Véhesse

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Billets qui ont 'entretiens' comme genre.

lundi 15 mai 2017

La philosophie

«Die Philosophie aber muss sich hüten erbaulich sein zu wollen», écrit Hegel dans la préface de sa Phénoménologie de l'Esprit; mais y eut-il jamais philosophie qui voulut s'en garder vraiment? Enseigner n'est ce pas déjà édifier? Et «le plus important», est-ce bien un objet d'enseignement?

Benjamin Fondane, Rencontres avec Léon Chestov, "Sur les rives de l'Ilissus", éd Non Lieu, 2017, p.21

lundi 10 octobre 2016

Conversations avec Kafka

Du fait de sa structure, des souvenirs, des bribes de souvenirs, le livre est parfois sentencieux, de ce fait agaçant. Mais c'est un témoignage irremplaçable, à la fois sur Kafka et sur l'atmosphère de Prague, l'Europe orientale dans l'entre-deux guerres.
Conrad et Kafka, morts la même année. Deux mondes à des années-lumières.

Il faut prier.
« […]
— Ecrire, c'est donc mentir ?
— Non. La création d'un écrivain est une condensation, une concentration. La production d'un littérateur au contraire un délayage, aboutissant à un produit excitant, qui facilite la vie inconsciente, à un narcotique.
— Et la création de l'écrivain ?
— C'est exactement le contraire. Elle réveille.
— Elle tend donc vers la religion.
— Je ne dirais pas cela. Mais à la prière, sûrement.»
Gustav Janouch Conversations avec Kafka, p.60-61, Maurice Nadeau, 1978


«L'art et la prière sont des manifestations passionnelles de la volonté. On veut surpasser et accroître le champ des possibilités normales de la volonté. L'art est, comme la prière, une main tendue dans l'obscurité, qui veut saisir une part de grâce pour se muer en une main qui donne. Prier, c'est se jeter dans cet arc de lumière transfigurante qui va de ce qui passe à ce qui advient, c'est se fondre en lui afin de loger son infinie lumière dans le fragile petit berceau de l'existence individuelle.»
Ibid., p.61


« Le miracle et la violence ne sont que les deux pôles de l'incroyance. On gâche sa vie à attendre passivement la bonne nouvelle qui y donnera un sens et qui n'arrive jamais, précisément parce que notre attente impatiente nous ferme à elle; ou bien l'impatience nous fait écarter toute attente et noyer toute notre vie dans une orgie criminelle de feu et de sang. Et dans les deux cas, on est dans l'erreur.
— Et où est la vérité, demandai-je ?
— Elle est là », répondit immédiatement Kafka en me montrant une vieille femme agenouillée devant un petit autel, près de la sortie. «La vérité est dans la prière.»
Ibid., p.149
Deux points m'ont particulièrement impressionnée: la façon très sûre dont Kafka pressent le destin des juifs d'Europe et la variété des auteurs cités.
« Vous voyez la synagogue? Elle était dominée par tous les bâtiments qui l'entourent. Parmi ces immeubles modernes, elle est un fragment de Moyen-Âge, un corps étranger. C'est le sort de tout ce qui est juif. C'est l'origine des tensions hostiles qui constamment se condensent en réactions agressives. A mon avis, le ghetto était à l'origine un calmant souverain: le monde environnant voulait voulait isoler cet élément inconnu et, en érigeant les murs du ghetto, désamorcer la tension.»
J'interrompis Kafka: «C'était évidemment absurde. Les murs du ghetto ne firent que renforcer cette étrangeté. Les murs ont disparu, mais l'antisémitisme est resté.
— Les murs ont été déplacés vers l'intérieur, dit Kafka. La synagogue est déjà au-dessous du niveau de la rue. Mais on ira plus loin. On tentera d'écraser la synagogue, ne serait-ce qu'en anéantissant les Juifs eux-mêmes.
— Non, je ne le cois pas, m'écriai-je. Qui pourrait faire une chose pareille?»
Ibid., p.184
On notera que Janouch répond à la question au premier degré, il ne considère pas que ce soit une figure de style, une exagération: c'était donc, d'une certaine façon, envisageable (à condition bien sûr que ce fragment de mémoire ait bien été noté sur le moment, au début des années 20, et non reconstitué après la guerre, après les camps d'extermination).

Liste des auteurs cités, non exhaustive, à la volée: Trakl, Bloy, Ravachol, Francis Jammes, Döblin, Chesterton, Baudelaire, Gorki, Sade (Sade, en 1924 à Prague?), Poe, Kleist («[Les nouvelles de Kleist] sont la racine de la littérature allemande moderne» p.218), Whitman, Wilde, Dickens, Flaubert.

mardi 25 juin 2013

Association d'idée à propos du CNU

Pour Guillaume : le récit de Pierre Hadot à propos des nominations au CNRS. Il est possible que cela ait changé, mais rien n'est moins sûr. (Remarque: je ne sais rien de rien ni sur le CNU, ni sur ce qui se passe en ce moment.)

J'ai appartenu au CNRS pendant quatorze ans à peu près. Etant donné la précarité de la situation des chercheurs à cette époque-là, qui était la période encore presque héroïque du CNRS, je m'étais inscrit dans un syndicat, la CFDT, pour être si possible défendu en cas de licenciement. Et comme d'ailleurs les effectifs de la CFDT n'étaient pas très grands à cette époque, j'ai même été obligé d'assumer certaines fonc­tions syndicales, dans le secteur des sciences humaines, alors que Mademoiselle Yon, biologiste, s'occupait des sciences exactes. Il s'agissait par exemple, quand les chercheurs ont eu le droit d'avoir des délégués dans les commissions, de choisir des représentants de la CFDT qui pourraient y siéger. J'ai moi-même été élu dans la commission de philosophie à titre syndical. Cela m'a permis de participer au fonctionne­ment du CNRS et de voir comment cela se passait. A mon humble avis, à cette époque, la manière dont les chercheurs étaient recrutés était assez défectueuse. C'était le principe do ut des [«je donne pour que tu donnes»] qui régnait.

Exemple caractéristique : pendant une séance à laquelle j'ai participé, le président de la commission, qui avait quelques semaines auparavant choisi les rapporteurs qui devaient lire en séance leurs appréciations sur le dossier de tel ou tel candidat, avait donné le dossier de son poulain à Monsieur X, et avait pris, lui, pour en faire le rapport, le dossier du poulain de Monsieur X. Mais j'ai su après coup qu'il avait préparé deux rapports : un rapport favorable, dans le cas où Monsieur X remplirait le contrat, un autre défavo­rable, dans le cas où Monsieur X ne le remplirait pas. Il s'est trouvé que Monsieur X a rempli son contrat. Le candidat du président a donc été admis, et, par suite, le poulain de Monsieur X. Aux yeux de ce président, peu importait la valeur réelle du candidat de Monsieur X. Il était seulement un moyen de récompense ou de vengeance.

Par ailleurs, le syndicat CFDT n'était pas très puissant au CNRS, du moins à cette époque, si bien que pour être admis comme chercheur, il fallait être soutenu par le syndicat national des chercheurs scientifiques, lié à la FEN. Lorsque, devenu directeur d'études à l'EFHE, après 1964, j'ai voulu présenter un candidat, qui était quelqu'un de tout à fait remarquable, et qui a fait ses preuves depuis, je n'ai pas réussi à le faire admettre. Pendant trois années de suite, j'ai présenté le même candidat, sans résultat. Après quoi je lui ai dit faites-vous présenter par l'autre syndicat; allez voir Untel. Il a été pris immédiatement, l'année d'après. Donc le recrutement ne se faisait pas selon la valeur des candidats, mais selon la politique syndicale.

On nous avait demandé, en 1968 ou 1969, des conseils pour la réforme du CNRS. Dans une lettre au directeur des Sciences humaines de l'époque, j'ai écrit qu'il serait bon de choisir un système analogue à celui qui existe à l'étranger, soit en Allemagne, soit en Suisse, et je crois aussi au Canada, où, qu'il s'agisse du recrutement d'un chercheur ou de la constitution d'un laboratoire de recherches, ou d'une subvention pour un livre, on demande un rapport à des spécialistes extérieurs à la Commission et qui même, très souvent, sont étrangers au pays.

Cette prépondérance de certaines personnalités universi­taires ou syndicales a nui, je pense, dans certains secteurs, au développement harmonieux du CNRS, au moins dans le domaine des Sciences humaines. Quand j'étais dans la Commission de philosophie, j'avais coutume de dire : dans la nature, c'est la fonction qui crée l'organe, mais au CNRS, c'est l'organe qui crée la fonction. Je voulais dire par là que, si le puissant professeur ou le puissant syndicaliste Untel avait envie d'avoir un laboratoire subventionné, il lui suffisait de présenter un vague projet de recherche, qui était tout de suite jugé indispensable, sans que la Commission se demande sérieusement si ce projet était vraiment urgent et utile, dans le cadre général de la discipline. J'avais d'ailleurs fait rire un jour une Commission de réforme du CNRS, en parlant, dans une métaphore terriblement incohérente, des «requins qui se taillent la part du lion». J'avais l'excuse d'être furieux.

Pierre Hadot, La philosophie comme manière de vivre, Albin Michel - 2001, p.81 à 85

dimanche 14 août 2011

Couvrir les champs du possible

Or, to wind up all the caveats, whenever something appears to lack coherence, let us put it down to spontaneity.

Fritz Senn, Joycean Murmoirs, preface IX

vendredi 25 février 2005

[À voix nue 3/5] Les cartes et la Caronie

l'émission.

Salgas : Passion dévorante pour l'histoire et la géographie. Les cartes. Carte de Caronie. Géographie dans Journal d'un voyage en France. Vous vous promenez longuement dans votre région, autour de Chamalières.
RC: Passion présente dès Passage, Travers. Pourquoi l'histoire, pourquoi la géographie? Un attachement pour le passé, une sympathie pour tout ce qui est veuf de pouvoir. Une sympathie pour tout ce qui perd le pouvoir, tout ce qui tombe. Fasciné par les signes du pouvoir. Déteste le pouvoir, mais en aime les signes. Intérêt très profond.

Salgas : Chute sociale relative de votre famille: est-ce par là que vous expliquez cette nostalgie?
RC: Explication tellement énorme. Mais le fait qu'elle soit grossière n'empêche pas qu'elle soit juste. Traumatisme enfantin de la perte d'une maison. On sauve par l'écriture ce qui pouvait l'être (conservatoire). Déclassement économique accompagnée d'une résistance sociale manifeste. Surchage des signes d'une situation perdue, par exemple le vouvoiement, tout de même extrêmement anachronique.
Toute littérature est liée à la perte. Pourquoi le Sud une littérature si abondante et si belle? Monde perdu que la littérature compense.

P Salgas: Etes-vous satisfait d'être de Chamalières? Je pense à quelqu'un d'autre.
RC: J'arrive toujours en second: mon nom est celui de quelqu'un d'autre, je suis né dans un lieu illustré par quelqu'un d'autre, Roman est Roman II, après le roi mythique Roman I.
Légitimité: RC plus que Giscard d'Estaing, car RC né à Chamalières.
Chamalières: un non-lieu. Un peu exagéré. Mais confins effectivement flou. Une ville entre deux villes, Clermont et Royat. Lieu de transition, de passage.

Salgas: Vous vous sentez Auvergnat?
RC: Non, je ne me sens rien du tout. Inappartenance (Roubaud). Le bathmologue ne se situe pas au-delà des discours, il doute de son propre discours. Il ne tient pas à ses opinions. Je n'y tiens pas. Par rapport à l'Auvergne, je n'y tiens pas (mais pas d'hostilité non plus). Ce n'est pas une identité très forte car elle n'est pas problématique. Pas comme être belge, corse, breton, juif. Identités problématiques donc très fortes.
De plus peu connotations assez déplaisantes. Chanson de Brassens, Victor Hugo à propos de l'avocat Manuel arrêté sous la Restauration:
« Vicomte de Foucault lorsque vous empoignâtes
L'éloquent Manuel de vos mains auvergnates »
On sent que les mains auvergnates sont vraiment une circonstance aggravante. Nous aimions l'Auvergne: l'art roman, les volcans,…

Salgas: Vous semblez tenir bcp au pays que vous avez inventé, la Caronie.
RC: Que j'ai inventé?

Salgas: Que certains de vos lecteurs pensent que vous avez inventé.
RC: La Caronie scandaleusement oubliée. A l'intérieur même de la Caronie. Forclusion d'une partie de l'histoire. Victime d'un interdit historiographique.

Salgas: Comment vous expliquez que ce pays est beaucoup de traits du Portugal? Le grand poète Odysseus Hanon sembe une sorte d'hétéronyme de Pessoa. Fondateur de l'absentéisme. L'une des rivières s'appelle la Saudad, etc.
RC: Un des traits de la Caronie, c'est que tout le monde croit s'y reconnaître: le Portugal, la Roumanie. Position contradictoire de la Roumanie qui dit d'une part que la Caronie n'existe pas, d'autre part que la Caronie, c'est la Roumanie, ce qui semblerait impliquer que la Roumanie n'existe pas. Mais une lecture biographique remarquerait que la rivière qui passait au pied de cette maison où j'ai passé mes étés aux confins de la Creuse s'appelle la Saudad. Odysseus Hanon, c'est aussi Ulysse, s'est aussi Personne (Hanon). Exégèses complexes et nombreuses.

Salgas: Depuis la chute du mur de Berlin, avez-vous eu l'occasion de vous rendre en Caronie?
RC: Non, statut ambigü. Le pays le moins nettement dégagé de son passé récent.
Occultation de l'histoire et de la géographie.

Salgas: Les Roumains ont nommé un premier ministre qui s'appelait Pétré Roman: une tentative de détourner l'attention, de faire oublier la Caronie? Diversion?
RC: C'est vraisemblable. Exemple significatif du caractère générateur de la littérature.

Salgas: le Portugal est très présent dans vos livres.
RC: J'aime les pays des confins. Pays du bord. J'ai toujours préféré les bords au centre.

Salgas: Caronie du centre du centre du centre.
RC: Non, la Caronie est marginale par rapport aux pays de l'Est. Pays du passage. Pays de Charon, celui qui fait passer. Pays du retour. La capitale s'appelle Back. La traversée peut se faire dans les deux sens, qui sait.
Le Portugal fonctionne comme une utopie réelle pour les Portugais. Eux aussi sont assez porté par l'absentéisme. Une idée du Portugal, un Portugal regretté, absence constituve. Teixeira de Pascoes. Le non-dit essentiel de Pessoa. Un sentiment passionnant du Portugal chez Pascoes comme Saudad pure, comme regret immédiat.

Salgas: Votre rapport à certaines régions passent par la lecture?
RC: Oui, besoin de cette médiation.
Pas nécessairement des écrits d'écrivains: dépliants, guides d'hôtel, etc. Rapport à l'écrit. Le pays est une écriture, un texte. Etroitesse du rapport entre la littérature et la réalité, la terre, la géographie. Forme du journal: lieu où ce rapport est le plus étroit. Coïncidence exacte entre l'écriture et les jours, les virgules et les fenêtres, la syntaxe et le destin, la vie au jour le jour.

Je ne pourrais pas aimer un pays qui n'aurait pas été pris en compte par une écriture quelconque, par qq chose qui a été écrit.

J'ai tendance à ne lire les textes que de façon géographique. Je ne m'intéresserais pas à un texte qui n'apporterait pas avec lui sa topographie, son air à fendre. La question de l'origine sous sa forme rudimentaire: d'où vient-on. Claude Simon. Le sol, le ciel, l'air extrêment présent.

Salgas: Claude Simon vous a fait voyager?
RC: Je pratique quelque chose de très peu approuvé par la modernité. Je pratique le pélerinage littéraire. J'aime beaucoup aller sur les lieux. Pharsale à cause de Claude Simon. On a tendance à ridiculiser cela. On prête aux gens qui font cela l'illusion que le lieu va donner le dernier mot du texte. Pas du tout. Je ne cherche pas un dernier mot, mais que les lieux donnent un air une terre en plus à la phrase, qu'ils creusent la phrase. La cavatine, ce qui creuse. Les Eglogues est un texte qui se creuse. La phrase sans arrêt coupée par un ailleurs, c'est-à-dire étymologiquement la métaphore.

Salgas: vous seriez ravi si vos livres servaient de guide bleu?
RC: oh oui j'adore ça quand les gens me disent quelquefois très gentiment "je suis allé dans telle région en me servant de vos livres comme d'un guide", ou plutôt comme d'un compagnon. Car les livres ne disent pas ce qu'il faut voir, mais rendent le lieu, l'heure, plus riches, plus bathmologiquement stratifiés.

dimanche 20 février 2005

[À voix nue 2/5] La bathmologie

Transposition de la deuxième émission de Pierre Salgas.

La bathmologie à partir de Buena Vista Park. L'axe ou l'un des fondements de l'œuvre. Ou barthmologie.
Barthes: un peu une plaisanterie. Il importe de lui garder cet aspect ludique. Science des niveaux de discours. BVP a failli s'appeler Fragments de bathmologie quotidienne, ce qui était assez menaçant.
Bandeau du maréchal Ney : la même position peut-être plus contradictoire par rapport à elle-même que par rapport à ce qui est superficiellement son contraire.
Sortir de ce débat par un coup d'Etat, la méta-bathmologie. Considérer la bathmologie elle-même comme un discours conventionnel.
Autre exemple: le "Monsieur" qu'on adresse aux grands professeurs de faculté en abandonnant "Docteur" à partir d'un certain niveau est "tout à fait le même, tout à fait un autre".
La société française des années 80 est dans le deuxième degré. Le niveau Maréchal Ney du bandeau. Tout l'humour, la publicité,… Le deuxième degré est devenu la culture petite-bourgeoise, qui est devenu quelque chose d'absolument rituel. Le deuxième degré est une impasse en littérature, pense maintenant RC.

Salgas : Mais alors Roman Roi et Roman Furieux en 83 et 87 : deuxième degré ou coup d'Etat bathmologique?
RC : Nous sommes en-deça du coup d'Etat bathmologique. Se présente comme un roman historique tout à fait traditionnel et même pire que traditionnel. Sentimental, sensationnel, dans un pays d'opérette. Comment le texte se sort-il lui-même de ce que je percevais comme une impasse, c'est ce qu'il est lui-même qui le lui permet —ou pas, je suis mal placé pour en juger— de l'impasse, c'est son écriture-même qui le fait échapper à un deuxième degré rigoureux.

Salgas: Roman Roi en 1983. Or en 1983, moment de restauration esthétique en France après la fin des avant-garde, un retour au premier degré d'avant la modernité. Néanmoins, Roman Roi ne semble pas lui appartenir, tout en flirtant avec sa restauration. Comment faut-il lire Roman Roi par rapport à l'état de la littérature à ce moment-là revenant à un premier degré esthétique (date de Femmes de Sollers qui a marqué un certain changement esthétique dans la littérature française).
RC: côté parodique par rapport à cette restauration. Restauration illusoire. Caractère moins convaincant que jamais de cette restauration, pas précisément de la haute littérature.
Roman: travail ironique sur la forme. Sous l'instance de l'anagramme. La langue caronienne est très isolée. Une des thèses les plus intéressantes: d'essence anagrammatique.

S: vous pourriez-nous dire qq mots de caronien?
RC: je n'en connais pas un mot

Salgas: Virginia Woolf bathmologue?
RC: Non. RC aime Woolf car lyrique. Or aujourd'hui l'interdit majeur. Le lyrisme n'est autorisé que dans la mesure où il transcende un interdit, où il suinte quelle que chose de son contraire. Par exemple le lyrisme de la théorie.
Batmologie de Flaubert. Pascal. Les habiles et les demi-habiles.

Salgas: la bathmologie est une science auvergnate (?).
RC: j'aime bcp cette idée, mais pas sûr que ce soit pertinent.

Salgas: si la bathmologie a raison, c'est toute l'esthétique d'Aristote à Kant, de Hegel à Luckas ou Adorno qui risque de s'effondre (BVP). Salgas pense à Bourdieu. La distinction. La bathmologie rencontre le projet de Bourdieu.
RC: Batmologie: bombe à retardement. Sape tout discours établi, sape le concept de vérité. Dans le domaine esthétique, peut-être désespérante. Le batmologue est nécessairement convaincu qu'il n'y a pas de goût, qu'il n'y a que des niveaux de culture. Quand quelqu'un dit "J'aime ceci, j'aime cela", il parle de lui-même.

Salgas : C'est ce que dit Bourdieu dans La distinction.
Vous êtes vous-même infidèle à cette aspiration bathmologique. Vous exposez vos goûts dans le journal, par exemple, vous présentez vos goûts avec une sorte de naïveté comme n'ayant aucun rapport avec le monde social qui les produit. Ce n'est qu'une fois sur deux que vous objectivez la production de ces goûts.

RC: réponses en plusieurs temps.
1/ Tout système s'il est bien construit finit par fonctionner tout seul. Pourquoi les Eglogues ont-elles pris de telles proportions malgré les contraintes très fortes auxquelles elles sont soumises, c'est parce qu'à partir du moment où ces contraintes sont appliquées suffisamment longtemps, elles autorisent de plus en plus de choses. S'appliquant sur des quantités de texte sans cesse croissantes, tout devient possible.
2/ La bathmologie si on la pratique exclusivement, finit par tout admettre et son contraire, y compris la bêtise. Un bathmologue qui ne tiendrait pas compte de sa propre bêtise serait menteur. La forme de la bêtise dans le jugement esthétique serait peut-être le "mon genre, pas mon genre", c'est-à-dire le goût brutal. Malgré tout, il y a une légitimité au "mon genre pas mon genre". Il y a quelle que chose qui n'est pas réductible au jugement culturel. Par exemple, entre un amateur de Schwitters et un amateur de Dali, il n'y a pas de discussion esthétique possible. Discours à des niveaux culturels tellement éloignés que le goût n'est pas en cause (Ce n'est pas du "mon genre"). Mais entre quelqu'un qui dit mon artiste favori est Schwitters et quelqu'un qui dit Mondrian, le goût peut intervenir, de même entre un amateur de Monet et de Manet. Le goût revient à la fin, irréductible. Le "mon genre" ne peut être expliqué, RC très attaché à "mon genre" car ne peut être évacué. Concept bêta qui offre une bonne résistance à la bathmologie.
Entre quelqu'un qui dit que le plus beau monument de Paris est le Grand Palais et celui qui admire l'octroi de Ledoux, pas de discussion esthétique possible. Relève d'un état culturel. A partir de deux ou trois éléments, on peut établir la personnalité culturelle de cette personne. Quelqu'un qui dit j'aime Bosch, Van Gogh et Dali, ce qui est un schéma extrêmement repérable, on peut établir à peu près l'ensemble de la personnalité culturelle de cette personne. Bosch, Van Gogh ou Chagall ont eu le malheur de tomber dans le statut assez fâcheux de peintres favoris inévitables des gens qui n'aiment pas la peinture. Ce sont les noms typiques des gens qui n'ont pas pas de passion très appuyée pour la peinture. Ce qui ne veut pas dire que ce ne sont pas de très grands peintres.

Salgas: où situeriez-vous un amateur de Renaud Camus dans la littérature contemporaine?
RC: j'ai le plaisir de répondre qu'un amateur de Renaud Camus est extrêmement difficile à cerner. Lecteurs extrêment divers. Un amateur global de RC est presque inconcevable. Les livres que j'ai produits interviennent à des niveaux littéraires si différents que peut-être est-il très difficile de les aimer tous. Ils ont trouvé des publics extrêmement éloignés les uns les autres et qui d'ailleurs sont souvent choqués par d'autres aspects du même travail. Par exemple je vois très bien des charmantes vieilles dames aux cheveux bleutés adorer les châteaux, les paysages français, les expositions de peintures impressionnistes "quel bon jeune homme"… Les lecteurs de Tricks ne sont pas forcément des passionnés des Églogues et du travail sur le signifiant.

jeudi 17 février 2005

Transposition de la première émission avec Pierre Salgas

J'entreprends de prendre des notes sur les cinq entretiens intervenus avec Jean-Pierre Salgas. le but est bien sûr de donner envie de les écouter, mais aussi de créer des points de repère afin de pouvoir retrouver très vite un passage des entretiens quand on le souhaite, et surtout de savoir dans lequel des cinq entretiens ce passage se trouve (j'ai tendance à les confondre): une indexation, en quelque sorte.

Il s'agit de notes. Je ne donne pas de formes, volontairement, car si je donnais une forme, je serais obligée de faire des citations exactes, ce qui serait très long. J'essaie simplement de fournir quelques mots-clés qu'on pourra retrouver grâce au moteur de recherche.

Ecoutez l'émission

** la première phrase du premier livre: "une table, une fenêtre". Roussel, Claude Simon. Côté référentiel par rapport à toute la littérature.
Tout est là, les figures, les thèmes. Des guillemets, un tiret, donc une flèche qui va vers l'amont. Phrase qui est une référence à la référence.
"Ecrits antérieurs de l'auteur" : assez flou. Pas de fond de tiroir. Il s'agit du sentiment que la phrase a toujours un passé. Les phrases et les idées ne lui [RC] appartiennent pas vraiment.
Un texte que intertexuel: peut-être que RC n'est lui-même que intertextuel.
Références aux travaux de Jean Ricardou. Influence considérable d'ordre technique. Tempérament conservateur/conservatoire de la phrase opposé au côté technique de la modernité.
Pourquoi ne pas avoir été proche de Sollers? Celui-ci théorisait moins l'écriture en général. Ricardou posait davantage de questions. Lecture de Tel quel à partir de 1962 à peu près. Ricardou plus tard.

** Sciences-Po. Etudes en droit. Une maîtrise sur l'idéologie de Tel quel. Etudes en Angleterre en 1966. Folle passion pour Virginia Woolf. «Ce que j'aime naturellement». Ricardou s'est plaqué sur un lecteur de Virginia Woolf, tandis que les tenants de la modernité lisaient plutôt Joyce. Grande admiration pour Joyce, mais un rapport un peu extérieur. Joyce "n'est pas son genre".
Amour de l'Ecosse, de la Cornouaille, de la campagne anglaise.
RC a écrit une longue histoire de l'Ecosse.

** Roland Barthes a soutenu Passage. Ardent lecteur de Barthes qu'il connaissait depuis un an au moment de la publication de Passage RB soutenait plutôt des textes comme Sollers, Guyotat, qui bousculent plus l'intérieur de la phrase, tandis que RC était davantage dans la ligne du Nouveau Roman. Subversion du récit plus que celle du langage.
RC: «Est-ce que Barthes m'aurait soutenu si nous n'avions pas été amis? Je n'en sais rien. Il a été très gentil. Est-ce qu'il en aurait fait un très grand cas de Passage si nous n'avions pas été amis, je n'en sais rien»

** Des séries. Eglogues, autobiographie, deux romans, élégies, miscellanées. Comment se fait le passage entre passage et la suite entre Passage et Échange? Passage a écrit Denis Duparc, et Denis Duparc écrit Échange.
Ne connaissait pas Pessoa et les hétéronymes. Ne connaissait pas l'oeuvre mais la personne de Pessoa.
JP Salgas : ce qui est étonnant c'est que vous avouez les hétéronymes. Vous dites Denis Duparc, c'est moi.
RC: Je n'ai jamais rien dis de pareil.
JP Salgas: Les listes du même auteur rangent les choses sous votre nom.
RC: Vous attirez mon attention sur un détail qui m'avait totalement échappé.
JP Salgas : Qui êtes-vous? Renaud Camus ou Denis Duparc?
RC: Suis-je bien Renaud Camus? Je n'en suis pour ma part que très peu convaincu.
Pourquoi Duparc, Duvert pourquoi deux syllabes très commun aussi commun que Camus? D'autant plus que votre œuvre est parcourue par une passion pour les noms, d'Europe centrale, notamment.
Les Eglogues sont parcourues par une passion angrammatique. On m'a souvent dit que cela ne devait pas être très commode de porter le nom d'un autre écrivain. C'est peut-être un traumatisme tout à fait essentiel.
Denis anagramme de Indes. Duparc a écrit un livre qui pose comme fondateur le parc. Première phrase "Il y eut d'abord le parc". Il sort de son parc.
Système de couleurs. Passage: blanc et vert. Duvert pratiquement inévitable.
Duvert a réagi bcp plus vigoureusement que la famille Camus au fait que j'utilise le nom de Camus.

** Y aura-t-il d'autres volumes de Eglogues? Notes aux notes aux notes. Sorte de laboratoire aux autres volumes.
Les autres livres sont des notes qui ont pris des dimensions épouvantables. Les différents livres sont classés de façon précise, mais d'autres classements seraient possibles.
Certains livres ont sautés d'une case à l'autre dans la liste des œuvres parues.
A partir de Journal romain, un journal par an. Tendantiellement le journal n'est-il pas en train d'absorber l'ensemble du matériau? Projet d'un journal total. Tendantiellement la vie sera totalement absorbée par le journal (?)
J'ai envisagé un journal tout englobant dont le forme serait beaucoup plus contraignante. Car il s'agit d'une écriture a prima. Envisagé de le soumettre à des formes littéraires très fortes, mais idée écartée aussitôt. la vie elle-même est soumis a des contraintes littéraires très fortes. La graphobie: une vie écrite. L'existence prise dans des réseaux littérataires. L'emprise du travail littéraire sur la vie. Le diariste fou a tendance à ne plus qu'écrire son journal. L'influence de la littérature sur la vie les formes littéraires décideraient de nos choix existentiels, les lieux de l'existence, les voyages, les amis, les curiosités intellectuelles. Culte biographique totalement écarté par la modernité. Repères biographiques non pas comme explication de texte, mais création textuelle.
La littérature: forme plaquée sur du vivant, moderne plaqué sur du conservateur/oire. J'avais besoin de la forme pour ne pas être sentimental. Sinon RC aurait été au mieux un sous-Virginia Woolf plongé dans la saudad. « C'est de là que je viens, c'est cela que je suis.»

À retenir

Index

Catégories

Archives

Syndication



vehesse[chez]free.fr


del.icio.us

Library

Creative Commons : certains droits réservés

| Autres
Les billets et commentaires du blog vehesse.free.fr sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.