Billets qui ont 'censure' comme mot-clé.

L'Encyclopédie caviardée

Grimm restera également silencieux et ne fera état de cette censure que beaucoup plus tard, écrivant en janvier 1771:

«Le coup le plus sensible et le plus funeste qui ait été porté à l'Encyclopédie est resté absolument ignoré du public, et c'est une anecdote assez intéressante et assez curieuse pour être considérée dans ces fastes ignorés des profanes. Je doute qu'on trouve dans l'histoire entière de la littérature, pour la hardiesse et la bêtise réunies, un trait pareil à celui que je vais rapporter. [… Le Breton] s'érigea avec son prote, à l'insu de tout le monde, en souverain arbitre et censeur de tous les articles de l'Encyclopédie. On les imprimait tels que les auteurs les avaient fournis; mais quand M. Diderot avait revu la dernière épreuve de chaque feuille, et qu'il avait mis au bas l'ordre de la tirer, M. Le Breton et son prote s'en emparaient, retranchaient, coupaient, supprimaient tout ce qui leur paraissait hardi ou propre à faire du bruit et à exciter les clameurs des dévots et des ennemis, et réduisaient ainsi, de leur chef et autorité le plus grand nombre des meilleurs articles à l'état de fragments mutilés et dépouillés de tout ce qu'ils avaient de précieux, sans s'embarrasser de la liaison des morceaux de ces squelettes déchiquetés, ou bien en les réunissant par les coutures les plus impertinentes. On ne peut savoir au juste jusqu'à quel point cette infâme et incroyable opération a été meurtrière; car les auteurs du forfait brûlèrent le manuscrit que l'impression avançait, et rendirent le mal irrémédiable. Ce qu'il y a de vrai, c'est que M. Le Breton, si clairvoyant dans les affaires d'intérêt, est un des hommes les plus bornés qu'il y ait en France…»

[…]
Ainsi, cet ouvrage, centre d'une histoire des idées, que nous considérons comme le monument du XVIIIe siècle s'avère un monument mutilé.

Jean Haechler, L'Encyclopédie - les combats et les hommes, p.353-356

La lettre de Walter Benjamin à Carl Schmitt

La théologie politique de Paul est la transcription d'un colloque intervenu en février 1987. C'est la traduction critique (dans le sens où elle opère quelques modifications et corrige des erreurs) de la transcription allemande parue chez Fink. Elle y ajoute les références bibliographiques des textes parus en français et des annexes.

La première annexe est intitulée "L'histoire de la relation Jacob Taubes-Carl Schmitt". Elle commence par ces mots: «Je [Jacob Taubes] voudrais faire une remarque préliminaire», mais je ne comprends pas préliminaire à quoi: cette remarque (p.143) est-elle intervenue avant l'introduction (p.17) — et dans ce cas pourquoi cela n'a-t-il pas été mise au début du livre — ou en cours de colloque — mais dans ce cas pourquoi n'a-t-elle pas été placée au fil du texte, ou au moins appelée en note de bas de page au cours du texte?

Quoi qu'il en soit, je copie un extrait du début, qui cite la lettre de Benjamin à Schmitt, une «mine faisant tout bonnement exploser nos représentations de l'histoire intellectuelle dans la période de Weimar» (sans compter le plaisir de voir Adorno appelé "Teddy"):
Mais le problème est plus fondamental. La division en «gauche» et «droite», qui est mortelle depuis 1933, mortelle pour la gauche […1], lorsque, après la guerre, la guerre civile s'est poursuivie sur le plan intellectuel (en tout cas, je viens d'une ville2 où la première question est toujours: est-il de gauche ou de droite? Je ne cacherai pas que j'ai du mal à m'y faire). […]

On voit très bien que ce schéma gauche-droite ne tient pas la route, et en effet, l'ancienne Ecole de Francfort était en rapport étroit avec Schmitt, si nous considérons non pas seulement les chefs officiels de l'Ecole, à savoir M. Horkheimer et le «musicien» Adorno, mais également Walter Benjamin, un esprit plus profond qui, en décembre 1930, écrit encore une lettre à Carl Schmitt et lui envoie son livre sur le Drame baroque accompagné de la remarque suivante: «Vous remarquerez très vite combien ce livre vous doit dans sa présentation de la doctrine de la souveraineté au XVIIe. Permettez-moi de vous dire, en outre, que grâce à vos méthodes de recherche en philosophie de l'Etat j'ai trouvé, dans vos œuvres ultérieures, particulièrement La Dictature, une confirmation de mes méthodes de recherche en philosophie de l'art.» Quand j'ai eu cette lettre en main, j'ai appelé Adorno et je lui ai demandé: «Il y a deux volumes de correspondance de Benjamin. Pourquoi cette lettre n'a-t-elle pas été publiée?» Sa réponse a été que cette lettre n'existait pas. J'ai alors répliqué: «Teddy, je reconnais les caractères d'imprimerie, je connais la machine avec laquelle Benjamin écrivait, ne me racontez pas d'histoires, j'ai le texte en main.» Adorno a alors dit que cela n'était pas possible. C'est une réponse typiquement allemande3. J'en ai alors fait une copie et la lui ai envoyée à Francfort. Un archiviste, M. Tiedemann, s'y trouvait encore. Et Adorno m'a rappelé en disant: «Oui, cette lettre existe bien. Mais elle a été perdue.» J'en suis resté là!

Jacob Taubes, La théologie politique de Paul, Seuil 1999, annexe 1 p.143-144





1 Un passage n'a pas pu être enregistré.
2 Rappelons que Taubes arrive de Berlin, où il enseigne. [N.d.T.]
3 Allusion sans doute à ce vers célèbre du poème de Christian Morgenstern: «Weil nicht sein kann, was dicht sein darf» (car ce qui ne doit pas être ne peut pas être). [N.d.T.]

D'Abattoir 5 à Harry Potter en un coup

Je lis le blog Letters of Note qui reprend des lettres d'écrivains ou de personnes célèbres. (Il faudrait les traduire. Parfois je me dis que je devrais juste consacrer mon temps à traduire ce que j'aime pour le mettre à disposition du web français. J'adorerais cela.)

Hier j'ai trouvé ainsi une lettre de Kurt Vonnegut. C'est la lettre qu'il écrivit à ses parents pour les prévenir qu'il était vivant, qu'il avait été fait prisonnier par les Allemands et emprisonné dans un abattoir souterrain à Dresdes, qu'il avait échappé à la mort en de multiples occasions et que libéré, il ne tarderait pas à rentrer.
Il s'avère que c'est le cœur de ce qui allait devenir Abattoir 5.

D'Abattoir 5, je me souvenais vaguement avoir appris un jour (mais comment? c'était avant internet) qu'il avait été brûlé dans plusieurs villes des Etats-Unis, et comme cela me paraissait parfaitement incroyable et délicieusement sulfureux, avoir emprunté alors Petit Déjeuner des champions —Oui, ce n'est pas le même livre. Je suppose qu'Abattoir 5 n'était pas disponible en bibliothèque; cela doit faire vingt ans, je ne me souviens plus des détails.— Mais je me souviens aussi que je n'ai pas dépassé quelques pages, je n'en sais plus les raisons précises: un livre un peu ennuyeux; j'avais sans doute d'autres choses à faire ou à lire.

Toujours est-il que j'ai voulu vérifier cette histoire de livre bûlé: avais-je rêvé, mes souvenirs avaient-ils déformé la réalité comme souvent?

J'ai eu du mal à trouver ce que je cherchais, sans doute parce que je n'utilise pas les bons mots clés dans Google.
Cela m'a permis de trouver un article très récent et en français sur le blog biblio|ê|thique (éthique & bibliothèques, tout un programme) qui raconte qu'un lycée du Missouri ayant décidé de retirer du programme et de la bibliothèque Abattoir 5, le musée Kurt Vonnegut proposa aux lycéens qui en feraient la demande de le leur envoyer gratuitement.

Et à mon ravissement, ce billet donne la liste des romans du XXe siècle les plus contestés ou mis à l'index, liste établie par le Radcliffe Publishing Course (apparemment une célèbre formation pour les futurs éditeurs, formation qui aurait été absorbée récemment par l'école de journalisme de Columbia) (si je fais un contresens, laissez un commentaire, je corrigerai).

Cela m'a permis de découvrir avec stupeur que certaines églises (majuscule ou pas?) appellent à brûler Harry Potter. Je traduis les premières lignes:
Brûler des livres n'est pas quelque chose de neuf pour les Vrais Chrétiens [True Christians®]. Nous avons inventé cette pratique il y a plus de deux mille ans afin de rendre gloire à notre Seigneur Jésus. Dans les premiers jours de la chrétienté, quand se convertissaient les nouveaux croyants au Christ, ceux-ci étaient naturellement portés par le Saint Esprit à s'emparer d'autant de livres qu'ils le pouvaient afin de les jeter au feu. A la différence des faux chrétiens vraies lavettes «Dieu est amour» (que déteste autant Jésus Christ que nous-mêmes) que nous voyons se multiplier autour de nous en ces jours, les premiers suiveurs du Christ n'eurent jamais honte de brûler des livres.
WTF, OMG, etc. ô_O
(Résistance !)

Le jour de la Race est le dix juin

Écoutez, Pereira, dit le directeur, le ''Lisboa'' est en train de devenir, comme je vous l'ai dit, un journal xénophile, pourquoi ne faites-vous pas un hommage à un poète de la patrie, pourquoi est-ce que vous ne faites pas notre grand Camões? Camões? répondit Pereira, mais Camões est mort en mil cinq cent quatre-vingts, il y a presque quatre cents ans. Oui, dit le directeur, mais c'est notre grand poète national, et il est toujours très actuel, et puis savez ce qu'a fait António Ferro, le directeur du Secrétariat National de Propagande, enfin le ministre de la Culture, il a eu la brillante idée de faire coïncider le jour de Camões et le jour de la Race, ce jour-là on célébrera le grand poète de l'épopée et la race portugaise, et vous, vous pourriez nous faire une éphéméride. Mais le jour de Camões est le dix juin, monsieur le directeur, objecta Pereira, quel sens cela a-t-il de célébrer le jour de Camões à la fin août? D'abord le dix juin nous n'avions pas encore de page culturelle, expliqua le directeur, ça vous pouvez le déclarer dans l'article, vous pouvez toujours célébrer Camões, qui est notre grand poète national, et faire référence au jour de la Race, il suffit d'une allusion pour que les lecteurs comprennent. Excusez-moi, monsieur le directeur, répondit Pereira avec componction, mais bon, je voulais vous dire une chose, à l'origine nous étions lisutaniens, puis nous avons eu les Romains et les Celtes, puis nous avons eu les Arabes, alors quelle race pouvons-nous célébrer, nous Portugais? La race portugaise, répondit le directeur, excusez-moi Pereira, mais votre objection ne me plaît pas beaucoup, nous sommes portugais, nous avons découvert le monde, nous avons accompli les principales navigations du globe, et quand nous l'avons fait, au seizième siècle, nous étions déjà portugais, voilà ce que nous sommes et voilà ce que vous devez célébrer, Pereira. […]
Pereira salua le directeur et raccrocha. António Ferro, pensa-t-il, le terrible António Ferro, le pire est qu'il s'agissait d'un homme intelligent et malin, dire qu'il avait été l'ami de Fernando Pessoa, bon, conclut-il, mais ce Pessoa, aussi, il se choisissait de ces amis.

Antonio Tabucchi, ''Préreira prétend'', p.190-191 (Folio, imprimé en 1998)

Les carnets de Finnegans Wake XI

Nous devions lire pour cette séance le chapitre 7 (1-7, selon la notation consacrée), dit le chapitre de Shem.

C'est un chapitre "facile", peut-être le plus facile avec le chapitre 8; il est possible dans faire une lecture traversante.
Shem est un peu une figure possible de Joyce. Le dégommage généralisé de Shem par Shaun dans ce chapitre ne peut être complètement sincère (puisqu'il s'agit du dégommage de Joyce par Joyce), mais la polyphonie est malgré tout beaucoup moins complexe que dans le chapitre "Tristan". On entend facilement les deux voix en contrepoint.

Le même motif intervient dans le chapitre précédent, le 1-6 (chapitre du questionnaire, ou quizz). Il est composé de douze questions (comme les douze apôtres). La douzième est très courte, la réponse aussi. La onzième est très longue, et la réponse d'une longueur équivalente à celle du chapitre Shem. Il s'agit d'une sorte de préparation du lecteur au chapitre de Shem (1-7), bien que ce soit un chapitre qui en réalité a été écrit après le suivant: la narration se tord littéralement sur elle-même.

Dans le chapitre 1-6 Shaun apparaît sous des instances diverses et notamment sous celle du professeur Jhon Jhamiesen qui dénonce Shem de façon si exagérée que cela se retourne contre lui. Ce chapitre contient plusieurs fables, dont celle opposant Brutus, Cassius et César sous la forme de Burrus, le beurre, Caseous, un fromage et un autre fromage : tout le conflit est traduit en termes de fromages.

Retour au chapitre 1-7, et plus précisément à partir de la page 185-27. (Daniel Ferrer nous recommande de nous fabriquer une réglette numérotant les lignes afin de retrouver très vite les passages sans compter les lignes.) Deux personnages prennent la parole, Justius et Mercius, la justice et la pitié. D'une certaine manière, on peut dire que Justius parle de lui à lui-même.

JUSTIUS (to himother): Brawn is my name and broad is my nature and I've breit on my brow and all's right with every feature and I'll brune this bird or Brown Bess's bung's one bandy. I'm the boy to bruise and braise. Baus! Stand forth, Nayman of Noland (for no longer will I follow you obliquelike through the inspired form of the third person singular and the moods and hesitensies of the deponent but address myself to you, with the empirative of my vendettative, provocative and out direct), stand forth, come boldly, jolly me, move me, zwilling though I am, to laughter in your true colours ere you be back for ever till I give you your talkingto! Shem Macadamson, you know me and I know you and all your shemeries. Where have you been in the uterim, enjoying yourself all the morning since your last wetbed confession? I advise you to conceal yourself, my little friend, as I have said a moment ago and put your hands in my hands and have a nightslong homely little confiteor about things. Let me see. It is looking pretty black against you, we suggest, Sheem avick. You will need all the elements in the river to clean you over it all and a fortifine popespriestpower bull of attender to booth.[...]
Finnegans Wake, p.187

"JUSTIUS (to himother)" : himother c'est à la fois la mère et lui-même, c'est aussi le frère.

Laurent Milesi (que nous avons vu précédemment) a écrit un article sur les fins et les débuts dans Finnegans Wake en montrant comment les fins annoncent les débuts. C'est particulièrement vrai si l'on examine l'enchaînement du chapitre 1-7 et 1-8 (le chapitre dit "Anna Livia").
Shem est celui qui écrit la lettre dictée par la mère, Shaun la transporte.

"Brawn is my name" : pas seulement le muscle.
Brown et Nolan sont un thème qui traverse FW. C'est un éditeur de Dublin.
mais il s'agit surtout de Bruno Nola (ou Bruno Nolan) : Giordano Bruno né à Nola, l'un des philosophes de la coïncidence des contraires. Joyce l'appelle aussi Bruno Brûlot, car brûlé par l'Inquisition.
=> Justius part en croisade contre la négativité. Il est le "Nayman of Noland", l'homme qui refuse.

Dans le carnet 6-b-6, on trouve une longue phrase qui est très vraisemblablement tirée d'ailleurs (Joyce l'ayant recopiée), mais la source demeure inconnue à ce jour: «I shall not follow him any longer through the inspired form of a 3 person but address myself to him directly...»
Dans le texte définitif cette phrase est reprise entre parenthèses et signale qu'on quitte la 3e personne. On s'adresse directement à Shem.
"obliquelike" : connotation morale (par opposition à droiture, rectitude)
"deponent" : double nature, forme active mais verbe passif
"mood" : l'humeur mais aussi les humeurs, dont il va être beaucoup question dans ce chapitre.

"hesitensies" : thème important. problème d'orthographe.
Il faut revenir à Parnell. Saint Patrick et lui sont les deux grandes gueules de l'Irlande. Souvent chez Joyce Parnell est associé au loup, car il a dit au moment de son arrestation : "don't throw me to the wolves". L'Eglise finira par abattre Parnell en prouvant son adultère avec Kitty O'Shea, mais avant cela il y avait eu une première tentative pour le discréditer. Il s'agissait de fausses lettres (forgeries) dans lesquelles Parnell semblait approuver des meurtres qui avaient eu lieu dans le Parc Phoenix. En fait elles avaient été écrites par un certain Piggott. Celui-ci fut confondu à cause d'une faute d'orthographe sur hesitancy. Cette hésitation sur "hésitation" enchanta Joyce.


L'origine des mots du carnet 6.b.6 et leur utilisation dans le texte

Dans ce chapitre Joyce a utilisé les reproches qu'on lui avait faits à propos d' Ulysses. Schaun, c'est son frère Stanislas, c'est aussi Oliver St John Gogarty (le modèle de Buck Mulligan dans Ulysses), ou encore Wyndham Lewis, un peintre moderniste que Joyce considérait comme un ami jusqu'à ce qu'il découvre son livre Time and Western Man dans lequel Lewis le critique vivement.

Je rappelle que les carnets contiennent des mots, des fragments, des phrases, et que la publication de ces carnets s'accompagne de l'identification (dans la mesure du possible) de l'origine de ces mots. Un autre pan du travail consiste à étudier l'utilisation de ces mots dans les phases successives des brouillons jusqu'à la version définitive.
Durant ce cours, Daniel Ferrer nous a montré l'origine de divers mots repris dans des articles de journaux. J'ai noté ce que je pouvais comme je pouvais.

incoherent atoms : mots notés mais non rayés dans le carnet 6.b.6 => donc non utilisé. Il provient d'un article de Virginia Woolf, Modern Fiction repris dans The Common Reader :

It is, at any rate, in some such fashion as this that we seek to define the quality which distinguishes the work of several young writers, among whom Mr. James Joyce is the most notable, from that of their predecessors. They attempt to come closer to life, and to preserve more sincerely and exactly what interests and moves them, even if to do so they must discard most of the conventions which are commonly observed by the novelist. Let us record the atoms as they fall upon the mind in the order in which they fall, let us trace the pattern, however disconnected and incoherent in appearance, which each sight or incident scores upon the consciousness.

Digression de Daniel Ferrer: «Nous avions étudié les notes de lecture de Virginia Woolf à propos d' Ulysses. Elles sont très négatives, alors qu'elle écrit finalement un article plutôt positif afin de mettre Joyce de son côté, contre la vieille garde. (À l'époque elle n'avait encore rien écrit, enfin si, La traversée des apparences qui était passé inaperçue et autre chose, de moindre intérêt. (Je ne sais pas si vous savez que les articles du TLS (Times Literary Supplement) ont été très longtemps anonymes. Ils ne sont signés que depuis une vingtaine d'années)).»

Dans les quelques lignes citées plus haut Woolf applique à Joyce les mots que la critique woolfienne applique habituellement à Virginia Woolf. A priori c'est plutôt aimable, mais Joyce a relevé "incoherent" et "atoms".

Plus loin dans le même article (Modern Fiction), Woolf note (anonymement, donc) à propos de Portrait of the Arstist as a young Man:

Indeed, we find ourselves fumbling rather awkwardly if we try to say what else we wish, and for what reason a work of such originality yet fails to compare, for we must take high examples, with Youth or The Mayor of Casterbridge. It fails because of the comparative poverty of the writer’s mind, we might say simply and have done with it.

Joyce reprend poverty of mind dans FW page 192, ligne 10 (192-10): «with a hollow voice drop of your horrible awful poverty of mind».

L'article du Sporting Times du 1er avril 1922 contre Ulysses était tellement outrancier que la librairie Shakespeare et Cie l'avait affiché à titre de publicité. Il commençait ainsi:

After a rather boresome perusal of James Joyce's Ulysses, published in Paris for private subscribers at the rate of three guineas in francs, I can realise one reason at list for Puritan America's Society for Prevention of Vice, and can undestand why the Yankee judges fined the original publication of a very rancid chapter of the Joyce stuff, which appears to have been written by a perverted lunatic who has made a speciality of the literature of the latrine.
in James Joyce, de Robert H. Deming (apparement il reprend l'article dans son entier).

=> Joyce réutilise rancid page 182-17.

L'article de Nation & Athenœum du 22 avril 1922 est également une source importante de mots désagréables :

Ulysses is, fundamentally (though it is much besides), an immense, a prodigious self-laceration, the tearing-away from himself, by a half-demented man of genius, of inhibitions and limitations which have grown to be flesh of his flesh.
toujours dans James Joyce, de Robert H. Deming

Joyce a repris semidemented p.179-25 :

It would have diverted, if ever seen, the shuddersome spectacle of this semidemented zany amid the inspissated grime of his glaucous den making believe to read his usylessly unread able Blue Book of Eccles, édition de ténèbres,

remarque: nous travaillons dans l'ordre des mots apparaissant sur le carnet, et non dans l'ordre de leur apparition dans FW.

Retour à l'article du Sporting Times : «The latter extract displays Joyce in a mood of kindergarten delicacy. The main contents of the book are enough to make a Hottentot sick»; ce qui devindra chez Joyce «their garden nursery» p.169-23.

emetic : Le Sporting Times du 1er avril 1922 déclare également : «I fancy that it would also have the very simple effect of an ordinary emetic. Ulysses is not alone sordidly pornographic, but it is intensely dull.»

(Il faut savoir que l'un des arguments utilisé par Le juge Woolsey pour autoriser Ulysses aux Etats-Unis était que le livre était plus émétique qu'érotique.)
Joyce utilise le mot emetic en 192-14,15: «pas mal de siècle, which, by the by, Reynaldo, is the ordinary emetic French for grenadier's drip».

Joyceries : vient d'un article du Sunday Express le 28 May 1922: «if Ireland were to accept the paternity of Joyce and his Dublin Joyceries ... Ireland would indeed... degenerate into a latrine and a sewer».
Joyceries est devenu Shemeries en 187- 35,36.

Asiatic. Il y a toute une thématique de l'étranger, du "bougnoule", dans ce chapitre. James Joyce finit par tout condenser p.190-36 191:

an Irish emigrant the wrong way out, sitting on your crooked sixpenny stile, an unfrillfrocked quackfriar, you (will you for the laugh of Scheekspair just help mine with the epithet?) semi-semitic serendipitist, you (thanks, I think that describes you) Europasianised Afferyank!

inspissateted : le Nation & Athenœum du 22 avril 1922: «Every thought that a super-subtle modern can think seems to be hidden somewhere in its inspissated obscurities.»
repris p.179-25. «the inspissated grime of his glaucous den making believe to read his usylessly unreadable Blue Book of Eccles,»

Blue Book : le Manchester Guardian du 15 mars 1923: «Seven hundred pages of a tome like a Blue-book are occupied with the events and sensations in one day of a renegade Jew».
On se souvient que Joyce avait demandé pour la couverture d' Ulysses le bleu du drapeau grec. Un blue book, c'est aussi un livre porno.

En fait, tout se passe comme si Shem était en train d'écrire Ulysses et Shaun en train de le lire.

millstones : the Dublin Review du 22 septembre 1922 parle de la censure bienvenue de l'Eglise catholique: «Her inquisitions, her safeguards and indexes all aim at the avoidance of the scriptural millstone, which is so richly deserved by those who offend one of her little ones».
repris ainsi par Joyce p.183-20: «unused mill and stumpling stones»
"Millstone", c'est la meule qu'on attachait au cou de ceux qui avaient fait scandale.

D'autre part, un certain docteur J.Collins, plus ou moins psychologue pré-psychanalyste, a écrit The Doctor Looks at Literature, dans lequel il cite Joyce comme l'exemple de l'écrivain plus ou moins pathologique. Selon Ellman, Collins est un modèle important pour le personnage de Shaun.


Une partie des notes prises pour Ulysses n'avaient pas été utilisées => Joyce les recycle dans FW. Il utilise également la copie de Madame Raphael. Il "n'aimait pas perdre". (On trouve dans les brouillons de Victor Hugo des phrases, des pistes empruntées et abandonnées, des débuts de romans, ce qu'il appelait "ses copeaux". Il y a là comme une générosité de la créativité, une expansivité. Rien de tel chez Joyce qui recycle tout.)
Cependant il reste des mots utilisés dans les carnets. Parfois certains posent la question à D. Ferrer: pourquoi se donner tant de mal pour éditer des carnets dont parfois seuls quelques mots ont été barrés (utilisés)... Mais tout est intéressant.
Il existe une sorte de mécanique dans l'utilisation des mots, le fait de les barrer garantit de ne pas les utiliser deux fois. Parfois Joyce se trompe (on s'en aperçoit quand on connaît bien les carnets), oublie de barrer, mais c'est assez rare.

James Joyce connaissait un certain James Steven, qui lui plaisait puisqu'il portait son prénom et celui de son personnage principal; et qui de plus était né le même jour que lui. Il lui avait proposé de terminer Finnegans à sa place, parce qu'il était malade et fatigué. Apparemment Joyce pensait vraiment qu'il y avait une méthode pour écrire FW.


Les différents stades de brouillon avant le texte définitif

passage page 185:

Primum opifex, altus prosator, ad terram viviparam et cuncti potentem sine ullo pudore nec venia, suscepto pluviali atque discinctis perizomatis, natibus nudis uti nati fuissent, sese adpropinquans, flens et gemens, in manum suam evacuavit (highly prosy, crap in his hand, sorry!), postea, animale nigro exoneratus, classicum pulsans, stercus proprium, quod appellavit deiectiones suas, in vas olim honorabile tristitiae posuit, eodem sub invocatione fratrorum geminorum Medardi et Godardi laete ac melliflue minxit, psalmum qui incipit: Lingua mea calamus scribae velociter scribentis: magna voce cantitans (did a piss, says he was dejected, asks to be exonerated), demum ex stercore turpi cum divi Orionis iucunditate mixto, cocto, frigorique exposito, encaustum sibi fecit indelibile (faked O'Ryan's, the indelible ink).

Shem fabrique de l'encre à partir de ses excréments et s'apprête à l'utiliser.
Le passage est en latin, c'est une posture fréquente, pseudo-scientifique. C'est aussi une façon de ne pas être trop explicite...
D. Ferrer ajoute: «Ça me rappelle de vieilles traductions d'Aristophane que je lisais quand j'étais jeune. Les passages un peu croustillants étaient traduits... en latin (on ne conservait pas le grec mais on ne se permettait pas le français, peut-être pour protéger les enfants s'ils tombaient dessus par hasard).»

  • Projection au tableau du manuscrit de ce passage. Il s'agit du premier brouillon connu de ce passage, à cela près qu'il est si bien écrit (régulier, sans rature) qu'il est possible qu'il y en ait eu un avant que nous ne connaissons pas.

Sur ce brouillon, le passage pious Eneas n'existe pas encore. (Attention, le texte ci-dessous est le texte définitif, pas le premier stade de brouillon que nous avons étudié en cours, à propos duquel j'ai pris quelques notes).

Then, pious Eneas, conformant to the fulminant firman which enjoins on the tremylose terrian that, when the call comes, he shall produce nichthemerically from his unheavenly body a no uncertain quantity of obscene matter not protected by copriright in the United Stars of Ourania or bedeed and bedood and bedang and bedung to him, with this double dye, brought to blood heat, gallic acid on iron ore, through the bowels of his misery, flashly, faithly, nastily, appropriately, this Esuan Menschavik and the first till last alshemist wrote over every square inch of the only foolscap available, his own body, till by its corrosive sublimation one continuous present tense integument slowly unfolded all marryvoising moodmoulded cyclewheeling history (thereby, he said, reflecting from his own individual person life unlivable, trans-accidentated through the slow fires of consciousness into a dividual chaos, perilous, potent, common to allflesh, human only, mortal) but with each word that would not pass away the squidself which he had squirtscreened from the crystalline world waned chagreenold and doriangrayer in its dudhud. This exists that isits after having been said we know. And dabal take dabnal! And the dal dabal dab aldanabal! So perhaps, agglaggagglomeratively asaspenking, after all and arklast fore arklyst on his last public misappearance, circling the square, for the deathfęte of Saint Ignaceous Poisonivy, of the Fickle Crowd (hopon the sexth day of Hogsober, killim our king, layum low!) and brandishing his bellbearing stylo, the shining keyman of the wilds of change, if what is sauce for the zassy is souse for the zazimas, the blond cop who thought it was ink was out of his depth but bright in the main.

double dye: dye and double dye : grand tain. Mais on entend aussi "dare and double dare''.

J'ai noté ici le nom d'un jeune Joycien, Finn Fordham, qui a écrit Lots of fun at Finnegans wake, mais je ne sais plus pourquoi il a été cité.''

foolscaps: c'est un format de feuille, c'est aussi le bonnet du fou. integument: une peau qui n'aurait qu'une seule face (comme une figure de Moebius). Universal history & that self which he hid from the world grew darker and darker in outlook. (il s'agit d'une citation du brouillon: pas le texte final). On a ici l'idée d'un moi caché qui se révèle en noircissant du papier. Dans le texte final cela apparaît plus loin, à propos du blond cop.

Au dos de cette page de brouillon apparaît un complément: «the reflection from his personal life transaccidentated in the slow fire of consciousness into a dividual chaos...» (J'ai copié en vitesse, il peut manquer des mots ou je peux en avoir ajouter.)
Tranaccidentated: ce serait l'inverse de la transsubstantation (ce qui en vérité ne nous éclaire guère...)
Ce passage au dos du brouillon sera ajouté entre parenthèses à la version finale.

D'autres ajouts apparaissent en marge.
through the bowels of his misery : vient quasi littéralement d'une "Vie de Saint Patrick".
La plume est aussi la clé; qui est aussi évidemment un élément pénien.
Le stylo porte des clochettes (comme le bonnet du fou).

  • Le stade suivant est le dactylogramme (la copie tapée à la machine et non plus manuscrite).

corrosive sublimation: c'est aussi la transformation des excréments en œuvre d'art, la sublimation au sens freudien.
non corrosive sublimation: voir le chapitre "Circé" dans Ulysses, à propos du fantôme de la mère de Steven.
gallic acid on iron ore : c'est réellement une méthode pour faire de l'encre (bleue)
gallic: français. acidité française? dans la façon d'écrire? => quoi qu'il en soit, dégénérescence joycienne pour les Irlandais.

sublimatioon human tegument => remplacé par sublimation one continuous present tense integument
universal history devient moodmoulded cyclewheeling history
moodmoulded = un peu moisi; cyclewheeling = ni progressif ni régressif
le moi caché devient le "moi-seiche" (the squidself) : qui se cache dans un nuage d'encre tout en se révélant dans l'écriture.
chagreenold and doriangrayer: La Peau de chagrin et Le portrait de Dorian Gray. => Le parchemin qui est sa propre peau se déroule et se réduit; il devient de plus en plus gris (poids des vices de celui qui écrit).
waned: croître et décroître.

  • Sur les épreuves, ajout de la première phrase du passage "Then, pious Eneas,"

copriright (coprophagie)
Urania : Uranie la muse de l'astronomie; Uraniens, surnom des homosexuels entre eux; urine...
copriright in the United Stars of Ourania : un problème pour Joyce. Ulysses étant interdit aux USA (à cause de son obscénité), il n'avait pas de copyright et il était paru plusieurs éditions pirates, dont certaines pas inintéressantes, mais pour la plupart de très mauvaise qualité.


Le chapitre précédent, p.126

So?
Who do you no tonigh, lazy and gentleman?
The echo is where in the back of the wodes; callhim forth! (Shaun Mac Irewick, briefdragger, for the concern of Messrs Jhon Jhamieson and Song, rated one hundrick and thin per storehundred on this nightly quisquiquock of the twelve apostrophes, set by Jockit Mic Ereweak.
James Joyce, Finnegans wake, début du chapitre 6

Je fais ce qu'il ne faut pas faire: je ne respecte pas les lignes et la pagination de l'édition papier, qui permet d'identifier précisément chaque référence (aussi intangible que la Bible, j'en suis toute émerveillée à chaque fois que j'y pense).

Jhon Jhamieson : James Joyce et un whisky bien connu.
quisquiquock : un quizz (le chapitre des quizz). douze questions comme les douze apôtres. Chaque question porte sur un des personnages principaux qui entrent en jeu dans FW.

Question 11 en bas de la page 148.

If you met on the binge a poor acheseyeld from Ailing, when the tune of his tremble shook shimmy on shin, while his countrary raged in the weak of his wailing, like a rugilant pugilant Lyon O'Lynn; if he maundered in misliness, plaining his plight or, played fox and lice, pricking and dropping hips teeth, or wringing his handcuffs for peace, the blind blighter, praying Dieuf and Domb Nostrums foh thomethinks to eath; if he weapt while he leapt and guffalled quith a quhimper, made cold blood a blue mundy and no bones without flech, taking kiss, kake or kick with a suck, sigh or simper, a diffle to larn and a dibble to lech; if the fain shinner pegged you to shave his immartial, wee skillmustered shoul with his ooh, hoodoodoo! broking wind that to wiles, woemaid sin he was partial, we don't think, Jones, we'd care to this evening, would you?

acheseyeld : exilé (phonétiquement) + mal aux yeux.
Dans ce paragraphe des échos de chansons.
La question est à peu près celle-ci: si un mendiant exilé/aveugle venait nous demander la charité, je ne pense pas qu'on lui répondrait, hein, Jones?
Et la réponse : bien sûr que non pour qui me prenez-vous?

Voir la suite et entre autres:

But before proceeding to conclusively confute this begging question it would be far fitter for you, if you dare! to hasitate to consult with and consequentially attempt at my disposale of the same dime-cash problem elsewhere naturalistically of course, from the blinkpoint of so eminent a spatialist.

conclusively confute: réfuter/conforter dans le même mot.
same dim, cash problem : c'est le temps caché
the blinkpoint: à la fois le point de vue et l'œil fermé, le point aveugle.
spatialist: l'espace contre le temps. Le spécialiste des époques, whydam Lewis (cf.ci-dessus).

Dans la suite on trouve Bitchson (Bergson, philosophe qui travaillait sur le temps, attaqué par Lewis); Winestain (tache de vin = Wiggenstein); Professor Loewy-Brueller (Lévy-Bruhl) : la réponse paraît profondément scientifique alors qu'elle est avant tout profondément sordide. La suite va continuer par une fable, " The Mookse and The Gripes", p.152, dans le genre "Le renard et les raisins". Il s'agit encore d'une lutte entre l'espace et le temps.
Les attaques continuent.

En bas de la page 160 on attaque un autre terrain. My heeders will recoil : my readers will recall.
La suite est une allusion à Pope: «Fools rush in where angels fear to tread»; les fous se précipitent où les anges n'osent poser le pied.
Mais ici le proverbe se retourne et il apparaît que les anges ont été bien bêtes.
Il s'agit d'une sottise-fiction.
hypothecated Bettlermensch : l'hypothèque du mendiant
the quickquid : fast box => se faire du blé rapidement. want ours : il en veut à notre argent
Tout ce paragraphe ne parle que d'argent. Evoque les dogmes d'Origène notamment.

Burrus and Caseous have not or not have seemaultaneously : les mêmes. Les heureux jours de la laiterie. «On régresse à pleins tubes» (D. Ferrer sic.) buy and buy (pour by and by) : toujours des problèmes d'argent.
Nous sommes en pleine utopie alimentaire.
risicide : tue le rire
obsoletely: temps passé
passably he: possibly be.
histry seeks and hidepence : seek and hide. L'argent est caché.
Duddy, Mutti : regression
twinsome bibs but hansome ates : encore les deux qui deviennent trois. Handsome is as handsome does : est bon celui qui agit bien.
shakespill and eggs : Shakespeare and eggs (à cause de: Bacon and eggs...)
I'm beyond Caesar outnullused: reprend la phrase de César Borgia: "aut Caesar aut nullus".
unbeurrable from age : insupportable avec l'âge; un fromage à manger sans beurre
pienefarte : to fart = péter
Caesar = Käse = fromage en allemand
Sweet Margareen: la conquérir avec des expressions latines.

Tout le passage n'est qu'un flot de produits laitiers et des jets d'excréments. C'est très enfantin tel que le voit une certaine psychanalyse.

Censure (tentation de)

Lors d'une conversation récente, un blogueur me soutenait qu'aujourd'hui Lolita ne serait pas publié: censuré, d'une censure particulièrement insidieuse puisque non pas exercée par le pouvoir politique mais par la peur des éditeurs.

Je découvre que le dernier livre d'Alan Moore, l'auteur des mythiques Watchmen et V pour Vendetta, a failli ne pas paraître en France:
Scandale aux Etats-Unis: Wendy de Peter Pan, Dorothy du Magicien d'Oz et Alice du Pays des merveilles parlent de sexe, d'opium et de psychanalyse1 […]Aux Etats-Unis, l'œuvre a fait scandale, au point que Moore est apparu dans les Simpson avec ses Filles perdues. […] L'odeur de soufre qui l'entoure a conduit Delcourt, son éditeur français, à annoncer qu'il renonçait à le publier, avant de revenir sur sa décision, créant un effet d'attente rarement vu dans ce milieu.

Romain Brethes dans Le Point, 20 mars 2008
D'un autre côté, comme le souligne la dernière phrase de l'extrait que je mets en ligne, parler de censure c'est aussitôt créer la rumeur et l'attente. C'était déjà le point commun des œuvres retenues par Jean-Jacques Pauvert dans son dernier tome de L'Anthologie des lectures érotiques: elles se définissaient davantage par rapport aux problèmes de publication qu'elles avaient rencontrés que par leur contenu "érotique".



Note

1ce qui n'est pas sans rappeler le réjouissant Contes à faire rougir les petits chaperons, de Pierre Enard. (Note de la blogueuse).

Obstination

En novembre 1915, les efforts en vue de trouver un éditeur pour Dédalus, dont la parution s'achevait dans l'Egoist de septembre, s'intensifièrent. Le roman avait été refusé en mai par Grant Richards, l'éditeur de Joyce (si tant est qu'on ait pu dire qu'il en eût un). Martin Secker le refusa en juillet et Herbert Jenkins en octobre (Pound écrivit à Joyce par la suite que Secker «pensait que Dédalus était du bon travail mais ne croyait pas à sa réussite financière»). Lorsque Joyce dit à Pinker de retirer le manuscrit des mains de Duckworthet de l'envoyer à l'éditeur français Louis Conard, Pinker et Pound l'en dissuadèrent. En novembre, Miss Harriet Weaver offrit de le faire publier aux frais de l'Egoist, mais elle ne put trouver un imprimeur pour le faire (selon la loi anglaise non seulement l'auteur et l'éditeur mais aussi l'imprimeur sont passibles de poursuites). Pound et Pinker continuèrent de chercher un éditeur commercial.

présentation de Forrest Read
in Lettres d'Ezra Pound à James Joyce, p.69




Si tous les imprimeurs refusent de faire votre roman je dirai à Miss Weaver de le publier avec des blancs et puis nous mettrons et collerons à ces endroits les passages supprimés, tapés à la machine sur un bon papier. Même si je dois le faire moi-même.

lettre de Pound datée du 16 mars 1916
Op. cit., p.85

Blasphème

A l'occasion de cette proposition de loi, j'ai recherché la définition du mot blasphème:

BLASPHÈME, subst. masc.
Parole, discours outrageant à l'égard de la divinité, de la religion, de tout ce qui est considéré comme sacré.
(Trésor de la langue française informatisé)

Ce serait amusant à appliquer, comme loi.
Je propose de commencer un catalogue des textes à censurer.

Ici, l'ascension des fidèles vers le Ciel est comparée à la queue serpentant devant des toilettes publiques. Offensant.

dame âgée au chapeau de paille noire avec un nœud violet type avec un nez comme un bec type avec une casquette à petits carreaux une jeune femme blonde très fardée, le contraste entre l'immobilité des personnages et le lent mouvement d'ascension leur conférant une sorte d'irréalité macabre comme sur cette image du livre de catéchisme où l'on pouvait voir une longue procession ascendante de personnages immobiles figés les uns simplement debout d'autres une jambe repliée un pied un peu plus haut que l'autre comme reposant sur une marche d'escalier constitué par les volutes d'un nuage s'étirant s'élevant en plan incliné des vieillards appuyés sur des cannes des enfants je me rappelle une femme drapée dans une sorte de péplum enveloppant d'un de ses bras les épaules d'un jeune garçon bouclé sur lequel elle se penchait l'autre bras levé d'une main à l'index tendu vers la Gloire et les Nuées et derrière eux il en venait toujours d'autres montant vers Sa lumière tous suivant la direction indiquée par cette main impérieuse comme celles (ou quelquefois seulement une flèche) qui sur les parois indiquent HOMMES ou DAMES dans l'odeur ammoniacale d'urine et de désinfectant le silence souterrain ponctué à intervalles réguliers par les bruits des chasses d'eau à déclenchement automatique tous à la queu leu leu errant dans les corridors compliqués de ce comment appelle-t-on l'endroit où vont les petits enfants morts sans avoir été baptisés? aux étincelantes voûtes de céramique blanche jusqu'à ce qu'Il les appelle enfin à lui s'élevant alors en longues théories de complet vestons et de robes désuètes chantant Sa gloire arrachés sauvés du sein de la terre les yeux clignotants dans la lumière retrouvée tous les âges et toutes les professions mêlés 1 jeune femme 1 jeune homme à lunettes 1 ménagère 2 écoliers 1 long type maigre 1 couple 2 ouvriers l'un portant un veston marron fatigué sur des blue jeans l'autre une salopette belge.

Claude Simon, La Bataille de Pharsale, p.15

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