Billets qui ont 'Roubaud, Jacques' comme auteur.

Le Téléphone

Dans les herbes, dans les buissons
Dans les fleurs bleues, rouges ou jaunes
C'est pour entendre ta chanson
Que je t'appelle ô Téléphone.

Gaie comme celle du pinson
Celle de la grive en automne
Si douce qu'elle donne le frisson
Est la note du Téléphone.

Très peu utile est l'hameçon
Sans intérêt le saxophone
Pas besoin de tant de façons
Pour la prise du Téléphone.

A l'époque de la mousson
Pour fuir l'orage qui l'étonne
Il court et tombe chez les poissons
A l'eau, à l'eau, le Téléphone.

Plumages bruns, plumages blonds
Plumages roux comme l'automne
Ces cous courts ou bien ces cous longs
Ce sont des cous de Téléphone.

Becs ouverts avec conviction
Piaillant jusqu'à s'en rendre aphones
Pour réclamer double ration
Tels sont les fils du Téléphone.

Fin comme le papier canson
Comme le bec de la cigogne
Ou la truffe du hérisson
Tu as beau nez ô Téléphone.

Mais on dit qu'il a l'ambition
D'être élu maire de Carcassonne !
Je crains que dans ces conditions
Las on ne rie du Téléphone.

Jacques Roubaud, Les animaux de personne, illustré par Marie Borel

Appel à souscription pour les Livres rouges de Jean-Paul Marcheschi

Le site de la SLRC, rénové, nous annonce sans plus de précision une lecture de Jacques Roubaud dans les ateliers de Jean-Paul Marcheschi le 26 juin.

(A ce propos, je ne peux que vous recommandez chaleureusement le catalogue des Fastes contenant des poèmes inédits.)


Je pars à la recherche d'informations supplémentaires sur le site du peintre — en vain — mais j'y découvre ceci :

La Galerie Plessis et les Editions du Phâo ouvrent une souscription en faveur de la publication intégrale des volumes de la Bibliothèque des Livres Rouges - 1981-2010 - de Jean-Paul Marcheschi.


Paraphrasant encore un coup Mallarmé, on pourrait dire que tout, chez Marcheschi, existe pour aboutir à un dessin. Mais il n'est même pas besoin de paraphraser. Car le mythe fondateur et final, étrangement de la part d'un peintre (qui convoque, il est vrai, tous les styles et toutes les traditions, comme tous les moyens d'expression, de l'encre de Chine à la merde, du foutre à l'or) c'est ici, au-delà du dessin, le Livre. Chaque dessin, chaque chose vue, chaque minute vécue n'est jamais, dans cette œuvre, qu'une page d'un livre à venir: un de ces beaux livres reliés de rouge vif, couleur du sang qui bat, où nous serons un jour, et le bonheur; où nous sommes déjà, puisque toute leur alchimie, ludique et obstinée, vise à combler la béance qui nous sépare d'eux, et les signes du monde.

Renaud Camus, Chroniques achriennes, p.135

Botulisme et Oulipisme, par Jacques Roubaud

Il s'agit du n°183 de la revue Bibliothèque oulipienne, dite BO (très beau à imprimer si vous avez une imprimante couleur).

La chronologie est beaucoup plus compliquée qu'on ne l'a dit, et Jacques Roubaud apporte d'intéressantes précisions sur la rencontre Botul/Brouwer, le fondateur de l'Intuitionnisme.

Pour le reste, je vous livre quelques citations:
ex.6: «Le mou est l’Autre du dur»
@201 note tardive du Président (date? ) cf Lacan: on ne se persuadera jamais assez du fait que le Mou est, en fait, le Grand Autre ( séminaire XVIII).

ex 7: «Le mou est le mou est le mou est le mou»

ex.8: «D’un point de vue esthétique, le mou s’associe à la courbe, le dur à l’angle.»

Les Fastes, exposition Marcheschi au musée de la préhistoire de Nemours.

Pluie et froid, panne de voiture. Problèmes d'organisation, besoin d'ubiquité, comme d'habitude. Aller à Nemours voir des statues, imaginant les talons aiguilles s'enfoncer dans la boue, cela valait-il la peine, je connaissais déjà le musée, dépouillé et solitaire parmi les arbres.

Il ne pleuvait plus, il faisait encore froid. A l'entrée nous attendaient des corbeaux autour d'un lac noir, oiseaux mazoutés, réminiscence de Poe, «son frère», nous dit Rémi. Horus est magnifique contre le fond vert, dansant et prêt à s'envoler, il appartient aux lieux et semble jailli de la forêt. Des habitués reconnaissent un "clone" de Raülh, le sanglier corse (clone puisque en bronze et non en cire). Un officiel terminait son discours sous un auvent, je reconnus Jean-Paul Marcheschi, superbe en chemise et blanche et veste noire, et Jacques Roubaud en bleu marine, les cheveux plus courts qu'au dernier jeudi de l'oulipo, ayant (à ma grande surprise) troqué ses pataugas pour quelques chose qui ressemblait à des converses.

J'ai vite abandonné l'espoir d'approcher du buffet, disons que je n'y tenais pas, et je suis entrée dans le musée par une porte de service, ce qui fait que je me suis trouvée brutalement en face du Grand Lac.




C'est tout simplement splendide. Les pages claires rétro-éclairées fournissent juste la lumière nécessaire à faire de l'eau un miroir pour les pages noires, et les angles ajoutent à la profondeur, à l'abîme et l'abyme (comment choisir?) Le tout communique une profonde impression d'apaisement et de méditation, face à ces pages noircies et ce lac sombre remontent des souvenirs de forêts, de cascades claires et de lacs de montagne. C'est très étonnant.

A l'étage se trouve une salle réservée aux œuvres claires, Oracles, Morsures de l'aube, Paradis (inspiré du Titien, il me semble) et magnifique Scapulaire de la scriptrice que je ne connaissais pas.

Dans d'autres salles les œuvres marcheschiennes se mêlent aux pièces préhistoriques et se fondent étrangement, entre clin d'œil et appartenance.
J'ai ri en voyant Raüh et son ancêtre (si l'on considère Raülh contemporain) ou Raülh et son petit frère (si l'on considère que Raülh remonte à l'ancienne Egypte).




J'ai passé un long moment, très long moment, dans l'auditorium, à écouter Jean-Paul Marcheschi parler de son œuvre et raconter des légendes, à voir l'eau couler en surimpression sur le feu, m'endormant à demi, la voix me poursuivant dans mes songes.


Le catalogue de l'exposition contient des poèmes de Jacques Roubaud écrits pour l'occasion. Celui-ci semble être entré totalement en résonance avec l'œuvre marcheschienne.

Exemple : les poèmes "Tridents" (13 syllabes de trois vers de 5, 3, 5 syllabes)

que les couleurs sont
des noms propres
descendant de l'ombre

noir gris très noir gris
plutôt noir
monstres ordinaires

regarde le Lac
enfermé
dans sa gaze noire

Roubaud a également décliné la forme "pharoïne": «une pharoïne a six strophes, chacune de six vers. Les vers de chaque strophe sont terminés par des mots-rimes, toujours les mêmes, ou des équivalents des mêmes, dans chaque strophe, mais tournant de strophe en strophe selon un mouvement, toujours le même, qui caractérise la forme.» (p.44 du catalogue Les Fastes, éditeur Lienart).
Voici une strophe, ce qui ne montre rien de la complexité de la pharoïne, mais prouve l'art de Roubaud:

Un mot contient la nuit entière, entière une voix dit la nuit.
Une nuit se concentre jusqu'au point d'un mot,
Celui qui aura charge de parler un monde:
Le «brouillas» d'espace et de temps
Que manifestera la voix,
Emplie de reconnaissables fantômes.

in C Déductions des sommeils, iii: mots

Le parler chien

Cette affaire de parler chien me rappelle la "lettre au chien" de Proust. Encore une bilnuserie.

Hier, Sophie se désolait de ne pas avoir trouvé d'exemplaire de La Princesse Hoppy ou le conte du Labrador: elle voulait voir un exemple de parler chien supérieur. Roland Brasseur nous a alors rappelé qu'un exemple s'en trouve également dans La Vie mode d'emploi, à la fin du chapitre LXXXV:
t' cea uc tsel rs
n neo rt aluot
ia ouna s ilel-
-rc oal ei ntoi


Demain, rendez-vous à 19h à la BNF: le mystère du parler chien supérieur devrait être levé (je ne sais pourquoi, je n'y crois pas trop. Je pressens une mystification supplémentaire).


edit: Alph a reconstitué dans les commentaires la clé que j'avais notée trop vite pour la comprendre.

Le Maki Mococo

Le Maki Mococo
Son kimono a mis
Pour un goûter d'amis :
Macaque et Okapi
L'Macaque vient d'Macao
L'Okapi d'Bamako.

Le Maki Mococo
Fait goûter ses amis
Pas de macaronis
Mais d'un cake aux kiwis
D'esquimaux au moka
Et kakis en bocaux
Quart de lait de coco
Cacao ou coca
Dans des bols en mica.

« Qui joue au mikado ? »
Dit l'Maki Mococo
Le Macaque dit oui
L'Okapi ne dit mot.

L'Macaque est un coquin
L'acolyte Okapi
Est du même acabit.
Le Macaque qu'a un coup
Pour gruger les gogos
Rafle tous les kopeks
Du Maki Mococo.

« Ah, mais, quoqu'c'est quoqu'ça ?
Dit l'Maki Mococo
Ton bien est mal acquis. »
Le Macaque dit « quoi ? quoi ? »
« Qui ? Qui ? » dit l'Okapi.

Le Macaque démasqué
Par le Maki Mococo
Prit sa kalachnikoff
Acquise à Malakoff
De Pépé le Moko
Qu'en canne il maquilla
C'est kif kif Chicago.

Mais le Maki Mococo
Au menton les boxa
Le Macaque est K.O.
L'Okapi dans l'coma.

« Ah mes jolis cocos
Comme vous êtes comiques ! »
Dit le Maki Mococo
Saisissant son kodak
Pour immortaliser
Cette scène à jamais
En un bel emaki
A vendre sur les quais
Conti ou Malaquais
Et qu'on ne l'oublie plus.

Le Maki Mococo
Est né à Mexico.
Il s'appelle Dudu.

Jacques Roubaud, Les animaux de personne,
poèmes illustrés par Marie Borel et Jean-Yves Cousseau

Le mouton à grosses fesses

Le Mouton à grosses fesses

(Le lever)
Le soleil sort de la nuit noire
Le Mouton sort de sa baignoire
Il mange un yaourth à la poire.
Avant de partir à la foire
Il met ses roses bermudas,
Choix discutable je le confesse
Pour un Mouton à Grosses Fesses.

(le mouton au bureau)
Le soleil fait de gros efforts
Le Mouton sue par toutes ses pores
Mais il a beau baisser le store
La chaleur monte et monte encore
Car nous sommes en Ouganda
Pays un peu loin de la Perse
Patrie du Mouton à Grosses Fesses.

(le mouton au bureau, suite)
Le soleil dépasse les bornes
Le Mouton sue jusqu'à ses cornes
Il décroche son téléphone
Encore un appel du cap Horn
La sueur trempe son agenda
Cela fera fondre ma graisse
Pense le Mouton à Grosses Fesses.

(la sieste)
Le soleil penche sur les cimes
Le Mouton pense à son régime
Une biscotte? du gouda?
Hélas! il va dans la cuisine
Où le chocolat le fascine
Ensuite sous la véranda
Il sombre en une lourde sieste
Malheureux Mouton à Grosses Fesses!

(le soir) Le soleil rentre dans sa boîte
Le Mouton va danser en boîte
Il prend la biche entre ses pattes
La regarde de ses yeux moites
Et dit "aimez-vous Dalida?"
Choix surprenant je le confesse
Chez un Mouton à Grosses Fesses.

(le retour)
Le soleil dort dans la nuit noire
Le Mouton est au désespoir
La biche l'a chassé sans gloire
Elle a dit "non, mais quelle poire!"
En partant avec le panda
Il est très dur je le confesse
D'être un Mouton à Grosses Fesses.

Jacques Roubaud, Les animaux de personne
Marie Borel, illustrations


Ce livre est illustré par Marie Borel, que je rencontrerai à Plieux en octobre 2003, puis chez Marcheschi en novembre 2006 (Marie que j'aime beaucoup. Je me souviens de sa coiffure rose et hérissée à Plieux, et du sourire de RC, et de son geste en lui montrant ses cheveux (visiblement la coiffure était nouvelle).

Les billets et commentaires du blog vehesse.free.fr sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.