Billets qui ont 'Abattoir 5' comme oeuvre littéraire.

Prémonitoire

Le coffre et les ailes étaient en bouillie, la malle bâillait comme la bouche d'un idiot de village en train d'expliquer qu'il ne connaît rien à rien. Les portières haussaient les épaules. Le pare-chocs était presque vertical. «La présidence à Ronald Reagan», clamait un placard qui y adhérait encore.

Kurt Vonnegut, Abattoir 5, début du chapitre 9 (1971, Points Seuils - paru en 1969 aux Etas-Unis)

J'illustre Abattoir 5

J'en suis au début. Je suis frappée de retrouver exactement les noms de l'été dernier: Cape Cod, Cape Anne, l'endroit où Washington a traversé le Delaware, Pittsburgh (ne pas oublier le "h"). J'ai une photo pour compléter l'une des premières anecdotes du livre — que je suppose vraie.
En même temps que je me préparais à devenir anthropologue, j'étais aussi correspondant judiciaire à la célèbre Agence de presse de Chicago pour vingt-huit dollars par semaine.

[…]

Je dus dicter mon premier papier à une de ces garces. C'était au sujet d'un jeune démobilisé qui avait été engagé comme garçon d'ascenseur dans un vieil immeuble administratif. Au rez-de-chaussée, la grille d'ascenseur enroulait ses volutes de métal. Le lierre de fer forgé s'échappait par tous les trous. Il y avait un rameau de fer forgé sur lequel se perchaient deux perruches.

Notre civil frais émoulu décide de ramener sa benne au sous-sol, ferme la porte et amorce sa descente mais son allliance s'était accrochée dans les ornements. Le voilà suspendu dans le vide tandis que le plancher s'abaisse, se dérobe sous ses pieds; le plafond l'écrabouille. C'est la vie.

Je téléphone l'article et la brave dame qui allait composer le stencil m'interroge: «Quelle a été la réaction de sa femme?»
— Elle n'est pas encore au courant, ça vient de se produire.
— Appelez-la pour avoir une réaction.
— Hein?
— Racontez que c'est la police, que vous êtes le capitaine Finn. Vous avez une mauvaise nouvelle. Annoncez-la lui et voyez un peu ce qui se passe.»
Ce que je fais. Elle prend les choses comme on pouvait s'y attendre. Un enfant. Et tout ça.

Quand j'arrive au bureau, la rédactrice s'enquiert, pour sa gouverne personnelle, de l'allure qu'avait l'écrabouillé au moment de l'écrabouillage.
Je la lui décris.
«Ça vous a secoué?» me harcèle-t-elle. Tout en croquant des friandises «Trois Mousquetaires».
«Bon Dieu, non, Nancy. J'ai assisté à pire que cela pendant la guerre.»

Kurt Vonnegut, Abattoir 5, p.17-18 (collection Points Seuil, 1971)


J'ai une photo des friandises. Elle a été prise l'été dernier quelque part en Pennsylvanie, entre Salamanque et Punxsutawney, dans une station service au milieu de nulle part dans les montagnes Alleghenies.



Elle a été prise parce que j'avais et j'ai encore l'idée de faire une anthologie des références aux Trois Mousquetaires depuis que j'ai rencontré ce titre dans la bibliothèque d'une mosquée dans La Voie cruelle. Il y a bien sûr Slumdog Millionnaire.
Et puis ces barres, cet été, que je retrouve maintenant au début d'Abattoir 5. Les trois mousquetaires seront à nouveau évoqués plus loin, mais cette fois pour ce que représente leur équipe, un groupe soudé qui fait front et sort victorieux des défis.

D'Abattoir 5 à Harry Potter en un coup

Je lis le blog Letters of Note qui reprend des lettres d'écrivains ou de personnes célèbres. (Il faudrait les traduire. Parfois je me dis que je devrais juste consacrer mon temps à traduire ce que j'aime pour le mettre à disposition du web français. J'adorerais cela.)

Hier j'ai trouvé ainsi une lettre de Kurt Vonnegut. C'est la lettre qu'il écrivit à ses parents pour les prévenir qu'il était vivant, qu'il avait été fait prisonnier par les Allemands et emprisonné dans un abattoir souterrain à Dresdes, qu'il avait échappé à la mort en de multiples occasions et que libéré, il ne tarderait pas à rentrer.
Il s'avère que c'est le cœur de ce qui allait devenir Abattoir 5.

D'Abattoir 5, je me souvenais vaguement avoir appris un jour (mais comment? c'était avant internet) qu'il avait été brûlé dans plusieurs villes des Etats-Unis, et comme cela me paraissait parfaitement incroyable et délicieusement sulfureux, avoir emprunté alors Petit Déjeuner des champions —Oui, ce n'est pas le même livre. Je suppose qu'Abattoir 5 n'était pas disponible en bibliothèque; cela doit faire vingt ans, je ne me souviens plus des détails.— Mais je me souviens aussi que je n'ai pas dépassé quelques pages, je n'en sais plus les raisons précises: un livre un peu ennuyeux; j'avais sans doute d'autres choses à faire ou à lire.

Toujours est-il que j'ai voulu vérifier cette histoire de livre bûlé: avais-je rêvé, mes souvenirs avaient-ils déformé la réalité comme souvent?

J'ai eu du mal à trouver ce que je cherchais, sans doute parce que je n'utilise pas les bons mots clés dans Google.
Cela m'a permis de trouver un article très récent et en français sur le blog biblio|ê|thique (éthique & bibliothèques, tout un programme) qui raconte qu'un lycée du Missouri ayant décidé de retirer du programme et de la bibliothèque Abattoir 5, le musée Kurt Vonnegut proposa aux lycéens qui en feraient la demande de le leur envoyer gratuitement.

Et à mon ravissement, ce billet donne la liste des romans du XXe siècle les plus contestés ou mis à l'index, liste établie par le Radcliffe Publishing Course (apparemment une célèbre formation pour les futurs éditeurs, formation qui aurait été absorbée récemment par l'école de journalisme de Columbia) (si je fais un contresens, laissez un commentaire, je corrigerai).

Cela m'a permis de découvrir avec stupeur que certaines églises (majuscule ou pas?) appellent à brûler Harry Potter. Je traduis les premières lignes:
Brûler des livres n'est pas quelque chose de neuf pour les Vrais Chrétiens [True Christians®]. Nous avons inventé cette pratique il y a plus de deux mille ans afin de rendre gloire à notre Seigneur Jésus. Dans les premiers jours de la chrétienté, quand se convertissaient les nouveaux croyants au Christ, ceux-ci étaient naturellement portés par le Saint Esprit à s'emparer d'autant de livres qu'ils le pouvaient afin de les jeter au feu. A la différence des faux chrétiens vraies lavettes «Dieu est amour» (que déteste autant Jésus Christ que nous-mêmes) que nous voyons se multiplier autour de nous en ces jours, les premiers suiveurs du Christ n'eurent jamais honte de brûler des livres.
WTF, OMG, etc. ô_O
(Résistance !)
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