Billets qui ont 'Sachs, Maurice' comme auteur.

Photographie et peinture

Barthes s'étonne du manque de ressemblance en photographie et en donne une explication inutilement alambiquée (souvent les explications de Barthes me paraissent inutilement alambiquées. Lorsque j'écoute le cours sur ''Le Neutre'', je suis prête à tout lui concéder, à cause de la douceur de sa voix, du calme de son débit, de son humour léger qui n'écrase pas, mais lorsque je le lis, j'ai parfois un peu de mal à comprendre l'engouement qu'il suscite):
Au fond, une photo ressemble à n'importe qui, sauf à celui qu'elle représente. Car la ressemblance renvoie à l'identité du sujet, chose dérisoire, purement civile, pénale même; elle le donne «en tant que lui-même» alors que je veux un sujet «tel qu'en lui-même».
Roland Barthes, La Chambre claire, p.160 (1980)
J'ai trouvé il y a quelques semaines une explication bien plus convaincante de ce manque de ressemblance:
[…] il ressemblait à ses photographies autant qu'un homme peut y ressembler (c'est-à-dire beaucoup moins qu'il ne ressemblait autrefois à ses portraits, parce que la photo saisit un moment de la vie et que le portrait est une synthèse) […].
Maurice Sachs, Alias, p.100 (1935), coll. L'imaginaire Gallimard, 2006
Cette explication est un bel hommage au travail des peintres. Peut-être est-ce ce travail de synthèse qui permet à Swann de retrouver autour de lui des visages de tableaux: à partir d'une synthèse, c'est toute une typologie qui peut se mettre en place.

séminaire 7 : Henri Raczymow

Ici les notes de sejan.

Henri Raczymow est l'auteur d'une biographie de Maurice Sachs, d'une de Charles Haas, le modèle de Swann, intitulée Cygne de Proust1 et de Bloom & Bloch, une variation sur les héros proustien et joycien2.

Son dernier livre s'appelle Reliques, ce qui convient mal, car c'est un mot chrétien. Il aurait fallu utiliser shmattès qui signifie les restes, ce qui reste, et qui vient de la famille de ??, qui veut dire le nom.%%% Ce livre commence par une photo prise avant ma naissance. Il s'agit d'une de scène de massacre prise en 1939 en Pologne, incompréhensible sans légende. L'exergue est tiré de wi>L'Amant de Marguerite Duras, qui dit qu'on écrit toujours sur le corps mort du monde et sur le corps mort de l'amour.
Le livre est composé de photographies d'éléments disparates choisis parce qu'ils parlaient à l'auteur. Ces éléments sont comme tirés des boîtes à biscuits représentés par Christian Boltanski (tableau qui illustre la couverture). Ce sont des boîtes à souvenirs. Il n'y a pas de logique mais des associations affectives qui se ramènent toutes à la période de la guerre (l'URSS, le parti communiste, la guerre d'Espagne) ou au camp.
Faire ce livre a été une façon d'enterrer ses morts. Plus on vieillit, plus on a de morts à traîner avec lesquels on ne vit pas forcément en paix.
Il s'agit de découvrir et de montrer comment la littérature peut parler de la vie, c'est à dire de l'amour, de la mort, de l'écriture.

Ecrire pour prendre pitié, parce qu'on prend pitié.

Charles Haas était un homme de plage. Un homme de plage, c'est ce que nous serons tous dans deux générations, quand plus personne ne saura qui nous étions en nous croisant sur des photographies. C'est l'homme inconnu sur les photographies de groupe, c'est l'homme qui intéresse Modiano.
Charles Haas aurait dû être préservé de l'effacement par Proust. Mais la littérature échoue à préserver et la figure et le nom. (Dans le cas de Haas, elle a donc préservé la figure).
La littérature ne conserve que les noms propres. Lire un livre, cela ressemble à visiter un cimetière (idée d'ailleurs confirmer par Proust).

Un rêve non interprété est comme un livre non lu, dit le Talmud.

Bartleby, le héros de Melville, est réputé avoir travaillé au bureau des lettres mortes. De même le livre renferme des noms ilisibles.

L'oubli: c'est la mort à l'œuvre dans la vie.
Modiano travaille dans l'espace de l'effacement. Dans ses livres, les adresses et les n° de téléphones sont réels mais devenus caducs. Il y a enquête à mener.

La vocation des photos de famille est la même que celle des livres : sauver les morts. Elles rencontrent le même échec.
Les lettres mortes de Bartleby seront finalement brûlées. Les photos de famille finiront vendues au poids dans les brocantes.

L'histoire sauve le collectif mais piétine les morts dans leur individualité. cf Ricœur.

Finalement, la seule entreprise qui vaille est celle de Serge Klasferd, son Mémorial des enfants juifs déportés de France, qui réussit à mettre en vis-à-vis les photos de milliers d'enfants avec leur nom.
La littérature est à l'histoire ce que le christianisme est au judaïsme, elle sauve l'individu plutôt que la communauté.



1 : Une critique par Michel Braudeau est disponible ici.
2 : Je découvre en vérifiant ces données qu'il est l'auteur de Dix jours polonais, qui est dans mes projets de lecture depuis qu'il est sorti.

Alias de Maurice Sachs

Ce livre fait partie des livres cités dans L'Amour l'Automne. Je n'y ai trouvé aucune phrase qui puisse m'être utile dans mon identification des sources, mais je ne regrette pas ma lecture : c'est un livre drôle et grave, totalement invraisemblable et loufoque dans son ensemble mais juste localement. Les observations sont amusantes, fines et exactes, avec quelque chose de proustien (voir l'extrait ci-dessous) et tandis que le ton — l'humour — est celui du cliché, on n'y tombe jamais.
La fin du livre nous montre Alias (le héros) sur le point de devenir celui qu'il a rencontré au début du livre, dans cette temporalité circulaire toujours dérangeante.
Ce livre vite lu ne sera sans doute ni relu, ni oublié.
Même la personne la moins au fait de la psychologie humaine eût compris que Mme Charpon vivait un des plus doux moments de sa vie, qu'elle touchait enfin à sa victoire. Et le bonheur était en elle, ineffable, car il n'est de joie plus forte que celle de la revanche. Combien de grandes vies n'ont eu d'autres moteur! Et combien il y a peu de joies comparables à celles qu'on éprouve lorsque après une longue attente on atteint enfin à la situation à laquelle personne ne vous croyait plus capable d'atteindre. Il faut avoir entendu notre père dire: «Toi qui ne sais rien...» Notre employeur dire: «Vous qui n'arriverez jamais à rien...» Notre meilleur ami écouter avec un sourire las l'exposé de nos plus chers projets, il faut avoir vu des années sur tous les visages une amabilité non exempte de doute, une apparence de confiance mêlée toujours d'une profonde méfiance. Il faut avoir follement espéré l'impossible, accepté de savoir seul que l'impossible était possible encore pour comprendre toute la joie d'une revanche. Ô jeune poète dont on moquait dans ta province la poésie, mais qui vieillard as rapporté chez toi la Légion d'Honneur, ô fils d'épiciers qui es entré à l'Académie Française, on vous pardonne votre enfantin attachement à ces institutions périmées puisqu'elles sont votre revanche sur vos parents incrédules, sur vos voisins railleurs, et sur vos propres faiblesses, car si la revanche est douce en ce qu'elle venge d'autrui, elle est plus douce encore en ce qu'elle venge de soi-même.

Maurice Sachs, Alias, (1935), p.100-101 dans L'Imaginaire Gallimard.



Intérêt pour L'Amour l'Automne: les rimes autour de la sonorité "Sachs", l'entourage de Sachs (en particulier Max Jacob, nom générateur ou géminal), l'évocation du double avec ''Alias''.
Les billets et commentaires du blog vehesse.free.fr sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.