Billets qui ont 'Ernaux, Annie' comme auteur.

Antoine Compagnon au Collège de France en 2009

Les titres des séminaires ont été choisis par les intervenants, les titres des cours ont été donnés par moi.

Je rappelle qu'il s'agit de notes de cours, éventuellement renarrativisées, à ce titre comportant des approximations, peut-être même des erreurs : il serait dangereux de juger les intervenants d'après ces notes.
  • mardi 6 janvier 2009 - cours n°1 : faire de sa vie une œuvre
  • mardi 13 janvier 2009 - cours n°2 : La littérature doit être impersonnelle
  • mardi 20 janvier 2009 - cours n°3 : Trois tentatives d'écritures personnelles contemporaines
  • mardi 27 janvier 2009 - cours n°4 : L'importance de la photographie
  • mardi 3 février 2009 - cours n°5 : Soudain, un contrepied
  • mardi 10 février 2009 - cours n°6 : Moi continu, moi discontinu
  • mardi 17 février 2009 - cours n°7 : La honte, la mort, l'amour
  • mardi 24 février 2009 - cours n°8 : Le lecteur comme chasseur
  • mardi 3 mars 2009 - cours n°9 : Parlons de Barthes
  • mardi 10 mars 2009 - cours n°10 : Le chagrin et le deuil
  • mardi 17 mars 2009 - cours n°11 : Du Journal de deuil à La Chambre claire
  • mardi 24 mars 2009 - cours n°12 : L'émergence du concept de biographie
  • mardi 31 mars 2009 - cours n°13 : Histoire des histoires de vie(s)



  • mardi 6 janvier 2009 - séminaire n°1 (professé par A. Compagnon) - Introduction au thème des séminaires : le témoignage
  • mardi 13 janvier 2009 - séminaire n°2 par Franck Lestringant - Témoigner au siècle des Réformes - Le témoin et le martyr
  • mardi 20 janvier 2009 - séminaire n°3 par Bernard Sève - Témoin de soi-même? Modalités du rapport à soi dans les Essais de Montaigne.
  • mardi 27 janvier 2009 - voir chez sejan
  • mardi 3 février 2009 - séminaire n°5 par Jean-Louis Jeannelle – Les mémorialistes sont-ils de bons témoins de notre temps ?
  • mardi 10 février 2009 - séminaire n°6 par Tzvetan Todorov – Les Mémoires inachevés de Germaine Tillion
  • mardi 17 février 2009 - séminaire n°7 par Henri Raczymow
  • mardi 24 février 2009 - séminaire n°8 - Jean Clair et les géants
  • mardi 3 mars 2009 - séminaire n°9 - Le projet et la méthode d'Annie Ernaux
  • mardi 10 mars 2009 - séminaire n°10 par Jacques Rancière - L'indicible comme preuve du témoignage
  • mardi 17 mars 2009 - séminaire n°11 par Jean Rouaud - invention du réel, invention de la souffrance
  • mardi 24 mars 2009 - séminaire n°12 par Claude Lanzmann et Eric Marty
  • mardi 31 mars 2009 - dernier séminaire - dernier séminaire

17 mars 2009 : Du Journal de deuil à La Chambre claire

Antoine Compagnon m'a mise en colère durant la première moitié de son cours. Nous avons eu droit à une lecture suivie, pour ne pas dire une paraphrase, du Journal de deuil de Barthes, suivie de l'évocation d' Albertine disparue, pour s'entendre dire à la fois que Barthes rappelait à Compagnon le narrateur et ne s'entendre donner que des exemples contredisant cette hypothèse! Heureusement, la deuxième partie du cours prit la peine de tirer les conclusions logiques de ces contradictions absurdes.
J'ajouterai mes commentaires en italique.

Quand le chagrin atteint une certaine stabilité, on atteint un état de mélancolie. Il n'est pas facile de faire son deuil après avoir lu Deuil et mélancolie de Freud, où le deuil est décrit comme un chemin qui se termine pas le succès du deuil. Or Barthes n'a pas envie de ce succès. Il s'agit d'une lutte entre la vie et la mort.

Barthes évoque des moments de suspension du deuil, en utilisant les mots, fading, satori, vertige... Il parle de «passage de l'aile du définitif». On assiste ici à une quasi prophétie, puisque Barthes mourra sans avoir quitté cet état, qui donc pour lui aura bel et bien été définitif.
On songe à Baudelaire et au vent de l'aile de l'imbécillité, inversant la vieille image romantique de l'aile du vent, et à sa prémonition de l'accident cérébral à venir.

L'un des moments de suspension du deuil intervient dans le Paris désert du 15 août (et l'on pourrait alors songeait à Antiochus: «Dans l'Orient désert quel devint mon ennui!». Après le deuil émotif, c'est le moment de l'éternité atone.
On retrouve cette atonie dans ''Albertine disparue:

Car, si bien des souvenirs, qui étaient reliés à elle, avaient d’abord contribué à maintenir en moi le regret de sa mort, en retour le regret lui-même avait fixé les souvenirs. De sorte que la modification de mon état sentimental, préparée sans doute obscurément jour par jour par les désagrégations continues de l’oubli, mais réalisée brusquement dans son ensemble, me donna cette impression, que je me rappelle avoir éprouvée ce jour-là pour la première fois, du vide, de la suppression en moi de toute une portion de mes associations d’idées, qu’éprouve un homme dont une artère cérébrale depuis longtemps usée s’est rompue et chez lequel toute une partie de la mémoire est abolie ou paralysée.
Marcel Proust, La Fugitive, Pléiade, Pléiade Clarac t.3 p.592

Barthes note: «Le fait même que la langue me fournisse le mot intolérable me la rend tolérable.»

Ici, retour au moi "idem" et au moi "ipse", déjà vus. rappel des développements déjà vus: souvenirs successifs et épisodiques qui constituent de nouveaux Moi successifs. Il y a rupture entre le Moi précédent et le Moi successif. Cette rupture, c'est ce que refuse celui qui souffre.

remarque personnelle: je ne suis absolument pas d'accord avec cette idée que nos états successifs nous empêcheraient d'être un seul Moi. Les états successifs sont au Moi ce que les nuages sont au ciel: des états, pas une ontologie. Ce qui constitue l'identité, c'est la mémoire, dit Locke, et c'est bien ce que prouvent Stendhal ou Proust en se rappelant la mort de leur mère ou en trébuchant sur un pavé: tout souvenir les ramène intacts, identiques à eux-mêmes, au moment de l'événement, il n'y a pas de perte avec le temps. La puissance des souvenirs permet au Moi d'être imperméable au temps.
La seule perte d'identité, c'est la perte de mémoire, et l'exemple d'Henry James préfaçant des œuvres de jeunesse dont il ne se souvient pas en est encore une preuve: James est si bien devenu autre qu'il ne se souvient pas; s'il se souvenait, il serait le même. La mémoire est garante de la permanence du Moi par delà les états changeants de nos humeurs. Pour changer il faut oublier ou avoir oublié.
L'affollement produit par le deuil (affollement bien réel) est justement la crainte d'oublier le mort, le refus d'oublier le mort. Il est exact que nous ne voulons pas nous dessaisir de notre peine car nous ne voulons pas oublier. Mais il serait peut-être possible de rassurer celui qui souffre ainsi (si tant est qu'une expérience soit transmissible) en lui assurant qu'il n'oubliera pas qui il aime vraiment, et que lorsque la douleur se fera moins vive, ce qu'il aura oublié, c'est la mort, et non le mort.
En ce sens, aimer ne se conjugue qu'au présent.
D'ailleurs, à quoi assistons-nous depuis deux semaines? A la douleur d'Antoine Compagnon aimant Barthes et n'ayant rien oublié. Parler de Barthes, c'est retrouver la douceur de la présence d'un professeur très aimé. Nous sommes au présent.
Que fait-on quand on aime ainsi? On écrit La Chambre claire ou les Essais, on écrit des symphonies si on est Mahler, on donne des conférences au Collège de France pour évoquer son ami mort il y a trente ans (le thème de la première année de cours de Compagnon était un hommage explicite à Barthes)... Le temps n'a pas passé, tout est intact.

Le dédoublement est chez Proust une thématique courante. La plus connue est celle du valet de chambre des Goncourt: il réchappe par miracle à un incendie mais devient tout à fait un autre homme :

[...]e propre valet de chambre de Mme Verdurin qui, dans l’épouvante de cet incendie où il avait failli périr, était devenu un autre homme, ayant une écriture tellement changée qu’à la première lettre que ses maîtres, alors en Normandie, reçurent de lui leur annonçant l’événement, ils crurent à la mystification d’un farceur. Et pas seulement une autre écriture, selon Cottard, qui prétend que de sobre cet homme était devenu si abominablement pochard que Mme Verdurin avait été obligée de le renvoyer.
Marcel Proust, Le temps retrouvé, Pléiade Clarac t.3, p.716

La sortie du deuil est l'occasion de devenir un autre, avec le retour du récit reviennent les quiproquos. Par exemple, le narrateur ne reconnaît plus Gilberte, la prend pour Mlle de Forcheville mais écorche son nom en Mlle d'Eporcheville.

Barthes, lui, s'identifie plutôt qu deuil de la mère du narrateur lors de la mort de sa propre mère. Ici aussi on assiste à une transformation définitive que le narrateur ne constate et ne comprend qu'avec retard:

Pour la première fois je compris que ce regard fixe et sans pleurs (ce qui faisait que Françoise la plaignait peu) qu’elle avait depuis la mort de ma grand’mère était arrêté sur cette incompréhensible contradiction du souvenir et du néant. D’ailleurs, quoique toujours dans ses voiles noirs, plus habillée dans ce pays nouveau, j’étais plus frappé de la transformation qui s’était accomplie en elle. Ce n’est pas assez de dire qu’elle avait perdu toute gaîté ; fondue, figée en une sorte d’image implorante, elle semblait avoir peur d’offenser d’un mouvement trop brusque, d’un son de voix trop haut, la présence douloureuse qui ne la quittait pas. Mais surtout, dès que je la vis entrer, dans son manteau de crêpe, je m’aperçus – ce qui m’avait échappé à Paris – que ce n’était plus ma mère que j’avais sous les yeux, mais ma grand’mère. Comme dans les familles royales et ducales, à la mort du chef le fils prend son titre et, de duc d’Orléans, de prince de Tarente ou de prince des Laumes, devient roi de France, duc de la Trémoïlle, duc de Guermantes, ainsi souvent, par un avènement d’un autre ordre et de plus profonde origine, le mort saisit le vif qui devient son successeur ressemblant, le continuateur de sa vie interrompue.
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, Pléiade Clarac t2, p.769

De même, Bartes devient sa mère.
Les notes du journal s'éclaircissent au fur à mesure qu'il écrit La Chambre claire.
Pour Barthes, la photographie est l'anti-récit. Quand on relit La Chambre claire après le Journal de deuil, on s'aperçoit que la photographie est chargée des valeurs du deuil. Barthes cite Husserl:

Comme le monde réel, le monde filmique est soutenu par la présomption que «l'expérience continuera constamment à s'écouler dans le même style consécutif» (Husserl) ; mais la photographie, elle rompt le style consécutif (c'est là son étonnement ; elle est sans avenir (c'est là son pathétique, sa mélancolie; en elle aucune propension, alors que le cinéma, lui, est propensif et, des lors, nullement mélancolique. Immobile la photographie reflue de la représentation vers la rétention.
Roland Barthes, La Chambre claire, note 37, p.140

Ainsi cette continuité du monde est-elle la condition sine qua non du récit, tandis que la photographie est l'envers du récit.

Antoine Compagnon ouvre alors une parenthèse : cela est devenu une idée commune. [remarque personnelle: Evidemment, puisque personne ne réfléchit à la photographie de lui-même mais toujours à travers le filtre de Barthes!] La photographie est associée à la mort, elle ne permet pas le récit:

Et si la dialectique est cette pensée qui maîtrise le corruptible et convertit la négation de la mort en puissance de travail, alors, la Photographie est indialectique: elle est un théâtre dénaturé où la mort ne peut «se contempler», se réfléchir et s'intérioriser; ou encore: le théâtre mort de la Mort, la forclusion du Tragique; elle exclut toute purification, toute catharsis.
Ibid, p.141

Cependant, cette façon de voir les choses n'est pas obligatoire: on songe par exemple à Annie Ernaux et à sa façon de traiter la photo dans Les Années: il y a d'autres usages possibles de la photographie.
[remarque personnelle: j'ai l'impression que le Journal de deuil a en quelque sorte remis La Chambre claire a sa place, en permet une interprétation apaisée qui permet d'envisager de parler de la photographie autrement qu'à la manière de Barthes — au moins pour Compagnon: en d'autres termes, je ne suis pas sûre qu'il aurait prononcer ces phrases avant la lecture du Journal de deuil.]

A la sortie de La Chambre Claire, il ne se produit rien de comparable à la sortie du deuil d'Albertine, il n'y a pas de voyage à Venise, mais un retour à la mélancolie, au "A quoi bon?"
[remarque personnelle: S'il y a tant de différences avec Albertine, pourquoi dire que cela lui ressemble?! L'amour du narrateur pour Albertine m'a toujours paru un faux amour, un caprice, l'un de ses amours où l'on s'aime avant tout soi-même aimant.]

Antoine Compagnon conclut: d'une certaine façon, toute littérature est littérature de deuil: Montaigne (La Boétie), Stendhal, Proust, Barthes (la mère). Cela donne raison à Blanchot: seul le récit peut dire ce que le journal ne peut dire.

séminaire n°9 : Le projet et la méthode d'Annie Ernaux

Cette fois-ci, c'est moi qui ai failli partir. Ce n'est pas qu'Annie Ernaux ne fut pas claire, et exacte, c'est qu'il m'est venu une sorte d'écœurement à entendre un écrivain expliquer ce qu'elle avait voulu faire et la méthode, les techniques, qu'elle avait progressivement mises en place. C'est pourtant fascinant en théorie, mais je pensais au discours de Stockholm de Claude Simon, qui a parlé de tout sauf de lui-même.
Et puis quelqu'un qui écrit sous les auspice de Autant en emporte le vent, Vie et Destin et la Recherche du temps perdu, et l'avoue (parce que sans l'avouer, c'est toujours le cas, du moins j'espère), prend le risque de paraître un peu déplacée.


A. Ernaux écrit dans «un incessant bricolage», selon la formule de Levi-Strauss. Parler des textes écrits, c'est parler de ce qui n'existe plus. Pendant qu'on écrit, on est habité d'un puissant désir (qui cesse à la fin du livre) qui pourrait s'exprimer par «pourvu que rien ne m'arrive avant que j'ai fini".

Quel es l'objet des Années? Le désir était d'écrire une vie. Problème : comment écrire une vie?
Ce désir est venu de la vie elle-même. A 40 ans, Annie Ernaux a éprouvé deux stupeurs, banales en soi mais pas forcément évidentes pour tout le monde:

  • En allant chercher son fils qui passait des épreuves du bac à Ermont, elle a eu la vision très claire d'un jour où elle allait le chercher à la sortie de l'école maternelle, et cette question insistante: que s'est-il passé, que s'est-il passé entre les deux, comment était-elle arrivée là?
  • Elle a pris conscience de la grande mutation des valeurs, des modes de vie et surtout de la façon de vivre sa sexualité. Il fallait témoigner de ce passage, de ce qui a eu lieu et de ce qui est en train de se passer.

=> Comment écrire l'histoire et un moi? Comment articuler "À la recherche du temps perdu" et ''Autant en emporte le vent"?
Dans les années 90, Annie Ernaux a commencé à réfléchir à un roman total, RT.
Il s'agissait de fragments. L'écrivain des années 90 était plus proche de n'importe quelle jeune fille ayant un walkman sur les oreilles à la station des Halles que de la jeune fille q'elle avait été dans les années 50, agenouillée mantille sur la tête pendant la messe. => L'utilisation de ELLE s'est imposé (et non "je").

Proust : impression d'une intense proximité: son monde était encore le monde dans lequel Annie Ernaux avait vécu enfant et adolescente. [1]

Comment écrire une vie quand le moi apparaît comme autre?
Il s'agit d'une vie traversée par des discours: Montaigne, Rousseau, Proust, Sartre. Il s'agit d'exprimer la sensation.

Annie Ernaux a découvert que le motif de l'autobiographie objective était le repas de fête (comme rituel social). Il permet d'accoler les faits en refusant les chaînes d'explications.
Elle a refusé de s'appuyer sur des documents. Elle s'est appuyé sur la voix collective, ie. la mémoire historisque et sociale.
Le texte des Années n'est pas construit autour des photos
Cependant il y a quand même des photos: pourquoi?
- parce qu'il est impossible d'écrire purement du collectif ?
- parce que le moi veut s'inscrire à toute force ?
=> Non. C'est plutôt qu'il s'agit de transmettre le passage du temps dans quelqu'un. Retrouver le présent quand il n'était pas encore du passé et la vision de l'avenir vue de ce moment-là.

La photo: présent pour toujours (ni passé ni futur) : il est impossible de coïncider avec elle, c'est une façon d'en finir avec toute cohérence.

On pourrait aller chercher pourquoi. (voix off d'Annie Ernaux) : je ne vais jamais chercher pourquoi.

Il s'agit de saisir le temps pour sauver le moi. Mais est-ce si intéressant de sauver le moi? (ici j'ai entendu un cri d'angoisse.)

******************** Suivit une discussion dont j'ai surtout retenu que Compagnon s'étonnait d'avoir écrit à l'aveugle, sans rien connaître de son élaboration et de son projet, un article siiii juste sur le livre d'Annie Ernaux.

Notes

[1] Mais est-ce si exceptionnel? J'ai des Françoises dans ma famille, et les relations tante Léonie-Françoise font partie de mon histoire familiale, et les dialogues du genre «allez chercher du sel, et demandez à qui est ce chien inconnu» constituent le principal de la conversation de ma grand-mère, ce qui n'est pas sans profondément m'agacer d'ailleurs.

3 février 2009 - Soudain, un contrepied

Le compte-rendu exhaustif est chez sejan.

2 écueils: l'absence de souvenirs et le souvenir-écran (quand une gravure, une image, se substitut au souvenir réel). Exemple donné par Sebald dans le premier chapitre de Vertiges.
Les récits de vie sont envahis par l'image. Omniprésence désormais de l'image. Ex : Sebald

Un autre exemple : Daniel Mendelsohn et Lost, traduit par Les disparus. L'auteur décide de mener une enquête pour savoir ce que sont devenus ses cousins de Pologne. Le livre contient également des images de sa quête à la recherche des témoins. Il s'agit d'une course contre la mort: ses témoins sont âgés, il faut les retrouver avant leur mort.
Il y a une lacune entre la recherche de ce qui s'est passé et les photographies des témoins. Ici se glisse l'irreprésentable. Ce qui s'est passé est irreprésentable.
A la fin, par hasard, alors qu'il allait abandonner, Mendelsohn retrouve la trappe derrière laquelle ses derniers parents s'étaient cachés et ont été découverts. La dernière photo est celle de la porte de la trappe; elle désigne un manque.

De nombreux ouvrages sont construits sur ce modèle.
Henri Racymow qui viendra dans deux semaines a écrit Reliques qui commence par une photo.
Il y a un risque de banalisation.

En France, deux filiations :
- celle des artistes, avec C. Boltanski (par ex: La vie impossible en 2001) et Sophie Calle et ses photographies de vie. La photo est d'ailleurs déjà dépassée puisque Sophie Calle est passée au DVD.
- celle des écrivains comme Denis Roche et Hervé Guibert. On est dans l'hypertextuel.

Annie Ernaux a écrit deux livres qui s'organisent autour de la photo : L'usage de la photo (2005) et Les années (2008). le premier montrent une douzaine de photos de vêtements tombés sur le sol avec chaque fois deux commentaires, un d'Annie Ernaux et un de Marc Marie. Le deuxième fait la même chose, mais les photo ne sont pas données. En revanche on a des chansons, des propos de table, les actualités politiques, sociales et culturelles.
Les photos sont des indices, mais des indices peu fiables. Travail d'enquêtes.
Annie Ernaux s'avoue fascinée par les taches de sang, de sperme, sur les draps, de vin sur les nappes, de doigts gras sur les meubles. La saleté est un résidus à examiner.

En conclusion, le problème de l'écrit de vie est le récit de vie. Celui-ci sélectionne et combine. L'écrit de vie est une reconstitution, il est toujours incomplet (au contraire du roman). Le récit de vie est une utopie.


Compagnon relève la tête : et c'est alors que je me suis demandé si cette aporie était vraiment une fausse piste: peut-on réellement éviter de raconter sa vie? La vie n'est-elle pas un récit?
Vivre sa vie comme si elle était un récit.
Une vie réussie : celle qui a tout moment a l'unité d'un récit.
Mais la réduction de la vie au récit mène à l'angoisse. cf Roquentin dans La Nausée.

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