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Comment vivre avec vingt-quatre heures par jour ?

Le titre est un pastiche des titres du genre Comment vivre avec cinq euros par jour. Ecrit en 1910, c'est l'ancêtre des livres de développement personnel, avec la particularité d'être écrit par un Anglais : un livre de self-help à l'humour british.

La méthode tient en une phrase : apprenez à vous concentrer. Le but : devenir spécialiste dans un domaine aimé en y consacrant une heure et demie trois soirs par semaine.

Le plus étonnant : l'auteur considère que le but le plus haut qu'on puisse se proposer est l'étude de la poésie.
En revanche, lire des romans ne présente pas d'intérêt particulier car cela ne demande aucun effort (or le but est de s'améliorer).
Mais si vous n'aimez pas la poésie, concentrez-vous sur le domaine de votre choix.


De quoi l'écouter en anglais.

Deux lectures recommandées par ce livre (je ne vérifie pas si elles existent en français):
- William Hazlitt, On poetry in general (Hazlitt n'a même pas une page wikipedia en français).
- Elizabeth Browning, Aurora Leigh

Paradoxe temporel

Je pense que fondamentalement, je suis toujours disponible et toujours très occupé.

Hervé Le Tellier, Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable, p.50

Origine du titre "Le Temps immobile"

>Paris, jeudi 1er mai 1969 >Cet article sur Présent passé... d'Eugène Ionesco a depuis été repris pp. 205-207 de la réédition de l'''Allitérature contemporaine'' dont je viens de signer le service de presse. J'y lis ceci qui montre à quel point et avec quelle continuité le même thème me hante: >''Aussi bien, n'est-ce pas la politique qui nous a le plus intéressé dans cette recherche passionnée et désespérée du temps perdu. De l'ouvrage analogue que je souhaite composer un jour, comme un film, en montant des fragments de journal, éloignés les uns des autres dans la durée mais proches par leur thèmes, il n'existe que la matière première et le titre — qui pourrait être celui de ce livre-ci d'Eugène Ionesco: ''le Temps immobile''. (Mais j'ai publié deux autres œuvres qui pourraient, elles aussi, s'intituler ''le Temps immobile'': l'une, romanesque, ''le Dialogue intérieur'', l'autre, critique, ''De la littérature à l'alittérature''.)'' >Claude Mauriac, ''Le Temps immobile'', p.408 Pour mémoire, la première édition de l'Allitérature contemporaine date de 1958.

Début du Temps immobile (?)

Paris, jeudi 24 octobre 1968

…Ainsi me suis-je trompé en écrivant il y a quelques jours, à propos de Présent passé, passé présent d'Eugène Ionesco, que "plus nous vieillissons, plus notre enfance nous redevient présente…" . Je parlais de l'enfance, il est vrai, et je n'étais plus un enfant en 1930.

Cet article, paru dans Le Figaro du 14 octobre 1968, doit être évoqué ici pour une autre raison encore. C'est en l'écrivant (après avoir lu Ionesco) que mon ancien projet de composer le Temps immobile s'est de nouveau imposé à moi et de façon telle que j'en ai vraiment commencé la réalisation. J'espère, cette fois, non le mener à son terme (il s'agit d'une entreprise interminable) mais le conduire assez loin si le temps n'en est laissé.

Et voici que je mesure ma chance: j'ai noté, moi, sinon tout, du moins beaucoup de ce que, de jour en jour, a perdu Eugène Ionesco, et depuis tellement longtemps que je dispose de matériaux si considérables qu'ils m'écrasent. Moins long de la moitié, mon Journal serait moitié plus utilisable.

Claude Mauriac, Le Temps immobile, p.407

Le temps qui nous reste

Vu les astres par la lunette chez Mion qui nous dit que nous n'en avons plus que pour cinq milliards d'années, que nous avons déjà brûlé les trois quarts de notre temps.

Gérard Pesson, Cran d'arrêt du beau temps, p.29

Promenade au phare

La structure est simple: unité de lieu, une maison de vacances au bord de la mer; trois périodes, une journée, plusieurs années (cinq ou six), une journée.

La description des lieux et des personnages est donné par les impressions des personnages, leurs sensations et leurs sentiments, la narration glissant sans heurt d'un narrateur à l'autre et changeant les points de vue.
Lorsque la maison est vide, la description est prise en charge soit par l'auteur, soit par les femmes de ménage, et ce sont la lumière, les ténèbres, les courants d'air, qui deviennent personnages. L'effet est inattendu:
Rien ne bougeait dans la salle à manger, l'escalier. Toutefois, par les gonds rouillés et les boiseries gonflées et saturées d'humidité marine, certains airs, détachés de la masse du vent (la maison tombait en ruine après tout) s'insinuèrent par les coins et se risquèrent à entrer. Pour un peu, il était possible de les imaginer, pénétrant dans le salon, questionnant, s'étonnant, faisant un jeu de cette palpitation du papier peint décollé, demandant: allait-il tenir encore longtemps, quand allait-il tomber?

Virginia Woolf, Promenade au phare, partie II chapitre 2, traduction de Magali Merle pour La Pochothèque.
Le sujet du livre n'est rien, ou presque rien: la vie, les ambitions des uns et des autres, le mariage (nécessaire ou pas à une vie heureuse?), la difficulté de créer, la tyrannie d'un père de famille dans lequel on reconnaît des traits du père de Virginia Woolf, la façon dont le temps passe, mais aussi la façon dont certains instants restent à jamais gravés en nous. C'est d'ailleurs le savoir-faire de Mrs Ramsay, l'héroïne du roman: immobiliser le temps. «Mrs Ramsay faisant de l'instant quelque chose de permanent»1 réalise dans sa vie de ménagère l'ambition de l'artiste, provoquant admiration et jalousie inconsciente.

L'humour, parfois l'ironie, de Virginia Woolf, est constant, elle effleure avec légèreté la vie, la mort, les déceptions, et peint à merveille l'évolution des sentiments au sein d'un même être au contact d'un autre (on songe au ''Planétarium'' de Sarraute à venir). Les objets et les autres, tout influe sur nos sensations, et nos sentiments font changer notre point de vue sur les objets et les autres: l'interaction est constante et sans fin.
Cette clé de lecture nous est clairement donnée dès la première page:
Comme il appartenait, à l'âge de six ans déjà, à cette grande tribu où l'on est incapable d'endiguer le flot de sentiments, et obstiné à laisser les perspectives d'avenir, avec leur cortège de joies et de peines, obscurcir la réalité palpable; comme chez ces personnes, même en leur prime enfance, la moindre oscillation de la roue des sensations peut cristalliser et pétrifier l'instant qu'elle enténèbre ou illumine, James Ramsay, assis par terre à découper des images dans le catalogue illustré des «Army and Navy Stores», encercla celle d'un réfrigérateur, tandis que sa mère parlait, d'une aura de divine félicité; d'un liseré de joie.

Ibid, première page.
Un exemple de l'humour de Virginia Woolf et de son procédé qui consiste à rendre par des images matérielles et fantasques des sentiments et des sensations:
Il contempla avec satisfaction son pied, le tenant toujours en l'air. Ils avaient abordés, sentit-elle, une île ensoleillée où résidait la paix, où régnait la santé de l'esprit, sous un soleil éternel, l'île bénie des bonnes chaussures.
Ibid, partie III, ch.2
Les passages décrivant à deux reprises, (à des années d'intervalle pour le personnage) la difficulté de peindre, la difficulté de convertir ce qu'on voit et ce qu'on sent en réalité sur une toile, sont magnifiques. L'écart entre la démesure de la question et l'humilité de la réponse est terrible:
«Comme une œuvre d'art», répéta-t-elle, son regard allant de la toile aux marches du salon et retour. Il lui fallait se reposer un instant. Et pendant cet instant de repos, tandis que son regard allait vaguement d'un objet à l'autre, la vieille question qui continuellement traverse le ciel de la pensée, la vaste question, générale, sujette à se préciser en de tels moments, où elle donnait libre essor à des facultés dont elle avait beaucoup exigé, vint se présenter au-dessus d'elle, s'arrêter, s'obscurcir, au-dessus d'elle. Quel est le sens de la vie? Rien de plus — question simple; qui tendait à vous cerner de toutes parts au fur à mesure des années. La grande révélation n'était jamais venue. Peut-être la grande révélation ne venait-elle jamais. À sa place, de petits miracles quotidiens, des illuminations, des allumettes inopinément craquées dans le noir, en cet instant, par exemple.

Ibid, partie III, ch.3




Note
1 : partie III chapitre 3

Nemo

Le poisson rouge (nom vulgaire du carasson doré (nom prétentieux de la carpe dont il est une variété naine)) pourrait bien m'entraîner très loin de de notre passionnante histoire, dans sa ronde amnésique. Je rêve d'un tel héros sans aventure qui accomplirait le réel exploit de remplir ses journées sans les occuper à rien —car enfin le mérite est moindre d'arriver jusqu'au soir en affrontant des géants tout le jour, distraction puissante qui ne laisse guère le loisir d'éprouver le vide, le temps pur et la répétition, j'ai nommé les trois abîmes qu'une existence consciente doit pouvoir sonder sans défaillir: le poisson rouge est le ludion qui nous accompagne dans ce voyage dépourvu de péripéties, il est notre seul animal vraiment familier; en échange d'une pincée quotidienne de daphnies, il nous démontre que le néant de toute chose est non seulement habitable mais qu'il n'est pas impossible d'y atteindre une forme de béatitude, laquelle on s'emploiera dès lors à perpétuer en décrivant inlassablement des 8, épousant ce mouvement jusqu'à faire corps avec lui puisque le signe de l'infini figure aussi un poisson, schématique, tête et queue indifférenciées, mais ainsi tout à fait suffisant.

Il était une fois un poisson rouge.
Et le lendemain?
Aussi.

Eric Chevillard, Le vaillant petit Tailleur

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