Billets qui ont 'compte rendu' comme genre.

Une profonde amitié

N'oublions pas non plus qu'il y a dans le titre même de l'ouvrage un jeu de mots: Encomium moriae, mais cette Moria (Folie) rappelle aussi le nom de More.

Guy Bedouelle, "Le manteau de l'ironie - Pour le 5e centenaire de l'Eloge de la Folie, d'Érasme" in Revue Communio XXXVI, 3

Le bonheur

Ainsi plaide la Folie: pour être heureux, il est beaucoup plus «sage» de se bercer d'illusions.

Guy Bedouelle, "Le manteau de l'ironie - Pour le 5e centenaire de l'Eloge de la Folie, d'Érasme". in Revue Communio XXXVI, 3

Autour de S/Z, le rêve de Barthes

Finalement, la grande réussite de Compagnon cette année aura été de me donner envie de lire Barthes. Son émotion si visible, son deuil jamais terminé, lié au récit de Patrick Mauriès, m'ont rendu curieuse d'un homme qui laissait derrière lui tant de regrets.

Je lis S/Z. Il me semble que si Barthes n'a jamais été romancier, c'est qu'il est essentiellement poète, et que c'est peut-être cette vérité tue qui m'en a rendu si longtemps l'abord difficile: là où j'attendais une analyse rationnelle, je trouvais une interprétation subjective, "imaginaire".
J'appelle ainsi le déploiement d'un lexique et d'une syntaxe qui prend son autonomie et devient ode à l'écriture, au fait même que l'on écrive, que l'on puisse écrire, à la joie d'une langue avec laquelle on puisse jouer.
Exemple:

la lune [...] est la chaleur réduite à son état de manque.
Roland Barthes, S/Z, points Seuil, p.27

Cette phrase n'a pas de sens premier. Sa dénotation est in-sensée. Si l'on veut lire Barthes au sens littéral, comme critique (analyste) purement technique des textes, on ne peut ni le comprendre, ni le prendre au sérieux.
Ce que Barthes accomplit, c'est une poétisation du domaine critique, comme certains photographes auront rendu beau les friches industrielles.

Certains professeurs, savants, critiques, nous font nous exclamer: «c'est tout à fait ce que je pensais sans savoir le dire», et nous nous reconnaissons à travers eux — nous les aimons pour cela.
D'autres nous rendent songeurs: «je n'y aurais jamais pensé», et ils nous font découvrir l'étrangeté du monde, ils nous dépaysent, ils transforment le monde en élargissant le champ des possibles.

Barthes est résolument de ce côté-là.
La technique qu'il utilise dans S/Z nous est présentée comme une méthode (découper le texte en lexies, définir la voix qui parle dans chaque lexie parmi les cinq voix possibles (l'Empirie, la Personne, la Science, la Vérité, le Symbole (p.24-25)), analyser les codes, détisser le tissu du texte), mais ce n'en est pas une. En effet, elle n'est pas reproductible, ce n'est pas une méthode qu'on puisse acquérir. Elle ne tient qu'au génie de Barthes, c'est la création d'un second texte acquérant son autonomie, semblant voler au-dessus du texte blazacien, non pas le "survoler" — ce qui reviendrait à ne pas le lire ou mal le lire—, mais en émaner, comme la vapeur monte de la terre à certaines heures du jour.

Représentatif de ce phénomène est la valeur donnée aux figures du discours qui n'est plus une valeur logique (rapport des parties et du tout, oppositions, ressemblances, etc), mais une valeur de sens généralisée par Barthes, une valeur dont on ne sait si elle est propre à la figure ou propre à Barthes lisant la figure:

l'antithèse : figure de l'inexpiable. (p.30)
la catachrèse: le blanc du comparé (p.37)

Barthes rêve le texte, il y a bien sûr l'habituel désir de s'approprier le texte, mais également le désir inverse, celui de s'y fondre, d'y disparaître, d'être compris (inclus) pour comprendre: «pour le décider [comprendre ce que veut dire Balzac], il faudrait aller derrière le papier.» (p.154)
Il nous présente comme une vérité ce qui n'est qu'une interprétation, une interprétation sans autre fondement que son désir, ce que je serais tentée d'appeler "délire interprétatif", tant rien ne l'étaie — si ce n'est sa lecture, véritable rêve du texte :

SarraSine : conformément aux habitudes de l’onomastique française, on attendrait SarraZine : passant au patronyme du sujet, le Z est tombé dans quelque trappe. Or Z est la lettre de la mutilation : phonétiquement, Z est cinglant à la façon d’un fouet châtieur, d’un insecte érynnique ; graphiquement jeté par la main, en écharpe, à travers la blancheur égale de la page, parmi les rondeurs de l’alphabet (sic), comme un tranchant oblique et illégal, il coupe, il barre, il zèbre ; d’un point de vue balzacien, ce Z (qui est dans le nom de Balzac) est la lettre de la déviance (voir la nouvelle Z. Marcas); enfin, ici même, Z est la lettre inaugurale de la Zambinella, l'initiale de la castration, en sorte que par cette faute d'orthographe, installée au c»ur de son nom, au centre de son corps, Sarrasine reçoit le Z zambinellien selon sa véritable nature, qui est la blessure du manque. De plus, S et Z sont dans un rapport d'inversion graphique: c'est la même lettre, vue de l'autre côté du miroir: Sarrasine contemple en Zambinella sa propre castration. Aussi la barre (/) qui oppose le S de SarraSine et le Z de Zambinella a-t-elle une fonction panique: c'est la barre de censure, la surface spéculaire, le mur de l'hallucination, le tranchant de l'antithèse, l'abstraction de la limite, l'oblicité du signifiant, l'index du paradigme, donc du sens.
Ibid. p.104



Je hasarderai trois remarques, à propos de l'idéologie, du silence sur l'homosexualité et la mise en abyme du texte.

1/ La glu du discours
Tout au long de cette lecture quarante ans plus tard, on ne peut qu'être frappé par la façon dont le texte de Barthes semble réféchir sur lui-même et utiliser ce qu'il expose.
Ainsi, s'agissant de l'extrait que je viens de citer, comment ne pas songer à la dénonciation de l'idéologie bourgeoise comme «une nappe étouffante d'idées reçues» (p.195), comment ne pas songer à l'importance qu'avaient pris Lacan et la psychanalyse dans ses années où écrivait Barthes, comment ne pas penser aujourd'hui, avec le recul, que Barthes était lui aussi pris dans la glu du discours contemporain?
Ainsi, nous comparerons ses spéculations sur la barre (/ ) avec celles de Pierssens dans La Tour de Babil, par exemple: là, il ne s'agit plus d'un miroir mais d'un chemin de traverse (il s'agit du f dans la signature de Wolfson): «Le f minuscule, en revanche, sous sa main, est toujours une simple barre, un long tranchant droit ou oblique qui, placé au milieu d'un nom, par exemple, le coupe comme un morceau de glace. Aussi Wolfson en viendra-t-il, comme un contrebandier, à repérer des pistes toujours ouvertes, des cols sur lesquels il pourra compter pour passer de l'autre côté, en territoire ami.» (p.91)
Pendant quelques années, ce type d'analyse a été à la mode, avant de passer de mode.

2/ L'allusion homosexuelle indicible
Pourquoi Barthes a choisit Sarrasine pour cette expérience de lecture?
L'explication la plus simple est sans doute que Sarrasine présente le récit comme une valeur d'échange: le texte a de la valeur, il permet d'acheter du plaisir, ou tout au moins une promesse de plaisir, nous dit Barthes (p.87, 201).
Cette promesse ne sera pas tenue, la parole étant contaminée par le manque de la castration: la castration est contagieuse, elle interrompt la circulation du sens, des copies, du désir:

La définition banale de la castrature («Toi qui ne peux donner la vie à rien») a donc une portée structurale, elle concerne non seulement la duplication esthétique des corps (la «copie» de l'art réaliste) mais aussi la force métonymique dans sa généralité: le crime ou le malheur fondamental («Monstre!»), c'est en effet d'interrompre la circulation des copies (esthétiques ou biologiques), c'est de troubler la perméabilité réglée des sens, leur enchaînement, qui est classement et répétition, comme la langue. Ibid. p.191

Interrompre la copie: Barthes ne semble pas s'apercevoir qu'il pourrait en dire tout autant de l'homosexualité et que l'horreur de Sarrazine tient peut-être moins au fait de s'apercevoir qu'il a désiré un castrat qu'au fait qu'il a désiré un homme.
Est-ce silence volontaire de la part de Barthes ou refoulement? (et peut-être est-ce pour cela que Barthes s'empresse de nous rassurer sur Béatrice de Rochefide: le désir est récupérable).

3/ la mise en abyme du texte critique
La dernière phrase de Sarrasine est «Et la marquise resta pensive.»
Le texte classique, nous dit Barthes, se caractérise par la "pensivité": «Comme la marquise, le texte classique est pensif» (p.204)
Mais que dire alors de S/Z, qui se termine ainsi:

A quoi pensez-vous? a-t-on envie de demander, sur son invite discrète, au texte classique, mais plus retors que tous ceux qui croient s'en tirer en répondant: à rien, le texte ne répond pas, donnant au sens sa dernière clôture: la suspension.

Et S/Z devient à son tour pensif.

Notes / Sténo, d'Alain Chevrier

Des définitions en deux mots anagrammes, justes, cocasses, cruelles, à l'occasion discrètement grivoises, comme le veut la tradition française :

Fenêtre ensoleillée : rideaux radieux
Dossiers : vacheries archivées
Césarienne : utérus suturé
Top-model : cintre crétin
Mourir sur la scène : adieux idéaux

De temps à autre un palindrome surgit, car «le palindrome est une sous-section de l'anagramme.»

Dédicace à "mes" pédéblogeurs :

Sodomie : galerie élargie



Le livre propose un peu plus de mille deux cents de ces formes minimalistes.
Il est édité à deux cents exemplaires et n'est donc pas diffusé en librairie (il en faut au moins six cents). Vous le trouverez ici.

La chapelle sextine d'Hervé Le Tellier

Jeudi, dernier jeudi de l'Oulipo. Rendez-vous est pris pour octobre (sans doute pour avoir raconté la mort de Marie-Antoinette, Olivier Salon avait perdu la tête).
J'achète les premiers livres de l'année (je veux dire sur ce lieu): La Dissolution de Roubaud (un peu à cause des poèmes qu'il a rédigés pour Marcheschi) et La Chapelle sextine, que je voulais lire depuis la prestation d'Hervé Le Tellier au Petit Palais.
Première surprise, un exergue de Barthes, tiré de sa préface de Tricks:

Les pratiques sexuelles sont banales, pauvres et vouées à la répétition et cette pauvreté est disproportionnée à l'émerveillement du plaisir qu'elles procurent.
Roland Barthes, préface aux Tricks de Renaud Camus

(Intéressant: ce n'est pas le plaisir qui est disproportionné, c'est l'intensité de la surprise heureuse à découvrir ce plaisir. Cette surprise subsiste sans érosion, la monotonie ne l'atteint pas.)


Quatre variables dans l'amour: les partenaires, les pratiques, les positions, les situations. Vingt-six partenaires[1], quatre pratiques (pénétration anale ou vaginale, cunnilingus, fellation). Je n'ai pas compté les lieux ni les positions (debout, assis, etc).
A partir de ces données, Le Tellier organise une combinatoire ludique, parcourant l'éventail des amours, du réussi au raté, reproduisant les pensées souvent cocasses ou déplacées qui peuvent traverser l'esprit dans ces instants. Pour chaque scène, un court paragraphe présente une ambiance et un style, illustré par Xavier Gorce avec un sens étonnant du condensé. La chute, présentée à part et en italique, est souvent ce que je préfère.

J'ai eu beaucoup de mal à choisir la scène que j'allais copier ici, d'heure en heure je changeais d'avis.

Ben et Mina. Dans le vaste dressing d'une chambre du premier, Ben, pantalon de smoking aux genoux, dos aux mur, a soulevé la si légère Mina, dont la robe lamée rouge remontée à la taille découvre les hanches. De ses bras, de ses cuisses musclées, elle entoure Ben, et lui la prend doucement, soutenant ses fesses menues de ses mains puissantes. You take advantage of me, d'Art Tatum, monte du rez-de-chaussée et rythme la lente pénétration. Tout à l'heure ils se demanderont de nouveau leurs prénoms.

Si elle connaissait Mark Twain, Mina pourrait se dire qu'elle a de commun avec Ève qu'elle couche avec le premier venu.

Hervé Le Tellier, La Chapelle sextine, p.80

Notes

[1] Hervé Le Tellier au petit Palais: «[...] les personnages sont peu décrits, mais ils ne se rencontrent pas au hasard, dans la deuxième sextine ils sont présentés dans l'ordre de leur âge, les hommes en ordre croissant et les femmes décroissant (ou l'inverse, je ne sais plus). En fait, il y a là mes soirées télé, Sami Frey, Patrick Timsit, (etc, je ne sais plus). J'ai un peu oublié qui est qui avec le temps... il y a même PPDA, si vous venez me demander à la fin, je vous dirais qui c'est.»

Si par une nuit d'hiver un voyageur, d'Italo Calvino

La préface prévient dès les premières lignes que nous abordons un livre qui ne contient que des premiers chapitres.
Désormais rompue à toutes les bizarreries, je m'attendais donc à dix ou douze premiers chapitres de roman accolés les uns aux autres.
En fait, tout est un peu plus compliqué que cela, puisque Calvino s'est ingénié à inventer un récit logique (si l'on peut dire) pour lier ces différents débuts de romans.
Peu à peu le livre se transforme en une gigantesque scène d'exposition de tous les procédés désormais utilisés dans les romans contemporains: le miroir, le double, les sentiers qui bifurquent, le temps qu'on ne remonte pas, (mais il manque l'échiquier (à moins que... à moins que le livre lui-même soit l'échiquer?)), non sans évoquer Homère et les Mille et une Nuits. Un roman ou des romans? Ecrire est-il une création ou n'est-ce qu'un extrait d'un grand livre universel qui reste à découvrir? Etre léger et connaître le succès ou être profond et rester obscur?

Quel livre pour quel lecteur? Et quel lecteur reste-t-il capable de lire? Ce n'est pas sans un pincement de cœur que je vois Italo Calvino constater que la lecture naïve a presque disparu (la machine qui lit à la place des lecteurs en classant les mots selon leur occurrence serait drôle si... si cette lecture n'était pas devenue le risque de toute lecture "savante").

[...] mais vous devez attendre que les garçons et les filles du collectif se soient distribué les tâches: au fil de la lecture, quelqu'un sera chargé d'y souligner le reflet des modes de production, un autre les processus de réification, d'autres la sublimation du refoulé, les codes sémantiques du sexe, les métalangages du corps, la trangression des rôles, dans les sphères du politiques et du privé.
ibid, p.87, points seuil (fin du chapitre quatre)

Oui, le panorama est complet, presque trop, d'ailleurs, une pointe d'ennui une fois que la mécanique est lancée...

Encore une tentative de roman de tous les romans, qui se moque de sa tentative de roman de tous les romans, et il plane sur les chapitres les ombres des Gommes, de Pedro Paramo ou de L'invention de Morel.

Le plus étonnant, c'est que Calvino semble postuler une "vérité" des romans: un "vrai" roman est un roman écrit par son "véritable" auteur. Ce n'est pas une copie, pas un pastiche, ce n'est pas un texte écrit par un nègre ou par une machine. Apparemment un texte original (c'est-à-dire encore jamais publié, inventé, imaginé, écrit) publié sous un faux nom par une personne voulant se faire passer pour une autre serait un faux... Mais qu'est-ce que cela veut dire?[1] On songera à la récente polémique entourant l'existence ou non (ou non-existence ou non existence?[2]) de Louise Labé (car honnêtement, quelle importance, tant qu'il nous reste l'œuvre? (Et je songe aux chapiteaux sculptés du marché aux poissons le long du grand Canal, à tous ces miracles anonymes d'architecture qui nous entourent... Pourquoi un tel besoin de noms, un tel besoin d'attribution? Qu'importe?))

Et ce qui est mis en évidence, finalement, c'est qu'entre le lecteur et l'écrivain, tout n'est question que de désir, et de désir de désir, et de désir d'être aimé, et bien sûr, d'être le plus aimé.

Notes

[1] Bien entendu, on ne négligera pas l'humour de Calvino dans l'étude de la question: est-ce une vraie question, ou déjà-encore une pirouette?

[2] C'est Calvino qui déteint.

Psychologie du kitsch, par Abraham Moles

Notes et citations

chapitre 1 - Qu'est-ce que le kitsch ?

- correspond d'abord à une période, à un style d'absence de style, à une fonction de confort surajoutée aux fonctions traditionnelles.
- vient de l'allemand. Etymologie douteuse, bifrons : kitschen, bâcler, faire du neuf avec du vieux, verkitschen, refiler en sous-main, vendre quelque chose à la place de ce qui avait été demandé. =>une négation de l'authentique.
piries en portugais, quétaine en québécois. Le kitsch, c'est la camelote.

Le monde des valeurs esthétiques n'y est plus dichotomisé entre le «Beau» et le «Laid», entre l'art et le conformisme s'étend la vaste plage du Kitsch. Le Kitsch se révèle avec force au cours de la promotion de la civilisation bourgeoise, au moment où elle adopte le caractère d'affluence, c'est-à-dire d'excès de moyens sur les besoins, donc d'une gratuité (limitée), et dans un certain moment de celle-ci où cette bourgeoisie impose ses normes à une production artistique.
Abraham Moles, Psychologie du kitsch, p.6

- phénomène connotatif intuitif et subtil; il est un des types de rapport que l'être entretient avec les choses, une manière d'être plus qu'un objet, ou même un style. (p.6)

Il est normal d'appeler culture cet environnement artificiel que l'homme s'est créé par l'intermédiaire du corps social; marquons d'abord l' extension de ce terme. L'environnement artificiel outrepasse en effet infiniment ce que nos défunts professeurs d'histoire appelaient l' Art et la Science: pour eux, la «culture» était, essentiellement, ce qu'il y a dans les Bibliothèques et dans les Codes. Désormais, elles inclut tout un inventaire d'objets et de services qui portent la marque de la société, sont des produits de l'homme et dans lequel il se réfléchit: la forme de l'assiette ou de la table sont l'expression même de la société, ils sont porteurs de signes tout comme les mots du langage et doivent être considérés à ce titre.
ibid, p.8

Les hommes continuent à penser les catégories de l'environnement comme la Nature, or celle-ci n'existe quasiment plus. Décor artificiel.

Différence entre créer et produire:
- créer, c'est introduire dans le monde des formes qui n'existaient pas (généralement formes ou messages uniques ou en très faible nombre)
- produire, c'est copier un modèle de façon de plus en plus automatisée dont l'être humain devient absent. Celui-ci se déplace vers le secteur des services.

Apparition de l'oisiveté (budget-temps liberté) : apparition de l'activité de consommation pour elle-même.

Relation de l'homme avec son entourage matériel:
- appropriation de l'objet (jus uti et abuti du droit romain)
- fétichisme de l'objet (le collectionneur) - insertion dans un ensemble (le décorateur)
- esthétisme (pour l'amateur d'art)
- «accélération consommatrice qui voit dans l'objet un moment transitoire de l'existence d'un multiple pris à à un certain moment de sa vie entre la fabrique et la poubelle, comme l'homme entre le berceau et la tombe.»
- l'aliénation possessive, faisant de l'être le prisonnier de la coquille d'objet qu'il passe sa vie à sécréter autour de lui, dans l'intimité de son espace personnel. (p.13-14)

La relation kitsch : «un type stable de rapport entre l'homme et son milieu, milieu désormais artificiel, tout plein d'objets et de formes permanentes à travers leur éphémère.» (p.14)

chapitre 2 - L'insertion du kitsch dans la vie

consommer: exercer une fonction // l'objet devient produit, il est perpétuellement provisoire.

Moles distingue deux périodes dans le kitsch: le kitsch proprement dit, avec l'apparition des grands magasins et l'élaboration d'un art de vivre (dans lequel nous vivons encore aujourd'hui), et le néo-kitsch (à partir de l'après-guerre?) civilisation du jetable et du consommable.

Le kitsch: rajoute de la connotation à la valeur d'usage habituelle.

Le Kitsch s'oppose à la simplicité: tout art participe de l'inutilité et vit de la consommation du temps; à ce titre, le kitsch est un art puisqu'il agrémente la vie quotidienne d'une série de rites ornementaux qui la décorent et lui donnent cette exquise complication, ce jeu élaboré, témoignage des civilisations avancées. Le kitsch est donc une fonction sociale surajoutée à la valeur d' usage qui ne sert plus de support mais de prétexte.
ibid, p.17

[...] le Kitsch est à la mesure de l' homme, du petit homme (Eisck) puisqu'il est créé par et pour l'homme moyen, le citoyen de la prospérité, qu'un mode de vie émerge plus spontanément du rituel de la fourchette à poisson et du couvert bien plus que ceux-ci ne sont émergés d'une civilisation profonde. On vit plus facilement avec l'art de Saint-Sulpice qu'avec l'art roman, problème qui a préoccupé les théologiens. (R. Egenter)
ibid, p.18

Kitsch: le mouvement permanent à l'intérieur de l'art, dans le rapport entre l'original et le banal.
le mode et non pas la Mode dans le progrès des formes. (p.20)
Une direction plutôt qu'un but: tout le monde le fuit et tout le monde y revient.

La distanciation de l'humoir ne doit pas nous faire illusion: il y a du Kitsch au fond de chacun de nous. Le Kitsch est permanent comme le péché : il y a une théologie du kitsch.
ibid, p.20

chapitre 3 - Aliénation et kitsch. L'homme et les choses.

La position Kitsch se situe entre la mode et le conservatisme comme l'acceptation du «plus grand nombre». Le Kitsch est à ce titre essentiellement démocratique : il est l'art acceptable, ce qui ne choque pas notre esprit par une transcendance hors de la vie quotidienne par un effort qui nous dépasse — surtout s'il doit nous faire dépasser nous-mêmes. Le Kitsch est à la mesure de l'homme, quand l'art en est la démesure, le Kitsch dilue l'originalité à un degré suffisant pour la faire accepter par tous. ibid, p.24

Les rapports de l'homme aux objets:
- le mode ascétique : les choses sont des ennemis ;
- le mode hédoniste : les choses sont faites pour l'homme ;
- le mode agressif : détruire les choses (pour les posséder) ;
- le mode acquisitif : nettement marqué par une civilisation bourgeoise possessive (cf. Citizen Kane);
- le mode surréaliste : basée sur le facteur d'étrangeté ;
- le mode fonctionnaliste ou cybernétique : à chaque objet un acte, à chaque action un outil. L'homme acquiert les objet pour leur usage;
- le mode Kitsch : composition des attitudes ci-dessus, «liée à l'idée d'un anti-art du bonheur, d'une situation moyenne, participant de l'entassement de l'heureux possesseur, justifié «moralement» par le prétexte du fonctionnel (c'est le cas du gadget et du souvenir). «Le mode d'usage quotidien des objets constitue, dit Baudrillard, un schème presque autoritaire de la présomption du monde.» »(p.29-30)

«Le Kitsch n'est pas l'aliénation, même si l'aliénation de la société consommatrice a, la plupart du temps, le Kitsch comme signe distinctif.» (p.32)

chapitre 4 - Essai de typologie du kitsch.

«L'idéal du Citoyen du Bonheur, auquel Antigone réserve ses invectives, est caractérisé essentiellement par une quotidienneté, une mesure, une médiocrité collective.» (p.35)
A l'inverse d'une recherche d'Absolu et de transcendance.
La position du Kitsch : l'acceptable.

Typologie d'objets unitaires (forme, couleur, nature, etc) et de groupe d'objets (système Kitsch).

- typologie des formes élémentaires : la courbe (style nouille) avec de nombreux points d'inflexion mais sans discontinuité (par opposition à la «coquille» du pur baroque); la grande surface ininterrompue est rare, les contrastes de couleurs complémentaires et les passages par fondu (du rouge au rose bonbon, etc), les matériaux se presentent rarement pour ce qu'ils sont (le ciment pour du bois, la brique pour du béton, etc).

- typologie des groupes d'objets: l'entassement (beaucoup d'objet dans un petit espace: surface de cheminée, etc), l'hétérogénéité (objets sans rapport entre eux), l'antifonctionnalité.
+ un critère «d'authencité Kitsch» (!) : l'idée de sédimentation: le Kitsch n'est pas une intention délibérée mais une lente accumulation, sans projet d'ensemble.

- les oppositions disctinctives de base:
exotique/terroir, tradition/science-fiction (stylo plume d'oie ou stylo en forme de fusée), héroïsme/dénuement (le Saint Georges miniature en bois ou «porteuse de pain»), religion/ivresse.
Tradition éternelle du kitsch sexuel.
l'aigre (squelettes, films de zombie) et le doux (nains de jardin, pouées roses, etc).

chapitre 5 - les principes du kitsch.

- principe d'inadéquation : toujours un décalage, écart à la fonction, écart au réalisme. (boutons de manchettes argent en carte perforée miniature)
- principe de cumulation : meubler le vide par surenchère de moyen (lunette de soleil transistor)
- principe de synesthésie : saturer le maximum de canaux sensoriels simultanément (le livre parfumé, les bouteilles de liqueur à paillettes)
- principe de médiocrité : (le tragique du Kitsch). «C'est par la médiocrité que les produits Kitsch parviennent à l'authentiquement faux» (p.65)
- principe de confort

spontanéité dans le plaisir.

fonction pédagogique: apprend à passer de la sentimentalité à la sensation. «Le kitsch reste essentiellement un système esthétique de communication de masse.» (p.68) progression du goût parallèle à la progression des revenus, dans un désir de se démarquer.

chapitre 6 - La genèse du Kitsch

- phénomène de tous les temps, mais son apogée avec la société d'affluence.
- XIXe siècle : richesse par la puissance industrielle et commerciale, exploration des continents, mythe du héros pur, de l'homme idéal (Jules Verne, etc).
- valeurs du kitsch : sécurité, affirmation de soi-même, système possessif, Gemütlichkeit, rituel d'un mode de vie (prendre le thé: imitation de la classe supérieure)
diffusion du mode de vie des classes sociales supérieures vers les inférieures (noblesse vers grande bourgeoisie (1800) vers white collar (1890[1]) vers ouvriers (1950) vers paysans (1960).
- Louis II de Bavière . apogée du Gemütlichkeit
- apparition des grands magasins
- le style grand magasin : «L' imitation est sa valeur fondamentale, elle doit se combiner avec la décoration.»
- dans l'architecture (de l'ornementation pour prouver que cela a coûté cher).

Vie et littérature Kitsch

une littérature pour classes moyennes et petits-bourgeois, pour bonnes et petits employés, pour midinettes et pour rêver.
Y correspond un univers matériel : l'opium de Shanghaï, les actions du canal de Panama, les vertus des prostituées, les potiches chinoise.

nobles héros, de blondes évanouissantes, de puissants maîtres de forges, de fiancées vierges et de vieillards à barbe blanche.

L'héroïne n'habite pas simplement au bord de la mer, mais dans une ville blanche sous des pins parfumés, aux bords d'une mer argentée, sous la lumière de la lune. Elle ne s'appelle pas Mado mais Magdalena, non Brigitte mais Brunehilde; son fiancé est prince lieutenant.
ibid, p.101 [2]

art du stéréotype

Paradigmes :
Man meets girl / incidently / in work / in pain / rescues
Man loves girl / close / far / poorly / richly
Man loses girl / goes away / is taken from her / fas a task / forgets
Man saves girl / physically / in a danger / slowly / morally
Man marries girl / immediately / with difficulty / after a delay / when ready to die.

chapitre 8 - le Kitsch musical

l'arrangement. quelques méthodes : reprise dn cheur, reprise à un niveau supérieur, accompagnement à un registre inférieur, écho, réverbération artificielle avec durées longues, batterie, maracas, rythme, syncope très accentuée, etc.

quelques études statistique mènent à la conclusion suivante:

De même qu'il n'y a pas de voie royale dans les mathématiques (Eddington), il n'y a pas de ponts dans la musique entre les classes sociales. Le Kitsch est un facteur, moins de fusion sociale que de ségrégation.
ibid, p.122

chapitre 9 : Kitsch des formes et antikitsch : le fonctionnalisme

«La fonction, c'est l'être pensé en actes.» Goethe

Le fonctionnalisme est né par réaction à l'inutile. Volonté de rigueur.

Le souci esthétique y est subordonné à la pureté des rapports de l'homme avec les choses renversant la formule de Platon et de Saint-Augustin : Le Beau est la splendeur du Vrai.

=>schéma d'une analyse fonctionnelle : modèle d'une expression des besoins

chapitre 10 - Crise du fonctionnalisme et néo-kitsch

apparition du supermarché dans les années 30. politique du prix (tout à un prix restreint). différence avec le grand magasin: le mond à vos pieds, le monde achetable dans un espace limité.

l'antifonctionnalité :
- la fausse fonctionnalité (fauteuil trop fragile pour s'asseoir)
- les plaisirs du jeu
- la péremption (l'objet est périssable)
- la mode (participation au progrès à peu de frais)

fonction du designeur

chapitre 12 - l'ensemble d'objet : le display

chapitre 13 - du gadget

établit un contact Kitsch entre l'univers des situations, celui des actes et celui des objets.

signifie ingénieux. «Le gadget est essentiellement défini par le «c'est fait pour» à l'opposé du «c'est fait de». (p.200)

- unifonctionnel: prélève une micro-fonction de la vie et la résout. apparition du jeu, disproportion des moyens et des fins.

- multifonctionnel : une des fonctions de base est presque toujours la décoration.

Travailler (pas trop), acheter, jouir de ce qu'on a acheté : serait-ce là la terne trilogie du bonheur consommatoire, dans laquelle le rêve est incorporé dans l'achat? on a envie d'ironisé sur cet idéal quotidien avant de réfléchir à notre incapacité logique de le mettre en cause. Si la transcendance de l'art est fatigante, où trouver le maximum d'adaptation de tous à tous qui fut l'idéal — pérmé — d'une certaine psychologie sociale, chargée de réconcilier l'homme avec ses propres limites?
ibid, p.206

Conclusion

- relation kitsch/art: profondément didactique. Le bon goût s'établit socialement contre, à travers et donc par la voie du mauvais goût.

- produit d'un des succès les plus universellement incontesté de la civilisation bourgeoise : la création d'un art de vivre à la fois si raffiné, si flexible, si détaillé, qu'il a conquis la planète [...] (p.215)
Concept universel et permanent qui se retrouve dans toutes les cultures possessives à des degrés divers.

- le po-art : une nouvelle forme d'attention au monde environnant

C'est la dictature du Kitsch qui s'impose avec la classe dominante [...] Les rapports entre les hommes se dissolvent au niveau de rapport entre les objets, résolvant tous les conflits de la même façon, donnant lieu à une écologie des hommes et des choses.
/... Si comme le remarque Morin, la société n'accepte pas le génie c'est qu'elle refuse la subversion et qu'elle lui préfère le talent.
ibid, p.218

Notes

[1] note personnelle : c'est Proust!

[2] Ça, c'est vraiment pour le plaisir de le copier!

Journée Queneau le 31 janvier 2009

Voir le compte rendu sur Blog O'Tobo (mémotechnique: blague à tabac).

Note de bas de billet de blog (NBBB): AVB dans le billet d'Elisabeth Chamontin signifie "Amis de Valentin Brû". Celle-ci a écrit dans le dernier bulletin une critique de Zazie dans le métro en BD par Clément Oubrerie qu'elle a développée au cours de cette journée.

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