Billets qui ont 'Journal d'un voyage en France' comme livre de Renaud Camus.

Flora Tristan

Et elle avait une meilleure raison d'être de mauvaise humeur: elle mourait.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.476

A la peine

(j'écris en marchant. I'm a pen. — Yeah, in the ass...)

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.323

Pas faux…

On peut toujours compter sur moi pour aller jusqu'au bout de mes bêtises.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.250

Fort de Brégançon

Je lui ai dit n'être pas parvenu à voir le fort présidentiel. Il confirme que c'est impossible:

— Surtout avec le gardien, c't' un ancien gendarme, l'est féroce. Normalement, on peut y aller que par la mer. Même le président, y doit passer par le grand-duc de Luxembourg. Quand y sera brouillé avec le duc, y pourra plus y aller, à son fort, parce qu'il faut qu'il le traverse, le duc.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.216

Pour que la vérité soit proclamée

Le préfet de discipline m'associait peut-être inconsciemment au vieux mendiant à la barbe blanche à cause de l'épisode du duffle-coat. Il était sûr de m'avoir vu suivre ce malheureux en criant et en dansant: trois heures de retenue le jeudi. Je refuse le châtiment: grande retenue, tout un dimanche. Qui aurait cru à mon innocence contre la certitude d'un préfet? Je suis sûr qu'il était de bonne foi. J'allais être renvoyé. J'ai subi mes neuf heures de retenue. Mais peut-être ai-je désiré, alors, d'être écrivain pour pouvoir encore le proclamer, un jour, par un autre moyen, à la face du monde, et de l'abbé G. qui l'un ni l'autre ne me liront: jamais je n'ai crié Père Noël, place Bansac, après ce vieux mendiant à barbe blanche.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.134

D'une grand-mère l'autre

Je connaissais la Sévigné bretonne, la Sévigné provençale, la Sévigné parisienne et même la Sévigné bourbonnaise, mais la Sévigné bourguignonne, dont il est beaucoup question par ici, m'avait échappée jusqu'à présent. J'allais m'étonner de ce que ma grand-mère ne m'en ait jamais parlé, mais je me suis souvenu à temps que c'était la grand-mère du narrateur, pas la mienne, qui était une spécialiste de la marquise, ainsi que de George Sand; la mienne n'était une spécialiste que d'Eugénie et Maurice de Guérin, de Francis Jammes et de la comtesse de Noailles.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.56

Fidélité

Et de plus d'un ami qui me jugeais léger et infidèle quand nous nous voyions trois ou quatre fois par semaine, j'ai cherché patiemment la trace et le souvenir quand depuis longtemps il m'avait oublié.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, note en bas de page 38

L'art de la profiterole

[...] rappelle-moi un jour, ô lecteur, de te placer ma tirade sur les profiteroles au chocolat, dont la sauce n'est plus jamais brûlante, when it's obviously the whole point.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.33

Les voisins invisibles

Jérôme et Paméla V. me racontaient, cet été, avoir partagé, au cours d'un dîner au Cercle Européen de Cocody, une petite table avec une femme charmante et un inconnu. Avec la jeune femme, ils avaient longuement parlé de La Recherche et de ses personnages. Au dessert, l'inconnu avait dit:

— C'est bizarre, je suis à Abidjan depuis trois ans et pourtant je n'ai rencontré aucun de vos amis.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.32

Ladore de Nabokov à Roman Roi

Quoi qu'il en soi, ces jolis petits vers me touchent surtout par leur féconde résurgence dans l'œuvre de Nabokov, chez qui le souvenir de René est toujours très actif, particulièrement dans Ada, si préoccupé par le motif de l'inceste entre frère et sœur. Le domaine édénique où Ada et Van passent leur enfance dépend du village de Ladore, et l'importune Lucette, la jeune sœur dont le prénom rappelle la Lucile de Combourg, commet une fois le lapsus de parler du Mont-Dore «sorry, Ladore». On se souvient enfin que la Dordogne a pour origine deux ruisseaux, la Dore et la Dogne, et que cette troisième Dore prend sa source au pied du Sancy pour traverser immédiatement Le Mont-Dore. Tout cela prouve suffisamment, il me semble, que le domaine enchanté d'Ada doit être situé dans le Puy-de-Dôme et que la contrée prétendument mythique, russe à la fois et américaine, où se déroule l'action, c'est l'Auvergne.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.122


indexation de ce nom de Ladore dans Roman Roi.
Pour une onomastique à venir.

[À voix nue 3/5] Les cartes et la Caronie

l'émission.

Salgas : Passion dévorante pour l'histoire et la géographie. Les cartes. Carte de Caronie. Géographie dans Journal d'un voyage en France. Vous vous promenez longuement dans votre région, autour de Chamalières.
RC: Passion présente dès Passage, Travers. Pourquoi l'histoire, pourquoi la géographie? Un attachement pour le passé, une sympathie pour tout ce qui est veuf de pouvoir. Une sympathie pour tout ce qui perd le pouvoir, tout ce qui tombe. Fasciné par les signes du pouvoir. Déteste le pouvoir, mais en aime les signes. Intérêt très profond.

Salgas : Chute sociale relative de votre famille: est-ce par là que vous expliquez cette nostalgie?
RC: Explication tellement énorme. Mais le fait qu'elle soit grossière n'empêche pas qu'elle soit juste. Traumatisme enfantin de la perte d'une maison. On sauve par l'écriture ce qui pouvait l'être (conservatoire). Déclassement économique accompagnée d'une résistance sociale manifeste. Surchage des signes d'une situation perdue, par exemple le vouvoiement, tout de même extrêmement anachronique.
Toute littérature est liée à la perte. Pourquoi le Sud une littérature si abondante et si belle? Monde perdu que la littérature compense.

P Salgas: Etes-vous satisfait d'être de Chamalières? Je pense à quelqu'un d'autre.
RC: J'arrive toujours en second: mon nom est celui de quelqu'un d'autre, je suis né dans un lieu illustré par quelqu'un d'autre, Roman est Roman II, après le roi mythique Roman I.
Légitimité: RC plus que Giscard d'Estaing, car RC né à Chamalières.
Chamalières: un non-lieu. Un peu exagéré. Mais confins effectivement flou. Une ville entre deux villes, Clermont et Royat. Lieu de transition, de passage.

Salgas: Vous vous sentez Auvergnat?
RC: Non, je ne me sens rien du tout. Inappartenance (Roubaud). Le bathmologue ne se situe pas au-delà des discours, il doute de son propre discours. Il ne tient pas à ses opinions. Je n'y tiens pas. Par rapport à l'Auvergne, je n'y tiens pas (mais pas d'hostilité non plus). Ce n'est pas une identité très forte car elle n'est pas problématique. Pas comme être belge, corse, breton, juif. Identités problématiques donc très fortes.
De plus peu connotations assez déplaisantes. Chanson de Brassens, Victor Hugo à propos de l'avocat Manuel arrêté sous la Restauration:
« Vicomte de Foucault lorsque vous empoignâtes
L'éloquent Manuel de vos mains auvergnates »
On sent que les mains auvergnates sont vraiment une circonstance aggravante. Nous aimions l'Auvergne: l'art roman, les volcans,…

Salgas: Vous semblez tenir bcp au pays que vous avez inventé, la Caronie.
RC: Que j'ai inventé?

Salgas: Que certains de vos lecteurs pensent que vous avez inventé.
RC: La Caronie scandaleusement oubliée. A l'intérieur même de la Caronie. Forclusion d'une partie de l'histoire. Victime d'un interdit historiographique.

Salgas: Comment vous expliquez que ce pays est beaucoup de traits du Portugal? Le grand poète Odysseus Hanon sembe une sorte d'hétéronyme de Pessoa. Fondateur de l'absentéisme. L'une des rivières s'appelle la Saudad, etc.
RC: Un des traits de la Caronie, c'est que tout le monde croit s'y reconnaître: le Portugal, la Roumanie. Position contradictoire de la Roumanie qui dit d'une part que la Caronie n'existe pas, d'autre part que la Caronie, c'est la Roumanie, ce qui semblerait impliquer que la Roumanie n'existe pas. Mais une lecture biographique remarquerait que la rivière qui passait au pied de cette maison où j'ai passé mes étés aux confins de la Creuse s'appelle la Saudad. Odysseus Hanon, c'est aussi Ulysse, s'est aussi Personne (Hanon). Exégèses complexes et nombreuses.

Salgas: Depuis la chute du mur de Berlin, avez-vous eu l'occasion de vous rendre en Caronie?
RC: Non, statut ambigü. Le pays le moins nettement dégagé de son passé récent.
Occultation de l'histoire et de la géographie.

Salgas: Les Roumains ont nommé un premier ministre qui s'appelait Pétré Roman: une tentative de détourner l'attention, de faire oublier la Caronie? Diversion?
RC: C'est vraisemblable. Exemple significatif du caractère générateur de la littérature.

Salgas: le Portugal est très présent dans vos livres.
RC: J'aime les pays des confins. Pays du bord. J'ai toujours préféré les bords au centre.

Salgas: Caronie du centre du centre du centre.
RC: Non, la Caronie est marginale par rapport aux pays de l'Est. Pays du passage. Pays de Charon, celui qui fait passer. Pays du retour. La capitale s'appelle Back. La traversée peut se faire dans les deux sens, qui sait.
Le Portugal fonctionne comme une utopie réelle pour les Portugais. Eux aussi sont assez porté par l'absentéisme. Une idée du Portugal, un Portugal regretté, absence constituve. Teixeira de Pascoes. Le non-dit essentiel de Pessoa. Un sentiment passionnant du Portugal chez Pascoes comme Saudad pure, comme regret immédiat.

Salgas: Votre rapport à certaines régions passent par la lecture?
RC: Oui, besoin de cette médiation.
Pas nécessairement des écrits d'écrivains: dépliants, guides d'hôtel, etc. Rapport à l'écrit. Le pays est une écriture, un texte. Etroitesse du rapport entre la littérature et la réalité, la terre, la géographie. Forme du journal: lieu où ce rapport est le plus étroit. Coïncidence exacte entre l'écriture et les jours, les virgules et les fenêtres, la syntaxe et le destin, la vie au jour le jour.

Je ne pourrais pas aimer un pays qui n'aurait pas été pris en compte par une écriture quelconque, par qq chose qui a été écrit.

J'ai tendance à ne lire les textes que de façon géographique. Je ne m'intéresserais pas à un texte qui n'apporterait pas avec lui sa topographie, son air à fendre. La question de l'origine sous sa forme rudimentaire: d'où vient-on. Claude Simon. Le sol, le ciel, l'air extrêment présent.

Salgas: Claude Simon vous a fait voyager?
RC: Je pratique quelque chose de très peu approuvé par la modernité. Je pratique le pélerinage littéraire. J'aime beaucoup aller sur les lieux. Pharsale à cause de Claude Simon. On a tendance à ridiculiser cela. On prête aux gens qui font cela l'illusion que le lieu va donner le dernier mot du texte. Pas du tout. Je ne cherche pas un dernier mot, mais que les lieux donnent un air une terre en plus à la phrase, qu'ils creusent la phrase. La cavatine, ce qui creuse. Les Eglogues est un texte qui se creuse. La phrase sans arrêt coupée par un ailleurs, c'est-à-dire étymologiquement la métaphore.

Salgas: vous seriez ravi si vos livres servaient de guide bleu?
RC: oh oui j'adore ça quand les gens me disent quelquefois très gentiment "je suis allé dans telle région en me servant de vos livres comme d'un guide", ou plutôt comme d'un compagnon. Car les livres ne disent pas ce qu'il faut voir, mais rendent le lieu, l'heure, plus riches, plus bathmologiquement stratifiés.

Amour d'enfance

Mardi 8 mars 1960. Mort de sa chienne Vania, épagneul breton. Il note dans son petit dictionnaire grec, sans doute sur le modèle de Louise de Vaudémont à Chenonceau : « Rien ne m'est plus, plus ne m'est rien».
Renaud Camus, Le jour ni l'heure

Les chiens, c'était surtout Vania, ma chienne blanche et dorée, suivie d'éventuels prétendants, et de ses rejetons du moment, quand ils étaient assez grands pour courir plusieurs heures, et n'avaient pas été noyés, dans le plus grand des bassins, ni déjà donnés.
Echange (1976), p 9

Voisine est la tombe de Vania, ma chienne bien-aimée. Sa mort a été la plus grande douleur de mon enfance. Depuis des mois je la savais prochaine. Je faisais moi-même, tous les jours, des piqûres à la pauvre bête, qui gémissait doucement. Je me réjouissais presque d'aller en classe, à cette époque, pour m'éloigner un moment du champ clos d'un drame imminent, inéluctable. Pourtant j'avais passé avec le Ciel un contrat. neuf neuvaines achetaient à Vania une semaine de vie. Mais il ne suffisait pas de réciter les paroles des pater et des ave, il fallait en comprendre, au sens le plus fort, en habiter chacune à chaque fois. Je passais mes nuits en prières, à genoux, dans une concentration fébrile. Quand Vania est morte, je n'ai pas perdu la foi mais ma confiance en Dieu. Je n'ai pas su retrouver avec certitude, là-haut, le coin de terre que mon père avait creusé pour elle.
Journal d'un voyage en France (1981), p.94

Une troisième est pour Roman la plus cruelle. Elle paraîtra futile et ne devoir même pas, peut-être, figurer ici; c'est pourtant celle qui l'affecte le plus: la longue agonie, qui dure presque deux ans, de Vanya, son épagneule tant aimée. La reine Louise, qui comprend l'angoisse de son petit-fils, fait venir de Back, à plusieurs reprises, un célèbre vétérinaire. Roman fait lui-même, des mois durant, de quotidiennes piqûres à la pauvre vête, qui gémit et le regarde d'un air de surprise plus que de reproche, sans comprendre pourquoi son jeune maître la fait souffrir. Le mal qui la ronge l'agite de soubresauts, lui fait pousser de soudains cris de douleur. Elle est devenue aveugle et se cogne à tous les meubles. Roman s'échappe de la maison et fait d'immenses promenades dans la forêt pour fuir l'imminence de la fin. Partir pour la capitale et les heures de classe au Palais le soulage, s'éloigner du domaine où la mort tisse ses filets. Mais si Vanya allait mourir pendant qu'il n'est pas auprès d'elle? Il obtient de son père qu'elle vienne à Back abec lui. Mais elle est trop âgée pour un si grand changement. Elle n'est pas heureuse dans l'appartement du Grand Voïvode, dépaysée parmi des objets qu'elle ne connaît pas, trop loin du jardin où ses pauvres pattes ne peuvent plus la mener à travers les escaliers de marbre. On la réinstalle au manoir. Lorsqu'il est loin d'elle, Roman téléphone tous les jours pour avoir de ses nouvelles. Cet appel même lui fait peur. Il en voit s'approcher l'heure avec terreur. L'idée lui vient souvent qu'une fois survenu ce qu'il craint tant, chaque minute l'en éloignera tandis que chaque minute aujourd'hui l'y mène inexorablement: il la chasse.
Roman Roi (1983), p.165-166

Pourtant Roman n'hésite pas un instant sur l'emplacement de la tombe de la chienne Vanya, que rien ne signale, sinon peut-être la proximité d'un petit rocher rond, sur lequel Diane et moi nous appuyons, les yeux sur les toits et le clocher à bulbe de Hörst, très loin en-dessous de nous.
Roman Roi, p.352

Lorsque j'étais enfant, j'aimais tellement une chienne, devenue vieille et malade, que j'avais passé avec Dieu un contrat pour sa protection : Il la maintiendrait en vie aussi longtemps que je dirais chaque nuit neuf neuvaines. Mais il ne s'agissait pas de prononcer automatiquement et à toute vitesse les mots du Notre Père et du Je vous salue. Il fallait au contraire se pénétrer de chacun d'eux, s'interroger sur son sens, je dirais presque le réaliser, au sens même dont s'accommodent les puristes, c'est-à-dire le rendre réel, le citer à comparaître, l'examiner en chacun de ses tenants et de ses aboutissants, sous tous ses angles et tous ses aspects, en la moindre de ses possibles hypostases. Tâche épuisante, on s'en doute, et qui ne saurait être menée à bien. À sonder seulement le Notre de Notre Père, une vie ne suffirait pas. Ne parlons pas du Je de Je vous salue.
D'ailleurs ma chienne mourut.
Du sens (2002), p 55

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