Billets qui ont 'sens de la vie' comme mot-clé.

Viles bodies

C'est un étrange livre, drôle et triste à la fois. Rien n'est grave — mais tout est tragique.

Génération d'entre-deux guerres, jeunesse dorée qui s'enivre d'alcool, de vitesse et de nouveautés techniques (le cinéma, les voitures, les montgolfières), pouvoir de la presse qui fait et défait la mode, politiciens qui croient encore que leurs "secrets d'Etat" gouvernent le monde, sensualité permanente, peinture tendre et acide d'une vie vidée de son sens.

L'état d'esprit de cette génération d'entre-deux guerres est analysée par le père jésuite qui ouvre le roman (dans sa préface, Evelyn Whaugh précisera curieusement qu'il n'avait jamais rencontré de jésuite avant d'écrire son livre).
[…] 'My private schoolmaster used to say, "If a thing's worth doing at all, it's worth doing well." My Church has taught that in different words for several centuries. But these young people have got hold of another end of the stick, and for all we know it may be the right one. They say, "If a thing's not worth doing well, it's not worth doing at all." It makes everything very difficult for them.'
'Good heavens, I should think it did. What a darned silly principle. I mean to say, if one didn't do anything that wasn't worth doing well, why, what would one do?'
Evelyn Waugh, Viles Bodies, p.111


J'ai eu l'impression de lire la face glamour et pailletée du monde sinistre décrit par D.H Lawrence. Les deux livres décrivent une même Angleterre désenchantée, perdue dans un monde trop industriel et technique, mais tandis qu'Evelyn Waugh refuse de se prendre au sérieux et ne condamne pas véritablement ce nouveau mode de vivre (tout au plus en souligne-t-il les ridicules et les paradoxes; mais, semble-t-il dire, le monde précédent avait aussi ses défauts) , D.H. Lawrence écrit un livre épouvantablement grave qui prône une sorte de retour à l'homme primitif, proche de la terre et refusant l'industrialisation.
— Tous. Leur nerf est mort. Les autos, les cinémas, les aéroplanes leur sucent tout ce qui leur reste. Croyez-moi: chaque génération engendre une génération plus abâtardie, avec des tubes de caoutchouc en guise de boyaux, et des jambes et des visages de fer-blanc! C'est une sorte de bolchevisme qui est en train de tuer tranquillement la chose humaine pour adorer la chose mécanique. L'argent, l'argent, l'argent! Tout le monde moderne n'a qu'une idée au fond, c'est de tuer chez l'homme le vieux sentiment humain, et de hacher le vieil Adam et la vieille Ève en chair à pâté. Ils sont tous les mêmes. Tout le monde fait la même chose: anéantir la réalité humaine: une livre pour chaque prépuce, deux livres pour chaque paire de couilles! L'amour même n'est qu'une machine à baiser. C'est partout la même chose. Donnez-leur de l'argent, de l'argent, de l'argent, pour enlever tout le nerf de l'humanité et ne laisser que de petites machines trépidantes!»
D.H. Lawrence, L'Amant de lady Chatterley, chapitre XV
A tout prendre je préfère Evelyn Waugh, c'est plus amusant et plus léger, et par là même, plus courageux.

Complétude du présent

Les engouements de nos amis deviennent nos curiosités.
Je lis distraitement un texte de Sollers écrit à l'occasion de la parution de Principes de sagesse et de folie de Clément Rosset.
Quelques lignes font curieusement écho à mes lectures en cours.
Retournant l'expérience de Sartre dans la Nausée, Rosset a raison de dire que «le sentiment de l'existence peut être décrit comme un coup de foudre». On répond à ce «coup» par la nausée, justement (et ses corollaires dépressifs ou mélancoliques : «Tout est de trop!»), ou bien par la jubilation, la surprise. «Le jouisseur d'existence - l'homme heureux - se reconnaît à ceci qu'il ne demande jamais autre chose que ce qui existe pour lui ici et maintenant. " Il " souhaite l'infinie multiplication des choses qui existent».

extrait d'un article de Philipe Sollers sur Clément Rosset dans Le Monde du 6 mars 1992

C'était terrible à dire (il remit son chapeau), mais à son âge, cinquante-trois ans, on avait presque plus besoin des gens. La vie à elle seule, chaque seconde, chaque goutte de vie, l'instant présent, là, maintenant, au soleil, à Regent's Park, cela suffisait. C'était même trop. Une vie entière, c'était trop court pour en faire ressortir, maintenant qu'on en avait la faculté, la pleine saveur. Extraire la moindre once de plaisir, la moindre nuance de sens, devenus, plaisir aussi bien que sens, beaucoup plus tangibles que jadis, beaucoup moins personnels.

Virginia Woolf, Mrs Dalloway, Folio, p.165
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