Billets qui ont 'photographie' comme genre.

Une journée peu ordinaire, l'art dans le quotidien d'un hôpital psychiatrique

Ce livre est très mince, davantage une plaquette qu'un livre. Il raconte une expérience théâtrale en hôpital psychiatrique: l'écriture et la représentation d'une très courte scène destinée à être jouée devant les malades, leurs familles et le personnel de l'hôpital. Il présente également les réflexions des participants à cette expérience, conscients des enjeux de cette mise à distance de la maladie: le jeu permet d'atteindre une réalité plus complète de tous les acteurs (acteurs: non pas pas acteurs de théâtre mais acteurs de leur vie), réalité morcelée au quotidien. Par la transversalité cette expérience vise à rétablir une unité, et donc une dignité, de la personne humaine.

Les questions posées sont multiples mais simples à énoncer: comment prendre en compte le corps et l'esprit du malade découpés entre les différents soins et les différents intervenants, comment raconter la douleur et la tension à la fois des malades et des soignants, comment témoigner du danger d'une déshumanisation de l'être humain telle qu'ont pu l'anticiper Foucault et Huxley dans un monde soucieux de rentabilité et de normalisation?

Benoît Lepecq a relevé le défi d'écrire une pièce très courte de dix minutes, synthèse des témoignages de deux infirmières à propos de l'injection forcée à un patient refusant les soins. Il a choisi de jouer tous les personnages, un bonnet suffisant à basculer du malade à l'infirmier.

Ce travail théâtral est un travail à la source du théâtre, travail sur la catharsis et le tabou, qui prend le risque de dire ce que tout le monde sait mais que personne ne veut dire, ex-primer:
Après tout, n'est-ce pas risqué, en plein hôpital psychiatrique, de rendre compte d'une réalité connue de tous mais dont l'institution se méfie? On dira: «La fiction a bon dos. Elle nous présente un tableau caricatural. Très peu pour nous.» Ou encore: «Quelle issue veut-on apporter apporter à ce qui n'en a pas?» Il s'agit, le temps de dix éternelles ou fulgurantes minutes, d'opérer une sorte de catharsis: purger les passions que nous nous faison du tabou. C'est le rôle du théâtre. Il faut que quelque chose, crainte ou pitié, soit expurgée.

Benoît Lepecq, Une journée peu ordinaire, p.23
Et si cette pièce est avant tout destinée aux malades et aux soignants, elle est l'occasion d'une réflexion sur le théâtre, l'homme et la société.
Pour moi il y a quelque chose dans le travail que vous avez fait — toi et ces infirmières qui ont collecté des paroles liées à des moments extrêmement difficiles de leur travail où elles sont prises dans une injonction contradictoire — de l'ordre d'un concentré de ce que peut produire cet outil que tant de gens ont tant de mal à définir en permanence, et qui s'appelle le théâtre. […] Et quand un comédien incarne à la fois un individu et la collectivité, alors on comprend immédiatement ce qui se joue, et c'est une déchirure de l'être humain. Et ça se joue parce que cet outil qui s'appelle le théâtre permet — avec un bonnet comme symbole — de basculer d'une monde à l'autre en une fraction de seconde. […] La psychanalyse et le théâtre ont ceci de commun qu'ils nous montrent que nous ne sommes jamais protégés d'aucun des aspects de l'être humain, donc que nous en avons toutes les possibilités. […]

Nicolas Roméas, directeur de la revue Cassandre Horschamp, partenaire du Relais Mutualiste.
Propos recueillis par Benoît Lepecq suite à la projection du film Une journée peu ordinaire au Vent se lève le samedi 17 avril 2010. (Ibid, p.61 à 73)


Le livre présente d'autre part des photographies d'Alexandra Feneux et le travail sonore de Sylvie Gasteau et Jean-Christophe Bardot.
Il est à commander sur le site du Relais Mutualiste.

Le blog de Günther

Je suivais avec fascination les albums de Günther sur Facebook. Thanks God il est passé sur Flickr.
(Thanks God, parce que nous savons que nos "profils" FB peuvent disparaître d'un jour à l'autre, sans explication).

D'autre part, Gunther a ouvert un blog sur l'art de Weimar.

Photographie et peinture

Barthes s'étonne du manque de ressemblance en photographie et en donne une explication inutilement alambiquée (souvent les explications de Barthes me paraissent inutilement alambiquées. Lorsque j'écoute le cours sur ''Le Neutre'', je suis prête à tout lui concéder, à cause de la douceur de sa voix, du calme de son débit, de son humour léger qui n'écrase pas, mais lorsque je le lis, j'ai parfois un peu de mal à comprendre l'engouement qu'il suscite):
Au fond, une photo ressemble à n'importe qui, sauf à celui qu'elle représente. Car la ressemblance renvoie à l'identité du sujet, chose dérisoire, purement civile, pénale même; elle le donne «en tant que lui-même» alors que je veux un sujet «tel qu'en lui-même».
Roland Barthes, La Chambre claire, p.160 (1980)
J'ai trouvé il y a quelques semaines une explication bien plus convaincante de ce manque de ressemblance:
[…] il ressemblait à ses photographies autant qu'un homme peut y ressembler (c'est-à-dire beaucoup moins qu'il ne ressemblait autrefois à ses portraits, parce que la photo saisit un moment de la vie et que le portrait est une synthèse) […].
Maurice Sachs, Alias, p.100 (1935), coll. L'imaginaire Gallimard, 2006
Cette explication est un bel hommage au travail des peintres. Peut-être est-ce ce travail de synthèse qui permet à Swann de retrouver autour de lui des visages de tableaux: à partir d'une synthèse, c'est toute une typologie qui peut se mettre en place.

17 mars 2009 : Du Journal de deuil à La Chambre claire

Antoine Compagnon m'a mise en colère durant la première moitié de son cours. Nous avons eu droit à une lecture suivie, pour ne pas dire une paraphrase, du Journal de deuil de Barthes, suivie de l'évocation d' Albertine disparue, pour s'entendre dire à la fois que Barthes rappelait à Compagnon le narrateur et ne s'entendre donner que des exemples contredisant cette hypothèse! Heureusement, la deuxième partie du cours prit la peine de tirer les conclusions logiques de ces contradictions absurdes.
J'ajouterai mes commentaires en italique.

Quand le chagrin atteint une certaine stabilité, on atteint un état de mélancolie. Il n'est pas facile de faire son deuil après avoir lu Deuil et mélancolie de Freud, où le deuil est décrit comme un chemin qui se termine pas le succès du deuil. Or Barthes n'a pas envie de ce succès. Il s'agit d'une lutte entre la vie et la mort.

Barthes évoque des moments de suspension du deuil, en utilisant les mots, fading, satori, vertige... Il parle de «passage de l'aile du définitif». On assiste ici à une quasi prophétie, puisque Barthes mourra sans avoir quitté cet état, qui donc pour lui aura bel et bien été définitif.
On songe à Baudelaire et au vent de l'aile de l'imbécillité, inversant la vieille image romantique de l'aile du vent, et à sa prémonition de l'accident cérébral à venir.

L'un des moments de suspension du deuil intervient dans le Paris désert du 15 août (et l'on pourrait alors songeait à Antiochus: «Dans l'Orient désert quel devint mon ennui!». Après le deuil émotif, c'est le moment de l'éternité atone.
On retrouve cette atonie dans ''Albertine disparue:

Car, si bien des souvenirs, qui étaient reliés à elle, avaient d’abord contribué à maintenir en moi le regret de sa mort, en retour le regret lui-même avait fixé les souvenirs. De sorte que la modification de mon état sentimental, préparée sans doute obscurément jour par jour par les désagrégations continues de l’oubli, mais réalisée brusquement dans son ensemble, me donna cette impression, que je me rappelle avoir éprouvée ce jour-là pour la première fois, du vide, de la suppression en moi de toute une portion de mes associations d’idées, qu’éprouve un homme dont une artère cérébrale depuis longtemps usée s’est rompue et chez lequel toute une partie de la mémoire est abolie ou paralysée.
Marcel Proust, La Fugitive, Pléiade, Pléiade Clarac t.3 p.592

Barthes note: «Le fait même que la langue me fournisse le mot intolérable me la rend tolérable.»

Ici, retour au moi "idem" et au moi "ipse", déjà vus. rappel des développements déjà vus: souvenirs successifs et épisodiques qui constituent de nouveaux Moi successifs. Il y a rupture entre le Moi précédent et le Moi successif. Cette rupture, c'est ce que refuse celui qui souffre.

remarque personnelle: je ne suis absolument pas d'accord avec cette idée que nos états successifs nous empêcheraient d'être un seul Moi. Les états successifs sont au Moi ce que les nuages sont au ciel: des états, pas une ontologie. Ce qui constitue l'identité, c'est la mémoire, dit Locke, et c'est bien ce que prouvent Stendhal ou Proust en se rappelant la mort de leur mère ou en trébuchant sur un pavé: tout souvenir les ramène intacts, identiques à eux-mêmes, au moment de l'événement, il n'y a pas de perte avec le temps. La puissance des souvenirs permet au Moi d'être imperméable au temps.
La seule perte d'identité, c'est la perte de mémoire, et l'exemple d'Henry James préfaçant des œuvres de jeunesse dont il ne se souvient pas en est encore une preuve: James est si bien devenu autre qu'il ne se souvient pas; s'il se souvenait, il serait le même. La mémoire est garante de la permanence du Moi par delà les états changeants de nos humeurs. Pour changer il faut oublier ou avoir oublié.
L'affollement produit par le deuil (affollement bien réel) est justement la crainte d'oublier le mort, le refus d'oublier le mort. Il est exact que nous ne voulons pas nous dessaisir de notre peine car nous ne voulons pas oublier. Mais il serait peut-être possible de rassurer celui qui souffre ainsi (si tant est qu'une expérience soit transmissible) en lui assurant qu'il n'oubliera pas qui il aime vraiment, et que lorsque la douleur se fera moins vive, ce qu'il aura oublié, c'est la mort, et non le mort.
En ce sens, aimer ne se conjugue qu'au présent.
D'ailleurs, à quoi assistons-nous depuis deux semaines? A la douleur d'Antoine Compagnon aimant Barthes et n'ayant rien oublié. Parler de Barthes, c'est retrouver la douceur de la présence d'un professeur très aimé. Nous sommes au présent.
Que fait-on quand on aime ainsi? On écrit La Chambre claire ou les Essais, on écrit des symphonies si on est Mahler, on donne des conférences au Collège de France pour évoquer son ami mort il y a trente ans (le thème de la première année de cours de Compagnon était un hommage explicite à Barthes)... Le temps n'a pas passé, tout est intact.

Le dédoublement est chez Proust une thématique courante. La plus connue est celle du valet de chambre des Goncourt: il réchappe par miracle à un incendie mais devient tout à fait un autre homme :

[...]e propre valet de chambre de Mme Verdurin qui, dans l’épouvante de cet incendie où il avait failli périr, était devenu un autre homme, ayant une écriture tellement changée qu’à la première lettre que ses maîtres, alors en Normandie, reçurent de lui leur annonçant l’événement, ils crurent à la mystification d’un farceur. Et pas seulement une autre écriture, selon Cottard, qui prétend que de sobre cet homme était devenu si abominablement pochard que Mme Verdurin avait été obligée de le renvoyer.
Marcel Proust, Le temps retrouvé, Pléiade Clarac t.3, p.716

La sortie du deuil est l'occasion de devenir un autre, avec le retour du récit reviennent les quiproquos. Par exemple, le narrateur ne reconnaît plus Gilberte, la prend pour Mlle de Forcheville mais écorche son nom en Mlle d'Eporcheville.

Barthes, lui, s'identifie plutôt qu deuil de la mère du narrateur lors de la mort de sa propre mère. Ici aussi on assiste à une transformation définitive que le narrateur ne constate et ne comprend qu'avec retard:

Pour la première fois je compris que ce regard fixe et sans pleurs (ce qui faisait que Françoise la plaignait peu) qu’elle avait depuis la mort de ma grand’mère était arrêté sur cette incompréhensible contradiction du souvenir et du néant. D’ailleurs, quoique toujours dans ses voiles noirs, plus habillée dans ce pays nouveau, j’étais plus frappé de la transformation qui s’était accomplie en elle. Ce n’est pas assez de dire qu’elle avait perdu toute gaîté ; fondue, figée en une sorte d’image implorante, elle semblait avoir peur d’offenser d’un mouvement trop brusque, d’un son de voix trop haut, la présence douloureuse qui ne la quittait pas. Mais surtout, dès que je la vis entrer, dans son manteau de crêpe, je m’aperçus – ce qui m’avait échappé à Paris – que ce n’était plus ma mère que j’avais sous les yeux, mais ma grand’mère. Comme dans les familles royales et ducales, à la mort du chef le fils prend son titre et, de duc d’Orléans, de prince de Tarente ou de prince des Laumes, devient roi de France, duc de la Trémoïlle, duc de Guermantes, ainsi souvent, par un avènement d’un autre ordre et de plus profonde origine, le mort saisit le vif qui devient son successeur ressemblant, le continuateur de sa vie interrompue.
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, Pléiade Clarac t2, p.769

De même, Bartes devient sa mère.
Les notes du journal s'éclaircissent au fur à mesure qu'il écrit La Chambre claire.
Pour Barthes, la photographie est l'anti-récit. Quand on relit La Chambre claire après le Journal de deuil, on s'aperçoit que la photographie est chargée des valeurs du deuil. Barthes cite Husserl:

Comme le monde réel, le monde filmique est soutenu par la présomption que «l'expérience continuera constamment à s'écouler dans le même style consécutif» (Husserl) ; mais la photographie, elle rompt le style consécutif (c'est là son étonnement ; elle est sans avenir (c'est là son pathétique, sa mélancolie; en elle aucune propension, alors que le cinéma, lui, est propensif et, des lors, nullement mélancolique. Immobile la photographie reflue de la représentation vers la rétention.
Roland Barthes, La Chambre claire, note 37, p.140

Ainsi cette continuité du monde est-elle la condition sine qua non du récit, tandis que la photographie est l'envers du récit.

Antoine Compagnon ouvre alors une parenthèse : cela est devenu une idée commune. [remarque personnelle: Evidemment, puisque personne ne réfléchit à la photographie de lui-même mais toujours à travers le filtre de Barthes!] La photographie est associée à la mort, elle ne permet pas le récit:

Et si la dialectique est cette pensée qui maîtrise le corruptible et convertit la négation de la mort en puissance de travail, alors, la Photographie est indialectique: elle est un théâtre dénaturé où la mort ne peut «se contempler», se réfléchir et s'intérioriser; ou encore: le théâtre mort de la Mort, la forclusion du Tragique; elle exclut toute purification, toute catharsis.
Ibid, p.141

Cependant, cette façon de voir les choses n'est pas obligatoire: on songe par exemple à Annie Ernaux et à sa façon de traiter la photo dans Les Années: il y a d'autres usages possibles de la photographie.
[remarque personnelle: j'ai l'impression que le Journal de deuil a en quelque sorte remis La Chambre claire a sa place, en permet une interprétation apaisée qui permet d'envisager de parler de la photographie autrement qu'à la manière de Barthes — au moins pour Compagnon: en d'autres termes, je ne suis pas sûre qu'il aurait prononcer ces phrases avant la lecture du Journal de deuil.]

A la sortie de La Chambre Claire, il ne se produit rien de comparable à la sortie du deuil d'Albertine, il n'y a pas de voyage à Venise, mais un retour à la mélancolie, au "A quoi bon?"
[remarque personnelle: S'il y a tant de différences avec Albertine, pourquoi dire que cela lui ressemble?! L'amour du narrateur pour Albertine m'a toujours paru un faux amour, un caprice, l'un de ses amours où l'on s'aime avant tout soi-même aimant.]

Antoine Compagnon conclut: d'une certaine façon, toute littérature est littérature de deuil: Montaigne (La Boétie), Stendhal, Proust, Barthes (la mère). Cela donne raison à Blanchot: seul le récit peut dire ce que le journal ne peut dire.

séminaire n°9 : Le projet et la méthode d'Annie Ernaux

Cette fois-ci, c'est moi qui ai failli partir. Ce n'est pas qu'Annie Ernaux ne fut pas claire, et exacte, c'est qu'il m'est venu une sorte d'écœurement à entendre un écrivain expliquer ce qu'elle avait voulu faire et la méthode, les techniques, qu'elle avait progressivement mises en place. C'est pourtant fascinant en théorie, mais je pensais au discours de Stockholm de Claude Simon, qui a parlé de tout sauf de lui-même.
Et puis quelqu'un qui écrit sous les auspice de Autant en emporte le vent, Vie et Destin et la Recherche du temps perdu, et l'avoue (parce que sans l'avouer, c'est toujours le cas, du moins j'espère), prend le risque de paraître un peu déplacée.


A. Ernaux écrit dans «un incessant bricolage», selon la formule de Levi-Strauss. Parler des textes écrits, c'est parler de ce qui n'existe plus. Pendant qu'on écrit, on est habité d'un puissant désir (qui cesse à la fin du livre) qui pourrait s'exprimer par «pourvu que rien ne m'arrive avant que j'ai fini".

Quel es l'objet des Années? Le désir était d'écrire une vie. Problème : comment écrire une vie?
Ce désir est venu de la vie elle-même. A 40 ans, Annie Ernaux a éprouvé deux stupeurs, banales en soi mais pas forcément évidentes pour tout le monde:

  • En allant chercher son fils qui passait des épreuves du bac à Ermont, elle a eu la vision très claire d'un jour où elle allait le chercher à la sortie de l'école maternelle, et cette question insistante: que s'est-il passé, que s'est-il passé entre les deux, comment était-elle arrivée là?
  • Elle a pris conscience de la grande mutation des valeurs, des modes de vie et surtout de la façon de vivre sa sexualité. Il fallait témoigner de ce passage, de ce qui a eu lieu et de ce qui est en train de se passer.

=> Comment écrire l'histoire et un moi? Comment articuler "À la recherche du temps perdu" et ''Autant en emporte le vent"?
Dans les années 90, Annie Ernaux a commencé à réfléchir à un roman total, RT.
Il s'agissait de fragments. L'écrivain des années 90 était plus proche de n'importe quelle jeune fille ayant un walkman sur les oreilles à la station des Halles que de la jeune fille q'elle avait été dans les années 50, agenouillée mantille sur la tête pendant la messe. => L'utilisation de ELLE s'est imposé (et non "je").

Proust : impression d'une intense proximité: son monde était encore le monde dans lequel Annie Ernaux avait vécu enfant et adolescente. [1]

Comment écrire une vie quand le moi apparaît comme autre?
Il s'agit d'une vie traversée par des discours: Montaigne, Rousseau, Proust, Sartre. Il s'agit d'exprimer la sensation.

Annie Ernaux a découvert que le motif de l'autobiographie objective était le repas de fête (comme rituel social). Il permet d'accoler les faits en refusant les chaînes d'explications.
Elle a refusé de s'appuyer sur des documents. Elle s'est appuyé sur la voix collective, ie. la mémoire historisque et sociale.
Le texte des Années n'est pas construit autour des photos
Cependant il y a quand même des photos: pourquoi?
- parce qu'il est impossible d'écrire purement du collectif ?
- parce que le moi veut s'inscrire à toute force ?
=> Non. C'est plutôt qu'il s'agit de transmettre le passage du temps dans quelqu'un. Retrouver le présent quand il n'était pas encore du passé et la vision de l'avenir vue de ce moment-là.

La photo: présent pour toujours (ni passé ni futur) : il est impossible de coïncider avec elle, c'est une façon d'en finir avec toute cohérence.

On pourrait aller chercher pourquoi. (voix off d'Annie Ernaux) : je ne vais jamais chercher pourquoi.

Il s'agit de saisir le temps pour sauver le moi. Mais est-ce si intéressant de sauver le moi? (ici j'ai entendu un cri d'angoisse.)

******************** Suivit une discussion dont j'ai surtout retenu que Compagnon s'étonnait d'avoir écrit à l'aveugle, sans rien connaître de son élaboration et de son projet, un article siiii juste sur le livre d'Annie Ernaux.

Notes

[1] Mais est-ce si exceptionnel? J'ai des Françoises dans ma famille, et les relations tante Léonie-Françoise font partie de mon histoire familiale, et les dialogues du genre «allez chercher du sel, et demandez à qui est ce chien inconnu» constituent le principal de la conversation de ma grand-mère, ce qui n'est pas sans profondément m'agacer d'ailleurs.

séminaire 7 : Henri Raczymow

Ici les notes de sejan.

Henri Raczymow est l'auteur d'une biographie de Maurice Sachs, d'une de Charles Haas, le modèle de Swann, intitulée Cygne de Proust1 et de Bloom & Bloch, une variation sur les héros proustien et joycien2.

Son dernier livre s'appelle Reliques, ce qui convient mal, car c'est un mot chrétien. Il aurait fallu utiliser shmattès qui signifie les restes, ce qui reste, et qui vient de la famille de ??, qui veut dire le nom.%%% Ce livre commence par une photo prise avant ma naissance. Il s'agit d'une de scène de massacre prise en 1939 en Pologne, incompréhensible sans légende. L'exergue est tiré de wi>L'Amant de Marguerite Duras, qui dit qu'on écrit toujours sur le corps mort du monde et sur le corps mort de l'amour.
Le livre est composé de photographies d'éléments disparates choisis parce qu'ils parlaient à l'auteur. Ces éléments sont comme tirés des boîtes à biscuits représentés par Christian Boltanski (tableau qui illustre la couverture). Ce sont des boîtes à souvenirs. Il n'y a pas de logique mais des associations affectives qui se ramènent toutes à la période de la guerre (l'URSS, le parti communiste, la guerre d'Espagne) ou au camp.
Faire ce livre a été une façon d'enterrer ses morts. Plus on vieillit, plus on a de morts à traîner avec lesquels on ne vit pas forcément en paix.
Il s'agit de découvrir et de montrer comment la littérature peut parler de la vie, c'est à dire de l'amour, de la mort, de l'écriture.

Ecrire pour prendre pitié, parce qu'on prend pitié.

Charles Haas était un homme de plage. Un homme de plage, c'est ce que nous serons tous dans deux générations, quand plus personne ne saura qui nous étions en nous croisant sur des photographies. C'est l'homme inconnu sur les photographies de groupe, c'est l'homme qui intéresse Modiano.
Charles Haas aurait dû être préservé de l'effacement par Proust. Mais la littérature échoue à préserver et la figure et le nom. (Dans le cas de Haas, elle a donc préservé la figure).
La littérature ne conserve que les noms propres. Lire un livre, cela ressemble à visiter un cimetière (idée d'ailleurs confirmer par Proust).

Un rêve non interprété est comme un livre non lu, dit le Talmud.

Bartleby, le héros de Melville, est réputé avoir travaillé au bureau des lettres mortes. De même le livre renferme des noms ilisibles.

L'oubli: c'est la mort à l'œuvre dans la vie.
Modiano travaille dans l'espace de l'effacement. Dans ses livres, les adresses et les n° de téléphones sont réels mais devenus caducs. Il y a enquête à mener.

La vocation des photos de famille est la même que celle des livres : sauver les morts. Elles rencontrent le même échec.
Les lettres mortes de Bartleby seront finalement brûlées. Les photos de famille finiront vendues au poids dans les brocantes.

L'histoire sauve le collectif mais piétine les morts dans leur individualité. cf Ricœur.

Finalement, la seule entreprise qui vaille est celle de Serge Klasferd, son Mémorial des enfants juifs déportés de France, qui réussit à mettre en vis-à-vis les photos de milliers d'enfants avec leur nom.
La littérature est à l'histoire ce que le christianisme est au judaïsme, elle sauve l'individu plutôt que la communauté.



1 : Une critique par Michel Braudeau est disponible ici.
2 : Je découvre en vérifiant ces données qu'il est l'auteur de Dix jours polonais, qui est dans mes projets de lecture depuis qu'il est sorti.

3 février 2009 - Soudain, un contrepied

Le compte-rendu exhaustif est chez sejan.

2 écueils: l'absence de souvenirs et le souvenir-écran (quand une gravure, une image, se substitut au souvenir réel). Exemple donné par Sebald dans le premier chapitre de Vertiges.
Les récits de vie sont envahis par l'image. Omniprésence désormais de l'image. Ex : Sebald

Un autre exemple : Daniel Mendelsohn et Lost, traduit par Les disparus. L'auteur décide de mener une enquête pour savoir ce que sont devenus ses cousins de Pologne. Le livre contient également des images de sa quête à la recherche des témoins. Il s'agit d'une course contre la mort: ses témoins sont âgés, il faut les retrouver avant leur mort.
Il y a une lacune entre la recherche de ce qui s'est passé et les photographies des témoins. Ici se glisse l'irreprésentable. Ce qui s'est passé est irreprésentable.
A la fin, par hasard, alors qu'il allait abandonner, Mendelsohn retrouve la trappe derrière laquelle ses derniers parents s'étaient cachés et ont été découverts. La dernière photo est celle de la porte de la trappe; elle désigne un manque.

De nombreux ouvrages sont construits sur ce modèle.
Henri Racymow qui viendra dans deux semaines a écrit Reliques qui commence par une photo.
Il y a un risque de banalisation.

En France, deux filiations :
- celle des artistes, avec C. Boltanski (par ex: La vie impossible en 2001) et Sophie Calle et ses photographies de vie. La photo est d'ailleurs déjà dépassée puisque Sophie Calle est passée au DVD.
- celle des écrivains comme Denis Roche et Hervé Guibert. On est dans l'hypertextuel.

Annie Ernaux a écrit deux livres qui s'organisent autour de la photo : L'usage de la photo (2005) et Les années (2008). le premier montrent une douzaine de photos de vêtements tombés sur le sol avec chaque fois deux commentaires, un d'Annie Ernaux et un de Marc Marie. Le deuxième fait la même chose, mais les photo ne sont pas données. En revanche on a des chansons, des propos de table, les actualités politiques, sociales et culturelles.
Les photos sont des indices, mais des indices peu fiables. Travail d'enquêtes.
Annie Ernaux s'avoue fascinée par les taches de sang, de sperme, sur les draps, de vin sur les nappes, de doigts gras sur les meubles. La saleté est un résidus à examiner.

En conclusion, le problème de l'écrit de vie est le récit de vie. Celui-ci sélectionne et combine. L'écrit de vie est une reconstitution, il est toujours incomplet (au contraire du roman). Le récit de vie est une utopie.


Compagnon relève la tête : et c'est alors que je me suis demandé si cette aporie était vraiment une fausse piste: peut-on réellement éviter de raconter sa vie? La vie n'est-elle pas un récit?
Vivre sa vie comme si elle était un récit.
Une vie réussie : celle qui a tout moment a l'unité d'un récit.
Mais la réduction de la vie au récit mène à l'angoisse. cf Roquentin dans La Nausée.

Bibiographie extensive recueillie à Cerisy

Dans l'ordre d'apparition dans mes notes, reclassés par catégorie.
Cette bibliographie est à la fois moins que complète et plus que complète : quand mes notes étaient floues (titre, auteur), j'ai essayé de préciser les références par des recherches sur internet, si je n'ai rien trouvé, je n'ai pas repris l'article ou l'ouvrage que j'avais noté sur mon cahier; à l'inverse, certains titres proviennent de discussion hors communication.
Il manque les catalogues d'exposition et les livres d'art laissés à notre disposition par Bernardo Schiavetta pour feuilletage. J'ai manqué d'à-propos.


Théorie

- Jean-Louis Shefer, Scénographie d'un tableau.
- Jean Petitot, "Saint-Georges : Remarques sur l'Espace Pictural" in Sémiotique de l'Espace.
- Aristote, Métaphysique.
- Luigi Pareyson, Esthétique. Théorie de la formativité (sans doute le livre le plus important de la communication de Jacinto Lageira).
- Gilbert Simondon, L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information.
- Georges Didi-Huberman, La Ressemblance informe, ou Le gai savoir visuel selon Georges Bataille (L'informe selon Georges Bataille sera toujours cité comme n'étant pas ce dont on parle ici.)
- Paul Valéry, «Degas Danse Dessin».
- Saint Augustin, Les Confessions.
- Georges Bataille, «Dictionnaire critique», article «informe» in Documents.
- Atlas de littérature potentielle.
- La littérature potentielle.
- Marcel Bénabou, «La Règle et la contrainte» in Pratiques.
- Jacques Roubaud, «L'Auteur oulipien» in L'Auteur et le manuscrit.
- Friedrich Schlegel, cité dans L'Absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme allemand.
- Georges Perec, «A propos de la description», dans Espace et représentation. Actes du colloque d'Albi.
- Roland Eluerd, La pragmatique linguistique.
- Erwin Panofsky, La perspective comme forme symbolique et autres essais.
- Gilles Philippe et coll., Flaubert savait-il écrire ? : une querelle grammaticale (1919-1921) (trouvé dans une liste en fin d'un volume de la même collection).
- Roland Barthes, " Littérature et discontinu " in Essais critiques.
- Jean Clair, Sur Marcel Duchamp et la fin de l'art.
- Leonardo Sciascia, Actes relatifs à la mort de Raymond Roussel.
- Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman.
- Roland Barthes, La chambre claire.
- Jean-Claude Pinson, Habiter en poète.
- Jean Baudrillard, L'autre par lui-même (un article sur l'anagramme? A vérifier).
- Benjamin S. Johnson, "Asimetrias. Una entrevista con César Aira".
- "La nouvelle écriture" - à propos de César Aira.
- Georges Bataille, Œuvres complètes I.
- Mariano Garcia, ''Degeneraciones textuales: Los generos en la obra de César Aira.
- Laurent Jenny, "L'automatisme comme mythe rhétorique." in Une pelle au vent dans les sables du rêve.
- Ruth Lorand, Aesthetic Order.
- Jean-François Lyotard, L'inhumain, causerie sur le temps.
- Jean-Claude Milner et François Regnault, Dire le vers.
- Jean-Pierre Bobillot, Trois essais sur la poésie littérale.
- Philippe Forest, Histoire de Tel Quel.
- Giorgio Agamben, Qu'est-ce qu'un dispositif ?.
- Gérard Genette, Esthétique et poétique.
- Paul Guillaume, La psychologie de la forme.
- Hervé Le Tellier, Esthétique de l'Oulipo.
- Georges Poulet, Les Métamorphoses du cercle.
- Robert Greer Cohn, L’Œuvre de Mallarmé : Un Coup de dés, traduit par René Arnaud, Les Lettres, 1951.
- Jean-Nicolas Illouz, L'offrande lyrique ou L'éloge lyrique.
- Isidore Isou, Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique.
- Isidore Isou, Traité de bave et d'éternité.
- Paul de Man, The Epistemology of Metaphor, in Critical Inquiry, Vol. 5, No. 1, Special Issue on Metaphor (Autumn, 1978), published by The University of Chicago Press.
- Francis Ponge, Pour un Malherbe.
- Gaston Bachelard, L'air et les songes.
- Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l'analogie.
- Miguel de Unanumo, Vie de Don Quichotte et de Sancho Pança.
- Aristote, Mimésis


Prose

- Georges Perec, Je suis né.
- Georges Perec, W ou le souvenir d'enfance.
- Jacques Roubaud, Le Grand Incendie de Londres. Récit, avec incises et bifurcations.
- Paul Fournel, Besoin de vélo.
- Paul Fournel, Les Athlètes dans leur tête.
- Edouard Levé, Suicide.
- Jacques Jouet, La République de Mek-Ouyes.
- Honoré de Balzac, Eugénie Grandet.
- Jean-Paul Sartre, La Nausée.
- Virginia Woolf, The Waves.
- Georges Perec, Un homme qui dort.
- Peter Handke, L'angoisse du gardien de but au moment du penalty.
- Renaud Camus, Rannoch Moor.
- Renaud Camus, Les Demeures de l'esprit.
- Maurice Roche, Je ne vais pas bien, mais il faut que j'y aille.
- Maurice Roche, Compact (en couleur aux éditions Tristram).
- William Faulkner, The sound and the Fury.
- Robert Musil, L'homme sans qualité.
- Michel Butor, Mobile.
- Harry Mathews, Conversions (conseillé par Christophe Reig, si on ne doit lire qu'un seul Harry Mathews).
- César Aira, Le Manège (conseillé par Chris Andrews, si on ne doit lire qu'un seul César Aira).
- César Aira, Les nuit de Flores.
- François Dufrêne, Le Tombeau de Pierre Larousse.
- Georges Perec, La Vie mode d'emploi.
- Marcel Bénabou, Un aphorisme peut en cacher un autre, BO n° 13, 1980.
- Jacques Jouet, Anet et l'Etna.
- Julien Gracq, La forme d'une ville.
- Jacques Jouet, Navet, linge, Oeil-de-vieux.
- Jacques Jouet, Trois pontes.
- Italo Calvino, Le Baron perché.
- Jacques Jouet, L'amour comme on l'apprend à l'école hôtelière.
- Jean-Marie Gleize, Film à venir.
- Jean-Marie Gleize, Léman.
- Jean-Marie Gleize, Les chiens noirs de la prose.
- Edouard Levé, Autoportrait.
- Miguel de Cervantes, Don Quichotte de la Manche.
- Martianus Capella, Les noces de Philologie et de Mercure.
- Aulu-Gelle, Les Nuits attiques.
- Robert Coover, Noir.
- Antoine Volodine.
- Leonardo Padura Fuente (polars à La Havane. intercours).
- Jean-Bernard Pouy, Le jour de l'urubu (intercours. Roland Brasseur m'a donné trente-six raisons d'assassiner son prochain).
- Peter Carey, La véritable histoire du gang Kelly (intercours. J'ai demandé à Chris Andrews de me conseiller un auteur australien).


Poésie

- Georges Perec, Quinze variations discrètes sur un poèmes connus (variations sur "Gaspard Hauser chante", de Verlaine).
- Jacques Jouet, Poèmes de métro.
- Jacques Jouet, Poèmes du jour.
- Timothy Steele, The Color Wheel.
- Rebel Angels: 25 Poets of the new formalism.
- Ron Silliman, Albany Blue Carbon.
- Jackson Mac Low, Thing of Beauty: New and Selected Works.
- Christian Bök, Eunoia.
- "Language" Poetries: An anthology, dir. Douglas Messerli.
- Michelle Grangaud, Gestes.
- Michelle Grangaud, Memento-fragments.
- Michelle Grangaud, Stations.
- Michelle Grangaud, Jacques Jouet, Jacques Roubaud, La Bibliothèque de Poitiers.
- Georges Perec, Les Ulcérations.
- Raymond Roussel, Nouvelles impressions d'Afrique (postface de Jacques Sivan aux éditions Al Dante. édition en couleur selon le vœu de Raymond Roussel. «Il ne faut pas couper les pages» assène Hermès Salceda sans que rien n'étaie ses dires. (Je l'ai interrogé sur ce point: il persiste)).
- Dominique Fourcade, Xbo.
- Ian Monk, Plouktown.
- Ivan Ch'Vavar, Höderlin au Mirador.
- Ivan Ch'Vavar, Post-poèmes.
- Jacques Jouet, Fins.
- Dante, Le Paradis.
- Bob Perelman, The Future of Memory d'après le film The Mandchurian candidate.
- Charles Bernstein, Girly Man.
- Charles Bernstein, Islets/Irritations.


Livres d'art et de photos

malheureusement très incomplet
- L'informe, mode d'emploi. Catalogue de l'exposition au centre Pompidou.
- Donald Kuspit, California New Old Masters.
- Denis Roche, Forestière amazonide.
- Denis Roche, Ellipse et laps.
- Denis Roche, Photolalies.
- Thibault Cuisset, La Rue de Paris.
- François Maspero, Les Passagers du Roissy-Express.
- Sophie Calle, Suite vénitienne.
- Edouard Levé, Amérique.
- Edouard Levé, Reconstitutions.
- Edouard Levé, Angoisse.
- Edouard Levé, Fictions.

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