Billets qui ont 'traduction personnelle' comme genre.

Les dons pour Notre-Dame expliqués par un Syrien

Je continue à traduire quelques articles ou tweets pour les non-anglophones.
Celui-ci est particulièrement triste parce que c'est un Syrien lui-même qui explique à ses concitoyens, aux musulmans, à tous ceux qui s'émeuvent de la somme colossale réunie en si peu de temps pour Notre-Dame, pourquoi ce n'est pas le cas pour les monuments du Moyen-Orient.
C'est triste parce que l'explication est terriblement humaine, ressortissant à l'émotion et au court terme; parce que par contrecoup elle donne une bonne description de l'état géopolitique du Moyen-Orient.

Avant de passer à la traduction, vous trouverez ici une compilation d'à peu près toutes les opinions qui sont passées sur le net depuis le 15 avril.

Traduction du thread de S.Rifai.
Depuis l'incendie de Notre-Dame et l'émotion mondiale et les promesses massives de dons, je vois d'innombrables tweets (principalement d'arabes et de musulmans) qui se demandent pourquoi il n'y a pas eu une telle réaction et un tel soutien international quand les monuments du Moyen-Orient (certains deux fois plus vieux que Notre-Dame) sont démolis ou détruits.

1 - Un monument religeux et historique connu et renommé dans le monde entier filmé en direct alors qu'il brûle au centre de l'une des principales capitales européennes, ça fait la une. Au Moyen-Orient, cela arrive tous les jours.

2 - C'est un événement unique, avec un début et une fin dans un intervalle de vingt-quatre heures. Cette église n'est pas en train de brûler depuis 14-18.

3 - Cette durée maximise l'effet de choc et concentre la compassion. Les gens voient quelque chose et souhaitent agir rapidement. C'est aussi simple que cela.

4 - Pour les donneurs potentiels, la solution pour reconstruire un monument historique incendié est très simple. On donne de l'argent, on paie des entrepreneurs, on relève le bâtiment incendié. Dans notre cas, c'est un peu plus compliqué.

5- 99% des promesses de dons initiales ont été faites par des millionaires français et par des entreprises multimillionaires françaises. Voilà des gens qui doivent à la France leur bien-être et leur fortune et qui n'hésitent pas à lui rendre la pareille. Au Moyen-Orient: 99% des millionnaires sont soit des dictateurs soit leurs cousins ou leurs amis…
Ces gens n'en ont rien à cirer de ce qui se passe ou ce qui brûle dans leur pays. Donc ne soyez pas étonnés.

6- Pas de conspiration ici: 99% de TOUS les monuments du Moyen-Orient ont été soit découverts par des explorations occidentales, soit préservés par de l'argent occidental ou ont survécu grâce au parrainage occidental.

7- Alors la ferme, honte sur vous et tâchez de préserver tout monument créé par l'homme, quelles que soient sa religion ou ses croyances.

A la vôtre

Le "Shutdown" : je ne sais pas s'il y a une traduction officielle du terme en français. C'est la fermeture des administrations américaines lorsque le budget de l'année suivante n'est pas voté par 60% des sénateurs, ce qui arrive tous les ans (ou presque, je n'ai pas vérifié) depuis qu'Obama a été élu: les républicains ne supportaient pas un président noir (interprétation libre et biaisée de moi-même, je l'admets), maintenant les démocrates surveillent Trump.

Les salariés de l'administration gouvernementale (j'évite "fonctionnaires" tant le statut est différent) sont au chômag et ne sont plus payés jusqu'à ce qu'un accord soit trouvé. Cette année le vote a achoppé sur le financement du "Mur" (entre guillemets: LE mur, le célèbre mur à construire entre le Mexique et les Etats-Unis. Trump voulait cinq milliards pour le financer, il en a obtenu un.)

Donc l'administration fédérale est fermée. Une célèbre brasserie située sur une colline au dos du Capitole a proposé les cocktails suivants, à cinq dollars pour les salariés au chômage sur présentation de leur badge (c'est une brasserie très cotée, les coktails coûtent ordinairement un bras).

(Ce qui m'impressionne, c'est l'engagement de la direction. En France, les établissements ménagent la chèvre et le chou, les commerçants refusent le plus souvent d'être sur une liste électorale, etc.)


2018-1221-cocktails-shutdown.jpg




Pas Mattis à s'en faire 1
Mad Dog 20/20 & Vodka. Commandez-le, buvez-le et partez.

Mexico paiera pour ça 2
Tequila bleue Montezuma, jus d'orange, grenadine.

L'affaire du bain moussant 3
Bourbon, jus de citron, soda, un goût de récusation.

La bourgeoisie AOC 4
Champagne brut, pêche, chaleur porto-ricaine.

Pétarade au mur-frontière 5
Téquila, liqueur Galliano, jus d'orange, ajoutez des glaçons.

Butina on the rocks 6
Vodka Stolichnaya, bière au gingembre, sucre liquide, framboises.

La coupe de Stephen Miller 7
Fin, tonic, liqueur St Germain et aucun remord (un trait du vin de la maison).



Notes :
1 : référence à la démission du secrétaire à la Défense James Mattis, considéré comme le pôle stable de la Maison blanche. Cette démission suscite l'inquiétude mondiale.

2 : cela vaut à peine une note (mais j'écris pour plus tard): référence au mur anti-immigration que Trump a juré de construire entre le Mexique et les USA — en le faisant financer par le Mexique.

3 : à l'origine, un fait divers dans l'Ohio: une prisonnière s'est échappée de prison et a été retrouvée dans un bain chaud dans une maison de retraite sans que personne n'explique cette situation. C'est devenu un podcast d'actualités anti-Trump: «Le ministère de la justice a accusé le Président d'avoir dirigé des manœuvres pour manipuler les élections de 2016; Mueller [directeur du FBI entre 2001 et 2013 et procureur chargé de l'enquête dans cette affaire] a révélé de nouvelles connections entre le gouvernement russe et la campagne de Trump; le Président se débat pour conserver des équipes dans son administration.»

4 : Référence à l'attaque trumpienne contre les vins français.

5 : jeu de mot sur "wall banger" / Wallbanger, un cocktail existant.

6 : Maria Butina, espionne russe aux Etats-Unis qui a plaidé coupable le 13 décembre 2018.

7 : Stephen Miller est l'inspirateur des mesures anti-immigration les plus brutales. Il est apparu avec une nouvelle implantation de cheveux et les anti-Trump s'en moquent sur le thème «Trump n'aime pas les coupes ridicules, il va sans doute virer Miller» (voir ici à partir de cinq minutes).


Et je me dis que ce qui nous manque en France ce sont des journalistes pros ET drôles.

Entre esprit de Noël et défi 2019

Un twittos joue au jeu suivant : répondre à ses insulteurs en tentant de les faire changer d'état d'esprit le plus rapidement possible.


Voici des captures d'écran car c'est ainsi qu'il nous a transmis la conversation.


advil1.jpg



advil2.jpg



Traduction (adaptation : je ne suis pas très douée en insulte et ordure. Précisons que le twittos est basané. L'absence de ponctuation est sans doute due à l'utilisation du clavier du téléphone: on ne raffine pas trop, on privilégie la vitesse).

Michael : alors putain ferme-la et retourne là d'où tu viens connard
Abdul : tu es vraiment beau gosse sur ta photo de profil
Abdul : tu utilises quoi pour avoir les dents aussi blanches
Michael : je suis plutôt beau gosse en général mais là un peu malade en ce moment1
Michael : c'est ma copine qui l'a prise ce n'est pas vraiment ma préférée mais j'aime la photo
Michael : j'aime ta barbe. ça me plairait d'en avoir une
Abdul : moi j'utilise du charbon actif en capsules. je les ouvre et je me brosse les dents avec ça paraît bizarre et ça a un goût bizarre mais c'est magique pour polir les dents
Michael : on en trouve où
Abdul : n'importe quel magasin genre cvs
Michael : merci pour l'astuce et désolé d'avoir été grossier dors bien mec
Abdul : dors bien mon pote des bises






Note
1 : rn = right now

Entre histoire vécue et micro-nouvelle

Je ne sais pas pourquoi ce tweet d'avril 2016 s'est retrouvé dans ma TL en octobre 2018.

Ce thread m'émeut, il décrit l'enchaînement des circonstances qui vous amène à faire des choses que vous n'auriez jamais acceptées au départ, pour qu'à la fin il ne vous reste rien — rien d'autre que la consolation d'avoir fait ce qui devait être fait.
Qu'il le décrive si bien, c'est aussi l'art du scénario (des scénarios, des embranchements possibles à chaque niveau du récit), ce qui suppose chez les concepteurs du jeu, au-delà des combats et de l'animation, une véritable volonté de conter et de mettre en scène.
Ce thread montre aussi la façon dont ces jeux méprisés par ceux qui ne les pratiquent pas font intimement partie de la vie de ceux qui jouent: où se situe ce récit, est-il biographique ou pas? Après tout, l'auteur a réellement passé des heures devant son écran et s'est véritablement fait du souci et a fait des choix éthiques, entre son chien, les dragons, la fillette…: «nous sommes fait de l'étoffe de nos rêves ».
Cela montre la façon dont le jeu est sérieux, faisant ressortir nos réflexes les plus profonds. (Oui les joueurs méchants sont méchants — mais les joueurs gentils sont gentils. #Breivik)

Je le traduis rapidement. Je conserve la syntaxe et la ponctuation haletantes et inorthodoxes. Je précise que je n'ai jamais joué à Skyrim, mais qu'il me semble que c'était le jeu utilisé pour les décors du Ring à Dessau en 2015.


Patrick Lenton est un auteur australien. Il a écrit A Man entirely made of Bats, non traduit à ce jour.



Le pire moment dans Skyrim a été quand j'ai trouvé dans une cabane ce chien dont le propriétaire était mort, et bien entendu j'ai adopté le chien parce que je ne suis pas un monstre

et j'aime ce chien, mais je bats la campagne pour tenter d'accomplir des quêtes, de sauver le monde et du barda, mais ce bon chien

Mais ce bon chien essaie toujours de m'aider à combattre géants et dragons, et voilà, «NON, NE TOUCHEZ PAS A MON CHIEN»

et je dois combattre à 300% plus dur pour empêcher mon chien d'être dévoré par les dragons et honnêtement je n'ai jamais été aussi angoissé

et c'est alors que j'apprends que je peux construire un abri et que mon chien pourra y vivre; alors je passe les quatre jours suivants de ma vie à construire un truc

pendant que les bandits et les dragons continuent à attaquer mon chien pendant que je cherche du foutu minerai et que je construis un putain de solarium pour mon clébard

et ensuite le chien ne reste pas dans la maison et je découvre que je dois d'abord adopter un enfant, et qu'il faut que mon enfant aime mon chien

alors je vais dans un orphelinat pour découvrir qu'ils sont maltraités par une femme diabolique, alors je la tue

mais ensuite je ne peux plus adopter d’enfant parce qu'ils sont libres! Alors j'erre dans Skyrim à la recherche d'un enfant sans parent quelque part

et je n'aime même pas les enfants

et ensuite je trouve enfin une fillette mendiant dans Whitherun, et ça devient «merci maman!» sans arrêt (je joue une sorcière-chat)

et ensuite je découvre que la fillette NE S'INSTALLE PAS DANS MA MAISON PARCE QUE JE N'AI PAS PRÉPARÉ UN LIT CONVENABLE POUR ELLE

ALORS JE DÉCIDE DE CONSTRUIRE UNE NOUVELLE MAISON AU BORD D'UN PUTAIN DE LAC PARCE QUE JE ME DIS QUE CE SERA UNE BONNE PLACE POUR ÉLEVER DES ENFANTS OU JE NE SAIS QUOI

MAIS D'ABORD JE DOIS DEVENIR DUC DE FALKREATH ET MENER TOUTES CES QUÊTES POUR AIDER DES GENS POUR QU'EN RETOUR ILS ME DONNENT UN COIN DE TERRE

et mon chien me suit TOUJOURS, il est TOUJOURS à deux doigts de se faire tuer à chaque combat, et je suis juste une putain de mère tendue et terrifée

passons; ensuite je rencontre un autre foutu chien sur la route, mais c'est un putain de chien-démon, et lui aussi vient avec moi

et voilà — des mois se sont écoulés dans le jeu, le monde est envahi de dragons, et je suis entièrement concentré sur mon projet immobilier

Enfin je construis ma nouvelle maison au bord du lac et je vais chercher ma fille (qui vit dans la rue depuis deux mois environ)

voilà — LITTÉRALLEMENT, les mendiants ne peuvent pas faire les difficiles, mais parce que je n'ai pas préparé un bon lit pour elle, elle dort sur un banc dans Whiterun

et elle vient habiter ma maison qui se trouve à côté d'une grotte de loups et d'un cercle incantatoire de nécromancien, mais tant pis

et j'entre dans ma maison avec mon foutu chien, attendant qu'elle adopte mon chien pour que je puisse retourner sauver le monde

et elle ADOPTE UN PUTAIN DE RAT

VOICI CE BRAVE CHIEN ADORABLE QUI NE SOUHAITE QUE S'ÉTENDRE AU COIN DU FEU

ET ELLE SAUTILLE ÇA ET LA AVEC UN RAT GÉANT

à la même période je me suis mariée avec une lady du nom de Mjoll la lionne parce qu'elle est a du mordant et qu'elle fera une bonne mère lesbienne

et bizarrement, son «ami» Aerin emménage lui aussi dans notre maison

et voilà — avons-nous une liaison polyamoureuse et élevons-nous notre fille SDF et son rat? parce que c'est cool

et je décide d'aller chercher un frère à ma fille toute nouvelle pour qu'il adopte le chien. Du moins espérons-le.

et ça marche — le garçon veut du chien, mon chien aime le garçon, tout va bien, l'adoption du chien est un succès.

et je peux enfin redevenir le sauveur de Tamriel

sauf que je découvre alors que l'«ami» de Mjoll, Aerin, n'arrête pas de crier «Crétin de chien» à mon chien adorable.

alors j'ai attendu qu'il sorte pour essayer de le refouler dans sa PROPRE MAISON

en théorie, pouvais-je le repousser dans le lac? en tout cas, je me suis trompé et je l'ai repoussé dans le cercle du nécromancien

et il en est mort

et ma femme me vit le tuer, et elle m'attaqua, et je ne voulais pas la tuer, alors je me suis enfui

et donc je ne pourrai jamais revenir chez moi; mais même si j'ai détruit mon mariage et tué un homme

je sais que mon chien est en sécurité.

FIN. MERCI.
@PatrickLenton 5 avr. 2016

worst part of Skyrim was when I found that dog whose owner died in a cabin, and then I of course had to adopt the dog bc i'm not a monster

and I fucking love this dog, but i'm wondering around trying to solve quests and save the world and junk, but this good dog

this good dog always tries to help out fighting giants and dragons, and it's like 'NO DON'T HURT MY DOG'

and i have to fight like 300% harder to save my dog from being eaten by a dragon and i've honestly never been so anxious

so then I find out that I can build a homestead and my dog can live there, so the next four days of my life are building shit

while bandits and dragons still attack my dog while i'm bloody mining ore and building a goddamn solarium for my pooch

and then the dog won't stay in the house, and I discover I have to adopt a child first, and the child has to like my dog

so i go to an orphanage, to discover they are being mistreated by an evil woman, so I kill her

but then I can't adopt a child any more because they are free! So I wander Skyrim looking for a parent-free child somewhere

and I don't even like children

and then finally I find some girl begging in Whiterun, and she's all like 'thanks Mum!' (I play a lady cat-wizard)

and then I discover that the girl WON'T MOVE INTO MY HOUSE BECAUSE I DIDN'T MAKE A PROPER BED FOR HER

SO I DECIDE TO BUILD A NEW HOUSE, ON A FUCKING LAKE BECAUSE I FIGURE IT WILL BE A GOOD PLACE TO RAISE CHILDREN OR WHATEVER

BUT FIRST I HAVE TO BECOME A THANE OF FALKREATH AND DO ALL THESE QUESTS TO HELP PEOPLE BEFORE THEY GIVE ME A PLOT OF LAND

and my dog is STILL following me around STILL nearly dying in every fight, and I'm just a tense, scared motherfucker

anyway, then I meet another goddamn dog on the road, but it's a fucking demon dog, and it comes with me too

and it's like - months have passed by in the game, the world is being invaded by dragons, and I'm just focused on real estate

finally i build my new lakefront house, and go find my daughter (who has been living on the streets for about two months)

it's like - LITERALLY, beggars can't be choosers, but bc i didn't make a nice bed for her, she sleeps on a bench in Whiterun

and she moves in to my house, which is right next to a cave of wolves and a necromancers summoning circle, but whatev

and I walk into the house, with my goddamn dog, waiting for her to adopt my dog so I can go save the world

and she's ADOPTED A FUCKING RAT

THERE IS THIS GORGEOUS, BRAVE DOG WHO JUST WANTS TO SETTLE DOWN IN FRONT OF A HEARTH

AND SHE'S FLOUNCING AROUND WITH A GIANT RAT

in the meantime, I get married to a lady named Mjoll the Lioness, bc she's hot to trot and will be a good lesbian mother

and weirdly, her 'friend' Aerin, moves into our house too

and it's like - do we have a polyamorous relationship and are raising our homeless daughter and her rat? bc that's cool

so I'm like 'i'll go and find a brother for my new daughter' and he can adopt the dog. Hopefully.

and it works out - the boy wants my dog, my dog likes the boy, everything is fine, the dog has been successfully adopted.

and finally i can go back to being the saviour of Tamriel.

although I then discover that Mjoll's "friend" Aerin keeps yelling 'stupid dog' at my gorgeous dog.

so I waited until he was outside and I try to make him fuck off back to his OWN HOUSE

my theory was that I could shout him into the lake? anyway, I misjudged and shouted him into the necromancer circle

and he died

and my wife saw me kill him, and attacked me, and I didn't want to kill her, so i ran away

so I just never went back to my house, but even though I destroyed my marriage and killed a man

i know that my dog is safe.

THE END. THANK YOU


Denise Banister
Oy vey, it took me this long to realize thi is about a game and not your vacation.

Mieux que le langage des fleurs : le langage des broches

Quelques nouvelles de Trump :



Durant sa visite en Grande-Bretagne, Trump a rencontré la reine Elizabeth, arrivant en retard pour le thé ou passant devant elle lors de la revue de la garde (mais qu'il est mal élevé. Cela me dépasse.)

Ce matin je suis tombée sur ce thread (fil) extraordinaire de @SamuraiKnitter sur les broches de la reine.
Je traduis pour partager et conserver. (J'essaie de conserver le style de la twittos, sans trop harmoniser la syntaxe, mais en ajoutant parfois des mots pour rendre la compréhension plus fluide.)
#BroochDecoderRing #DecoderLesBrochesDeLaReine
Les renseignements suivants reposent principalement sur le travail de la blogueuse qui tient Le coffre à bijoux de Sa Majesté. Si vous vous y rendez (je vais donner le lien), SACHEZ QUE LA BLOGUEUSE NE VEUT RIEN SAVOIR DE CES ELUCUBRATIONS POLITIQUES, QUE CE N'EST PAS POUR CELA QU'ELLE BLOGUE, donc allez-y mollo.

Allons-y. Il vous faut quatre-vingt douze ans de contexte. La reine (ci après QE, Queen Elisabeth) a toujours aimé les broches et donc tout le monde lui en offre. Absolument tout le monde. Il y a peu de temps une association de courses hippiques lui a offert un présent en remerciement d'une vie entière de soutien: le "trophée" était une broche. Vous avez compris le principe.

QE fait également des centaines et des centaines d'apparitions en public, et dans 95% des cas ou plus, elle porte une broche. Et la broche a TOUJOURS un sens. Ou des insignes de régiments militaires: si elle passe également en revue des troupes, elle porte leurs insignes pour ce faire.

Un chef d'Etat lui offre une broche? S'il lui rend visite, elle la portera ou portera quelque chose qu'il lui aura offert (ceci est valable pour toutes sortes de bijoux). Pour elle il s'agit presque d'ordres royaux.

Cela posé, elle a porté trois broches pendant que tRUmp était à Londres en même temps qu'elle: le jour de son arrivée, le jour du banquet et le jour où elle l'a rencontré personnellement lors d'un thé. (Entre parenthèses, il l'a fait attendre 12 minutes pour le thé. Il est arrivé en retard à un thé AVEC LA REINE DE CETTE FICHUE ANGLETERRE).

Le jour de son arrivée est celui a le plus retenu l'attention. Ce jour-là, elle portait une broche offerte par les Obama lors de leur dernière visite en Angleterre.

Cela est déjà amusant en soi. Elle porte une broche offerte par les Obama. Mais il y a mieux: ce n'est pas UNE broche américaine — n'importe laquelle aurait fait l'affaire. Elle a choisi CELLE-CI. Celle-ci a été achetée par Michelle et Barack Obama sur leurs cassette privée et offerte en tant que cadeau personnel.

Et dans la mesure où les Obama sont eux aussi Experts en Ces Matières Subtiles, ils ont choisi une épingle très modeste en matériaux très modestes. Le message était "Nous vous offrons quelque chose que vous aimez, d'une valeur purement sentimentale puisque c'est un signe d'amitié et non la marque d'une visite d'Etat."

A travers les années, les Etats-Unis ont offert de multiples joyaux à la reine et je suis sûre que son habilleuse aurait pu les trouver tous ou chacun en cinq minutes. Mais QE a choisi la pièce la plus SENTIMENTALE de sa collection, celle qui lui a été offerte EN SIGNE D'AMITIE PAR LES OBAMAS EN TEMPS QUE PERSONNES PRIVEES.

Le jour suivant, deuxième broche. C'était le jour des audiences, elle reçoit au moins une fois par semaine pour maintenir le lien avec le Commonwealth. Ce jour-là elle recevait le roi et la reine de Belgique, également pour le thé. Elle portait une broche de saphir.

Elle s'appelle la broche du jubilé de saphir et elle a été offerte à la reine d'Angleterre pour ses onze milliards d'années de règne (OK, 65). Par le Canada. Vous savez, le pays contre lequel tempête Trump et qu'il agonit d'injures. Un pays du Commonwealth et l'un des plus grands allié du Royaume-Uni. Celui-là même.

Il est composé de plus de dix carats de saphir de différentes nuances de bleu et il est juste époustouflant.

broche-jubile-saphir.jpg


Jolie manière de creuser une tranchée sans dire un mot.

Et le jour du thé, QE a porté une innocente broche en diamant, «élégante mais pas "oh purée!!"», si l'on songe à ce que contient le coffre hérité de sa mère.

Les observateurs de joyaux s'en sont presque évanouis, car il s'agit de la broche portée sur la célèbre photo des «trois reines en deuil», la broche portée par la reine-mère.

3-reines-en-deuil.jpg broches-reines-en-deuil.jpg


QE s'est présentée au thé avec les tRUmps avec la broche que sa mère portait lors des FUNERAILLES OFFICIELLES de son père.

Jeu, set et match pour la reine Elizabeth. Que les dieux sauvent la reine, ou elle leur bottera le cul à eux aussi.


La twittos donne ensuite des renseignements variés en fonction des réactions et questions de ses lecteurs.
A propos des vêtements de la reine :
J'ajoute des détails donnés par un ami sur la tenue de la reine.

Le tailleur que portait la reine pour le thé était exactement celui qu'elle portait pour ouvrir la session parlementaire après la réorganisation qui a suivi le référendum sur le Brexit. «Je pense que c'est désormais la tenue officielle qui signifie "Je n'approuve pas"».


A propos de la princesse Michael de Kent :
Il y a quarante ans, l'un des cousins de la reine a épousé une femme désormais connue sous le nom de princesse Michael de Kent. Celle-ci est une raciste notoire. Au premier déjeuner de Noël en famille où elle devait rencontre Megan Markle, elle portait cela:

broche-raciste.jpg


Si vous tapez «broche Princesse Michael de Kent» dans Google, vous obtiendrez CETTE photo dans un article du Harper sur le sujet. L'incident est célèbre dans un coin reculé du territoire des observateurs de joyaux.

Aux XVII et XVIIIe siècles, ceux dont l'Empire britannique faisait la fierté aimaient retrouver leurs "sujets" dans des objets d'art. Celui-ci s'appelle une broche Blackamoor et ce bijou correspond aux statues de jeunes boys noirs portant des torches au bout des allées.

Pour rencontrer Megan Markle.
Qui était alors fiancée à Harry.

La princesse a affirmé avec force que tout cela n'était qu'un ENORME malentendu et qu'elle ne s'était pas douté LE MOINS DU MONDE qu'une épingle nommée BROCHE BLACKAMOOR était de mauvais goût.

Mais un type qui est sorti avec sa fille a dit que la princesse avait sur sa propriétés deux moutons noirs nommés Venus et Serena, donc je vous laisse juge.

Nous espérions tous que Serena moucherait la princesse Michael lors du mariage; mais il s'est trouvé que Serena est bien trop distinguée pour remettre à sa place une vieille dame blanche, même quand celle-ci l'aurait mérité.


Une précision sur la broche du jubilé (la suite de l'exercice d'interprétation):
ET PUISQUE J'EN SUIS A COMMENTER, @jadewhisk a souligné le point suivant:

Vous savez, la broche canadienne d'Elisabeth pourrait être considérée comme un FLOCON DE NEIGE1 PARTICULIER.

Si la reine connaît l'expression "flocon de neige", c'est forcément la raison pour laquelle cette broche a été choisie. Celle-ci n'avait encore jamais été portée car la reine porte toujours une broche en forme de feuille d'érable qui lui a été offerte par le peuple canadien quand elle était jeune.

Ah non, je me trompe : la broche a été offerte à la reine-mère lors d'un voyage au Canada dans les années 30. Offerte par le roi. Donc c'est un cadeau que les parents bien-aimés de la reine se sont fait.

Depuis, la broche a toujours été LA broche "Bienvenue, Canada !"

broche-canada-2.jpg broche-canada-1.jpg

broche-canada-3.jpg broche-canadabffa7.jpg


Je ne suis pas capable de même commencer à imaginer ce que pensait la reine, mais les faits sont les suivants:
1. QE possède une broche associée si étroitement au Canada que celle-ci est devenue un signal de reconnaissance.
2. Ce n'est pas cette broche qu'elle a portée.

3. Elle a choisi un bijou qu'elle n'avait jamais porté auparavant.
4. Celui-ci a la forme d'un flocon de neige, à peu près.
5. Il avait été décrit comme un flocon de neige dans un article de presse sur le sujet. 6. QE a amplement prouvé qu'elle est un maître dans l'art de la guerre des broches.

Il m'est également venu à l'esprit que sur les trois broches, deux étaient les présents de chefs d'Etats prépondérants et la troisième appartenait à sa mère, qu'Hitler appela «la femme la plus dangereuse d'Europe» à cause de la façon dont elle mobilisa les Londoniens durant le Blitz.


La twittos ajoute des détails sur l'art des bijoux dans la Couronne britannique.
Tout cela provient de Twitter, je suis des embranchements dans la conversation d'où les impressions de redites.
Quelques infos que j'oublie que les gens ne connaissent tout simplement pas.

La broche flocon de neige était neuve, elle n'avait jamais été portée. Un cadeau du Canada. Habituellement, QE conserve ce genre de joyau pour des occasions où il sera vu par la foule. Surtout un cadeau d'un pays du Commonwealth. Le CANADA.

A la différence des trusts de joyaux de la plupart des familles royales, au Royaume-Uni il faut l'accord de la reine pour porter tout bijou venu du coffre. Personne ne sait si elle propose des bijoux ou si Camilla ou Kate (le plus souvent) font des demandes. Sans doute les deux.

Mais chaque fois qu'un bijou d'une certaine importance est porté (les diadèmes portées par Kate et Meghan incluses), sachez que la reine a donné sa permission expresse, soit pour cette occasion soit sous forme d'un prêt à lont terme.

Et pour conclure ce fil sur une note plus joyeuse que PMoK2 et sa broche raciste, voici les broches que la reine a porté pour les mariages de Will et Harry :

Pour le mariage de Will et Kate, elle a porté la broche noeud.
A l'origine le bijou a été acheté par sa grand-mère et QE en a hérité quand la reine Mary est morte dans les années 50.

broche-faveur44cf5.jpg


Le nœud est appelée "lacs d'amour" dans le symbolisme européen, et les nœuds sont utilisés en héraldique pour représenter un mariage. Il est utilisé le plus souvent pour maintenir les broches coquelicots le 11 Novembre.

QE a porté une broche dans la famille depuis longtemps et qui symbolise l'amour et le mariage et rappelait un proche que la reine aimait.

Quand la reine est apparue portant la broche «Lacs d'amour» aux yeux des observateurs de joyaux nous avons émis un "Oooohhh !" à l'unisson.

Ce qui fait que lorsque Harry and Meghan se sont acoquinés, nous étions, disons, plutôt curieux. (Il se peut qu'il y ait eu des paris de placer, mais c'est difficile d'avoir d'établir une cote car cette dame possède des milliers de broches).

(Et les observateur de joyaux parient de préférence sur les diadèmes).

QE portait la broche Richmond pour le mariage d'Harry et Meghan.
A l'origine, c'est un CADEAU DE MARIAGE de la ville de Richmond à sa grand-mère Mary.

broche-richmond.jpg


Ici, je loupe quelque chose. Je suis américaine, je loupe de nombreux détails et JE SAIS que je loupe quelque chose. Punaise, quel lien peut-il y avoir entre le Sussex et Richmond?

Mais en tout cas, pour les mariages QE aime porter des pièces depuis longtemps dans la famille. Et cela veut signifie quelque chose car elle possède BEAUCOUP de pièces modernes qui lui ont été offertes durant son règne vraiment très long.

QE a prêté des pièces à Kate, certaines de façon permanente, d'autres pour un événement précis, mais toutes les pièces étaient dans la famille depuis LONGTEMPS, et je soupçonne qu'elle pousse Kate à porter davantage de clinquant que Kate ne le ferait d'elle-même.

Mais parmi d'autres pièces, Kate s'est vu prêtée plusieurs des diadèmes favoris de la reine, le diadème "Lover's Knot" associé à Diana (on dirait qu'il va devenir le diadème courant de Kate) et un bracelet que Phillip a offert à la reine elle-même.

Pour l'instant QE n'a prêté à Meghan que son diadème de mariage (celui de la reine Mary) mais je m'attends au même genre que pour Kate : des pièces classiques de longue date dans la famille. Elles auront sans doute une signification. Je vais les tenir à l'œil.

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MAIS ATTENDEZ, IL Y A PLUS! je crois que j'ai compris le sens de la broche lors du mariage d'Harry et Meghan. Il y a un Richmond dans le Sussex, qui est la pairie du nouveau couple : le duc et la duchesse de Sussex.


Question d'un twittos qui en profite, suivie de la réponse.
[un twittos :] : Avez-vous des infos sur cela ?

apres-le-brexit.jpg 3


[Réponse :] : Quoi, la broche? C'est le Cullinan V.

broche-cunillan-V-1.jpg


D'autres morceaux de la pierre d'origine sont incrustés dans la couronne et le sceptre impériaux.
Une façon de rappeler à tous qui elle est.

D'habitude je ne sais pas répondre à ce genre de question sur le vif, mais cette broche est depuis toujours ma préférée de tous ses bijoux.

[le twittos :] : Troll level: LA REINE DE CETTE FICHUE ANGLETERRE. Par ailleurs, je sais qu'elle est au-delà de tout reproche en ce qui concerne sa connaissance du protocole, mais j'aime à penser qu'il y a un spécialiste en joyaux dans la maison royale qui les catalogue et discute avec elle des choix possibles avant chacune de ses apparitions, c'est-à-dire chaque jour.

[Réponse :] : En effet. Cette spécialiste s'appelle Angela Kelly. Elle dessine et supervise la confection de tous les vêtements de la reine et de certains de ses chapeaux.


Note:

1 : snowflake, flocon de neige, décrit des personnes fragiles prêt à fondre à la première contrariété. Trump aime utiliser ce mot comme une insulte à l'encontre de ses opposants.
2 : PMoK : princess Michael of Kent (qui ne peut s'appeler princesse Marie-Christine car elle n'est pas née princesse, selon la lettre patente de George V en 1917).
3 : Tenue de la reine pour ouvrir la session parlementaire après le Brexit. Je suis désormais certaine que le chapeau avait un sens…

Les "j'aime" sur Facebook disent tout (ou presque) de vous

Suite au scandale Cambridge Analytica j'ai fait quelques recherches sur les premières études sérieuses portant sur FB. J'ai choisi deux études de l'équipe Michal Kosinski, David Stillwell et Thore Graepel publiés en 2013 et 2015, elles-mêmes commentées (donc simplifiées) dans la revue en ligne de l'université de Cambridge.

En 2013 ce genre d'études me faisait sourire : comme si j'avais des choses si graves à cacher — comme si tout n'était pas dit frontalement et comme s'il était nécessaire de le déduire (de l'avantage de vivre en démocratie, de ne pas devoir cacher ses opinions ou ses façons de vivre).
Cinq ans plus tard c'est beaucoup moins drôle : Trump a été élu (retrait des USA du Conseil des droits de l'homme de l'ONU pas plus tard qu'hier — scandale des camps d'enfants migrants, dénonciation de l'accord avec l'Iran, installation de l'ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, climatoscepticisme, etc) et la Russie aurait joué un rôle dans le Brexit (— Quel est son intérêt? Nous-mêmes sommes contents de nous débarrasser des Anglais! — Tout ce qui affaiblit l'Europe est favorable à Poutine).

L'Europe (l'Union européenne) semble avoir pris la menace au sérieux. En France, la "RGPD" (protection des données personnelles) est entrée en vigueur le 25 mai 2018 (c'est elle qui provoque les mails de mise à jour concernant la politique d'utilisation de vos données personnelles que vous recevez presque chaque jour en ce moment).

Je mets en ligne la traduction des articles et études fondateurs — parce que cela me paraît important de toujours remonter à la source.
Voici tout d'abord l'article en ligne présentant l'étude de 2013 de Kosinski, Stillwell et Graepel.

Remarque: traduction à la volée, n'hésitez pas à corriger en commentaires. C'est volontairement que j'utilise des expressions parfois différentes de celles communément utilisées (par exemple je traduis "sensitive" par "confidentielle") en partant du principe qu'en 2013 ce n'était sans doute pas encore figé et que par ailleurs, les traductions homonymiques sont souvent des paresses de traduction. Que "privacy" ne soit pas un mot en français mais un ensemble de notions est intéressant (et pose bien des problèmes). Le contexte m'a amené à traduire "digital" par "internautique".
On remarquera qu'on parle de modèle statistique et non d'intelligence artificielle. Ce n'est pas la même chose mais en 2018 j'ai l'impression qu'on utilise souvent l'un pour l'autre.
11 Mars 2013 : Les données internautiques peuvent exposer au grand jour les traits de caractère et les particularités privées de millions de personnes.

L'étude montre que les "traces" laissées par ce qui semble un comportement anodin sur internet — ici les "j'aime" sur Facebook — permettent de déduire les caractéristiques personnelles privées d'un internaute avec une très bonne exactitude. L'étude soulève d'importantes questions sur le marketing personnalisé et la protection de la vie privée sur internet.

Une nouvelle étude publiée aujourd'hui dans le journal PNAS montre qu'à partir d'une analyse automatique portant simplement sur les "j'aime" d'un utilisateur de Facebook — une information aujourd'hui publique par défaut — on peut estimer avec une exactitude surprenante sa race [ou sa couleur?], son âge, son QI, sa sexualité, sa personnalité, sa consommation de drogue et ses opinions politiques.

Dans l'étude, les chercheurs décrivent les "j'aime" de FB comme une «classe générique» d'enregistrements internautiques — de même type que les recherches via des moteurs de recherche ou l'historique de navigation — et laissent entendre que de tels outils peuvent être utilisés pour extraire des données confidentielles sur pratiquement n'importe qui régulièrement en ligne.

En collaboration avec Microsoft Research Cambridge, les chercheurs du centre de psychométrie de Cambridge ont analysé les données de plus de 58000 utilisateurs américains de FB qui ont fourni leurs "j'aime", leurs profils démographiques et les résultats du test psychométrique passé sur l'application MyPersonnality.

Les utilisateurs acceptèrent de fournir leur données et consentirent à ce que leurs informations de profil soient enregistrées pour analyse. Leurs "j'aime" sur FB alimentèrent des algorithmes et furent corrélés avec leurs informations de profil et les résultats de leur test de personnalité.

Les chercheurs ont créé un modèle statistique capable à partir des seuls "j'aime" sur FB de prédire les données personnelles d'un utilisateur. Le modèle s'est révélé fiable à 88% dans la détermination du sexe masculin, à 95% dans la distinction entre Afro-Américains et Américains caucasiens et fiable à 85% dans la différenciation des Républicains et des Démocrates. Chrétiens et Musulmans sont correctement appréhendés dans 82% des cas et une exactitude de bon niveau — entre 65 et 73% — a été obtenue concernant le statut familial et la consommation d'alcool ou de drogue.

Cependant peu d'internautes ont cliqué "j'aime" sur des sujets relevant explicitement de ces caractéristiques. Par exemple, moins de 5% des gays ont cliqué "j'aime" sur des sujets aussi évidents que le mariage gay. Les prédictions reposent sur des "recoupements" — l'agrégation d'une énorme quantité de "j'aime" sur des sujets moins précis mais plus populaires comme la musique ou les shows télévisés — pour fournir des profils personnels criant de vérité.

Même des détails personnels à première vue opaque comme le fait que les parents de l'internaute se soient séparés avant les 21 ans de celui-ci sont exacts à 60%, un pourcentage suffisant pour que l'information soit "utile aux publicitaires" commentent les chercheurs.

Tandis qu'ils mettent en lumière l'opportunité pour le marketing personnalisé d'améliorer ses services en ligne par l'utilisation de tels modèles, dans le même temps les chercheurs mettent en garde sur les menaces que court la vie privée des internautes. Ils avancent que de nombreux consommateurs en ligne pourraient trouver qu'un tel niveau de dévoilement par l'utilisation d'internet sort des limites de l'acceptable — puisque des compagnies, des gouvernements et même des particuliers pourraient utiliser des logiciels de prédiction pour déduire des "j'aime" de FB ou d'autres "traces" internautiques des informations hautement confidentielles.

Les chercheurs ont également étudié des traits de personnalité comme l'intelligence, la stabilité émotionnelle, l'ouverture d'esprit et l'extraversion. Alors que de telles caractéristiques plus cachées sont bien plus difficiles à évaluer, l'exactitude de l'analyse est étonnante. L'étude portant sur l'ouverture d'esprit — de ceux qui détestent le changement à ceux qui l'accueillent avec plaisir — démontre que l'observation des seuls "j'aime" est à peu près aussi révélatrice que les résultats d'un vrai test de personnalité individuel.

Certains "j'aime" ont une corrélation forte mais d'apparence incongrue ou erratique avec une caractéristique personnelle, comme les Curly Fries avec le QI, ou la peur des araignées1 avec les non-fumeurs.

Pris dans leur ensemble, les chercheurs sont convaincus que les diverses approximations de traits de personnalité glanés à partir des seuls "j'aime" sur FB peuvent potentiellement constituer le portrait de millions d'utilisateurs autour du monde avec une surprenante exactitude.

Ils soulignent que le résultat implique une possible révolution dans l'évaluation psychologique qui — à partir de cette étude — peut être menée à une échelle jamais atteinte auparavant, sans coûteux questionnaires ou centres d'évaluation.

«Nous pensons que nos résultats, aujourd'hui fondée sur les "j'aime" de FB, peuvent s'appliquer à un éventail plus large de comportements sur internet» observe le directeur des opérations au centre psychométrique Michal Kosinski, qui a conduit l'étude avec son collègue de Cambridge David Stillwell et Thore Graepel de Microsoft Research.

«Les mêmes prévisions peuvent être inférées de toutes sortes de données internautiques, avec ces "recoupements" secondaires d'une remarquable exactitude — déduisant statistiquement des informations confidentielles que les gens peuvent ne pas vouloir dévoiler. Vu la diversité des traces internautiques laissées par les gens, il est devenu de plus en plus difficile pour un individu de les contrôler.

Je suis un grand fan et un utilisateur actif des nouvelles technologies si enthousiasmantes. J'apprécie les recommandations de livres données automatiquement, ou que FB sélectionne les interventions les plus pertinentes pour mon fil d'actualité, dit Kosinski. Cependant, je peux imaginer des situations où les mêmes données et la même technologie seront utilisées pour déterminer vos opinions politiques ou votre orientation sexuelle, menaçant votre liberté ou même votre vie.

La simple éventualité que ceci puisse se produire pourrait détourner les gens de l'utilisation d'internet et diminuer la confiance entre les individus et les institutions — et contrarier le progrès technologique et économique. Les utilisateurs ont besoin d'avoir le contrôle de leurs données et d'en connaître l'utilisation en toute transparence.»

Thore Graepel de Microsoft Research ajoute qu'il l'espère que cette étude va contribuer aux discussions en cours à propos de la vie privée : «Les consommateurs attendent avec raison qu'une forte protection de leurs données soit mise en place au niveau des produits et services qu'ils utilisent. Cette étude pourrait bien servir à leur rappeler qu'il faut adopter une conduite prudente dans leur façon de partager des informations en ligne, qu'il faut paramétrer leurs contrôles de confidentialité et ne jamais partager de contenu avec des interlocuteurs mal identifiés.»

David Stillwell de l'université de Cambridge ajoute: «J'utilise FB depuis 2005 et je vais continuer à le faire. Mais je vais sans doute paramétrer avec plus de soin les outils de privatisation de profil que FB met à ma disposition.»

Pour plus de renseignements, merci de contacter fred.lewsey@admin.cam.ac.uk


Note:

1 : That Spider is More Scared Than U Are : une étude de 2012 a montré que les gens ayant peur des araignées les voient plus grosses qu'elles ne sont. Cette phrase ("les araignées ont plus peur de vous que l'inverse") est destinée à les rassurer et sans doute aussi à protéger les araignées.

Trump et l'or noir

Je traduis le message d'une amie américaine sur FB issu de la concaténation de plusieurs sources anglophones: Time Magazine, NY Times, The Atlantic, The Guardian UK. C'est à confronter aux informations que vous possédez par ailleurs: il s'agit de donner des éléments de réflexion inaccessibles à ceux qui ne lisent pas l'anglais.

«
Au cas où vous n'ayez pas fait le lien entre les derniers éléments fournis par la presse: Poutine possède la plus grande compagnie pétrolière de Russie. Il a conclu un contrat de 500 milliards avec le PDG d'Exxon Mobil. Obama a mis en place des sanctions qui ont interrompu l'exécution de ce contrat. La Russie est alors intervenue illégalement au niveau de notre [celui des USA] système pour faire élire Trump. Quand la CIA en a averti le Congrès en septembre dernier (James Comey1 participait lui aussi à cette réunion), Mitch McConnell a refusé que cela soit dit au peuple américain, faisant pression sur Obama en le menaçant de l'accuser de prendre parti durant la campagne électorale.
Comey a délivré sa lettre calomnieuse en absence de toute confirmation2. La femme de Mitch McConnell a intégré le gouvernement Trump. Le PDG d'Exxon Mobil est maintenant secrétaire d'Etat. Vous vous demandez encore pourquoi notre président a écarté si rapidement les découvertes de la CIA?… Le meilleur est à venir… Voici quelques faits, faites-vous votre propre opinion:

1/ Trump doit 560 millions de dollars au groupe Blackstone3/Bayrock (l'un de ses plus gros créanciers et la principale raison pour laquelle il ne dévoile pas ses déclarations d'impôts).

2/ Blackstone est entièrement détenu par des milliardaires russes qui doivent leur position à Poutine et se sont fait des milliards en travaillant avec le gouvernement russe.

3/ D'autres entreprises qui ont emprunté à Blackstone affirment que lui devoir de l'argent, c'est comme en devoir au peuple russe, et que tant que vous leur en devez, il attend de votre part de nombreux passe-droits.

4/ L'économie russe chancelle sérieusement sous le fardeau de sa sur-dépendance envers les matières premières dont vous savez que les cours ont plongé ces deux dernières années, laissant l'économie russe se débattre pour régler sa dette.

5/ La Russie s'est senti poussée à influencer nos élections afin de garantir que les cours du baril de pétrole restent au-dessus de 65$ (ils gravitent actuellement autour de 50$).

6/ 80% des réserves de pétrole russes ne sont pas accessibles à un coût modique; la Russie ne peut donc réduire ses prix de revient de façon à être compétitive face aux 45$ américains ou aux 39$ de l'Arabie Saoudite. Avec la levée des sanctions de l'Iran, la Russie va devoir faire face à la production croissante d'un concurrent bon marché supplémentaire qui va repousser la Russie plus bas encore dans la liste des fournisseurs.
Quant aux sanctions iraniennes, les six pays qui les lèvent autorisent l'Iran à récupérer les milliards qui lui sont dus pour du pétrole extrait mais non réglé. L'Iran ne pourra accéder à ces milliards que si l'accord sur le nucléaire iranien est signé. Trump parle de dénoncer ces accords, ce qui aurait pour conséquence de remettre en cours les sanctions, et donc de rendre le pétrole russe plus compétitif.

7/ Rex Tillerson (choisi par Trump comme Secrétaire d'Etat) est à la tête d'Exxon Mobil, qui détient des brevets technologiques qui pourraient aider Poutine à extraire 45% de pétrole supplémentaire à des coûts significativement réduits pour la Russie, ce qui aiderait Poutine à faire entrer de l'argent dans les caisses pour permettre de reconstituer l'armée et de produire enfin en masse les systèmes nouveaux et améliorés inventés avant que l'économie russe ne s'affaiblisse tant.

8/ Poutine ne peut pas avoir accès à ces nouvelles technologies réductrices de coût OU à de l'argent hors du périmère du développement pétrolier à cause des sanctions américaines à l'encontre de la Russie, sanctions dues à l'implication russe dans la guerre civile ukrainienne.

9/ Attendez-vous à ce que Trump mette fin aux sanctions russes et dénonce l'accord sur le nucléaire iranien afin d'aider la Russie à reconstruire son économie, à renforcer Poutine et à rendre Tillerson et Trump encore plus riches, permettant ainsi à Trump de donner satisfaction à ses créanciers de Blackstone.

10/ Avec la haine organisée de Trump pour l'OTAN et les Nations-Unies et la force militaire russe reconstituée, la menace envers les Etats baltes est réelle. La Russie regagne un accès à la mer baltique à travers la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie et menace le transport maritime de millions de mètres cubes de gaz naturel entre l'Europe affaiblie et la Scandinavie, ouvrant un champ favorable au pétrole et au gaz russes vers l'est de l'Europe.
»


Note
1 : directeur du FBI
2 : cette lettre relançait la suspicion envers les mails d'Hilary Clinton. On reproche à Comey de l'avoir publiée trop tôt, sans vérifier que les soupçons avaient un fondement. A quelques jours de l'élection, le regain de soupçon a pu jouer en défaveur d'Hilary Clinton.
3 : j'avoue que l'homonymie avec le programme secret des films Bourne m'intrigue.
—————————————

Sources: Time Magazine, NY Times, The Atlantic, The Guardian UK.

In case you haven't connected the news dots... Putin owns the largest oil company in Russia. He made a 500 Billion dollar deal with the CEO of Exxon Mobil. Obama put sanctions in place which stopped that deal. Russia then hacked into our government in order to get Trump elected. When the CIA told Congress this in September (James Comey was also in that meeting), Mitch McConnell refused to tell the American people, blackmailing Obama saying he would frame it as playing partisan politics during the election. Comey released the infamous no-information letter. Mitch McConnell's wife was picked for Trump's cabinet. The CEO of Exxon is now the Secretary of State. Wonder why our President has been so quick to dismiss the CIA's findings?.........it gets better.....Here are some facts : Decide for yourselves
1) Trump owes Blackstone/ Bayrock group $560 million dollars (one of his largest debtors and the primary reason he won't reveal his tax returns)
2) Blackstone is owned wholly by Russian billionaires, who owe their position to Putin and have made billions from their work with the Russian government.
3) Other companies that have borrowed from Blackstone have claimed that owing money to them is like owing to the Russian mob and while you owe them, they own you for many favors.
4) The Russian economy is badly faltering under the weight of its over-dependence on raw materials which as you know have plummeted in the last 2 years leaving the Russian economy scrambling to pay its debts.
5) Russia has an impetus to influence our election to ensure the per barrel oil prices are above $65 ( they are currently hovering around $50)
6) Russia can't affordably get at 80% of its oil reserves and reduce its per barrel cost to compete with America at $45 or Saudi Arabia at $39. With Iranian sanctions being lifted Russia will find another inexpensive competitor increasing production and pushing Russia further down the list of suppliers.
As for Iranian sanctions, the 6 countries lifting them allowing Iran to collect on the billions it is owed for pumping oil but not being paid for it. These billions Iran can only get if the Iranian nuclear deal is signed. Trump spoke of ending the deals which would cause oil sales sanctions to be reimposed, which would make Russian oil more competitive.
7) Rex Tillerson (Trump's pick for Secretary of State) is the head of ExxonMobil, which is in possession of patented technology that could help Putin extract 45% more oil at a significant cost savings to Russia, helping Putin put money in the Russian coffers to help reconstitute its military and finally afford to mass produce the new and improved systems that it had invented before the Russian economy had slowed so much.
8) Putin cannot get access to these new cost saving technologies OR outside oil field development money, due to US sanctions on Russia, because of its involvement in Ukrainian civil war.
9) Look for Trump to end sanctions on Russia and to back out of the Iranian nuclear deal, to help Russia rebuild its economy, strengthen Putin and make Tillerson and Trump even richer, thus allowing Trump to satisfy his creditors at Blackstone.
10) With Trump's fabricated hatred of NATO and the U.N., the Russian military reconstituted, the threat to the Baltic states is real. Russia retaking their access to the Baltic Sea from Lithuania, Latvia and Estonia and threatening the shipping of millions of cubic feet of natural gas to lower Europe from Scandinavia, allowing Russia to make a good case for its oil and gas being piped into eastern Europe.

Les six premiers jours de la fin du monde et du début de la résistance

Les sigles ne sont pas traduisibles tels quels, et parfois ils ne correspondent à aucune notion en français. En cas de doute je suis restée au plus près (office par bureau, agence par agence, etc). Cette liste a été publiée par un ami à et de Philadelphie. Les notes sont de mon fait.
Vous trouverez en fin de billet le texte en anglais.

Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds des programmes du Département de la Justice consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds du Fonds national pour les arts.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds du Fonds national pour les humanités1.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds de la Corporation pour l'audiovisuel public.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds de l'Agence pour le développement des entreprises fondées par des personnes appartenant aux minorités2.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds de l'Administration pour le développement économique.3.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds de l'Administration pour le commerce international.4.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds du Partenariat pour l'extension des manufactures5.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds du Bureau de la police de proximité6.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds de l'aide juridictionnelle.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds de la Division des droits civils7 du Département de la Justice.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds de la Division des ressources naturelles et environnementales8 du Département de la Justice.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds de la Corporation pour les investissements outre-mer9.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations-Unies.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds du Bureau de la productivité de l'électricité et de la fiabilité énergétique10.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds du Bureau de l'efficacité énergétique et de l'énergie renouvelable11.
Le 19 janvier 2017, DT annonce qu'il coupera les fonds du Bureau des énergies fossiles.

Le 20 janvier 2017, DT ordonne le gel du pouvoir réglementaire de toutes les agences fédérales.
Le 20 janvier 2017, DT ordonne au service des parcs nationaux d'arrêter d'utiliser les médias sociaux après que celui-ci ait retweeté des photos factuelles montrant côte à côte les foules assistant à l'investiture présidentielle en 2009 et 2017.
Le 20 janvier 2017, environ 230 manifestants anti-Trump sont arrêtés à Washington DC et sont poursuivis pour émeute criminelle, un chef d'accusation sans précédent. Parmi eux se trouvent des observateurs officiels, des journalistes et des médecins.
Le 20 janvier 2017, un membre des Travailleurs Internationaux du Monde (IWW) est blessé par balle à l'abdomen lors d'une manifestation anti-fasciste à Seattle. Il est dans un état critique.

Le 21 janvier 2017, DT se fait accompagner à une réunion avec la CIA par quarante groupies pour l'applaudir durant un discours qui consiste presque exclusivement à se décrire comme la victime d'une presse malhonnête.
Le 21 janvier 2017, le porte-parole de la Maison Blanche Sean Spicer tient une conférence de presse destinée principalement à attaquer la presse pour avoir montré avec exactitude la taille de la foule présente à la cérémonie d'investiture, affirmant que la cérémonie avait rassemblé la plus grande assistance de l'histoire, "point barre".

Le 22 janvier 2017, au cours d'un journal télévisé national, la conseillère de la Maison Blanche Kellyanne Conway défend les mensonges de Spicer, les appelant des "faits alternatifs"12.
Le 22 janvier 2017, durant une réunion DT semble souffler un baiser vers le directeur du FBI James Comey puis ouvre ses bras dans un geste d'étrange affection paternelle avant de le serrer dans ses bras en lui tapant le dos.

Le 23 janvier 2017, DT remet en cours la règle du bâillon mondial qui retire tout fonds aux organisations internationales qui mentionnent l'avortement, même en tant qu'option médicale.
Le 23 janvier 2017, Spicer annonce que les Etats-Unis ne tolèreront pas l'expansion chinoise dans les îles de la mer de Chine méridionale, faisant planer la menace d'une guerre avec la Chine.
Le 23 janvier 2017, DT répète le mensonge suivant lequel le vote "illégal" de trois à cinq millions de personnes lui a coûté le vote populaire.
Le 23 janvier 2017, on apprend que l'homme qui avait tiré sur le manifestant anti-fasciste à Seattle est relâché sans charge, bien qu'il se soit rendu de lui-même.

Le 24 janvier 2017, Spicer réitére le mensonge suivant lequel le vote "illégal" de trois à cinq millions de personnes a coûté le vote populaire à DT.
Le 24 janvier 2017, DT twitte sur son compte personnel Twitter une photo dont il dit qu'elle représente la foule à son investiture et qu'elle serait affichée dans la salle de presse de la Maison blanche. Bizarrement, cette photo est datée du 21 janvier 2017, le jour D'APRÈS l'investiture et le jour de la Marche des femmes, la plus grande manifestation de protestation de l'histoire contre une investiture.
Le 24 janvier 2017, l'agence pour la protection de l'environnement reçoit l'ordre de ne plus communiquer avec le public via les réseaux sociaux ou la presse et de geler toutes ses subventions et contrats.
Le 24 janvier 2017, le département de l'agriculture reçoit l'ordre de ne plus communiquer avec le public via les réseaux sociaux ou la presse et de ne plus publier aucun article ou résultat de recherche. D'autre part, toute communication avec la presse devra être autorisée par la Maison blanche et soumise à son droit de veto.
Le 24 janvier 2017, HR7, une loi qui prohibera toute subvention fédérale non seulement aux pourvoyeurs d'avortement, mais aussi aux couvertures assurancielles, y compris Medicaid, qui couvrent les frais d'IVG, est déposée à la chambre pour être soumise au vote.
Le 24 janvier 2017, le directeur du Département de la Santé et des services à la personne Tom Price qualifie "d'absurdes" les principes fédéraux concernant l'égalité des transgenres.
Le 24 janvier 2017, DT ordonne la reprise de la construction du Dakota Access Pipeline tandis que le congrès du Dakota Nord étudie une loi qui légaliserait le fait d'écraser en voiture des manifestants sur la route.
Le 24 janvier 2017, on découvre que les officiers de police ont utilisé des portables confisqués pour fouiller dans les emails et messages des 230 manifestants maintenant inculpés d'émeute criminelle pour avoir manifesté le 20 janvier, y compris les emails d'avocats et de journalistes qui contiennent des informations confidentielles de clients et d'informateurs.

Et le 25 janvier 2017, le mur et le bannissement des musulmans.
Voici à quoi ressemble la dictature au bout de six jours.


Cette liste a été publiée par un ami à et de Philadelphie. Je l'ai traduite quelques jours plus tard, le week-end. J'ajoute donc, en cette soirée du 29 janvier, que les aéroports se sont retrouvés dans la tourmente et qu'un juge courageux tient tête. (Il faudrait tout traduire.)


Note
1 : Pas d'équivalent français. Le NEH offre des financements pour certains projets à des institutions culturelles tels que musées, centres d'archives, bibliothèques, lycées, universités, télévisions publiques, stations de radio et également à des étudiants-chercheurs (traduit d'après wikipedia anglais).
2 : Je mets ici le lien vers l'agence elle-même. J'ai peur que le site ne disparaisse. C'est une agence gouvernementale fondée par Nixon faisant partie du Département du Commerce.
3 : Il s'agit d'aider les Etats et les villes ainsi que les individus vivant dans des zones peu favorisées à développer une croissance et des emplois durables.
4 : Cette administration soutient les entreprises américaines qui veulent se développer à l'export.
5 : Manufacturing : fabrication? Il s'agit d'encourager les partenariats entre PME des cinquante Etats plus Porto-Rico. Il s'agit également de partenariats public-privé.
6 : Ce bureau encourage et met en place des actions de prévention. L'abréviation donne "COPs".
7 : Créée en 1957, cette division lutte contre les discriminations fondées sur la race, la couleur, le sexe, le handicap, la religion, le statut familial et l'origine nationale.
8 : Cette division lutte par exemple contre la pollution de l'air ou de l'eau.
9 : Je ne suis pas sûre de comprendre: entre aide pratique, au niveau des entreprises, aux pays en voie de développement et outil de mainmise sur les ressources à l'étranger? Mais en est-il jamais autrement pour ce genre d'aide?
10 : Je n'ai pas osé traduire "de la transition énergétique", mais j'ai l'impression que c'est ça.
11 : ou plutôt celui-ci? Ici il y a peut-être réellement un intérêt de fondre les deux pour plus d'efficacité (mais dans la mesure où les deux s'opposent au pétrole, je doute que ce soit le but de Trump).
12 : Cette expression fait exploser les ventes de 1984 de George Orwell.


* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the DOJ’s Violence Against Women programs.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the National Endowment for the Arts.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the National Endowment for the Humanities.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Corporation for Public Broadcasting.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Minority Business Development Agency.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Economic Development Administration.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the International Trade Administration.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Manufacturing Extension Partnership.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Office of Community Oriented Policing Services.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Legal Services Corporation.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Civil Rights Division of the DOJ.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Environmental and Natural Resources Division of the DOJ.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Overseas Private Investment Corporation.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the UN Intergovernmental Panel on Climate Change.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Office of Electricity Deliverability and Energy Reliability.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Office of Energy Efficiency and Renewable Energy.
* On January 19th, 2017, DT said that he would cut funding for the Office of Fossil Energy.
* On January 20th, 2017, DT ordered all regulatory powers of all federal agencies frozen.
* On January 20th, 2017, DT ordered the National Parks Service to stop using social media after RTing factual, side by side photos of the crowds for the 2009 and 2017 inaugurations.
* On January 20th, 2017, roughly 230 protestors were arrested in DC and face unprecedented felony riot charges. Among them were legal observers, journalists, and medics.
* On January 20th, 2017, a member of the International Workers of the World was shot in the stomach at an anti-fascist protest in Seattle. He remains in critical condition.
* On January 21st, 2017, DT brought a group of 40 cheerleaders to a meeting with the CIA to cheer for him during a speech that consisted almost entirely of framing himself as the victim of dishonest press.
* On January 21st, 2017, White House Press Secretary Sean Spicer held a press conference largely to attack the press for accurately reporting the size of attendance at the inaugural festivities, saying that the inauguration had the largest audience of any in history, “period.”
* On January 22nd, 2017, White House advisor Kellyann Conway defended Spicer’s lies as “alternative facts” on national television news.
* On January 22nd, 2017, DT appeared to blow a kiss to director James Comey during a meeting with the FBI, and then opened his arms in a gesture of strange, paternal affection, before hugging him with a pat on the back.
* On January 23rd, 2017, DT reinstated the global gag order, which defunds international organizations that even mention abortion as a medical option.
* On January 23rd, 2017, Spicer said that the US will not tolerate China’s expansion onto islands in the South China Sea, essentially threatening war with China.
* On January 23rd, 2017, DT repeated the lie that 3-5 million people voted “illegally” thus costing him the popular vote.
* On January 23rd, 2017, it was announced that the man who shot the anti-fascist protester in Seattle was released without charges, despite turning himself in.
* On January 24th, 2017, Spicer reiterated the lie that 3-5 million people voted “illegally” thus costing DT the popular vote.
* On January 24th, 2017, DT tweeted a picture from his personal Twitter account of a photo he says depicts the crowd at his inauguration and will hang in the White House press room. The photo is curiously dated January 21st, 2017, the day AFTER the inauguration and the day of the Women’s March, the largest inauguration related protest in history.
* On January 24th, 2017, the EPA was ordered to stop communicating with the public through social media or the press and to freeze all grants and contracts.
* On January 24th, 2017, the USDA was ordered to stop communicating with the public through social media or the press and to stop publishing any papers or research. All communication with the press would also have to be authorized and vetted by the White House.
* On January 24th, 2017, HR7, a bill that would prohibit federal funding not only to abortion service providers, but to any insurance coverage, including Medicaid, that provides abortion coverage, went to the floor of the House for a vote.
* On January 24th, 2017, Director of the Department of Health and Human Service nominee Tom Price characterized federal guidelines on transgender equality as “absurd.”
* On January 24th, 2017, DT ordered the resumption of construction on the Dakota Access Pipeline, while the North Dakota state congress considers a bill that would legalize hitting and killing protestors with cars if they are on roadways.
* On January 24th, 2017, it was discovered that police officers had used confiscated cell phones to search the emails and messages of the 230 demonstrators now facing felony riot charges for protesting on January 20th, including lawyers and journalists whose email accounts contain privileged information of clients and sources.
* And January 25th, 2017, the wall and a Muslim ban.
This is what a dictatorship looks like, and we're only on day 6.

Après Trump (le jour d'après)

Des protestations géantes ont lieu à Los Angeles et New York. Sur FB le commentaire suivant explique: «nous ne manifestons pas pour dire que l'élection est illégale, mais pour dire qu'elle est catastrophique».

Mais tant que les gens n'ont pas peur de dire et montrer et écrire ce qu'ils pensent, tout va bien. (Les écoutes et analyses de la NSA (et autres dispositifs) ne sont-elles pas destinées à identifier les opposants au régime, intérieurs et extérieurs? Mais ensuite, quelle sont les décisions prises?)

J'en profite pour un exercice de traduction d'un texte qui explique: «Vous ne l'avez peut-être pas voulu, mais vous l'avez provoqué». (Une des règles de base, il me semble: avant de faire un geste irrémédiable, réfléchissez aux conséquences!)
Not all Trump supporters are racist, misogynist, xenophobes. All Trump supporters saw a racist, misogynist, xenophobe and said "this is an acceptable person to lead our country."
You may not have racist, misogynist, xenophobic intent, but you have had racist, misogynist, xenophobic impact.
Impact > intent.
So when you get called racist, misogynist, and xenophobic -- understand that your actions have enabled racism, misogyny, and xenophobia in the highest halls of our federal government, regardless of why you voted for him.
You have to own this. You don't get to escape it because your feelings are hurt that people are calling you names. You may have felt like you had no other choice; you may have felt like he was genuinely the best choice for reasons that had nothing to do with hate.
But you have to own what you have done: you have enabled racism, misogyny, and xenophobia.
Impact > intent. Always.

source : Phillip Howell sur FB


Tous les supporters de Trump ne sont pas racistes, mysogines et xénophobes. Tous les supporters de Trump ont vu un xénophobe raciste et mysogine et se sont dit: «Voila un dirigeant acceptable pour notre pays.»
Vous pouviez ne pas avoir d'intentions racistes, mysogines ou xénophobes, mais votre choix a des conséquences racistes, mysogines et xénophobes.
Conséquences > intentions.
Donc lorsqu'on vous traite de racistes, mysogines et xénophobes, comprenez: quelles que soient les raisons pour lesquelles vous avez voté pour Trump, vos actes ont rendu légitimes le racisme, la mysoginie et la xénophobie au plus haut niveau du gouvernement fédéral.
Vous devez accepter cette responsabilité. Vous ne pouvez y échapper au prétexte que vous vous sentez insultés quand des gens vous donnent ces noms. Vous pouvez avoir eu l'impression que vous n'aviez pas d'autre choix, vous pouvez avoir l'impression qu'il était véritablement le meilleur choix pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la haine.
Mais vous devez accepter la responsabilité de ce que vous avez fait: vous avez rendu légitimes le racisme, la mysoginie et la xénophobie.
Les conséquences dépassent les intentions. Toujours.

J'ai eu la surprise de trouver souligner dans un autre article l'importance de la politesse. L'importance de la politesse, c'est ce que j'aurai découvert en quatorze ans d'internet: quand elle disparaît, il faut s'attendre au pire, y compris de la part de personnes qui partagent à priori vos idées.
[…] This generally has been called the "hate election" because everyone professed to hate both candidates. It turned out to be the hate election because, and let’s not mince words, of the hatefulness of the electorate. In the years to come, we will brace for the violence, the anger, the racism, the misogyny, the xenophobia, the nativism, the white sense of grievance that will undoubtedly be unleashed now that we have destroyed the values that have bound us.

We all knew these hatreds lurked under the thinnest veneer of civility. That civility finally is gone. In its absence, we may realize just how imperative that politesse was. It is the way we managed to coexist.

If there is a single sentence that characterizes the election, it is this: "He says the things I’m thinking." That may be what is so terrifying. Who knew that so many tens of millions of white Americans were thinking unconscionable things about their fellow Americans? Who knew that tens of millions of white men felt so emasculated by women and challenged by minorities? Who knew that after years of seeming progress on race and gender, tens of millions of white Americans lived in seething resentment, waiting for a demagogue to arrive who would legitimize their worst selves and channel them into political power? Perhaps we had been living in a fool's paradise. Now we aren't. […]

Neal Gabler, Farewell America, le 10 novembre 2016


Ces élections ont été communément appelées "les élections de la haine" parce que chacun a déclaré qu'il détestait les deux candidats. Cela s'est avéré les élections de la haine à cause de, ne mâchons pas nos mots, la haine qui emplissait l'électorat. Dans les années à venir, nous allons faire face à la violence, à la colère, au racisme, à la mysoginie, à la xénophobie, à la préférence nationale, au sentiment d'injustice des Blancs qui auront sans aucun doute libre cours maintenant que nous avons détruit les valeurs qui nous unissaient.

Nous savions tous que ces haines rôdaient sous une très mince couche de civilité. Cette civilité a maintenant disparu. En son absence, nous pourrions être amenés à comprendre à quel point cette politesse était indispensable. C'est le moyen par lequel nous réussissons à coexister.

S'il y a une seule phrase qui caractérise cette élection, c'est «Il dit ce que je pense». C'est sans doute ce qui est si terrifiant. Qui savait que tant de dizaines de millions d'Américains avaient des pensées répugantes à l'encontre de leurs concitoyens américains? Qui savait que des dizaines de millions d'Américains se sentaient autant émasculés par les femmes et mis en péril par les minorités? Qui savait qu'après des années de ce qui paraissait du progrès dans les domaines de l'égalité des races et des sexes, des dizaines de millions d'Américains blancs vivaient dans une ressentiment dévorant, dans l'attente d'un démagogue qui légitimerait la pire part d'eux-mêmes et les conduirait au pouvoir politique? Peut-être vivions-nous au royaume des illusions. Plus maintenant.

PS qui n'a rien à voir, mais peut-être que si, tangentiellement:
«Qui savait que tant de dizaines … se sentaient aussi émasculés par les femmes…? Qui savait … vivaient dans une ressentiment dévorant» : et lorsque je lis ça, je me souviens de mon malaise en lisant les discussions sur FB à propos de
Gone Girl. Certains commentaires "d'amis" FB étaient étranges (toujours sous couvert d'art et d'esthétisme, bien sûr), et ce «ressentiment dévorant» était clairement palpable. Cela provoque un sentiment de détresse, comme un vertige.

Beetle

The war broke out in the year she came of age. She was only just getting used to the slick city street and to the smell of gasoline and oil and lead. By then she had more or less got the hang of swerving sharply to the right, or sharply to the left, staight on, over the bridge, before the traffic lights turn red. But her early life was spent on the Ravna Romanija mountain with a chap called Milos, who put her to work on the hardest, dirtiest jobs. When I first saw her she stank of cement and manure and liquor. It was not long after she'd come back from the building site on the premises of a glamorous café, which is nowadays the watering-hole of Chetniks rather than lorry drivers. I agreed a price with Milos without fuss. He obviously wanted to be rid of her as quickly as possible. In his village the least expensive car was a Golf, so having a rusty old Beetle around was kind of an embarrassement.

It was already dark by the time we drove back from the Romanija through Pale and the tunnels on the outskirts of Sarajevo. Emblazoned in neon lights on one of the concrete flyovers was the legend, "Tito's crossing the Romanija…" I was always confused by the three dots. I had a feeling they meant something rude. But my Nazi frau ignored the revolutionary message as she grumbled noisily but in ryth like a Buddhist nun.

I found a parking space in front of my house. I should say that I have a rather steep neighborhood unsuitable for cars, but it has an excellent view of the hills around Sarajevo, which are dotted with white Turkish tombstones. It was the first time in her life that she was ever tidy and clean. Squeezed in between all those Mazdas, Hondas and Toyotas, she resembled an architectural model from the golden age of romantic futurisme. My neighbor Salko observed that we made a perfect couple — me with my big head and stocky body, her with those gentle curves. Other people reckoned that I could have done better and they said she wouldn't last more than three day.

I bought her the cheapest car stereo I could find — it was the sort of junk nobody would steal — and I played our tune again and again, partly to block out the noise of the engine and partly because I wanted to have a continuous wall of noise in the background. Somewhere on the road to Kakanj, Nick's Cave icy melancholy pulsed in time with the flawless Nazi machine, evoking more clearly perhaps than intellectual concepts, painful ideologies and climatic histories the importance of believing in a harmonious view of the world that is unaffected by revolutions and apocalypses. After the beheading of Marie Antoinette, for example, the people of France discoverde Baroque. After Lenin killed the Romanovs, a baby's pram rolled down the Odessa Steps of Eisenstein's cinematography. After Hitler, I discovered my own rythm in four beats to the bar and a 1300cc engine.

[…]

Miljenko Jergović, Sarajevo Marlboro, p.25 à 27, traduit du croate par Stela Tomasevic, eds Archipelago books, 2004

Traduction personnelle de l'anglais et non de l'original, en attendant mieux.

La guerre éclata l'année de sa majorité. Elle commençait juste à s'habituer aux rues lisses de la ville et à l'odeur d'huile, d'essence et de plomb. A cette époque, elle avait fini par plus ou moins par prendre le coup de virer brutalement à droite, ou brutalement à gauche, directement sur le pont, avant que le feu ne passe au rouge. Mais ses jeunes années s'étaient déroulées dans la montagne de Ravna Romanija avec un gars appelé Milos, qui l'attela aux travaux les plus durs et les plus sales. Quand je la vis pour la première fois, elle puait le ciment, le fumier et l'alcool. C'était peu de temps après qu'elle soit revenue du chantier de construction de ce qui devait devenir un café enchanteur et qui est aujourd'hui le point de ravitaillement en eau de Tchetniks plutôt que de routiers. Je convins sans encombre d'un prix avec Milos. Il voulait visiblement se débarrasser d'elle au plus vite. Dans son village, la voiture la moins chère était une Golf, et donc posséder une vieille Coccinelle rouillée était quelque peu embarrassant.

Le temps de revenir ensemble de Romanija par Pale et les tunnels autour de Sarajevo il faisait déjà sombre. Fixée en lettres de néon sur l'un des murs de ciment en surplomb s'étalait l'inscription : "Tito traverse la Romanija…". J'avais toujours été embarrassé par les points de suspension. J'avais la sensation que leur sous-entendu était insolent. Mais ma dame nazi ignora le message révolutionnaire tandis qu'elle grommelait bruyamment mais en rythme comme une nonne bouddhiste.

Je lui trouvai une place de parking devant chez moi. Je dois dire que mon quartier est plutôt escarpé et peu favorable aux voitures, mais il offre une excellente vue sur les montagnes autour de Sarajevo, lesquelles sont constellées de blanches tombes turques. C'était la première fois de sa vie qu'elle était propre et entretenue. Serrée entre toutes ces Mazdas, Hondas et Toyotas, elle ressemblait à un modèle architectural venu de l'âge d'or du futurisme romantique. Mon voisin Salko fit remarquer que nous étions parfaitement assortis — moi avec ma grosse tête et mon corps trapu, elle avec ses courbes douces. D'autres soutinrent que j'aurais pu trouver mieux et prédirent qu'elle ne tiendrait pas trois jours.

Je lui achetai la stéréo la moins chère que je pus trouver — la sorte de ruine que personne ne volerait — et j'y passai notre morceau encore et encore, en partie pour couvrir le bruit du moteur, en partie parce que je voulais avoir un mur de bruit continu en arrière-plan. Quelque part sur la route de Kakanj, la mélancolie glacée de Nick Cage battait en rythme avec mon impecccable machine nazi, évoquant plus clairement peut-être que tous concepts intellectuels, idéologies douloureuses et histoires du climat, l'importance de croire à une vision harmonieuse du monde non affectée par les révolutions et les apocalypses. Après la décapitation de Marie-Antoinette, par exemple, le peuple de France découvrit le Baroque. Après que Lénine eut tué les Romanov, un landeau d'enfant dévala les marches d'Odessa dans le cinéma d'Eisenstein. Après Hitler, je découvris mon propre rythme dans la mesure à quatre temps et le moteur de 1300cc.

Wolfsbohne de Paul Celan

Traduction rapide de l'article de Michael Hamburger paru en le 1er septembre 1997 dans The American Poetry Review.
Je ne traduis pas l'allemand.
… o Ihr Bluten von Deutschland, o mein Herz wird Untrugbarer Kristall, an dem Das Licht sich prufet, wenn Deutschland
Holderlin, "Vom Abgrund namlich…"

… wie an den Hausern der Juden (zum Andenken des ruinirten Jerusalem's), immer etwas unvollendet gelassen werden muss…
Jean Paul, "Das Kampaner Thal"

Leg den Riegel vor: Es sind Rosen im Haus. Es sind sieben Rosen im Haus. Es ist der Siebenleuchter im Haus. Unser Kind weiss es und schlaft.

(Weit, in Michailowka, in der Ukraine, wo sie mir Vater und Mutter erschlugen: was bluhte dort, was bluht dort? Welche Blume, Mutter, tat dir dort weh mit ihrem Namen?

Mutter, dir, die du Wolfsbohne sagtest, nicht: Lupine.

Gestern kam einer von ihnen und totete dich zum andern Mal in meinem Gedicht.

Mutter. Mutter, wessen Hand hab ich gedruckt, da ich mit deinen Worten ging nach Deutschland?

In Aussig, sagtest du immer, in Aussig an der Elbe, auf der Flucht. Mutter, es wohnten dort Morder.

Mutter, ich habe Briefe geschrieben. Mutter, es kam keine Antwort. Mutter, es kam eine Antwort. Mutter, ich habe Briefe geschrieben an - Mutter, sie schreiben Gedichte. Mutter, sie schrieben sie nicht, war das Gedicht nicht, das ich geschrieben hab, um deinetwillen, um deines Gottes willen. Gelobt, sprachst du, sei der Ewige und gepriesen, dreimal Amen.

Mutter, sie schweigen. Mutter, sie dulden es, dass die Niedertracht reich verleumdet. Mutter, keiner fallt den Mordern ins Wort.

Mutter, sie schreiben Gedichte. O Mutter, wieviel fremdester Aacker tragt deine Frucht! Tragt sie und nahrt die da toten!

Mutter, ich bin verloren. Mutter, wir sind verloren. Mutter, mein Kind, das dir ahnlich sieht.)

Leg den Riegel vor: Es sind Rosen im Haus. Es sind sieben Rosen im Haus. Es ist der Siebenleuchter im Haus. Unser Kind weiss es und schlaft.

21. Oktober 1959.

Notes du traducteur

"Wolfsbohne" est l'un des poèmes exclus par Paul Celan de son recueil "Die Niemandsrose" paru en 1963. A ce titre il ne pouvait faire partie de mes autres traductions de Celan, puisque même en Allemagne il demeurait inédit. Cependant, quand une copie des manuscrits de Celan me parvint il y a quelques années, je fus aussitôt porté à traduire ce poème-là — et non les autres brouillons ou fragments que j'avais également lus ni les autres poèmes achevés exclus du même recueil. Puisqu'un livre des poèmes rejetés ou réservés par Celan est aujourd'hui sur le point de paraître en Allemagne, son fils Eric Celan et son éditeur allemand Suhrkamp m'ont autorisé à publier une édition bilingue séparée de "Wolfsbohne."

Il est nécessaire de dire ici qu'en principe, je n'aurais jamais souhaité publier un texte dont Celan — ou tout autre poète que des circonstances extérieures n'auraient pas empêché de contrôler son propre corpus — n'aurait pas autorisé la publication. A travers les années je n'ai pu traduire qu'une fraction de l'œuvre publiée de Celan. C'est l'impact immédiat que "Wolfsbohne" a eu sur moi qui dans ce cas particulier a bousculé le principe.

Un autre point à prendre en considération est que, loin de supprimer ou détruire le manuscrit de ce poème, Celan prit soin de le conserver, comme il conserva d'autre part des poèmes moins achevés ou jamais terminés, maintenant sur le point d'être accessibles aux lecteurs du volume Gedichte aus dem Nachlass1. Bien plus, en 1965 encore il reprenait "Wolfsbohne", ajoutant ces lignes:
Unverlorene, Mutter, mit uns, den Unverlorenen, siegst du. Gerecht und Und mit uns Wahr und Gerade, um der versohnenden Liebe willen.
Non égarée, Mère, avec nous, les non égarés, règnes tu. Juste et Et avec nous Vrai et Droit pour préserver l'amour qui réconcilie.

Parce que ces lignes ne sont pas intégrées à ce qui aurait pu devenir une version ultérieure du poème mais ne l'est pas devenue, j'ai circonscrit ma traduction au texte dactylographié d'un seul tenant qui m'avait été tout d'abord envoyé, texte qui omet également l'ajout du lieu "in Gaissin" après "in Michaelovka". En avril 1963 encore, "Wolfsbohne" était inclus dans la liste que Celan destinait à Die Niemandsrose. Il devait précéder "Zürich, zum Storchen" dans la section I du livre.

"Wolfsbohne" a dû se révéler impubliable pour et par Celan en ce que, plus brutalement qu'aucun autre poème de la maturité, il exposait la blessure causée par la mort de ses parents en camp d'internement. Aussi longtemps que Celan crut ou espéra que cette blessure pouvait guérir — même après la mort, peu après sa naissance, de son premier fils François — le poème était encore publiable; et les phrases insérées plus tard, qui contredisent le "je suis égaré, nous sommes égarés" de la version de 1959, était une dernière et vaine tentative non pas de l'améliorer en tant que poème, mais de l'utiliser pour guérir cette blessure.

Dans presque tous les autres poèmes de cette période et de ses dernières années, Celan conserva "ses oui et ses non indifférenciés", s'appuyant sur des polysémies ou des ambivalences insolubles ou extrêmes pour incarner sa vérité toute entière. Si une version postérieure de "Wolfsbohne" avait atteint un stade aussi arrêté que celle de 1959, les "égarés" et "non égarés" auraient très probablement été fusionnés ou ils auraient maintenu l'équivoque dans l'ensemble du texte. D'un autre côté, si Celan s'était résolu à inclure la version de 1959 dans son livre, chaque critique responsable et assumant sa parole aurait dû y penser à deux fois avant de définir Celan comme un poète "hermétique" — ainsi que Celan croyait que je l'avais qualifié dans un compte rendu anonyme du recueil publié par le TLS2, et ce, en dépit de mes assurances répétées que je n'étais pas l'auteur de cet article. Ce malentendu troubla nos relations, au grand jour tout d'abord, puis de façon larvée jusqu'à la mort de Celan par suicide. Dans mon exemplaire de ''Die Niemandsrose'' il écrivit les mots «ganz und gar nicht hermetisch» — «rien d'hermétique ici».

Je ne mentionnerais pas de nouveau cette anecdote personnelle ici si elle n'expliquait pas, concernant "Wolfsbohne" inconnu de moi à l'époque, l'empressement avec lequel je traduisis ce texte et l'importance exceptionnelle à mes yeux d'un poème qui rend raison de l'insistance de Celan à relever de ce je-ne-sais-quoi qui est l'opposé de l'hermétisme. (L'auteur de l'article du TLS s'est avéré être un étudiant, bien trop tard pour panser la blessure infiniment moins grave d'une méfiance insurmontable d'une part, de l'exaspération d'autre part, entre personnes qui n'étaient que des amis.)

La brutale franchise de ce poème me dispense de l'exercice d'élucidation que par ailleurs j'ai cessé depuis longtemps d'être en mesure d'offrir aux lecteurs de l'œuvre de Celan. Plus clairement qu'aucun autre poème de Celan, antérieur ou postérieur, "Wolfsbohne" rend compte de la dépendance de la vie et de la mort qui fut le prix qu'il dut payer comme survivant. Ici l'ombre enveloppante du passé — la parenthèse qui compose presque tout le poème — est encadrée par l'évocation dépouillée et réitérée du présent et du futur du survivant, incarné dans l'enfant qui dort — même si l'imagination, bien entendu, tend à parcourir l'espace-temps dans lequel "passé", "présent" et "futur" peuvent n'être rien d'autre qu'une commodité lexicale conventionnelle. Il est probable qu'un grand nombre de pages sera écrit sur les implications biographiques, psychologiques, sociales et historiques de ce poème, mais non sans diminuer ni faire oublier ce que le poème élabore par son utilisation avare des mots nécessaires, par ses rythmes de voix hâchées, le squelette à nu de l'art de Celan. Si ma traduction respecte ces procédés, le poème parlera de lui-même.

Michael Hamburger, Suffolk, mars 1997


Note
1 : Poèmes tirés des archives, proposition de traduction personnelle.
2 : NdT: Times Literary Supplement.

Evolue, Darwin !

Traduction personnelle "à la volée" de l'article de Francis Wheen paru dans The Guardian le 28 septembre 2002 dont des phrases, en anglais et en français, sont reprises dans L'Amour l'Automne. (cf. p.200, etc.)

En 1971, l'écrivain Colin Wilson reçut par la poste un manuscrit de cinq cent vingt et une pages dactylographiées. Depuis qu'il s'était fait connaître en 1956 avec The Outsider — un best-seller philosophique — Wilson avait écrit plus de deux douzaines de livres sur le sexe, le crime, la philosophie et l'occultisme. Il comprendrait sûrement le rapport. Dans une lettre d'accompagnement, le professeur Charlotte Bach expliquait que son texte — Homo Mutans, Homo Luminens — n'était que le "prolégomène" au projet d'une œuvre d'environ trois mille pages qui prouverait catégoriquement que la déviance sexuelle était la source principale de l'évolution des espèces.

Wilson fut découragé par la longueur et la complexité du manuscrit et, ce qui ne comptait pas moins, par le fait que le docteur Bach avait écrit en lettres capitales sur du papier orange. Il parcourut les cinquante premières pages, émit une plainte et remisa le manuscrit. Quelques semaines plus tard, retenu au lit par une grippe, il fit une nouvelle tentative: «C'était une lecture difficile, se rappelle-t-il, mais ma défiance venait surtout de la vanité de cette femme qui atteignait à l'absurde. Elle rejetait toute personne qui ne partageait pas ses vues — Monod, Russell, Desmond Morris — avec un mépris souverain… Cependant, au fur à mesure que je persévérais, cette désagréable première impression s'effaçait derrière la sensation d'une extrême intelligence et d'une compréhension intime de la culture européenne. Que sa théorie soit juste ou pas, il ne pouvait y avoir aucun doute sur le fait qu'elle possédait un esprit puissant et original.»

Il lui écrivit pour le lui dire. «J'éprouve plus ou moins les sensations que certains des critiques de The Outsider m'ont avoué avoir ressenties — je suis abasourdi que quelqu'un ait pu construire si discrètement et seul un édifice de cette importance. C'est d'autant plus surprenant, si vous me le permettez, que cela vient d'une femme, qui se sont rarement distinguées dans le domaine des grandes constructions hégéliennes… Je pense que cela pourrait bien être digne d'un prix Nobel… Si vous aviez raison, ce serait une découverte aussi importante que la théorie de la relativité.» Le docteur Bach répondit à Wilson qu'elle avait pleuré de joie en lisant ses commentaires. Elle terminait sa lettre par "Love, Charlotte".

Qui était Bach? Lors d'un de ses passages à Londres, Wilson l'invita à dîner. Il découvrit une femme aux épaules larges, à la carrure de mammouth, mesurant plus d'un mètre quatre vingt, à la voix profonde et masculine avec un fort accent d'Europe centrale. Après le dîner, Wilson l'emmena chez le peintre Régis de Bouvier de Cachard, dont il partageait l'appartement. Après de nombreux verres, les deux hommes commencèrent à découvrir des pans de la vie de leur invitée.

Charlotte était sortie de l'université de Budapest où son mari était professeur avec un diplôme de psychologie; ils avaient été contraints à l'exil par les communistes en 1948. En 1965, son mari était mort sur la table d'opération, et deux semaines plus tard seulement son fils s'était tué dans un accident de voiture. (A ce point de son histoire, écrit Wilson, elle éclata en sanglots, et il fallut dix bonnes minutes pour la calmer.) Le choc de cette double perte la plongea dans la dépression et pour tenter de la combattre, elle commença à compiler un dictionnaire de psychologie. Pendant qu'elle travaillait au chapitre des perversions, elle interrogea de nombreuses personnes aux goûts sexuels hors normes. C'est alors que survint l'illumination: il lui apparut que la perversion était le moteur de l'évolution humaine.

Autour de deux heures du matin, Charlotte prit un taxi payé par Colin Wilson. «Je l'embrassai, et elle embrassa également Régis. Et quand nous fûmes revenus à l'intérieur, il me dit: "Tu sais, quand elle m'a embrassé, elle m'a fourré sa langue jusqu'au milieu de la gorge". Cela nous fit rire. Mon opinion personnelle était que Charlotte était sans doute lesbienne, mais cela semblait prouver le contraire. Ce n'est qu'après sa mort que je compris que c'était ce qu'elle souhaitait que je pense.»

Durant le printemps 1972, Charlotte commença à donner des conférences hebdomadaires dans l'appartement d'un ami à Belsize Park, conférences qu'elle annonçait dans The Observer et The New Statesman. La plupart du temps, une douzaine de personnes environ y assistait. On attendait d'eux une "contribution volontaire" de cinquante livres, ce qui déconcertait certains visiteurs dans la mesure où le Dr Bach était si visiblement une aristocrate. Personne dans la pièce ne se rendait compte qu'elle était sans doute la plus pauvre des personnes présentes.

La misère de Charlotte était certes ennuyeuse, mais elle ne la gênait pas plus que cela. Ce qui l'obsédait, c'était une soif de reconnaissance, une soif dévorante. Se présentant comme le chef de file d'un nouveau mouvement intellectuel, elle écrivit à des présentateurs de télévision et de radio — Katherine Whitehorn, David Attenborough, Simon Dee, l'animateur de talk-show — pour leur proposer de présenter au monde ses découvertes. Tous la remercièrent poliment mais refusèrent. Elle était trop étrange pour être acceptée par la plupart des universitaires, trop alambiquée et bien trop difficile pour le grand public, même dans le cas où celui-ci serait parvenu à trouver et à lire son principal ouvrage. Elle demeura donc une figure culte révérée par quelques dévots mais par ailleurs inconnue.

A l'approche du printemps 1981, la silhouette autrefois majestueuse avait rétrécie en une vieille dame frêle et lasse qui se plaignait souvent «d'avoir la courante» — parce que, supposait-elle, sa nourriture était empoisonnée. Don Smith, un sadomasochiste gay avec lequel elle travaillait à un livre intitulé Sex, Sin And Evolution1, la trouva jaunâtre et épuisée quand il lui rendit visite le 10 juin. Il alerta un autre familier du cercle des intimes, le Dr Mike Roth. Quand Roth se rendit à l'appartement le jour suivant, il dut hurler par la fente de la boîte à lettre. «Allez-vous en, ordonna Charlotte. Je veux mourir».

Le mercredi 17 juin, un voisin de Charlotte remarqua qu'elle n'avait pas ramassé son lait depuis le week-end et prévint la police. Un agent passa par la fenêtre et découvrit un corps étendu en travers sur le lit. Sur la table de nuit, un dictionnaire médical était ouvert à la page décrivant le cancer du foie. L'examen post-mortem confirma que c'était bien la cause de sa mort, mais il découvrit quelque chose de bien plus étonnant. Quand le corps fut déshabillé à la morgue, les seins généreux se révélèrent en caoutchouc mousse, et le retrait de la culotte découvrit un pénis.

Karoly Hajdu, l'enfant qui devint Charlotte Bach, vint au monde le 9 février 1920. Son lieu de naissance est une banale petite maison sans étage de Kispest, une ville ouvrière près de Budapest. Son père, Mihaly Hajdu (prononcez hoï-dou), était tailleur; sa mère, Roza Frits, était la fille d'un mineur. En 1923, la famille de Mihaly déménagea à Budapest, louant une petite échoppe de tailleur rue Raday. Ils étaient toujours très pauvres, vivant tous ensemble dans une petite pièce à l'étage. En revanche, la clientèle de Mihaly comprenait de nombreux hommes riches et cultivés, dont la variété des connaissances et des expériences impressionna durablement le jeune Karoly.

Karoly entra à l'école primaire en 1926 et quatre ans plus tard au Gimnazium Andras Fay, l'équivalent hongrois du collège. C'était un autodictate insatiable. «A onze ans, j'ai lu une histoire du monde en six volumes - 2.300 pages. A douze, j'ai lu Introduction à la psychanalyse de Freud et L'Interprétation des rêves; à quinze, La critique de la raison pure de Kant. Remarquez, je ne prétends pas y avoir compris grand chose, simplement les lectures attendues d'un garçon de mon âge ne m'attiraient pas. J'ai cessé de lire des romans à dix ans.» Avec des centres d'intérêt si peu de son âge, il n'est pas surprenant que Karoly ait eu peu d'amis: il était considéré comme un garçon très étrange, vraiment.

«Jusqu'à mes quatorze ans environ, mon meilleur ami était ma sœur, raconte Karoly Hajdu. Ensuite, ce fut mon frère.» A l'âge de quinze ans, il fut inscrit au lycée technique de Bolyai . C'est aussi à quinze ans qu'il perdit sa virginité avec une prostituée. Son souvenir le plus vif et le plus marquant de cette rencontre par ailleurs décevante est l'image de la femme enfilant ses bas de soie tandis qu'elle se rhabillait pour aller prendre sa place de serveuse de bar.

Dans l'une des pages de son manuscrit, Charlotte Bach fait quelques remarques sur la vie intérieure des hommes qui s'habillent en femmes. "La plupart des travestis mentionnent, et plutôt avec fierté, des périodes assez longues de leur enfance, en général entre six et onze ans, où ils se sont comportés comme des garçons ordinaires avec rien d'autre qu'une prédilection minime pour les noms et les habits de fille, bien que, à la différence de la plupart des garçons, ils aient toujours apprécié la compagnie des filles. Puis, en général vers dix ou douze ans, il commencent à découvrir plus largement les vérités du monde extérieur." Le garçon déçoit ses parents, et il se résigne à ne pas correspondre à ce qu'on attendait de lui. Son ambition s'étiole. Il sent que s'il était une fille, il serait davantage aimé. "Alors il s'empare de quelque chose de doux et de soyeux. Il s'agit de quelque chose qu'il n'a jamais quitté. Depuis son plus jeune âge, quand sa mère était d'humeur non câline, il avait trouvé consolation dans un coussin doux et soyeux ou dans n'importe quoi de doux et de soyeux appartenant à sa mère."

Karoly Hajdu abandonna l'école. Il n'était pas pressé de trouver un emploi. Quand ses papiers d'incorporation arrivèrent après que la Hongrie eut déclaré la guerre à la Russie en juin 1941, Karoly réussit d'une façon ou d'une autre à obtenir une "exemption pour études" d'un an. Cependant il n'était pas complètement oisif. Enfant, en observant les clients dans la boutique de son père, Karoly avait compris qu'il y avait beaucoup de gens riches à délester de leur argent. Toute la difficulté était de les rencontrer. En octobre 1942 il se forgea un faux certificat de naissance sur lequel il se rebaptisait Karoly Mihaly Balazs Agoston Hajdu, fils du baron de Szadelo et des Balkans. Ses cartes de visite étaient frappées du titre baronnial et il acquit un étui à cigarettes armoirié portant les lettres "SB".

En 1943, les soldats allemands atteignirent les faubourgs de Budapest. Les Hongrois avaient mis en place un régime de collaboration, mais ils subirent malgré tout ce qui s'apparentait à une occupation nazie. Les juifs furent rassemblés et envoyés dans les camps de la mort. Quelques connaissances de Karoly le soupçonnent d'avoir peut-être pillé des maisons abandonnées. Quoi qu'il en soit, il avait l'air remarquablement prospère, et disait qu'il "aidait les Juifs".

Après la guerre, Karoly s'inscrivit en économie à l'université technique de Budapest, mais à la fin du premier semestre, soit la moitié de l'année universitaire, il paraît avoir tout à fait cessé d'assister aux cours.

Quand elle entendit que les communistes recensaient les personnes qui avaient travaillé dans les entreprises allemandes, sa sœur Vilma, qui avait été employée pendant la guerre par l'usine électrique AEG, quitta la Hongrie pour commencer une nouvelle vie au Vénézuela. Karoly décida qu'il devait fuir lui aussi. Le 22 avril 1948, après un long voyage en train à travers l'Europe, il embarqua sur un bateau pour Harwich.

La Grande-Bretagne offrait de nombreuses opportunités, et il était disposé à les saisir. Il était grand, avait bon air et était habillé avec élégance. A la différence de la plupart de ses compagnons de voyage, il parlait anglais. La Grande-Bretagne possèdait encore des aristocrates: peut-être qu'il trouverait affaire ici. Au cours de son voyage il avait anglicisé son nom en Carl et il avait commencé à mettre au point un récit inventé de toutes pièces selon lequel il était professeur d'université.

Joe Marfy, un ami de Carl à Budapest, rejoignit l'Angleterre quelques mois après lui et fut envoyé dans le Yorshire dans les fonderies et les usines d'acier de Staveley. Un froid matin d'hiver, le contremaître dit à Marfy qu'un personnage important souhaitait le voir dans le bureau du directeur général. C'était Hajdu, impeccablement sanglé dans un manteau de tweed et portant un chapeau en velours. Il lui cligna de l'œil et lui murmura en hongrois: "Appelle-moi baron." Une fois qu'ils furent seuls, Carl lui expliqua que ce titre devait lui permettre de réussir, ajoutant qu'il lui avait déjà gagné l'entrée des "bons cercles sociaux".

Le flot des réfugiés vers la Grande-Bretagne se tarit en avril 1950, et avec lui disparut le poste de Carl comme interprète auprès des bureaux du ministère du travail à Harwich. Il trouva un emploi de réceptionniste et de comptable à l'hôtel de la Vallée rocheuse de Lynton, dans le Devon nord, puis travailla quelques temps comme homme à tout faire au British Council à Londres.

Deux ans plus tard, vers la fin de 1950, apparut son goût naissant pour le travesti — apparemment provoqué par une dépression, ou même le désespoir. Il vivait alors dans une pension de Earls Court, mais après avoir quitté le British Council il n'avait pas d'emploi ni l'espoir d'en trouver un. Un jour un ami laissa la valise de sa femme contenant ses robes et sous-vêtements à la garde d'Hajdu. Carl essaya tout. Le jour suivant, dégoûté de lui-même, il demanda à son ami de reprendre sa valise.

C'est à Brighton où il travaillait à l'hôtel Metropole qu'il rencontra sa future femme, Phyllis, une divorcée qui rêvait de devenir actrice. Il retourna à Londres et trouva un emploi de barman au Pigalle, un cabaret fameux à Piccadilly, et Phyllis le suivit avec dévouement, s'installant dans un appartement de Finchley nord. Son fils de sept ans, Peter, qui demeurait jusque là chez une tante, vint habiter chez sa mère.

Petite et ronde, assurément pas d'une grande beauté, Phyllis s'habillait néanmoins avec un panache théâtral. En tant que connaisseur des vêtements féminins, Carl admirait son style. "Quand je l'épousai, j'étais certain que mon goût du travesti était terminé, se rappelle-t-il, cependant pour une raison inexplicable je ne jetai pas mes affaires, mais les mis au garde-meuble. Pendant cinq ans je payai une demi-couronne par semaine pour le contenu de deux valises que je n'avais pas l'intention d'utiliser."

D'autre part l'efficacité industrieuse de Phyllis le poussait à l'action. C'est elle qui eu l'idée d'ouvrir une agence immobilière. Trois mois après leur mariage, le Bureau K ouvrit dans une petite pièce au-dessus d'un restaurant de Paddington. Les annonces parues dans le journal local proposaient des chambres où "les enfants et les gens de couleur" étaient bienvenus. Si Carl avait proposé des contrats honnêtes, cette ouverture d'esprit aurait était exemplaire. Mais l'honnêteté n'avait jamais été son fort. Il travaillait avec des propriétaires du genre de Rachman2, et Carl n'avait aucun scrupule à s'enrichir sur le dos des sans-abri.

La justice divine rattrapa le baron Carl Hajdu le 13 janvier 1957 quand l'édition du jour du ''Sunday Pictorial''3 parut dans les kiosques. A côté de la photo d'un personnage élégant et moustachu (simplement nommé "Le baron"), un article de Comer Clarke racontait l'histoire suivante:

Un agent immobilier qui prétend être baron a reconnu la nuit dernière: «J'ai collecté 2000 livres destinées à assister les Hongrois, mais j'ai bien peur d'avoir quelques difficultés à justifier comptablement la façon dont je les ai utilisées.» Le "baron" Carl Hadju —un titre hongrois, dit-il— 37 ans, homme pâle aux yeux bleus, hongrois d'origine, dirige l'association des Appartements Lessors, rue Edgware dans le quartier Paddington de Londres. Quand les Hongrois se sont soulevés contre les communistes en novembre dernier, il a créé un comité d'assistance aux combattants hongrois pour la liberté. En deux jours il a recueilli 2000 £ pour envoyer un groupe de "combattants pour la liberté" anglais aider les Hongrois. Quelques poignées de jeunes hommes impatients d'en découdre se sont présentés. Mais aucun "combattant de la liberté" n'est parti pour la Hongrie…

Au printemps 1957 Carl et Phyllis furent expulsés de leur maison de Chelsea pour non-paiement de leur loyer. En octobre il fut déclaré en faillite.

Comment Carl fit-il face à cette humiliation? Michael Karoly, un autre des avatars de Carl, fournit la réponse. Dans son livre Hypnosis publié en 1961, Karoly décrit la l'impression de soulagement vécue par un travesti (ou "éoniste", d'après le Chevalier d'Éon, célèbre travesti) quand il se débarasse de ses vêtements masculins: «Il allait jusqu'à penser à lui-même comme à une femme, et il endossait réellement une autre personnalité… Ce total renversement des points de vue ouvre une porte par laquelle l'éoniste peut entrer dans une vie plus douce, plus raffinée, où sa sensation intérieure d'inadéquation qui s'enracine dans dans son manque de vigueur sexuelle est laissée derrière lui avec sa personnalité masculine. Quand il est habillé en homme il est, à la différence d'un homosexuel, un homme avec tous les défauts et les qualités d'un homme. Quand il est habillé en femme il est la femme de ses rêves, libérée des contingences de la vie quotidienne.»

Durant les crises de cette année-là, Carl fréquenta dans Harley Street le cabinet de l'hypnothérapeute canadien W.G. Warne-Beresford, se plaignant de problèmes nerveux. Les ambitions de Carl Hajdu avaient été totalement anéanties. Très bien: il allait donc se trouver de nouvelles ambitions — et une "nouvelle personnalité" les endosserait. Ayant tout d'abord rencontré Warne-Beresford comme patient, il devint bientôt l'un des élèves de l'hypnothérapeute sous le nom de Michael B. Karoly.

Amateur de canotier, de lunettes noires et de voitures de sport, Michael B. Karoly fut un personnage bien plus flamboyant que Carl Hajdu. Pour devenir membre de l'organisation Warne-Beresford, l'association britannique des hypnothérapeutes, les candidats devaient étudier un an puis subir un examen en "anatomie, physiologie, biologie, neurologie et hypnothérapie pratique". Les résultats de la promotion de Michael sont parus dans le Times du 5 septembre 1958; son nom n'apparaît pas dans la liste des reçus, mais cela ne l'empêcha pas d'utiliser les initiales MBSH et d'ouvrir son cabinet.

Il est difficile aujourd'hui de retrouver quelques-uns de ses clients. Il n'y en a qu'un dont on soit sûr qu'il fut hypnotisé avec succès: Michael réussit le tour qui consiste à faire s'allonger un homme sur trois chaises puis à retirer celle du milieu. Mais tous étaient convaincus que leur argent — cinq livres la séance — avait été dépensé à bon escient. Personne n'aurait payé pour les conseils psychologiques d'un agent immobilier raté de Paddington, mais après avoir acquis un éventail de diplômes fantaisistes — "Michael B Karoly, ScSc (Budapest), D Psy, CPE (Cantab), MBSH", fanfaronnaient désormais ses cartes de visite — il se trouva soudain recherché comme un homme ayant quelque chose à dire.

Après avoir rencontré Michael lors d'une soirée durant l'automne de 1960, l'agent littéraire Peter Tauber le recommanda au rédacteur en chef du Today, un hebdomadaire généraliste, et dès janvier suivant — présenté comme l'expert en psychologie de Today — il y tenait une rubrique régulière. Il paraissait capable d'aborder tous les sujets: "Eva, je vais vous parler franchement" (le divorce d'Eva Bartok), "Peut-on donner une fessée à une adolescente?" (punir les adolescentes), "Cet homme est-il violent?" (les pères qui battent leurs enfants) et "Pourquoi, mais pourquoi ai-je envie de voler?" (la kleptomanie).

Plus tard la même année, Michael loua un petit appartement 23 rue Hertford à Londres W1, à l'ombre de l'hôtel Hilton nouvellement bâti. A l'origine envisagé uniquement comme un cabinet de consultation dont l'adresse dans Mayfair serait susceptible d'impressionner des clients potentiels, l'appartement devint bientôt le refuge habituel où il pouvait échapper aux reproches de Phyllis et se laisser aller à ses fantasmes. L'histoire suivante survint pendant l'une des "histoires de cas" de Michael:

J'avais l'habitude de garder mes affaires [ie, ses habits de femme] au bureau et de temps en temps, après une semaine difficile, je m'absentais un weekend en prétextant un travail urgent. Je m'habillais en femme et paressais quelques heures. Il est impossible de décrire l'effet que cela a sur moi. Une semaine de croisière en Méditerranée ou un mois de golf à Saint Andrews n'en approcherait pas.

Il arriva que je connus une année plutôt difficile. Rien ne semblait aboutir. Les factures s'accumulaient et l'argent ne rentrait pas. C'est alors que je sortis les premières fois. Je m'habillais dans mon bureau, remettais chemise, cravate, veste et pantalon par dessus, prenait ma voiture et roulais jusqu'à une ville éloignés de cinquante ou soixante kilomètres. Je m'arrêtais dans un coin tranquille, enlevais mes vêtements masculins, mettais ma perruque et mes hauts talons, je me maquillais et me donnais un aspect général présentable. Puis j'entrais en ville comme une femme venue de la campagne faire du shopping…

La "cliente" est finalement arrêtée quand un passant devine son secret et se plaint à la police. On pourrait être tenté de ne pas tenir compte de cette histoire en la considérant comme une autre des fables de Karoly s'il n'y avait cet entrefilet paru dans le Hertfordshire Mercury le 26 avril 1963:

Le jour du Vendredi Saint, un homme entièrement habillé en femme est entré dans un hôtel d'Hertford, il a été arrêté plus tard alors qu'il roulait — toujours habillé en femme — vers Knebworth; il a comparu devant le tribunal d'Hertford jeudi dernier…

Karoly avait 43 ans et était seul au monde: sa seconde adolescence avait été saccagée par la survenance de la crise de la quarantaine. Il venait à nouveau d'être à l'honneur dans un tabloid, cette fois à propos d'un soi-disant groupe de thérapie, les Divorcés Anonymes; il était séparé de sa femme, et Siobhan, une femme bien plus jeune avec qui il avait eu une liaison brève et passionnée, l'avait quitté. Peu après sa femme Phyllis mourut. Quelques semaine plus tard, son fils Peter mourrait également, dans un accident de voiture.

Michael se coupa du monde en s'enfermant dans l'appartement de Phyllis — se levant à trois heures de l'après-midi, regardant la télévision sans interruption jusqu'à la fin des émissions, puis retournant au lit et lisant des romans trash, des œuvres philosophiques et tout ce sur quoi il pouvait mettre la main. Avec sa grandiloquence caractéristique, il suggéra plus tard que ces quelques semaines lui furent l'équivalent des quarantes jours de retraite de Jésus dans le désert ("une crise chamanique archétypale"). Il fit également l'acquisition d'un appareil photo automatique.

Quand Charlotte Bach mourut, on trouva ses tiroirs bourrés de douzaines de photos de celui qui était alors Michael, vêtu des habits de sa femme, les plus anciennes d'entre elles ayant été prises deux mois après la mort de Peter. On y trouve la pute vieillissante à l'œillade aguichante, offrant à l'objectif la vision de ses longues jambes; la mère au foyer active et dévouée, toujours prête à jouer de la pelle et du balai, et, de façon plus convaincante, l'hôtesse élégante en pleine maturité, cigarette et verre de vin à la main tandis qu'elle attend l'arrivée de ses invités dans son salon sophistiqué.

Michael affirme avoir écrit trois romans durant son long deuil. Le premier est Siobhan - qu'il envoya, avec un manque de tact à couper le souffle, à la femme qui l'avait inspiré, bien qu'elle fut alors mariée et heureuse avec un autre.

Le second roman (et le seul qu'il paraisse avoir terminé) était Le Retour4, une saga de science-fiction. "Je crois que je suis en train de devenir une femme", confia Michael à un ami au Stanislavsky Studio en 1966, et le résumé de l'intrigue du Retour confirme qu'une telle métamorphose devenait une préoccupation grandissante.

Peu à peu, Michael en vint à croire que les vicissitudes de sa vie, qui jusque là n'avait paru rien d'autre qu'un "enchevêtrement sans queue ni tête", — les échecs sexuels et financiers, les batailles contre la bureaucratie — obéissaient à une logique propre et complexe. S'il parvenait seulement à en distinguer la forme, il saurait que faire à l'étape suivante.

Involontairement, ses persécuteurs s'apprêtaient à l'aider en provoquant une nouvelle crise. En mai 1966, Michael comparaissait devant les magistrats de Bow Street. Il devait répondre de treize accusations portant sur l'obtention de crédits sous de faux prétextes et l'ouverture d'un cabinet de psychologie sous le nom de Michael B. Karoly sans avoir révélé qu'il avait fait banqueroute sous le nom de Carl Hajdu et ne pouvait mener d'activités commerciales. Il fut condamné à trois mois de prison puis à un mois supplémentaire quand le fournisseur d'électricité entreprit des poursuites légales et que Michael fut incapable de payer une amende de £150.

Sur la dernière page du carnet tenu dans la prison de Pentonville, Michael Karoly écrivit le brouillon de la lettre suivante:

Cher Monsieur,

J'ai vu et aimé votre publicité dans le London Weekly Advertiser. Je suis arrivée à Londres récemment et je n'y connais personne, et donc je prends le risque de vous répondre. J'ai la quarantaine avancée, je suis veuve, j'ai perdu mon fils unique en même temps que mon mari. Pour être franche, je n'ai pas l'intention de me remarier et je ne suis pas intéressée par le sexe pour le sexe, en fait cela ne m'intéresse pas du tout. Ce que je souhaite, c'est trouver un ami suffisamment présentable et cultivé pour m'accompagner au théâtre, cinéma, concert, etc, un ami — et rien de plus — avec qui je partagerais des goûts communs.

A titre d'information, je suis plutôt grande (1m80), je porte des lunettes et utilise un appareil auditif et aucun effort d'imagination ne permettrait de me trouver jolie. En contrepartie, je crois que je suis plutôt bien habillée et bien coiffée, ie pouvant très convenablement apparaître au bras d'un homme en public, j'ai à mon actif quelques années d'université (sociologie et économie), ayant interrompu mes études juste avant d'être diplômée.

Si ces conditions vous agréent, j'attends votre réponse.

Sans le poids d'une famille, Michael pouvait maintenant écrire sa propre histoire. Comme le prouve cette lettre, il était déjà en train de mettre en place la phase la plus audacieuse de son plan — agissant avant même d'être sorti de la prison de Pentonville en février 1967.

Charlotte admirait beaucoup un passage du roman de William Golding, Chute libre, dans lequel le narrateur demande à une femme : «A quoi ça ressemble d'être vous? A quoi ça ressemble quand on prend un bain ou qu'on va aux toilettes; à quoi ça ressemble de marcher sur les pavés en faisant des enjambées plus petites avec des talons hauts? A quoi ça ressemble de savoir que votre corps exhale ce parfum léger qui brûle mon cœur et noie mes sens?» Ce que la science n'a pas été capable de remarquer, soutenait Charlotte, c'est que ce fantasme vaguement romantique et sans importance était à l'origine de tout le processus de l'évolution.»

Nombre de personnes parmi les relations de Carl ou de Michael l'avait toujours trouvé un peu bizarre, ce qui fait qu'il est possible que sa transformation finale en Charlotte ait choqué moins qu'on aurait pu l'attendre. Même si c'est le cas, il est à mettre au crédit de son remarquable pouvoir de persuasion d'être acceptée par quasiment tout le monde.

Les rêves de célébrité et de prix Nobel peuvent avoir été absurdes, mais en emportant son secret presque jusque dans la tombe, elle a "transformé l'essai". Se travestir ne consiste pas simplement à changer de garde-robe: tous les aspects du comportement doivent être réappris, et une nouvelle image de soi doit être créée. Sa voix profonde et son physique masculin rendaient la tâche d'autant plus difficile pour Charlotte. Cependant elle y parvint, avec style, conviction et courage. Dans sa dernière identité elle était parvenue à une authenticité qui lui donnait bien plus de plaisir et de sérénité qu'aucun autre des personnages creux qu'elle avait incarnés jusque là. Ne peut-on raisonnablement en conclure que c'est sa vie en tant qu'homme qui était une mascarade — que le baron Hajdu et Michael Karoly étaient les grands imposteurs tandis que le docteur Charlotte Bach était non seulement sa création la plus achevée mais également son véritable moi?

© Francis Wheen 2002
Ceci est un extrait modifié de Who Was Dr Charlotte Bach? de Francis Wheen, publié le 7 octobre (2002) par Short Books au prix de 9.99 livres.


Notes
1 : Sexe, péché et évolution.
2 : Rachman est un agent immobilier connu pour avoir exploité sans scrupule la misère des locataires les plus fragiles au point d'avoir donné naissance au terme "Rachmanisme", mot entré dans l'Oxford dictionnary.
3 : NdT: Journal populaire, le premier journal du dimanche à proposer des photos.
4 : The Second Coming
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