Billets qui ont 'Borel, Marie' comme auteur.

Le Téléphone

Dans les herbes, dans les buissons
Dans les fleurs bleues, rouges ou jaunes
C'est pour entendre ta chanson
Que je t'appelle ô Téléphone.

Gaie comme celle du pinson
Celle de la grive en automne
Si douce qu'elle donne le frisson
Est la note du Téléphone.

Très peu utile est l'hameçon
Sans intérêt le saxophone
Pas besoin de tant de façons
Pour la prise du Téléphone.

A l'époque de la mousson
Pour fuir l'orage qui l'étonne
Il court et tombe chez les poissons
A l'eau, à l'eau, le Téléphone.

Plumages bruns, plumages blonds
Plumages roux comme l'automne
Ces cous courts ou bien ces cous longs
Ce sont des cous de Téléphone.

Becs ouverts avec conviction
Piaillant jusqu'à s'en rendre aphones
Pour réclamer double ration
Tels sont les fils du Téléphone.

Fin comme le papier canson
Comme le bec de la cigogne
Ou la truffe du hérisson
Tu as beau nez ô Téléphone.

Mais on dit qu'il a l'ambition
D'être élu maire de Carcassonne !
Je crains que dans ces conditions
Las on ne rie du Téléphone.

Jacques Roubaud, Les animaux de personne, illustré par Marie Borel

A venir : Double Change - Chris Tysh et Marie Borel le 19 juin

Je n'ai pas fait de publicité pour Renaud Camus à l'Ircam, (j'ai oublié et je suppose toujours que les lecteurs de ce blog connaissent la SLRC), je vous invite à venir écouter Marie Borel (amie de Renaud Camus, ayant publié Les animaux de personnes avec Jacques Roubaud) au point éphémère.

Vendredi 19 juin 2009 de 19:00 à 20:30,
au Point éphémère, 200 Quai de Valmy - Paris, 10e.

Voir ici Priorité aux canards et Le Monde selon Ben.

Le monde selon Ben, par Marie Borel

Le héros du second livre de Marie est un ours en peluche, un ours beige foncé d'une quarantaine de centimètres, à poils courts un peu feutrés.
C'est un livre de poésie (les lignes sont découpées en vers), les pages sont numérotées, les photos couvrent une page, il peut y avoir jusqu'à trois pages de photos de suite.

Cela n'est pas aussi enfantin, ou ludique, ou puéril, qu'il le semble au premier abord. En réalité, et paradoxalement, de retournement en retournement, ces photos donnent une étrange gravité au texte.

L'œil effleure les photos et se précipite sur le texte. Un poème, deux poèmes… Quels textes étranges, plutôt philosophiques, peut-être mathématiques, écrits du point de vue de Ben qui ne dit pas "Je". Non, "je", c'est Marie, c'est l'auteur. Mais parle-t-elle d'elle-même, pour elle-même ou imagine-t-elle ce que pense l'ours? Rien n'assure que le "je" soit stable, il glisse sans cesse silencieusement, de façon insaisissable.
Infini

contrairement à Ben pour qui le temps est infini
le temps file entre mes doigts comme le sable et les étoiles
la rivière la mer l'océan à contretemps
persévère cher Filoteo persévère
de l'infini de l'univers et des mondes
il n'y a pas plus loin de la Terre à la Lune que de la Lune à la Terre

Ben et moi océaniques à jars sur Mer Saint Jean des Monts Hudaibo
cévenols rebelles à Saint Guilhem du Désert
docteurs à Petit Bordel Baie Saint Vincent
and the Grenadines Balata Camp et Sana'a
nous sommes nés seuls au monde dans un univers courbe et non fini
[…]

Marie Borel, Le monde selon Ben, "Infini", p.14, troisième poème
Troisième poème, une page de sommaire, soit quatre pages. Troisième poème page 14: dix photos l'ont donc précédé. Sans les photos, ces poèmes seraient d'un sérieux un peu bête. En vis-à-vis d'une photo d'ours en pleine page, c'est le lecteur qui se sent un peu bête: à quel niveau faut-il lire ces poèmes?
Un ours en peluche nous contemple et médite.
Le lecteur reprend la première page et regarde les photos:
1/ L'ours est assis sur un siège d'avion, la compagnie est yéménite.
2/ L'ours regarde la campagne de la fenêtre d'un TGV. Entre ses pattes, une affiche rouge, qu'on voit comme par hasard, annonce: "le mariage du siècle". (Et comme j'ai l'impression que Marie a changé de nom, je me demande s'il s'agit de son mariage: private joke?)
3/ L'ours est encore à une fenêtre, dans un paysage rocailleux. Le volet en bois est ouvragé. Espagne ou Yémen?
4/ En bus. Est-ce à Londres? (on aperçoit des taxis caractéristiques par la lunette arrière).
5/ Ben dans les bras de Marie qui dort, contre ce qui paraît être un siège d'avion. Mais ce n'est pas un hublot, à l'arrière-plan: un car?

Etc. : ainsi, toutes ses photos sont des photos de voyage, de lieux lointains ou de moyens de transport (ce n'est pas une règle absolue, cela changera dans le feuilletage des pages ultérieures). Ce livre pose un problème de lecture, un problème d'interprétation. Il serait fumeux et prétentieux sans les photos. Avec les photos, il est mystérieux: quels liens tissent les textes et les images? Pourrait-on adjoindre des photos d'ours en peluche à tous les textes philosophiques? (car c'est décidément philosophique: espace et temps, être, conscience, langage) Non, sans doute non. Là, "ça marche", un sens émerge, un équilibre fragile est créé, entre gravité et éphémère: «c'est sérieux mais ce n'est pas grave», ou l'inverse.

Ce qui change, ainsi que le dit explicitement l'extrait ci-dessus, c'est que le temps n'existe pas pour un ours en peluche. Le temps est infini et Ben est éternel. Il est le témoin absolu. Il ne lui reste que l'espace, comme le mettent en scène les photos de voyage, de lieux changeants. Dans cet espace les mots résonnent longtemps, ne s'éteignent pas.
C'est un étrange livre de poésie, aux frontières mal définies. Je n'aurais jamais cru que des photos d'ours en peluche en face de textes pouvaient ainsi en déstabiliser, en décaler, la lecture.

Priorité aux canards, de Marie Borel

Samedi m'attendaient dans ma boîte aux lettres deux plaquettes de poésie de Marie Borel (voir vers le milieu du billet).

Commençons par le plus petit (la photo est presque à taille réelle).


2008-0904-prioriteauxcanards.jpg

Les textes sont courts, une grande importance est accordée aux prénoms, nombreux. Il n'y a pas de numéro de page, on se perd, on recommence, on ne sait plus si on a déjà lu telle page, on se perd, on recommence.
Je me méfie désormais de mon goût des mots qui sonnent, des paradoxes. Je me méfie de mon goût du sens. Il y en a, qui affleure, et puis il n'y en a pas, ou plutôt, il n'y a du sens que localement. Pour le reste, il y a des canards, des prénoms qui ont l'allure de noms de chevaux de course, quelques hommes, beaucoup d'animaux et souvent l'envie de rire, sans que l'on sache bien pourquoi.
[…] Il est vrai qu'à la question vitale pourquoi tu n'as pas fait peintre pas de réponse. Et réciproque ta Jérusalem absente. Contre ton absence l'art lui-même n'est pas de taille à n'exiger rien. Je mange un artichaut à trois heures du matin avec un garçon qui comprend vite.
Peut-on apprendre la marche arrière aux escargots afin de renforcer leurs capacités évolutives.

Marie Borel, Priorité aux canards, fin d'une page vers le milieu du livre

Le Maki Mococo

Le Maki Mococo
Son kimono a mis
Pour un goûter d'amis :
Macaque et Okapi
L'Macaque vient d'Macao
L'Okapi d'Bamako.

Le Maki Mococo
Fait goûter ses amis
Pas de macaronis
Mais d'un cake aux kiwis
D'esquimaux au moka
Et kakis en bocaux
Quart de lait de coco
Cacao ou coca
Dans des bols en mica.

« Qui joue au mikado ? »
Dit l'Maki Mococo
Le Macaque dit oui
L'Okapi ne dit mot.

L'Macaque est un coquin
L'acolyte Okapi
Est du même acabit.
Le Macaque qu'a un coup
Pour gruger les gogos
Rafle tous les kopeks
Du Maki Mococo.

« Ah, mais, quoqu'c'est quoqu'ça ?
Dit l'Maki Mococo
Ton bien est mal acquis. »
Le Macaque dit « quoi ? quoi ? »
« Qui ? Qui ? » dit l'Okapi.

Le Macaque démasqué
Par le Maki Mococo
Prit sa kalachnikoff
Acquise à Malakoff
De Pépé le Moko
Qu'en canne il maquilla
C'est kif kif Chicago.

Mais le Maki Mococo
Au menton les boxa
Le Macaque est K.O.
L'Okapi dans l'coma.

« Ah mes jolis cocos
Comme vous êtes comiques ! »
Dit le Maki Mococo
Saisissant son kodak
Pour immortaliser
Cette scène à jamais
En un bel emaki
A vendre sur les quais
Conti ou Malaquais
Et qu'on ne l'oublie plus.

Le Maki Mococo
Est né à Mexico.
Il s'appelle Dudu.

Jacques Roubaud, Les animaux de personne,
poèmes illustrés par Marie Borel et Jean-Yves Cousseau

Le mouton à grosses fesses

Le Mouton à grosses fesses

(Le lever)
Le soleil sort de la nuit noire
Le Mouton sort de sa baignoire
Il mange un yaourth à la poire.
Avant de partir à la foire
Il met ses roses bermudas,
Choix discutable je le confesse
Pour un Mouton à Grosses Fesses.

(le mouton au bureau)
Le soleil fait de gros efforts
Le Mouton sue par toutes ses pores
Mais il a beau baisser le store
La chaleur monte et monte encore
Car nous sommes en Ouganda
Pays un peu loin de la Perse
Patrie du Mouton à Grosses Fesses.

(le mouton au bureau, suite)
Le soleil dépasse les bornes
Le Mouton sue jusqu'à ses cornes
Il décroche son téléphone
Encore un appel du cap Horn
La sueur trempe son agenda
Cela fera fondre ma graisse
Pense le Mouton à Grosses Fesses.

(la sieste)
Le soleil penche sur les cimes
Le Mouton pense à son régime
Une biscotte? du gouda?
Hélas! il va dans la cuisine
Où le chocolat le fascine
Ensuite sous la véranda
Il sombre en une lourde sieste
Malheureux Mouton à Grosses Fesses!

(le soir) Le soleil rentre dans sa boîte
Le Mouton va danser en boîte
Il prend la biche entre ses pattes
La regarde de ses yeux moites
Et dit "aimez-vous Dalida?"
Choix surprenant je le confesse
Chez un Mouton à Grosses Fesses.

(le retour)
Le soleil dort dans la nuit noire
Le Mouton est au désespoir
La biche l'a chassé sans gloire
Elle a dit "non, mais quelle poire!"
En partant avec le panda
Il est très dur je le confesse
D'être un Mouton à Grosses Fesses.

Jacques Roubaud, Les animaux de personne
Marie Borel, illustrations


Ce livre est illustré par Marie Borel, que je rencontrerai à Plieux en octobre 2003, puis chez Marcheschi en novembre 2006 (Marie que j'aime beaucoup. Je me souviens de sa coiffure rose et hérissée à Plieux, et du sourire de RC, et de son geste en lui montrant ses cheveux (visiblement la coiffure était nouvelle).

Les billets et commentaires du blog vehesse.free.fr sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.