Billets qui ont 'livres pour enfant' comme mot-clé ou genre.

Les livres pour enfants et les livres pour vieillards

La question avait été soulevée ici, dans les commentaires:

il y a une chose avec laquelle je ne suis pas d'accord (et c'est J.K. Rowling qui l'a dit, dès les premiers tomes, quand on lui a reproché de faire des trusc un peu violents pour des enfants :) ce [la saga Harry Potter] ne sont PAS des livres pour les enfants [...]

Personnellement, je ne comprends pas plus la catégorie "livres pour enfants" que celle, si elle existait, de "livres pour vieillards".

Si les Harry Potter ne sont pas des livres pour enfants, ce sont des livres ratés, ou disons, des livres qui n'existent pas.
Avec son habituel goût de la provocation, Orimont fait un parallèle avec "les livres pour vieillards", supposant la catégorie impossible.

Je vais esquisser une réponse en deux temps, d'une part pour soutenir que les livres pour enfants existent, mais qu'on peut sans doute étendre la catégorie à tout ce que j'appellerais "para-littérature", et d'autre part que je conçois parfaitement "des livres pour vieillards", qui sont tout simplement les livres de la maturité.
Ne faites pas de ces quelques réflexions une profession de foi, il ne s'agit que de quelques pistes rapidement jetées.

Je caractériserais la littérature pour enfants (ou les livres pour enfants: les deux sont ici confondus) par une forme : un récit linéaire s'acheminant vers une fin le plus souvent heureuse et morale, et par une qualité plus difficile à définir : la vitesse de lecture.
Le livre pour enfants se lit vite, très vite, les mots ne résistent pas à un lecteur adulte entraîné (et c'est bien pour cela que de nombreux lecteurs français qu'on imaginerait pas lire Harry Potter le lisent en anglais : ainsi le texte résiste davantage. (Seraient-ils capables de le lire en français?))
Cette caractéristique est partagée par les romans de gare, les romans policiers, les romans de cape et d'épée, les romans de science-fiction... tous livres de lecture agréable, mais qui ne "résistent" pas, qui ne se lisent que dans un sens, tendu vers leur dénouement, et sont donc peu nourrissants.
Bien entendu, il s'agit d'un critère éminemment subjectif, et il conviendrait peut-être davantage de parler d'âge "littéraire" du lecteur: il est tout à fait possible d'imaginer des lecteurs d'un âge biologique avancé coincé à un âge littéraire enfant ou adolescent ou midinette.

Certains s'en moquent ou s'en désolent. Il me semble que c'est juste une question de temps, de parcours, d'éducation du goût, comme dans tous les arts: tout n'est pas accessible immédiatement, mais une fois qu'on a pris goût au meilleur, il est difficile de faire machine arrière. Cependant, on garde toujours beaucoup d'indulgence pour ses premières lectures : il est logique et sain que l'affection pour un texte ne soit pas uniquement une affaire de jugement esthétique, mais qu'un livre se charge de souvenirs de lecture.

Certains lecteurs atteignent des "âges littéraires" avancés. Leurs lectures sont donc des "lectures de vieillards". Ce sont des textes qui ne racontent rien, ou pas grand chose («Ceux qui lisent un livre pour savoir si la baronne épousera le vicomte seront dupés», écrivait déjà Flaubert en 1879), qui ne sont pas tendus vers leur fin mais entièrement contenus dans le présent de la lecture, des textes dont l'épaisseur se déploie dans chaque phrase, chaque paragraphe, si bien qu'ils peuvent être longs à lire, parce qu'on regarde par la fenêtre, on rêve, on se souvient, on réfléchit, on soupèse... Pensez à Borges, par exemple. Dans cet âge de la maturité, les romans perdent de leur importance en tant que roman, récit ou "histoire", le lecteur ayant appris que la vie est plus foisonnante que le plus palpitant des romans: ce qu'il recherche, c'est un éclairage, une mise en ordre du monde (y compris pour en souligner l'absurdité (cf. Beckett, par exemple)), la reconnaissance de certains motifs ou au contraire la désorientation. Lectures de la maturité, sans aucun doute, même s'ils peuvent toucher de "jeunes" lecteurs: ce sont quoi qu'il arrive des livres qu'on relit.


PS: il me faut mentionner les lecteurs qui lisent vite des livres destinés à être lus lentement, ou plus lentement, — et s'en targuent. Personnellement, se vanter de "lire vite", comme un exploit, Claude Simon ou Henry James, me semble bien plus incompréhensible (et infantile, de mon point de vue) qu'un goût pour Amélie Nothomb ou une tocade pour Harry Potter ou l'héroïc fantasy.

Actualité et fiction II

Quelques jours auparavant, j'avais également relevé ce genre de coïncidence entre la fiction et la réalité.

Des collégiens lyonnais inventent la rixe spectacle
Un élève de 15 ans a été sérieusement blessé lors d'une bagarre organisée à la manière d'une rencontre payante.
[...] L'affrontement entre un élève de troisième et un autre de quatrième aurait pour origine un différend verbal survenu quelques jours auparavant au collège. On parle d'une banale histoire de tee-shirt porté par la victime. Rendez-vous a été pris, en tout cas, pour une explication musclée après la classe. La rumeur se répand alors comme une traînée de poudre dans le collège et jusque dans les établissements voisins. Selon la plainte déposée par la victime, un élève renvoyé deux ans plus tôt aurait même joué les organisateurs, faisant payer pour assister au «spectacle».
Deux jours plus tard, le jeudi 19 avril, une quarantaine de garçons et de filles élèves du collège Vendôme, mais également inscrits dans d'autres établissements, se retrouvent finalement dans la cour d'immeuble où le garçon menacé reçoit la correction promise. Certains filment même la scène avec leur téléphone portable. Le collégien de troisième, âgé de 15 ans, reçoit des coups de poing au visage qui lui fracturent la mâchoire. Toujours hospitalisé, il lui a été prescrit une immobilisation de quarante-cinq jours.

Frédéric Poignard, in Le Figaro du 2 mai 07


Une variante de cette scène est décrite dans La guerre des chocolats, de Robert Cormier. Cormier est un excellent auteur de l'Ecole des loisirs, et autant les Bébés de farine sont vraiment un livre pour enfants, autant tout le monde peut être intéressé par La guerre des chocolats, ne serait-ce que pour savoir ce qu'il est prévu de faire lire aux adolescents. Ce livre me rappelle par bien des aspects Sa majesté des mouches, de Golding, à cela près qu'il se déroule dans un contexte scolaire, et que la lâcheté, voire la cruauté et la bêtise, des adultes ont largement leur part de responsabilité dans l'enfer que devient progressivement le lycée.

Archie dirige une bande de mauvais garçons qui font la pluie et le beau temps à Trinity College. Ce qui fait la force d'Archie, c'est son imagination démoniaque et son intuitive connaissance des motivations des gens. Il organise un combat entre Janza, la brute de l'école, et Renault, un élève qui a résisté à Archie en refusant de vendre des chocolats pour la fête de l'école.

Les billets de tombola se vendaient comme des photos pornos.
[...]
Ces billets de loterie.
Oh! la! la! Terrible!
Archie n'en avait pas encore vu un de rempli et il arrêta l'un des vendeurs recrutés par Brian Cochran.
«Voyons!» dit Archie, en tendant la main.
Le gars fut rapide à s'exécuter et Archie fut content de sa soumission. Je suis Archie. Mon désir est un ordre.
Au milieu des spectateurs agités et bruyants, Archie regarda le papier. Dessus étaient écrits les mots suivants:
Janza
Un direct du droit dans la mâchoire
Jimmy Demers
Voilà la beauté de cette loterie, simple, étonnante, le genre de tour inattendu qui faisait la renommée d'Archie Costello car on était toujours sûr qu'Archie pouvait se surpasser. D'un seul coup, Archie avait forcé Renault à se montrer, à s'impliquer dans la vente des chocolats et l'avait mis aussi à la merci de l'école et des élèves. Les combattants sur l'estrade n'auraient aucune volonté propre. Il faudrait qu'ils se battent comme les spectateurs l'exigeaient. Tous ceux qui avaient acheté un billet — et qui aurait refusé? — avaient l'occasion d'être impliqués dans ce combat, et d'observer deux types se battre à une distance suffisante, sans danger de recevoir des coups. La difficulté avait été d'amener Renault ici, ce soir. Une fois sur l'estrade, Archie savait qu'il ne pouvait pas refuser de continuer, même en entendant parler des billets. Et c'est ainsi que ça s'était déroulé. Magnifique.
Carter s'approcha. «Ils se vendent pour de bon, Archie,», dit-il. Carter appréciait l'idée du combat. Il adorait la boxe. Il avait d'ailleurs acheté deux billets et s'était bien amusé à chercher quels coups demander. Il s'était finalement décidé pour un crochet du droit dans la mâchoire et un uppercut. Au dernier moment, il avait failli assigner les coups à Renault — pour donner une chance au gars. Mais Obie était près de lui, Obie qui met toujours son nez dans les affaires des autres. Alors Carter avait inscrit le nom de Janza. Janza la bête, toujours prête à sauter si Archie lui disait de sauter.

Robert Cormier, La guerre des chocolats, p.194 et suiv.


Cormier est également l'auteur d'un excellent livre de science-fiction, L'éclipse, l'histoire d'un jeune garçon qui découvre qu'il peut devenir invisible.

Parcours en 6 x 4 livres

Pour une fois, voilà un questionnaire qui fait vraiment plaisir. Quatre, c'est tout de même peu, à chaque fois.

D'abord puisqu'il faut bien commencer :
Méthode Boscher ou La journée des tout petits, M Boscher.

Les 4 livres de mon enfance :

Ce sont plutôt des séries.

  • Les filles de Malory school d'Enid Blyton (six livres en bibliothèque rose)
  • Les chroniques de Narnia de C.S. Lewis (enfin, les deux tomes traduits en français à l'époque, les cinq autres en anglais, à 20 ans...)
  • Langelot
  • Le bracelet de vermeil et la saga du prince Éric de Serge Dalens dans la collection Signes de piste

Entre l'enfance et l'adolescence :

  • Le Seigneur des Anneaux
  • Anouilh et Giraudoux (avec une prédilection pour Ondine)
  • La Chartreuse de Parme
  • Jules Laforgue

Les 4 écrivains que je lirai et relirai encore :

Simone Weil, Evguenia Guinzburg, Baudelaire, Renaud Camus

Les 4 auteurs que je ne lirai probablement plus jamais :

Ce ne sont pas des auteurs.

  • San-Antonio (mais je veille jalousement sur ma collection)
  • SAS
  • Les anthologies érotiques de Pauvert (parce que je suis enfin délivrée de l'obsession de "ne pas paraître coincée", que je m'en fous et que je peux enfin dire que tout cela me navre par son côté factice, par l'aspect prévisible de la volonté de faire dans l'inattendu et l'inouï (mais je ne regrette pas de les avoir lues, très utile.))
  • La série des Fondation d'Asimov

Les 4 premiers livres de ma liste à lire :

Une chose est certaine: quels que soient les malheureux livres que je vais désigner, il y a peu de chance pour que ce soient eux que je lise effectivement dans les jours qui viennent. L'expérience m'a appris que je ne peux pas me tenir à une liste, et qu'il suffit que je prévois une chose pour que j'en lise une autre.

  • Le tome II du Journal de Travers
  • L'Amour l'Automne
  • Cours de philosophie en six heures et quart, de Witold Grombrowicz
  • prendre le temps de finir les quatre ou cinq tomes restants de l'Histoire des deux Restaurations du vicomte de Vaulabelle

Les 4 livres que j'emporterais sur une île déserte :

Donc disposant d'un temps infini, je suppose (je préfère une cellule de moine, je déteste la chaleur).

  • Un roman policier en allemand acheté il y a une éternité pour "me remettre à l'allemand" : Happy birthday, Türke, de Jakob Arjouni
  • La Divine comédie en version bilingue (puisque je suppose que je vais avoir beaucoup de temps)
  • Shakespeare également en bilingue
  • Les poèmes de Baudelaire dans la Pléiade

Les derniers mots d'un de mes livres préférés :

Je suis malade et n'ai plus longtemps à vivre. J'emporte de nombreux secrets avec moi, Janey. Ce que je suis et ce que j'aurais pu être.
Je ne suis pas aussi noire qu'on m'a dépeinte. Je veux que tu le croies.
Mes yeux m'ont privée du plaisir que je pouvais prendre à regarder ta photo. Je ne peux plus voir pour écrire. Je dois te dire quelque chose. Si jamais tu viens ici, répare ma vieille maison et ne manque pas d'aller trouver le général Allen, de Billings. C'est un bon ami.
Il y a quelque chose que je devrais te confesser, mais je ne peux tout simplement pas. Je l'emporterai dans ma tombe : pardonne-moi et songe que j'étais solitaire.

Calamity Jane, Lettres à sa fille (1877-1902), coll Points virgule.

La fille de Calamity Jane reçut ces lettres dix ans après la mort de sa mère, apprenant du même coup qu'elle était adoptée.


Je passe le relais à Guillaume et in girum.

ajout le 19 mai 2007

Zut alors, c'est vraiment un jeu cruel, à voir les réponses des uns et des autres il y a tant de noms qui remontent. Je crois que j'ai lu toute la bibliothèque verte et les plus grands classiques de la bibliothèque rose, et la Rouge et or souveraine, et la collection Fantasia... Je m'ennuyais beaucoup, beaucoup, beaucoup. Ensuite je suis passé aux Pearl Buck, aux Cronin, à Troyat, à tous les poches des années 50 et 60 aux tranches colorées qu'on trouvait chez les amis de mes parents (chez moi il n'y avait rien. Je n'ai pas choisi, c'était le goût des autres, ou leurs études: Sartre, Claudel, Mauriac... Jack London, bien sûr. Bah, il y en a vraiment trop.

Ce qu'on apprend à nos enfants pendant que nous avons le dos tourné

— Mon fils est devenu fou !
— Ce sont les pauvres qui sont fous ! Les riches sont excentriques !
— Balthazar est excentrique à lier !

Picsou hors-série, avril 1998 (la graisse est d'origine.)


(Je sais, je sais. Ça traînait dans les WC.)

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