Billets qui ont 'Neutre (Le)' comme oeuvre littéraire.

La franchise

Transcription à la volée du cours sur le neutre de Roland Barthes au Collège de France.
séance du 25/02/1978 vers la 31ième minute
En France, l’une des premières vertus de cette morale laïque, c’est la franchise. C’est évidemment en relation avec ce que je viens de dire et la religion, ne pas oublier que, par exemple, l’institution du boyscoutt est d’origine protestante; il y a une communication des valeurs morales, il y a tout un complexe de valeurs morales à la fois religieuses et laïques, et dans ce complexe, la franchise est une valeur de premier plan. Et bien, combien de fois dans notre vie nous avons affaire, souvent pour notre malheur, à des gens francs, c’est-à-dire des gens francs, c’est-à-dire (en réalité personnellement cela ne nous intéresse pas de savoir s’ils sont vraiment francs ou non, si vraiment il y a un inconscient cela n’a n’a aucune espèce de sens de se demander si on est franc ou non) des gens francs, ça veut dire des gens qui se vantent de l’être. En général, quand on vous dit «je vais être franc», cela annonce toujours une petite agression (rires étouffés dans la salle) et on se dédouane d’être indélicat, c’est-à-dire sans délicatesse, en annonçant qu’on va être franc. Mais je dirais, un peu méchamment, ce qu’il y a de pire avec la franchise, c’est qu’elle en général une porte ouverte, grande ouverte, sur la bêtise. Car le fait d’être franc ne… n’empêche pas qu’on soit bête, malheureusement. «Je serais franc» introduit toujours, me semble-t-il, me fait toujours passer le frisson de la peur, d’une proposition bête.(…)

Le chagrin de Barthes

Transcription à partir de CD du début du cours sur Le Neutre de Roland Barthes.

Je vais parler du désir de neutre aujourd'hui dans ma vie car il n'y a pas de vérité qui ne soit liée à l'instant. Je dois dire qu'entre le moment où j'ai décidé de l'objet de ce cours en mai dernier et le moment où je l'ai préparé, il s'est produit dans ma vie un événement grave, un deuil. Par conséquent, le sujet qui va parler n'est plus le même que celui qui avait décidé d'en parler.
A l'origine, il s'agissait de parler de la levée des conflits. En gros, c'est de cela qu'on parlera, car on ne change pas l'intitulé d'une affiche du Collège... Mais sous ce discours j'entends une autre musique.

Un second neutre apparaît derrière le premier. Le premier neutre établit la différence qui sépare le vouloir-vivre du vouloir-saisir. Il s'agit de quitter le vouloir-saisir pour aménager le vouloir-vivre.
Puis il se produit une seconde décantation où l'on abandonne le vouloir-vivre pour la vitalité. Pasolini, dans un poème dont je n'ai pu retrouver la référence précise (mais je la retrouverai pour un prochain cours), parle d'une "vitalité désespérée". La vitalité, c'est la haine de la mort.
La forme de ce second neutre, c'est en définitive une protestation : " il m'importe peu de savoir si Dieu existe ou non, mais ce que je sais, c'est qu'il n'aurait pas dû créer ensemble l'amour et la mort". Et le neutre, pour moi, c'est ce non irréductible, un non qui est comme suspendu devant les endurcissements de la foi et de la certitude, et un non qui est en quelque sorte incorruptible par l'une et par l'autre.

[...] Ce n'était ni d'amour ni de mort que parlait Barthes, mais de sa peine, et dans cet amphithéâtre du collège de France, devant ces inconnus et ces indifférents, il demandait avec une grande simplicité, avec un souffle soudain retenu sans que la portée de sa voix en soit atténuée, comment ne pas souffrir.

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