Billets qui ont 'traduction' comme genre.

La tombe d'à côté

Retour de la traduction à la volée.
D'abord j'ai cru à une histoire vraie, puis je me suis dit que j'étais trop crédule et que c'était une fiction (après tout le twittos s'appelle sixthformpoet), puis j'ai lu les commentaires.
Il est fort possible que ce soit une histoire vraie.
Après tout, l'auteur est anglais.
UN
Mon père mourut. Début classique pour une histoire drôle. Il fut enterré dans un petit village du Sussex. J'étais très proche de mon père et j'allais donc très souvent sur sa tombe. J'y vais encore. [Pas de panique, cela va devenir plus drôle.]

J'apportais toujours des fleurs; ma mère y allait souvent et elle apportait toujours des fleurs; mes grand-parents étaient encore vivants et ils apportaient toujours des fleurs. La tombe de mon père ressemblait souvent à un troisième prix mérité de l'exposition florale de Chelsea.

Parfait. Cependant, je me sentais coupable envers le type enterré à côté de mon père. Il n'avait JAMAIS de fleurs. Il était mort à 37 ans le jour de Noël; personne ne lui apportait de fleurs; et maintenant la tombe d'à côté s'était transformée en boutique de fleuriste éphémère. Alors je commençai à lui apporter des fleurs. JE COMMENÇAI Á ACHETER DES FLEURS Á UN MORT QUE JE N'AVAIS JAMAIS RENCONTRE.

Je le fis un certain temps sans jamais en parler à personne. C'était une private joke à usage interne; je rendais le monde meilleur un bouquet après l'autre. Je sais que ça peut paraître bizarre mais je me mis à penser à lui comme à un ami.

Je me demandais si nous avions une connexion cachée, quelque secret qui m'aurait attiré à lui. Peut-être étions-nous allés à la même école, avions-nous joué dans le même club de foot ou quelque chose comme ça. J'ai fini par googler son nom: dix secondes plus tard je l'avais trouvé.

Sa femme ne lui apportait pas de fleurs PARCE QU'IL L'AVAIT ASSASSINEE — LE JOUR DE NOËL. Après avoir assassiné sa femme, il avait également assassiné ses beaux-parents. Après cela il avait sauté devant le seul train passant dans le tunnel de Balcombe durant cette nuit de Noël.

C'était pour CELA que personne ne lui laissait de fleur. Personne sauf moi, bien sûr. Je lui apportais des fleurs tous les quinze jours; tous les quinze jours DEPUIS DEUX ANS ET DEMI.

Je me sentais terriblement mal par rapport à sa femme et ses beaux-parents. Bon, je n'allais pas leur apporter des fleurs tous les quinze jours pendant deux ans et demi, cependant j'avais l'impression de leur devoir des excuses.

Je trouvai où ils étaient enterrés, j'achetai des fleurs et j'allai au cimetière. Comme je me tenais debout devant leurs tombes et marmonnais des excuses, une femme apparut derrière moi. Elle voulut savoir qui j'étais et pourquoi je laissais des fleurs à sa tante et à ses grands-parents. MOMENT EMBARRASSANT.

Je m'expliquai; elle dit OK, c'est bizarre mais plutôt gentil. Je répondis merci, oui c'est un peu bizarre et, mon dieu, JE LUI PROPOSAI DE PRENDRE UN VERRE. Á ma grande surprise, elle dit oui. Deux ans plus tard, elle me dit oui de nouveau quand je la demandai en mariage car c'est ainsi que j'ai rencontré ma femme.

[FIN]

Qu'est-ce qu'un kenning ?

Christopher Tolkien publie la traduction de Beowulf par son père en concatenant les brouillons de celui-ci et en choisissant parmi ses cours et conférences un certain nombre de commentaires qu'il met en note.

Voici un commentaire des lignes 11.
10-11 «sur la mer où chemine la baleine» ; *10 ofer hronrade

hronrade est un kenning signifiant «la mer». Qu'est-ce qu'un kenning? […] Kenning est un mot islandais signifiant (dans cet usage technique particulier) «description». Nous l'avons emprunté à la critique vieil islandaise de la poésie allitérative norroise et utilisé comme terme technique pour désigner ces «composés descriptifs imagés» ou «brèves expressions» qui peuvent être «employés à la place d'un mot simple ordinaire». Ansi dire: «il a navigué sur le bain des fous de Bassan (ganotes bæth)» revient à utiliser un kenning pour signifier la mer. Vous pouviez, bien sûr, inventer vous-même un kenning, et tous ont dû être inventés par un poète à un moment ou à un autre, mais en matière de langage poétique vieil anglais, la tradition comprenait un cerain nombre de kennings bien établis pour désigner des choses comme la mer, la bataille, les guerriers, etc. Il relevaient de cette «diction poétique», tout comme «onde» à la place d'«eau» (fondée sur l'usage poétique latin d'unda) relève de la diction poétique du XVIIIe siècle.

Plusieurs kennings désignant la mer évoquent celle-ci comme le lieur dans lequel les oiseaux marins ou les animaux plongent ou se déplacent. Ainsi, ganotes bæth (qui, développé, signifie: «le lieu où plonge le fou de Bassan, comme un homme qui se baigne»); ou hwælweg («le lieu où les baleines partent faire leur voyage» comme des chevaux, des hommes ou des chariots parcourent les plaines terrestres), ou «les chemins des phoques» (seolhpathu), ou bien les «bains du phoque» (seolhbathu).

hronrade est évidemment lié à ces expressions. Néanmoins, il est tout à fait incorrect de le traduire (comme on le fait trop souvent) par «route des baleines». C'est incorrect stylistiquement, puisque les composés de ce genre paraissent en soi maladroits ou bizarres en anglais moderne, même si leurs composantes sont correctement choisies. Dans cet exemple en particulier, la malheureuse association des sonorités de cette route [whale road] avec celle de chemin de fer [rail road] accroît ce caractère inepte.

C'est incorrect dans les faits: rad est l'ancêtre de notre route moderne [road], mais cela ne signifie pas «route». L'étymologie n'est pas un guide fiable vers le sens. rad est le nom correspondant à l'action de ridan, aujourd'hui ride, et signifie: «le fait d'aller autrement qu'à pied», c.-à-d. «aller à cheval; se déplacer comme le fait un cheval (ou un chariot), ou comme un bateau à l'ancre»; de là, «un trajet à cheval» (ou plus rarement par bateau), un parcours (qu'il ait un but ou non)». Ce mot ne signifie pas la «piste» réelle et encore moins les pistes aux durs pavés, permanentes et plus ou moins droites, que nous associons à la «route».

En outre, hron (hran) est un mot spécifique au vieil anglais. Il signifie un genre de «baleine», à savoir d'animal de cette famille de mammifères qui ressemblent à des poissons. Lequel, précisément, on l'ignore; mais c'était quelque chose du genre du marsouin, ou du dauphin, probablement, en tout cas, moins qu'une vraie hwælroad»]. Il existe une affirmation en vieil anglais selon laquelle un hron mesurait environ sept fois la taille d'un phoque et une hwæl, environ sept fois la taille d'un hron.

Le mot en tant que kenning signifie donc «trajet du dauphin», c.-à-d., entièrement développé, les étendues sur lesquelles vous voyez des dauphins et des membres plus petits de la tribu des baleines jouer ou avoir l'air de galoper comme une rangée de cavalier sur les plaines. Voilà l'image et la comparaison que le kenning était censé évoquer. Rien de tel n'est évoqué par «route des baleines» [whale road], qui suggère un genre de machine à vapeur semi-sous-marine empruntant des rails de métal submergés, d'un bout à l'autre de l'Atlantique.

J.R.R. Tolkien, Beowulf, édité et présenté par Christopher Tolkien, Actes Sud 2015 (2014), p.161-163
Cela m'évoque irrésistiblement En Patagonie.

Je suis surprise du sens étroit que JRR Tolkien donne à «route»: route de la soie, route des oiseaux migrateurs, route des caravanes, il ne m'a jamais semblé que cela décrivait des pavés ou de l'asphalte, mais un parcours entre un départ et une arrivée. A-t-il raison en anglais ou force-t-il sa démonstrations?

La loi de Zipf

Finalement, il n'était pas aussi décevant que je le pensais que 635 mots représentent 87% du Nouveau Testament :
[…] la loi de Zipf, selon laquelle la fréquence d'un terme, quel qu'il soit, est inversement proportionnelle à son rang dans la table de fréquence. C'est ainsi que le mot le plus fréquent aura un nombre d'occurences à peu près double de celui du second mot le plus fréquent, et triple de celui du mot venant en troisième position. En conséquence, cent-trente-cinq mots à peine suffisent à rendre compte de la moitié des occurences dans un corpus de langue anglaise d'environ un million de mots.

David Bellos, Le Poisson et le Bananier, p. 364 (note 2 du chapitre 8), Flammarion 2012

Epiphanie

Comme je ne peux pas laisser de commentaire sur youtube et que je ne peux pas redescendre au 10 mars dans FB parce que ça plante, je poste ici l'image destinée à illustrer la traduction de Guillaume Cingal (et qui semble impliquer que "j'ai trouvé Jésus" est le début d'une blague récurrente):



(Magnet acheté à Stockholm en 2001, sur le frigo depuis. J'aime son double sens: bien sûr c'est une plaisanterie, mais sous un autre angle, celui de la foi, ce n'en est pas une. Et j'aime "the whole time" qui implique une plénitude, un plérôme).

Un hérisson

Une langue de toute beauté. Je n'en reviens pas que l'on puisse obtenir cela en traduisant.

LE CHEF . Une nouvelle charge fulgurante de ces harpies venait de disloquer les Etoliens, et les rejetait par vagues sur nous, les Myrmidons, qui tenions ferme. Nous essayons de les rallier, — le tourbillon nous repousse loin de la bataille, et quand nous arrivons à nous accrocher au terrain, nous nous trouvons coupés du Pélide. On l'aperçoit de loin, au milieu d'un hérisson de lances, qui se dégage de la nuit du combat, descend pied à pied la pente d'une colline et cherche à nous rallier; déjà on le hèle avec des cris de joie — mais les cris se figent dans notre gorge. Son quadrige vient de se bloquer au bord d'un précipice ouvert: leurs yeux plongeant à pic dans l'abîme, on voit les quatre bêtes se cabrer d'un bond sur le ciel. Et les coups de fouet ont beau pleuvoir, les bêtes se renversent, s'écroulent en embrouillant les rênes — chevaux et char s'entortillent comme un peloton — et le fils des Dieux avec son attelage est pris comme dans un filet à sardines.

Kleist, Penthésilée, traduit librement par Gracq à la demande de Jean-Louis Barrault, pour en faire une pièce "jouable" (José Corti, 1954).

Julius exclusus e cœlis

J'ai "appris" "plusieurs fois" le latin, ce qui signifie en clair que je n'ai jamais su m'en dépêtrer. Mais je n'ai pas résisté à ce petit livre bleu bilingue trouvé par hasard pendant que je cherchais autre chose.

Il s'agit d'une satire nous décrivant Jules II interdit de paradis, et relatant sa longue conversation avec Saint Pierre. Elle a été publiée anonymement en 1517 (auparavant des copies manuscrites avaient circulé); elle est attribuée à Érasme. (Après lecture de la préface je dirais qu'on peut raisonnablement considérer qu'elle vient d'Érasme, mais qu'il se peut malgré tout qu'elle ait été écrite par Ulrich von Hutten, qui ne portait pas Jules II dans son cœur).

La préface de Sylvain Bluntz retrace les tribulations d'Érasme en Italie au gré des guerres papales. Elle montre la célébrité d'Érasme dans l'Europe de son temps, et reprend la démonstration qui lui attribue Julius exclusus en s'appuyant sur l'élégance de langue latine utilisée et sur divers manuscrits retrouvés parmi les papiers du philosophe (mais lui n'a jamais reconnu avoir écrit ce texte).

Érasme était un grand latiniste ainsi que nous l'explique Sylvain Bluntz en citant Stroh:
C'est un autre professeur de latin langue vivante, Wilfried Stroh1, (il présente sa bonne ville de Munich aux touristes en latin et il est présentateur d'émissions de télévision en latin) qui montre ce qu'était la maîtrise du latin d'Érasme:

«Nous faisons connaissance avec Érasme d'abord par deux livres curieux De utraque verborum ac rerum copia «L'abondance à la fois des mots et des choses», on y apprend à varier (verba) et à élargir (res) ses pensées. […] Dans la première partie, Érasme propose des exercices de latin d'une virtuosité extraordinaire, par exemple une phrase comme Semper dum vivam, tui meminero, «aussi longtemps que je vivrai, je penserai à toi», est donnée en trois cents variations. Les débutants disent par exemple: numquam, quod victurus sum, me tui capet oblivio, «jamais, aussi longtemps que je serai en vie, je ne t'oublierai»; des élèves plus avancés tenteront une expression plus rare: eadem me lux exanimem videbit, quae tui conspiciet immemorem, «Il me verra mort, le jour où je t'oublierai». Ce n'est pas seulement un jeu littéraire et intellectuel mais un entraînement sérieux qui se voulait à la pointe de l'enseignement de la langue, quel siècle!»

Sylvain Bluntz, préface à Érasme, Jules, privé de Paradis !, pp.22-23
Le texte est un dialogue entre Jules II et Saint Pierre, c'est une pièce de théâtre. Pierre décrit ce que devrait être l'Église et le Pape, pauvre au service des pauvres à l'image du Christ; Jules proteste, de bonne foi semble-t-il, il ne comprend pas comment ne pas se réjouir qu'il ait enrichi l'Église, et sa naïveté dans la brutalité contraste heureusement avec l'aspiration de Pierre à l'humilité et l'austérité.
Les notes en fin de volume permettent de suivre les allusions et de reconstituer les événements du début du XVIe siècle en Italie, mise à feu et à sang par Jules II (c'est du moins l'opinion d'Érasme, qui fait du Pape l'origine de toutes les guerres contemporaines).
Le plaisir vient de la lecture de la traduction enlevée en vis-à-vis d'un texte latin qui condense l'énergie d'une pensée ramassée:
Pierre : Mais le Christ nous a fait serviteurs, c'est lui qui est la tête, à moins qu'une seconde tête n'ait poussé. Mais qui, finalement, a donné de l'ampleur à l'Église?

Jules : Tu en viens au fait maintenant et je vais te l'expliquer. Cette Église jadis famélique et très pauvre, est aujourd'hui florissante à tous égards.

Pierre : À quels égards ? De l'ardeur de la foi?

Jules : Tu dis à nouveau des bêtises.

Pierre : De la sainte doctrine ?

Jules : Tu t'égares.

Pierre : Du mépris du monde ?

Jules : Laisse-moi te dire, je te parle de ce qui compte car tout ça, ce ne sont que paroles en l'air.

Pierre : De quoi s'agit-il alors ?

Jules : Il s'agit des palais de roi, des chevaux et des mules magnifiques, d'une domesticité nombreuse, des troupes très entraînées, d'une cour raffinée…

Génie : Des gardes redoutables, des voyous à ta botte.

Jules : … de l'or, de la pourpre, des revenus, pour que tous les rois paraissent humbles et pauvres comparés à la puissance et au faste du pontife romain. Que personne ne soit ambitieux au point de ne pas se reconnaître vaincu par Jules, que personne ne soit opulent au point de ne pas se reprocher sa frugalité, que personne n'ait tant de richesses et de revenus qu'il n'envie les nôtres. Voilà te dis-je, toutes ces choses, je les ai protégées et développées.

Pierre : Mais dis-moi, qui le premier de tous, a sali et mis en difficulté l'Église avec toutes ces paillettes alors que le Christ a voulu qu'elle fût aussi pure que simple?

Jules : Qu'est-ce que tu dis là ? Il est évident que l'essentiel, nous le contrôlons, nous le possédons, nous en jouissons.

Érasme, Jules, privé de Paradis !, pp.118 et 120

Je ne résiste pas au plaisir de donner le texte latin :
Petrus : At Christus nos ministros fecit, se caput, nisi mine secundum caput accreverit. Sed quihus tandem aucta est Ecclesia?

Iulus : Nunc ad rem accedis, itaque dicam. Illa olim famelica et pauper Ecclesia nunc adeo floret omamentis omnibus.

Petrus : Quibus? Ardore fidei?

Iulus : Rursum nugaris.

Petrus : Sacra doctrina?

Iulus : Obtundis.

Petrus : Contemptu mundi?

Iulus : Sine me dicere, veris inquam ornamentis; nam istaec verba sunt.

Petrus : Quibus igitur?

Iulus : Palatiis regalibus, equis et mulis pulcherrimis, famulitio frequentissimo, copiis instructissimis, satellitiis exquisitis,

Genius : Scortis formosissimis, lenonibus obsequentissimis.

Iulus : auro, purpura, vectigalibus, ut nullus regum non humilis ac pauper videatur si cum Romani Pontificis opibus strepituque conferatur, nemo tam anbitiosus, quin se victum agnoscat, nemo tam lautus, quin suam condemnet frugalitem, nemo tam num matus, nec faenerator, quin nostris inuideat opibus. Haec inquam ornamenta et tutatus sum et auxi.

Petrus : Sed dicito mihi, quis omnium primus istis ornamentis et inquinapit et oneravit Ecclesiam, quam Christus purissimam pariter et expeditissimam esse voluit?

Iulus : Quid istud ad rem attinet? Certe quod est caput tenemus, possidemus, fruimur; […]

Érasme, Iulius exclusus e cœlis, pp.119 et 121



Note
1 : Wilfried Stroh dans Le Latin est mort, vive le latin, traduit de l'allemand et du latin par Sylvain Bluntz et publié aux Belles Lettres en 2008 dans la collection «Le miroir des humanistes».

La rose de personne

Psalm

Niemand knetet uns wieder aus Erde und Lehm,
niemand bespricht unsern Staub,
Niemand.

Gelobt seist du, Niemand,
Dir zulieb wollen
wir blühn.
Dir
entgegen.

Ein Nichts
waren wir, sind wir, werden
wir bleiben, blühend :
die Nichts-, die
Niemandsrose.

Mit
dem Griffel seelenhell,
dem Stabufaden himmelswüst,
der Krone rot
vom Purpurwort, das wir sangen
über, o über
dem Dorn.

Paul Celan, in La Rose de personne, bilingue, éditions Corti.

Traduction de Martine Broda
Psaume

Personne ne nous repétrira de terre ou de limon,
personne ne bénira notre poussière.
Personne.

Loué sois-tu, Personne.
Pour l'amour de toi nous voulons
fleurir.
Contre
toi.

Un rien
nous étions, nous sommes, nous
resterons, en fleur ;
la rose de rien, de
personne.

Avec le style clair d'âme,

l'étamine désert-des-cieux,
la couronne rouge
du mot de pourpre que nous chantions
au-dessus, au-dessus de
l'épine.



J'ai trouvé dans un forum quelques remarques sur cette traduction, remarques que je laisse à votre appréciation:

« Celan connaissait l'hébreu, et son "gelobt seist du" ne peut être que "baroukh ata", c'est à dire "béni sois-tu", qui est le début de tant de prières juives. Son "entgegen" évoque le "contre" de la création de la femme "ezer kenegdo". Parce que "entgegen" évoque en même temps proximité et opposition, comme l' "aide contre lui" que donne Hachem Yitbarakh à l'homme en le séparant en ses parties mâle et femelle.
Quant au Niemand et au Nichts à la place de Dieu, il ne s'agit pas d'un blasphème comme on pourrait le croire d'une lecture rapide, mais de la réévocation du nom mystique de Dieu "ein sof" (Il n'y a pas de fin), souvent abrégé en "ein".»

Ainsi ce psaume est véritablement un psaume, une prière adressée à Dieu, ce qui m'amène à poser la question suivante:

Mit dem Griffel seelenhell, dem Stabufaden himmelswüst, der Krone rot vom Purpurwort, das wir sangen…

Ne faut-il pas traduire :
«Avec (…), cela nous le chantions …»; c'est-à-dire que par-delà nos souffrances nous bénissions Dieu (nous continuions de bénir Dieu), au-dessus de l'épine s'élevaient nos bénédictions (sous-entendu: nos louanges étaient offertes, aussi offertes et inexplicables et obstinées que nos souffrances, aussi gratuites que l'épanouissement de la rose au désert (etc.), la couronne et l'épine renvoyant au sacrifice christique (etc. de nouveau));
plutôt que
«Avec (…) la couronne rouge du mot de pourpre que nous chantions…» dont je saisis mal le sens?

Les carnets de Finnegans Wake VI : quelques traductions

J'ai de nombreux billets en retard. Arbitrairement, je place les billets FW le mardi où a eu lieu le cours.

Avertissement : billet sans queue ni tête. Si j'étais raisonnable, je ne l'écrirais pas. En effet, il s'agit de comparer cinq traductions, et je n'en ai aucune à proposer pour permettre de suivre (Si, j'en ai trouvé une sur le net.) Je mets donc ces notes en ligne à titre de souvenir d'une bonne séance, et pour quelques mots de vocabulaire (et puis on ne sait jamais à qui, à quoi, elles peuvent servir, un jour).
Nous sommes arrivés en retard, deux personnes étaient là, traducteurs de Finnegans: Laurent Milesi et Jean-Louis Giovannangeli, invités par Daniel Ferrer.
Enfin, je compte sur Patrick et Tlön pour corriger en commentaires (ce sont déjà eux qui ont retrouvé le nom des invités: non pas "work in progress", mais "work together").

le chapitre III d'Ulysses: Prothée

La recherche de "traces de Finnegans Wake" dans Ulysses n'aura pas lieu cette séance du fait de la présence des invités. Cependant nous passons malgré tout quelques minutes sur des pages manuscrites d' Ulysses.
Daniel Ferrer projette sur écran deux pages de cahier, ce qui fut longtemps le seul brouillon dont on disposait, avant la découverte récente d'un plus ancien. On dispose donc de deux états du manuscrit.
Il s'agit du chapitre III, le seul ("à ma connaissance", précise modestement Ferrer, ce qui me fait sourire) dans Ulysses à présenter un exemple de création artistique. Dans ce chapitre dit "Prothée", Steven s'essaie à la composition d'un poème.

On déchiffre péniblement le manuscrit: «he comes vampire vampire mouth to her mouth's kiss.»[1].
Le précédent brouillon nous apprend que Joyce avait pas mal hésité sur ce "mouth to her mouth's kiss", mais dans cette version du manuscrit l'expression est stabilisée.
Dans la marge on trouve une liste de mots, variations à partir d'à peu près "moongubl" (le problème du clavier, c'est qu'il oblige à choisir. Les lettres manuscrites permettent le flou).
Il s'agit de ce que les critique de Saint-John Perse appellent "des palettes": des essais de mots, comme un peintre essaierait des nuances de couleurs sur sa palette.

La marge comme la plage du texte, le texte étant la mer qui rejette le mot. La liste ressemble un peu à:
moongumb
moonghmb
et ainsi de suite, sur sept ou huit variations. Finalement Joyce choisit "moonbh" (imprononçable).
La bouche mouth, la lune moon, qui gouverne les marées et le flux menstruel féminin.
Le mot-valise disparaîtra de la version finale, que Joyce ait renoncé ou qu'il ait été corrigé par un typographe consciencieux.

Puis: «His lips lipped and mouthed fleshless lips of hair: mouth to her whomb. Oomb, allowing tomb». (version définitive, je n'ai pas copié le manuscrit).
Hélène Cixous faisait remarquer que l'anglais avait cette chance extraordinaire de pouvoir faire rimer whomb (ventre maternel) avec tomb (la tombe).
Un étudiant fait remarquer que les deux renvoie étymologiquement à un gonflement, le ventre enceint et le tumulus.
Pourquoi pas, admet Ferrer, tout en précisant que l'un est d'origine latine (tomb) et l'autre anglo-saxonne (whomb).
Dans la marge on remarque Oomb wombing ou wombmg qui se redéploie: soit deux mots se condensent, soit un mot condensé se redécompose.

Cinq traductions de Finnegans

  • en français

- Philippe Lavergne, qui l'a traduit de bout en bout (Laurent Milesi outré, une auditrice/étudiante le défendant) ;
- Beckett commence une traduction du chapitre "Anna Livia" avec Alfred Peron. Mais elle sera finalement désavouée par Joyce et non publiée.
- Une traduction de ce même chapitre est mise en chantier autour de James Joyce, Paul Léon, Eugène Jolas, Ivan Goll, Adrienne Monnier, Philippe Soupault. Elle paraîtra en 1931. Joyce venait de finir ce chapitre. C'est donc une traduction proche de ses dernières intentions (à la fois un bien et un mal, pas le temps de la décantation) que j'appellerait "traduction Joyce" ou "version Joyce".

  • en italien

- une traduction en italien en 1938, une traduction intéressante qui joue sur les différents niveaux de dialectes italiens. Joyce y a participé. En 1938 il avait plus de recul sur son propre travail.
- une autre traduction, celle de Schenoni, je pense.

Nous avons travaillé sur la première page du chapitre dit "Anna Livia" (p.196), apparemment inchangée entre 1930 et aujourd'hui (donc bien que les traductions aient des dates différentes, elles se rapportent à un même texte).
Une ou deux phrase du texte original sera lue, puis les différentes traductions.
Travailler est beaucoup dire: écouter, commenter, écouter les commentaires, les rires des trois italianisants tandis que nous les regardions avec un peu d'envie de les voir rire sans pouvoir les rejoindre...


Avertissement/conviction de Daniel Ferrer: Le dernier état d'un texte présente toutes les intentions successives de l'auteur.
bémol concernant l' Ulysses traduit par Stuart Gilbert (assistant Auguste Morel). Joyce y a participé et a tiré le texte vers les références homériques.

Traductions françaises ou italiennes: aucune ne respectent la mise en page particulière du début du chapitre, le O très rond centré en milieu de page, comme une source ou un sexe féminin.
première ligne
- Lavergne: « O Tellus» pour "O tell me". A voulu garder l'assonance. Jeu de mot sur Tellus, Telos. S'attire le mépris de Laurent Milesi: «Lavergne traduit les jeu de mots sans référence au contexte». (Ici, allusion à la terre (Tellus) alors que tout le chapitre fait référence à l'eau.)
- traduction"Joyce" : O dis-moi Anna-Livie
La valeur du O : se traduit ou pas? (ie, O ou Oh, ou Ô...)

quelques phrases plus loin: « And don't butt me — hike! — when you bend. Or whatever it was they threed to make out he thried to two in the Fiendish Park.»
"butt" : avec la tête. (''remarques notées au vol, se rapportant sans doute aux écarts de traduction, mais qui valent en elles-mêmes).
- Fiendish traduit par Inphernix (Phenix + inferno ? )
- jeu sur deux ou trois (two, three), qui ne permet pas de comprendre ce qui s'est passé (dans la version originale): insistance sur le trois dans la version "James Joyce". Le texte de Beckett est transparent, s'attarde plutôt au balbutiements: "quelquelques".

Inconvenient des langues occitones, fait remarquer Laurent Milesi: l'accent tonique est toujours sur l'avant-dernière syllabe, tandis qu'en anglais, italien, roumain, l'accent tonique se promène.

Puis quelques lignes plus bas: «I know by heart the places he likes to saale, duddurty devil!»
- «Je sais paroker les endroits qu'il aime à seillir, le mymyserable.» traduction de Joyce. Paroker: mot-valise avec perroquet.
- en italien : "macchiavole" , qui les fait beaucoup rire. Apparemment, un habile compromis entre la tache et machiavélique.

Le plurilinguisme remplace le polyglottisme. (Whattt?? Je n'ai pas posé de question, me disant qu'il y avait peut-être eu des explications au début du cours.)

traduction italienne : important travail sur Dante.

plus bas : «And the dneepers of wet and the gangres of sin in it! What was it he did a tail at all on Animal Sendai? And how long was he under loch and neagh?»

mouldaw : Moldau ; dneepers : Dniepr ; granges : le Gange - Vilaine - Duddur : rivière de Dublin (enfin, Dodder. Il y a sept rivières à Dublin.)

- Animal Sendai = animal sunday : le jour des animaux, le jour des Rameaux. version Joyce: "Fête fauve".
- loch and neagh = lock and key

plus bas : «It was put in the newses what he did, nicies and priers, the King fierceas Humphrey, with illysus distilling, exploits and all. But toms will till.»
- fierceas : fierce as => le roi comte versus
- illysus : on entend Ulysse. le fleuve du Phèdre de Platon. distilling => faux saônage en référence au sel, saulnier. La référence a été transportée de l'impôt sur l'alcool à l'impôt sur le sel.
- toms : time ; le dictionnaire/annuaire descriptif des rues de Dublin ; la tour de Cambridge au pied de la Tamise (Thames) habitée par Carroll (les cloches).

plus bas : «Temp untamed will hist for no man.»
Proverbe : Time and tide wait for no man.

plus bas : «As you spring so shall you neap.»
- neap: état de la marée, mer étale. => «Tu sèmes l'Avon et récoltes l'eaurage.»

plus bas : «Minxing marrage and making loof.»
- minx: coquine
- marrage : marée, plantage
- making loof => making love => louvoyer
=> Maréage mixte et amour thémise.

plus bas : «Reeve Gootch was right and Reeve Drughad was sinistrous!»
- reeve: dignitaire médiéval. => Sbire gauche... et sbire droit était senestre.
Drughada : ville d'Irlande (??? Rien trouvé sur Google en relisant ces notes.)

plus bas : «And the cut of him! And the strut of him!»
Et son chic! Et son tic!


Notes

[1] «He comes, pale vampire, through storm his eyes, his bat sails bloodying the sea, mouth to her mouth's kiss.» p.60 Penguin Books, p.45 édition Bodley Head

Les carnets de Finnegans Wake IV

Ceci est le quatrième cours du séminaire. J'ai été absente pour le troisième.

C'est un vrai plaisir de suivre Daniel Ferrer. Sa passion pour le sujet lui permet de ne pas faire cours, mais de raconter, de proposer, d'hésiter, de bafouiller. Il nous raconte Finnegans Wake, sa vie autour de Finnegans Wake, il donne l'impression que tout un réseau de limiers est lancé dans l'enquête et partage (ou pas, je suppose) les mystères élucidés. Daniel Ferrer insiste beaucoup, souvent, à sa manière hésitante, sur le fait que l'interprétation est ouverte, qu'il n'existe pas une bonne réponse, mais qu'au contraire c'est la multiplicité qui est la vérité de ce texte. Rien n'est bête, tout le monde a sa place, son mot à dire. La pièce est petite, un abri anti-atomique au second sous-sol (attendre la fin de l'hiver nucléaire en étudiant Finnegans Wake), nous sommes une poignée, deux poignées, de tous âges, toutes nationalités (J'ai cru comprendre que Ferrer espère le plus grand nombre de nationalités possibles, et un Irlandais natif). Certains sont des habitués, paraissent travailler sur Joyce depuis des années.



Quelques indications géographiques à partir d'un schéma

Le vidéoprojecteur affiche une lettre de James Joyce à Mrs Weaver dans laquelle il donne quelques clés de FW. L'intérêt de cette lettre est de fournir un schéma avec des indications géographiques, schéma que je ne peux représenter ici (d'où mon envie d'écrire ce billet), agrémenté de légendes manuscrites mal déchiffrables/mal déchiffrées (et donc tout ce que je vais écrire avec les lettres sans hésitation de ce clavier sera un quasi-mensonge).

La lettre A se trouve en haut du schéma, la lettre Z en bas, un peu en biais vers la droite. Entre les deux, une ligne en pointillé.
- Au niveau de A on déchiffre: "Hills of Howth" => la prononciation irlandaise donne à peu près "Haoueth". Joyce a donné une étymologie: "Dan Hoved" => la tête du géant dans le paysage.
- Au niveau de Z, "Magazine Hill", la colline qui surplombe Dublin (les pieds du géant?), et juste avant "Phoenix Park", le parc qui est un peu l'équivalent de notre bois de Boulogne, dans lequel HCE vit des aventures imprécises (difficiles à cerner).
- Sur la ligne en pointillé, entre les deux extrémités, "old plains of Dublin".
- On déchiffre plus ou moins sur le bord du schéma "A...Z your postcard" => il s'agit sans doute (conjecture) d'une réponse à une carte postale de Mrs Weaver demandant des explications.

Au-dessus de dessin, des mots "Mare xxxx xxxx nostrum". Le second peut-être sestrum (les sœurs?)

les deux frères,
Shem : l'écrivain
Shaun : le postier          =>l'un écrit, l'autre transporte (la lettre d'Anna Livia Plurabelle, la mère)

2 collines : la tête et les pieds de Finn Mac Coll allongé dans le paysage.

A droite de cette ligne en pointillé, une ligne continue, partant quasiment de A, d'abord en plongeant vers le sud puis en s'incurvant et prenant la direction de l'est un long moment avant de descendre vers le sud. La ligne continue alors à peu près parallèle à la ligne pointillée s'arrête au niveau de Z. Le long de cette ligne deux mots, le premier indéchiffrable, le second "Liffey", peut-être, la rivière qui traverse Dublin.
Cette ligne continue pourrait aussi bien être une côte qu'une rivière.

les allusions sexuelles : partout
a long / along => séparation/fusion

Le premier brouillon

J'indique les mots sur lesquels nous nous sommes arrêtés, et parmi ceux là, ceux pour lesquels j'ai pris des notes => il faut imaginer que la page projetée sur l'écran est entièrement écrite et que nous ne nous sommes intéressés qu'à quelques mots, représentatifs ou ayant subi des transformation avant d'arriver à la version définitive.

- "on a merry isthmus" => évoque christmas (il faut imaginer le mot écrit à la main).
- "to wielderfight his peninsulae war" => On a vu l'origine allemande de "wielderfight" [1]. Il s'agit des guerres péninsulaires. L'ombre de Wellington et de Napoléon (surtout Napoléon) sur le livre. Deviendra "penisolate", à la fois "penis" et "isolate".
- "Not pass-encore" => not a été barré, "pass" ajouté au dessus de la ligne, avec un trait, une ligature, le reliant à encore. soit "passage", "en corps"...
- "re-arrived" : (arrived sur la ligne, "re" au-dessus, en surcharge, et lié par untrait): cyclique
- "by the Oconee exaggerated" : la rivière de Dublin. thème qui devient fondamental.
- "Sham rocks" : shame (honte en anglais). Une étudiante fait remarquer que "Sham" est un mot relevé en allemand signifiant "vagin". "rocks", c'est aussi les couilles (plus tard, un auditeur rappellera l'interjection de Molly arrêtant une explication de son mari par "rocks!"). Shamrocks, c'est aussi l'emblème de l'Irlande, le trèfle, dont il est dit que Saint Patrick se servit pour expliquer la Trinité.
- "themselvesse to Laurens" => "eux-mêmes" se renverse en "autres" (else) altérité. Reprend cette vieille idée de Freud qui l'arrangeait bien que dans les langues archaïques tout mot signifiait également son contraire. (Mais on sait aujourd'hui que c'est faux).
- un peu dans la marge "from afire" : le feu de loin (a far)
- answered corrigé en "bellowed" surchargé en "bellows" => beugler, mais aussi le soufflet qui attise la flamme
- "mishe chiche" : "je suis", explication de Joyce à Mrs Weaver => peut-on y croire?
- "tufftuff" : deviendra "tauftauf" - "Patrick" => a devient e : Petrick. "peat", c'est la tourbe, brûle avec beaucoup de fumée. (Ferrer nous raconte une histoire: un Irlandais sur un champ de bataille a dans sa ligne de mire un général et s'apprête à le tuer. mais le général se met à déféquer, et l'Irlandais hésite, il ne peut tuer le général durant un geste aussi humain sans compter qu'il serait humiliant d'être trouvé mort ainsi. Mais le général se saisit d'une motte de tourbe pour s'essuyer et alors l'Irlandais offensé dans son âme irlandaise le tue sans hésiter).
- "all’s fair in vanessy", "twinsosie sesthers" : les deux amours de Swift s'appeler Esther. L'une fut surnommé Vanessa. Elle s'appelait Ester Vanhomrigh, Swift a procédé à une inversion et à un collage.
- "all’s fair in vanessy": rappelle "Vanity Fair" (la foire aux vanités) et "all is fair in war and love"
- "the story tale of the fail is retailed early in bed" => "retailde": vendre au détail, vendre sa salade.

apparté: on a retrouvé des contes écrits par Nora sous la dictée de Joyce, car Joyce était aveuglé par une opération. Cela a une influence sur l'orthographe, et donc le sens, de certains mots.

Deuxième brouillon

Commence par le signe E sur le dos (je ne peux pas le représenter avec ce clavier). C'est le signe de HCE sur le dos, les pattes en l'air. -"violers d'amor" : amour, violence, musique
- "over the short sea" => on entend "short C", un do majeur, une note brève
- "noravoice" = le nom de sa femme, Nora. hésitaiton sur la coupure. nor avoice, nora voice
- "the fall (...)" => introduit ici pour la première fois le mot de cent lettres, le tonnerre dans toutes les langues.
- of a once wallstreet oldparr" => la crise de 29? Mais écrit avant la crise!! "old par": on entend "vieux père", mais aussi "saumon", le poisson du renouveau. cyclique.

Deuxième page : décrire toutes les batailles

- "oyshygods gaggin fishigods" : ostrogoths et wisigoths. contre (gegen en allemand) ou étrangler (gagging)

Et là je me perds, quand je confronte mes notes au texte, rien n'est dans l'ordre: mes notes remontent au début du texte.
- "river" lié à "run", rajouté en ligature
- "topsawyers" => Tom Sawyer, Huckleberry Finn
- "gorgios": argot gitan. ceux qui ne sont pas des gitans. mais aussi Georgio le fils de Joyce. mais aussi le défilé (straight, narrow =>isthmus)
- Jonathan (Swift) =>"nathandjoe", nath and joe : a fait subir au prénom de Swift quelque chose d'analogue à la déformation d'Esther Vanhomrigh en Vanessa.

On reprend le début de la version définitive

- riverrun : une référence à un poème de Coleridge, Kubla Khan (1798)

In Xanadu did Kubla Khan
A stately pleasure-dome decree:
Where Alph, the sacred river, ran    => Alph = Anna Livia Plurabelle
Through caverns measureless to man
Down to a sunless sea.

- "past Eve and Adam's" : une église de Dublin.
Si l'on découpe past Eve and Adam's , on obtient "Steven", le prénom du petit-fils de Joyce, né peut après la mort du père de Joyce qui s'appelait aussi Steven (d'où cycle, renaissance, etc.)

- "Rot a peck of pa’s malt had Shem" => O Willie brew'd a peck o' maut , poème de Robert Burns en 1789. Chanson à boire (comme Finnegan's Wake. Sens des vers de la fin: "le premier qui nous quitte est une poule mouillée et un cocu, le premier qui tombe de sa chaise est roi". cf. Finnegans bourré qui tombe raide mort de son échelle et se réveille à l'odeur du whisky.).
Daniel Ferrer nous a projeté une version chantée en nous en conseillant une autre (mais pas de liaison wifi dans l'abri anti-atomique). Tlön l'a retrouvée.

- Humpty Dumpty : Il invente sa propre langue. cf le chapitre VI de Through the looking glass:

I don't know what you mean by "glory",' Alice said.
Humpty Dumpty smiled contemptuously. `Of course you don't — till I tell you. I meant "there's a nice knock-down argument for you!"'
`But "glory" doesn't mean "a nice knock-down argument",' Alice objected.
`When I use a word,' Humpty Dumpty said, in rather a scornful tone, `it means just what I choose it to mean — neither more nor less.'
`The question is,' said Alice, `whether you can make words mean so many different things.'
`The question is,' said Humpty Dumpty, `which is to be master — that's all.'
Alice was too much puzzled to say anything; so after a minute Humpty Dumpty began again. `They've a temper, some of them — particularly verbs: they're the proudest — adjectives you can do anything with, but not verbs — however, I can manage the whole lot of them! Impenetrability! That's what I say!'

=> On peut faire ce qu'on veut avec les adjectifs, les verbes résistent.

Schématiquement, le langage se déploie selon deux axes.
- syntagmatique / contiguïté
- paradigmatique / virtualité
exemple de paradigme : sujet / verbe / attribut du sujet Le sujet (et toutes les autres fonctions) peut prendre différentes valeurs: une femme, une rose, etc.

Selon Jakobson, la fonction poétique du langage consiste à projeter le paradigme sur le syntagme afin d'attirer l'attention sur le fonctionnement même du langage.

D'autres exploreront d'autres voies: par exemple Gertrudre Stein fera bégayer le paradigme ("A rose is a rose is a rose.")

Joyce
- projette le paradigme sur le syntagme, de façon démesurée (ex: le tonnerre en 100 lettres)
- ne choisit pas. mots-valises (à la Lewis Carroll). exemple: sister+ Esther = sesther

Quelques tentatives déjà présentes dans Ulysses.

Notes

[1] la semaine dernière

Les traductions et le malentendu créateur

On a déjà assez de mal à suivre, s'il faut en plus s'accomoder des distractions du traducteur, et des défauts de relecture de l'éditeur!
Renaud Camus, Rannoch Moor, p.618

Fort bien, mais ce sont là des mots et des concepts, être, étant, essence, réalité, vérité de l'être en tant qu'il est, étantité, et j'en passe, sur lesquels ont été écrites des bibliothèques entières — je lisais récemment, à Paris, le dense petit livre de Barbara Cassin sur le poème de Parménide, Sur la nature ou sur l'étant, dont les trois quarts sont consacrés à des problèmes de traduction, justement […]
Ibid. p.644

La discipline philologique est pénible, mais elle donne souvent un certain plaisir, quand on s'aperçoit, par exemple, que le texte qui est reçu par tout le monde est évidemment erroné et que, grâce à l'examen des manuscrits ou du contexte ou de la grammaire, on retrouve la bonne leçon, ce qui m'est arrivé quelquefois avec Marc Aurèle, et aussi avec Ambroise. C'est une discipline utile au philosophe, elle lui apprend l'humilité: les textes sont très souvent problématiques et il faut être très prudent quand on prétend les interpréter. C'est aussi une discipline qui peut être dangeureuse pour lui, dans la mesure où elle risque de se suffire à elle-même, et de retarder l'effort de la véritable réflexion philosophique.
Pierre Hadot, La Philosophie comme manière de vivre, p.60

«La Nature aime à se cacher (phusis kruptesthai philei)» […] On peut ainsi voir toute une suite de sens nouveaux se dégager de trois mots énigmatiques, dont nous ne sommes même pas assurés de connaître le sens voulu par l'auteur. Il est possible en tout cas de parler de contresens créateurs, créateurs de sens nouveaux, puisque ces sens impliquent des concepts dont Héraclite ne pouvait même pas avoir l'idée. Cela ne veut pas dire que ces contresens soient créateurs de vérité.
Ce qui m'avait impressionné en 1968, c'est cette accumulation d'incompréhensions, d'interprétations fausses, de fantaisies allégoriques, qui s'étaient succédé tout au cours de l'histoire, au moins de la philosophie antique, par exemple l'histoire de la notion d'ousia, c'est-à-dire d'essence ou de substance, depuis Aristote jusqu'aux querelles théologiques des Pères de l'Eglise et des scolastiques. Quelle tour de Babel! Il est troublant de penser que la raison opère avec des méthodes tellement irrationnelle et que le discours philosophique (et le discours théologique aussi) aient pu évoluer au hasard des fantaisies exégétiques et des contresens.
Ibid., p.121
C'est fascinant, en effet. Finalement, il est probable que nous ne saurons jamais ce qu'ont réellement écrit les auteurs antiques, ce qu'ils voulaient véritablement nous transmettre. Et pourtant on continue à les lire, à les commenter. Quelle étrange obstination.

Le Quinconce, de Charles Palliser

Le Quinconce est un roman à la manière de Dickens que l'on pourrait qualifier de policier puisque son ressort principal est une énigme.
La solution de l'énigme n'est pas donnée. Les derniers mots du livre, "my grandfather's sword", constituent un indice décisif qui oblige le lecteur consciencieux à rouvrir le livre au début pour relire les mille pages qu'il vient de terminer (cinq tomes dans la traduction française) pour tenter de reconstituer un arbre généalogique qui ait un sens.

Les traducteurs suédois (il me semble que c'étaient les Suédois) se sont heurtés à un obstacle de taille : il n'existe pas de mot générique pour désigner un grand-père, il s'agit toujours du grand-père paternel ou maternel. Or cette précision est décisive au moment d'élaborer une solution à l'énigme. (L'auteur, Charles Palliser, raconte qu'à sa grande stupéfaction il a rencontré lors d'une séance de signatures deux lecteurs ayant chacun une hypothèse cohérente et tout à fait plausible sur ce qui c'était "réellement" (si je puis dire) passé dans le livre qu'il avait écrit. L'auteur ignorait qu'il avait écrit deux solutions).

Je ne sais pas comment les traducteurs se sont tirés de ce mauvais pas.
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