Mais le kairos historique pour l'établissement de canons littéraires est venu avec l'émergence des grands centres de culture grecque dans la foulée de la conquête d'Alexandre. Pendant tout le IIIe siècle, la Judée dépend du pouvir lagide qui a sa capitale à Alexandrie. D'autres villes grecques, tant sur la côte palestinienne qu'en Transjordanie, font sentir leur présence, mais c'est incontestablement d'Alexandrie que vient l'impulsion principale. Dès le règne du premier des Ptolémées (Ptolémée Ier Soter, 323-282), le rayonnement culturel devient le souci prioritaire du nouveau pouvoir. Les instruments principaux de cette poitique sont la Bibliothèque et le Musée, puissamment développés et choyés par Ptolémée II Philadelphe (282-246) et Ptolémée III Evergète (246-222). Deux ambitions opposées, mais en réalité complémentaires, caractérisent cet effort: d'une part, l'ambition de réunir en un seul lieu la totalité des livres de la littérature mondiale (le souci de l'exhaustivité), d'autre part, l'établissement d'un catalogue sélectif des œuvres littéraires qui mériteraient de faire l'objet d'une lecture prioritaire et qui devraient servir de programme scolaire dans l'éducation des jeunes (le souci du «canon»). Quintilien, dans son Ketubim, et avec eux, la Bible en gestation!

Albert de Pury, "Le canon de l'Ancin Testament" in Introduction à l'Ancien Testament, p.29-30 (Labor et Fides, 2009)


Il est important, enfin, de se souvenir que c'est d'Alexandrie et de la rencontre avec l'hellénisme que la Bible juive prend son envol. Le débat qui s'amorce au IIIe siècle avant J.-C. entre deux canons littéraires rivaux, le canon grec (Homère, Hésiode, les Tragiques) et le canon juif (Moïse, les Prophètes, les Ketubim) a traversé toute l'histoire de l'Occident et de l'Orient méditerranéen, et il se poursuit toujours. C'est de la tension entre deux canons littéraires aussi profonds l'un que l'autre mais nécessairement en conflit que naît ce qu'on peut appeler l'identité culturelle européenne.

fin de l'article, p.39