Je lis Reginald Hill depuis vingt ans maintenant, et il est de plus en plus évident que l'intrigue policière l'intéresse de moins en moins. Ce qui l'intéresse, c'est la construction narrative, la structure de ses récits, les différentes techniques à employer pour varier les points de vue et instiller le doute dans l'esprit des lecteurs. Y a-t-il vraiment eu crime, est-ce vraiment le coupable qui a été arrêté, était-il l'unique coupable ou le "plus" coupable, à quelles tentations personnelles et pressions professionnelles peut faire face un policier?

Je pourrais découper des époques dans la production des "Dalziel & Pascoe Novel". Pendant les années Thatcher (surnommée "la femme ayant provoqué le plus de morts depuis Hélène de Troie" (en référence aux Malouines, je suppose)), chaque livre avait un thème: la vieillesse (Exit Lines), le racisme (Child's play), les roses (Deadheads), le sort des villes de mineurs (Underworld), etc.
Cette approche "sociale" a pris fin avec Underworld, quand Reginald Hill a mis son héros Pascoe et sa femme Ellie dans une situation impossible. Allaient-ils divorcer dans le tome suivant? Dès lors, la série a pris des nuances plus variées, beaucoup plus inattendues, flirtant avec le roman historique (reconstitution d'épisodes de la première guerre mondiale), le roman d'espionnage ou l'énigme purement littéraire.

Je regarde avec intérêt l'auteur se débattre avec les personnages qu'il a créés. Reginald Hill a choisi de faire vieillir ses personnages: ils se marient, trouvent l'âme sœur, ont des enfants. Dès lors, comment faire évoluer leur situation professionnelle? Ne serait-il pas logique que le brillant adjoint deviennent chef à son tour? Mais comment pourrait-il le faire dans l'ombre de son chef? Il faudrait qu'il soit muté (ce qui provoquerait la fin de la série) ou que le chef parte à la retraite, soit malade ou meurt. (C'est tout le problème des univers clos).

En ce moment, Reginald Hill explore ces différentes possibilités. Auparavant, il avait tenté d'introduire de la variété en faisant intervenir de nouveau personnages. Mais trop de personnages secondaires étoffés ne permet pas de faire évoluer correctement une histoire et il se trouve aujourd'hui empêtré dans trop de caractères ambitieux: lequel choisir, lequel faire évoluer, quand tous ont été attachants le temps d'un ou deux volumes?

Que penser du dernier livre paru? La lutte pour le pouvoir entre les deux héros éponymes de la série se dessine de plus en plus fermement, comment l'auteur va-t-il pouvoir continuer à écrire au milieu des chausse-trappes qu'il se dresse à lui-même?

Nul écrivain de roman policier ne met autant en évidence les contraintes formelles du roman policier… tout en conservant le bon sens et la rudesse du paysan du Yokshire.