'est petit ou grand que par rapport aux autres. On est entré subprepticement dans le relativisme. L'apparition de Gulliver dans d'autres mondes identiques au nôtres fournit une nouvelle échelle.
Expérience de l'unique, énorme, hors mesure (cf. les Romantiques).
Le risque est de se faire dévorer par qui est devenu plus grand que nous.

Jean Clair farfouille dans ses feuilles, saute des étapes, il n'y a pas de liens très clairs autres que chronologiques: nous avançons à grands pas vers les totalitarismes du XXe siècle. La suite est une liste.

Vers 1820, le géant saturnien de Goya, solitaire et unique, s'inscrit dans le courant romantique.
La différence de taille devient une apparition terrifiante. On revient aux géants originels: à l'origine de la vie il y a la violence.
Cela recoupe l'effroi causé par les troupes napoléoniennes, qui mènent la Révolution au nom des droits de l'homme.

Le géant, c'est la marge, la solitude, le déraisonnable, la disparate (appariement de deux choses n'ayant rien en commun.)
Projection de gravures montrant Napoléon ou les grenadiers en géants.

En 1903, Kubin dessine l'anarchie comme une goule géante, la guerre, Der krieg, qui piétine tout sur son passage, et en 1935, Staline géants parmi les moscovites.

En 1920, Boris Kustodiev peint un géant qui domine le peuple prolétaire. On peut considérer soit qu'il s'agit du Saturne de Goya soit d'un guide éclairant le monde.


La propagande fasciste utilisera beaucoup l'image d'un Duce colossal.

Schlichter, membre du parti communiste, ami de Ernst Jünger. Il dessine un guerrier portant un casque à l'antique et une cuirasse représentant les sept péchés capitaux.

A l'origine de l'image de La guerre de Kubin se trouve le Léviathan de Hobbes, dessiné par Abraham Bosse, qui annonce aussi la dilution des individus dans le collectif. C'est un polypier, un agrégat. Il y a prolifération, chaque membre coupé repousse.
Projection pour exemple d'une affiche de propagande de Mussolini en 1934: le corps est composé de visages.
Propagande productiviste: l'image composée de petites mains => rappelle la photo de cellules prise au microscope => ou encore une photo des sportifs du stade Dynamo à Moscou.

Projet d'un immeuble gigantesque (415 m) couronné par une statue de Lénine (pas de Hitler gigantesque: celui-ci a cultivé à l'inverse l'image du petit homme des tranchées).

Retour à George Grosz, à Paul Weber (des squelettes géants), Ernst Niekisch en 1932, Hitler, une fatalité allemande.

Les dieux se sont éloignés. Retour des Titans. Dali, Marx Ernst, L'Ange du foyer. Satan comme témoin de son temps.


*********************** J'ai noté lors de l'échange qui a suivi «Il est périlleux de citer Joseph de Maistre. Il fait sassez peur. Préférer Les Dieux ont soif d'Anatole France.
Est-ce que Clair se moquait de Compagnon? En tout cas, celui-ci faisait une drôle de tête.

Jean Clair a d'autre part souligné l'écart entre la peinture catastrophiste de l'Allemagne et l'Italie de l'entre deux guerres et la peinture sereine en France (Bonnard, Matisse qui parle de l'art "comme un bon fauteuil". Pour Jean Clair, il y a un aveuglement français. Deux mots s'opposent: la peinture allemande et italienne annoncent-elles la terreur (Jean Clair) ou la préparent-elles (Compagnon)?

Notes

[1] Ce qui m'intéresse ici, c'est la date du tableau: 1943. Cette fosse, est-elle une allégorie des morts de la guerre, ou fait-elle plus directement allusion au sort des juifs? Je collecte tout ce qui témoigne d'une connaissance de ce sort par l'extérieur avant 1945.

mardi 23 septembre 2008

Jean-Paul Marcheschi expose à Nantes à partir du 2 octobre.

L'ouverture de l'exposition aura lieu en musique le 2 octobre 2008 à 20 heures à la cathédrale Saint-Pierre.

Si vous souhaitez recevoir des invitations pour le vernissage, merci de m'envoyer un message en précisant le nombre d'invitations qui vous serait utile.

NB : sur le site de Jean-Paul Marcheschi.

PS: si vous assistez à cette ouverture, ne vous laissez pas intimider et n'hésitez pas à saluer Jean-Paul Marcheschi : il sera ravi de vous rencontrer.

mercredi 3 septembre 2008

Une trahison d'Augustin? Sur l'inspiration patristique de l'art médiéval, par François Bœspflug

Première communication du vendredi 13 juin (deuxième jour du colloque). Je m'en souviens avec précision, car François Bœspflug maîtrise si parfaitement les canons de l'exposé académique qu'il en fait un jeu. J'arrivai à sa conférence avec quelques préventions, car j'avais repéré la veille dans les livres proposés par les éditeurs présents son livre Caricaturer Dieu?: Pouvoir et danger de l'image, dont le titre m'avait paru trop opportuniste pour être sérieux. (Après cette communication, je l'ai feuilleté, il paraît très intéressant).


La pensée des Pères a nourri la pensée médiévale. Saint Augustin plane au-dessus du Moyen-Âge, il fut le Père préféré. Il semble avoir abordé tous les domaines, la théologie, la spiritualité, le droit, la philosophie… (il suffit de se rapporter à l'article de Goulven Madec). Mais Madec ne parle pas de l'art.
Qu'en est-il de l'art?
Contrairement à ce qu'on voit actuellement à Beaubourg1, le Moyen-Âge n'a jamais imaginé que la mission de l'art était d'innover.
Mon titre est provocateur: en effet, cette prétendue omniprésence de Saint Augustin présente le défaut de sous-estimer les autres Pères, notamment Ambroise, les Grecs (les Cappadociens), etc.


Dans quelle mesure la pensée d'Augustin a-t-elle été obéie, suivie, trahie? Il s'agit d'en finir avec une généralité paresseuse qui voudrait qu'Augustin ait eu la plus grande influence en toute chose.
Nous verrons donc dans un premier temps quelle influence Augustin a exercé sur l'art médiéval, puis, videtur quod non, ce qui s'oppose à cette analyse, enfin, sed contra, le respect de la pensée d'Augustin dans la forme.

Ici François Bœspflug a fait quelques restrictions de champs, que je n'ai pas notées.

L'influence très variée d'Augustin sur l'art médiéval
Cette influence se décèle sous une dizaine de modes.

1/ naissance de certains motifs, par exemple la comparaison entre la croix du Christ et un hameçon (apparaît au XIIe siècle).

2/ naissance de certains sujets :
classification des Vertus (en théologales et cardinales (Ambroise y prend également part),
liste des dix Sybilles (dont la Sybille Erythrée),
évocation des prophètes,
Emile Mâle a noté que le Contra judeos, paganos, attribué à Augustin, était lu à mâtines le jour de Noël : il s'agit donc d'un texte très connu, qui a donné naissance au sujet de l'Eglise face à la Synagogue,
la vision'Beati cinque, évoquée dans la fameuse lettre d'Augustin sur la vision, constituera un sujet pour l'art chrétien (cf. l'analyse d'Olivier Boulnois dans Au-delà de l'image).

3/ les scènes d'histoire : l'insistance d'Augustin pour qu'on s'attache au sens littéral de l'Ecriture fournit une base solide aux interprétations artistiques. Ainsi, l'hospitalité d'Abraham ou le bon Samaritain deviennent des sujets pour l'art.

4/ l'accréditation de Saint Augustin de certaines sources, comme le physiologus, le bestiaire (qui sera condamné par le pape Gélase). (En revanche, la légende de Saint Thomas en Inde est condamnée par Augustin.)

5/ l'importance prise par les chiffres: le nombre des poissons (153) lors de la multiplication des pains et des poissons, etc (rapport avec les parties du plafond d'une église je ne déchiffre plus mes notes).

6/ raisonnements analogiques : naissance d'Eve de la côte d'Adam à rapprocher de la naissance de l'Eglise du côté du Christ

mes notes s'arrêtent là : six et pas dix. Il manque quatre modes.

Limite de l'influence de Saint Augustin
1/ Certaines de ses interprétations ne se sont pas imposées.
- la Trinité créatrice (dans la Genèse) => ce thème est rare par rapport à celui d'une création jeune par Dieu le Père vieux.
- l'interprétation de l'hospitalité d'Abraham : l'ambivalence est visible à Sainte-Marie-Majeure, par exemple: le registre supérieur reprend la christologie traditionnelle tandis que le registre inférieur reprend l'interprétation trinitaire due à Saint Augustin. L'influence d'Augustin n'est réelle qu'en apparence.

2/théologie grégorienne de la légitimation didactique de l'image.
Augustin était contre les images et les représentations. Grégoire prend le contrepied de cette position et c'est lui qui va être suivi.

3/ Certains interdits fulminés par Augustin ont été contournés, par exemple, l'interdit du triangle : le triangle revient malgré tout au XIIe siècle, au XIIIe siècle il deviendra bouclier.v
D'autre part, pour Augustin l'image de Dieu en l'homme n'est pas le visage (il rejoint ici les Juifs et les Musulmans) mais l'âme: que peut-on représenter?

La tradition iconographique trahit Augustin au fond, mais pas dans la forme.
1/ création d'une image hiératique du Christ
Augustin se convertit en 386, à l'époque des premiers grands Christs d'abside. Augustin tenait que l'Eglise ne savait pas à quoi ressemblait le Christ, puisque les Evangiles sont muets sur le physique du Christ. La constitution d'une image d'un Christ-Dieu pourrait être une première trahison. (Augustin disait «l'image n'est qu'une image mais se donne pour ce qu'elle n'est pas». Cette phrase sera reprise plus tard.

2/ légitimation de la vénération de l'icône du Christ qui ne représente ni la nature divine, ni la nature humaine, mais est une hypostase des deux.
Les vrais disciples d'Augustin refuseront toujours les images: vénérer les images est illusoire, il n'y a pas de vera icona (cf. Boulnois).

3/ exploration systématique des ressources du visible pour représenter la Trinité, par exemple dans le psautier d'Utrecht, autour du VIIe et VIIIe siècle. per visiblia ad invisiblia: le visible peut venir au secours de l'intelligible, ce qui est tout à fait contraire à ce que pensait Augustin.

Les textes d'Augustin contre l'image : la lettre 120, un passage du De civitate Dei et plusieurs sermons. Dieu est amour. Quelle figure a l'amour? personne ne le sait.

Conclusion
La position d'Augustin sur les images a été trahie. Une preuve nous en est donnée a contrario au XVIIe siècle, quand le pape Alexandre VIII, pour sauver les arts, condamne le De Fide et Symbolo d'Augustin en 1683. (Dans ce texte, Augustin refuse d'imaginer un Dieu siégeant. (en fait, Alexandre VIII n'ose pas condamner Augustin: il condamne un père de Louvain, mais il s'agit d'une phrase reprise mot à mot d'Augustin.))

Nous atteignons ici les limites de mon augustinophilie: Augustin se trompait quand il soutenait que l'art ne crée pas. L'art médiéval lui a donné tort. Il a créé tout un monde d'images. Les réalités mentales ont un poids.

****
remarque lors des questions/réponses : Luther sera le premier à décrire les images qu'il détruit. Avant lui, quand des images sont détruites, on ne sait pas ce qu'elles représentent: des images matérielles, spirituelles? On ne le sait pas.



Note
1: allusion à l'exposition Traces du sacré

lundi 18 juin 2007

Survivre avec les moyens du bord

Éluard, le grand frère, transmet surtout à son benjamin les rudiments de la survie financière, des conseils indispensables si l'on ne veut pas capituler et accepter un travail salarié. Les principes de sa constitution s'appuient essentiellement sur les ressources insoupçonnées offertes par les manuscrits de poèmes. L'article premier décrète que rien ne se jette ! Les premiers brouillons d'un poème trouvent toujours un amateur bibliophile. L'article 2 prescrit de veiller à la qualité du produit. Le poème doit être écrit lisiblement, le papier offrir une qualité minimale. L'article 3 souligne que l'originalité du produit peut être déterminante. Le prix d'un manuscrit peut sensiblement monter s'il se présente sur un papier particulier (couleur, grain, papier à en-tête d'un hôtel, d'un café ou, mieux, d'un garage). L'article 4 encourage à toujours penser au petit plus. Le prix d'un manuscrit dépend bien sûr de la notoriété de l'auteur, mais rien n'interdit de le faire monter en y ajoutant des éléments de plus-value [dédicace à un auteur célèbre, ratures et rajouts lisibles).

Élève doué. Char écoute. Éluard lui propose aussitôt une démonstration en se chargeant de la négociation du manuscrit d'Artine. Surtout lorsqu'il n'est pas directement concerné, Éluard est un marchand redoutable. Il se fixe un prix et s'y tient, plaçant toujours la barre très haut. Lui-même grand collectionneur, il sait d'instinct jusqu'où un amateur accroché ira pour satisfaire son besoin de possession d'une pièce rare. Les treize feuillets d'Artine, avec ratures et ajouts, présentés comme l'une des pièces majeures du surréalisme, vont permettre à Char de tenir plusieurs mois. La leçon est retenue, de même qu'une évidence implicite : il est nécessaire d'entretenir un minimum de relations avec de grands libraires et des amateurs fortunés.

Longtemps, le richissime couturier Jacques Doucet (1853-1929) a été la providence des surréalistes et des artistes d'avant-garde. André Breton, son conseiller pour les arts plastiques, lui a permis de réunir l'une des plus belles collections de tableaux du début du siècle. Dans une lettre, il l'a pressé d'acheter à Picasso Les Demoiselles d'Avignon, une toile que le peintre avait roulée dans un coin de son atelier, persuadé de ne jamais vendre ce sujet scabreux et révolutionnaire. Breton était prophétique :

« C'est là une œuvre qui dépasse pour moi singulièrement la peinture, c'est le théâtre de tout ce qui se passe depuis cinquante ans, c'est le mur devant lequel sont passés Rimbaud, Lautréamont, Jarry, Apollinaire, et tous ceux que nous aimons encore. Que ceci disparaisse, il emportera la plus grande partie de notre secret... »

C'était en 1923. Jacques Doucet finit par céder à Breton. Picasso réclama au mécène la somme de vingt-cinq mille francs. Doucet eut le cran de rester impavide : « Bon. Eh bien ! c'est entendu, monsieur Picasso. Vous recevrez deux mille francs par mois à partir du mois prochain jusqu'à concurrence de vingt-cinq mille. » Et il renégocia le prix à la baisse ultérieurement... Quatorze ans plus tard, la toile fut revendue cent cinquante mille francs.
Le grand couturier avait aussi un jeune conseiller littéraire, Louis Aragon, royalement rémunéré pour l'informer et acquérir en son nom livres rares et manuscrits. Et puis le communisme et les provocations de l'un ont eu raison de la patience et de la générosité de l'autre. Aragon vit désormais de la vente des colliers conçus et fabriqués par Elsa :

« J'allais vendre/ aux marchands/ de New York/ et d'ailleurs/
De Berlin/ de Rio/ de Milan/ d'Ankara/
Ces joyaux/ faits de rien/ sous tes doigts/ orpailleurs/
Ces cailloux/ qui semblaient des fleurs/
Portant tes couleurs/ Elsa valse et valsera »

De nouveaux liens se sont tissés. D'autres mécènes instaurent leur règne. Les « Charles », très liés à René Crevel et Luis Bunuel, ont succédé à Jacques Doucet. Ils achètent systématiquement l'un des trois premiers exemplaires sur beau papier de tous les recueils publiés par les surréalistes, ce qui permet de financer l'impression de livres qui se vendent au mieux à quelques centaines d'unités. Charles de Noailles acquiert en 1930, pour faire plaisir à Breton et à Éluard, leur manuscrit de L'Immaculée Conception pour la somme considérable de dix mille francs. Ainsi devient-il, selon l'expression de José Corti, une sorte de Fouquet de la République. René Gaffé, un riche parfumeur belge, achète pour sa part à prix d'or tous les exemplaires numérotés « 1 ».

La vente de manuscrits et de brouillons suppose en vérité du savoir-faire, de la psychologie et de l'organisation. René Char ouvre très vite une annexe à son atelier de poète. Là, revêtant les habits d'un moine copiste, veillant à la bonne tenue de ses plumes et de son encrier toujours rempli d'encre noire, il recopie avec un soin maniaque ses derniers textes. Il apporte une attention obsessionnelle à ce travail tranquille qui le repose et lui permet de filtrer attentivement ses poèmes. Autour de lui sont disposés son tampon buvard, un choix de cartons et de papiers de Hollande plus ou moins forts. De son écriture ample, il semble à chaque fois réécrire définitivement ses plus beaux poèmes.

Ainsi le manuscrit recopié peut devenir un original. Qui saurait distinguer parmi ces feuillets épars l'authentique brouillon d'un vrai-faux, le premier jet d'une nouvelle version originale ? Lucratif, cet artisanat est aussi généreux. Il n'est pas rare que Char recopie entièrement un recueil sur un carnet spécialement relié, puis l'offre en gage d'amitié.
Eluard l'initie également aux mystères de la fabrication d'un « beau livre ». René Char s'était intuitivement prêté à l'exercice, au début de l'année 1930, avec Le Tombeau des secrets. Son livre se composait d'une trentaine de pages où douze photographies détournées par des collages occupaient en majesté l'espace avec, en regard, quelques textes brefs. André Breton et Éluard y avaient ajouté un photomontage de leur cru...

La rencontre d'un peintre et d'un poète ouvre cependant d'autres horizons. La fusion de Manet avec Mallarmé, la rencontre d'André Derain et d'Apollinaire, l'alliance de Fernand Léger avec Blaise Cendrars, la géniale alchimie de Juan Gris avec Pierre Reverdy transforment le livre en œuvre d'art, recherchée par tous les amateurs. Le livre échappe alors à son statut classique pour devenir objet sacré. Paul Éluard et Max Ernst, André Breton et Alberto Giacometti ont défriché ces terres encore fraîches et nourricières.

A défaut d'une véritable collaboration avec un peintre, veille donc, souffle Éluard à son ami, à demander une gravure, une eau-forte pour la placer en frontispice de ton recueil. Le conseil a été entendu. Il sera toujours repris comme une clé magique pour échapper aux petites misères du temps. On mésestime trop les plaies d'argent.
Comparés aux poètes, les peintres qui rencontrent le succès sont riches, parfois richissimes, explique Éluard. Il faut savoir accepter leurs cadeaux : dessins, gouaches, tableaux. C'est leur manière de te reconnaître. Picasso sait parfaitement, lorsqu'il te met d'autorité une toile sous le bras, que tu la revendras un jour de dèche, et il ne t'en voudra pas. L'argent file, à nous d'en trouver !

Laurent Greilsamer, L'éclair au front, la vie de René Char

dimanche 20 février 2005

[À voix nue 2/5] La bathmologie

Transposition de la deuxième émission de Pierre Salgas.

La bathmologie à partir de Buena Vista Park. L'axe ou l'un des fondements de l'œuvre. Ou barthmologie.
Barthes: un peu une plaisanterie. Il importe de lui garder cet aspect ludique. Science des niveaux de discours. BVP a failli s'appeler Fragments de bathmologie quotidienne, ce qui était assez menaçant.
Bandeau du maréchal Ney : la même position peut-être plus contradictoire par rapport à elle-même que par rapport à ce qui est superficiellement son contraire.
Sortir de ce débat par un coup d'Etat, la méta-bathmologie. Considérer la bathmologie elle-même comme un discours conventionnel.
Autre exemple: le "Monsieur" qu'on adresse aux grands professeurs de faculté en abandonnant "Docteur" à partir d'un certain niveau est "tout à fait le même, tout à fait un autre".
La société française des années 80 est dans le deuxième degré. Le niveau Maréchal Ney du bandeau. Tout l'humour, la publicité,… Le deuxième degré est devenu la culture petite-bourgeoise, qui est devenu quelque chose d'absolument rituel. Le deuxième degré est une impasse en littérature, pense maintenant RC.

Salgas : Mais alors Roman Roi et Roman Furieux en 83 et 87 : deuxième degré ou coup d'Etat bathmologique?
RC : Nous sommes en-deça du coup d'Etat bathmologique. Se présente comme un roman historique tout à fait traditionnel et même pire que traditionnel. Sentimental, sensationnel, dans un pays d'opérette. Comment le texte se sort-il lui-même de ce que je percevais comme une impasse, c'est ce qu'il est lui-même qui le lui permet —ou pas, je suis mal placé pour en juger— de l'impasse, c'est son écriture-même qui le fait échapper à un deuxième degré rigoureux.

Salgas: Roman Roi en 1983. Or en 1983, moment de restauration esthétique en France après la fin des avant-garde, un retour au premier degré d'avant la modernité. Néanmoins, Roman Roi ne semble pas lui appartenir, tout en flirtant avec sa restauration. Comment faut-il lire Roman Roi par rapport à l'état de la littérature à ce moment-là revenant à un premier degré esthétique (date de Femmes de Sollers qui a marqué un certain changement esthétique dans la littérature française).
RC: côté parodique par rapport à cette restauration. Restauration illusoire. Caractère moins convaincant que jamais de cette restauration, pas précisément de la haute littérature.
Roman: travail ironique sur la forme. Sous l'instance de l'anagramme. La langue caronienne est très isolée. Une des thèses les plus intéressantes: d'essence anagrammatique.

S: vous pourriez-nous dire qq mots de caronien?
RC: je n'en connais pas un mot

Salgas: Virginia Woolf bathmologue?
RC: Non. RC aime Woolf car lyrique. Or aujourd'hui l'interdit majeur. Le lyrisme n'est autorisé que dans la mesure où il transcende un interdit, où il suinte quelle que chose de son contraire. Par exemple le lyrisme de la théorie.
Batmologie de Flaubert. Pascal. Les habiles et les demi-habiles.

Salgas: la bathmologie est une science auvergnate (?).
RC: j'aime bcp cette idée, mais pas sûr que ce soit pertinent.

Salgas: si la bathmologie a raison, c'est toute l'esthétique d'Aristote à Kant, de Hegel à Luckas ou Adorno qui risque de s'effondre (BVP). Salgas pense à Bourdieu. La distinction. La bathmologie rencontre le projet de Bourdieu.
RC: Batmologie: bombe à retardement. Sape tout discours établi, sape le concept de vérité. Dans le domaine esthétique, peut-être désespérante. Le batmologue est nécessairement convaincu qu'il n'y a pas de goût, qu'il n'y a que des niveaux de culture. Quand quelqu'un dit "J'aime ceci, j'aime cela", il parle de lui-même.

Salgas : C'est ce que dit Bourdieu dans La distinction.
Vous êtes vous-même infidèle à cette aspiration bathmologique. Vous exposez vos goûts dans le journal, par exemple, vous présentez vos goûts avec une sorte de naïveté comme n'ayant aucun rapport avec le monde social qui les produit. Ce n'est qu'une fois sur deux que vous objectivez la production de ces goûts.

RC: réponses en plusieurs temps.
1/ Tout système s'il est bien construit finit par fonctionner tout seul. Pourquoi les Eglogues ont-elles pris de telles proportions malgré les contraintes très fortes auxquelles elles sont soumises, c'est parce qu'à partir du moment où ces contraintes sont appliquées suffisamment longtemps, elles autorisent de plus en plus de choses. S'appliquant sur des quantités de texte sans cesse croissantes, tout devient possible.
2/ La bathmologie si on la pratique exclusivement, finit par tout admettre et son contraire, y compris la bêtise. Un bathmologue qui ne tiendrait pas compte de sa propre bêtise serait menteur. La forme de la bêtise dans le jugement esthétique serait peut-être le "mon genre, pas mon genre", c'est-à-dire le goût brutal. Malgré tout, il y a une légitimité au "mon genre pas mon genre". Il y a quelle que chose qui n'est pas réductible au jugement culturel. Par exemple, entre un amateur de Schwitters et un amateur de Dali, il n'y a pas de discussion esthétique possible. Discours à des niveaux culturels tellement éloignés que le goût n'est pas en cause (Ce n'est pas du "mon genre"). Mais entre quelqu'un qui dit mon artiste favori est Schwitters et quelqu'un qui dit Mondrian, le goût peut intervenir, de même entre un amateur de Monet et de Manet. Le goût revient à la fin, irréductible. Le "mon genre" ne peut être expliqué, RC très attaché à "mon genre" car ne peut être évacué. Concept bêta qui offre une bonne résistance à la bathmologie.
Entre quelqu'un qui dit que le plus beau monument de Paris est le Grand Palais et celui qui admire l'octroi de Ledoux, pas de discussion esthétique possible. Relève d'un état culturel. A partir de deux ou trois éléments, on peut établir la personnalité culturelle de cette personne. Quelqu'un qui dit j'aime Bosch, Van Gogh et Dali, ce qui est un schéma extrêmement repérable, on peut établir à peu près l'ensemble de la personnalité culturelle de cette personne. Bosch, Van Gogh ou Chagall ont eu le malheur de tomber dans le statut assez fâcheux de peintres favoris inévitables des gens qui n'aiment pas la peinture. Ce sont les noms typiques des gens qui n'ont pas pas de passion très appuyée pour la peinture. Ce qui ne veut pas dire que ce ne sont pas de très grands peintres.

Salgas: où situeriez-vous un amateur de Renaud Camus dans la littérature contemporaine?
RC: j'ai le plaisir de répondre qu'un amateur de Renaud Camus est extrêmement difficile à cerner. Lecteurs extrêment divers. Un amateur global de RC est presque inconcevable. Les livres que j'ai produits interviennent à des niveaux littéraires si différents que peut-être est-il très difficile de les aimer tous. Ils ont trouvé des publics extrêmement éloignés les uns les autres et qui d'ailleurs sont souvent choqués par d'autres aspects du même travail. Par exemple je vois très bien des charmantes vieilles dames aux cheveux bleutés adorer les châteaux, les paysages français, les expositions de peintures impressionnistes "quel bon jeune homme"… Les lecteurs de Tricks ne sont pas forcément des passionnés des Églogues et du travail sur le signifiant.

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