Véhesse

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Billets qui ont 'Sartre, Jean-Paul' comme auteur.

samedi 13 août 2011

Claude Mauriac - Et comme l'espérance est violente

Le tome 21 m'avait convaincue que ce journal était à lire par les élèves cherchant à se documenter sur l'histoire immédiate (enfin, comment appelle-t-on l'histoire du XXe siècle? l'histoire contemporaine? Je n'aime pas cette expression). C'est un journal idéal pour des étudiants en première année de Sciences-Po, par exemple (il est peut-être un peu délicat à manier pour des lycéens, car sa structure décousue jouant sur des rapprochements de situations nécessite d'être déjà familier avec la chronologie générale des événements).
Et puis, naturellement, il s'adresse à ceux qui aiment les journaux pour leur dimension d'histoires secrètes, intimes, sachant qu'ici nous ne sommes jamais loin de la confidence politique (de haute tenue).

Ce tome 3 est plus chronologique et s'attache à deux hommes, ou trois, ou quatre: de Gaulle et Foucault, de Gaulle via Malraux, Foucault et Deleuze.

L'évocation de de Gaulle commence avec les événements de 1958 et les doutes de Mauriac père et fils concernant la légitimité des actes de Gaulle. Cela éveille mes souvenirs de lycée et ce que tentait de nous expliquer notre professeur d'histoire (les doutes en 1958 devant une possible tentation dictatoriale de de Gaulle, doutes qui laissaient sceptiques ou indifférents des lycéens des années 80) prend soudain de l'épaisseur devant l'émotion et le trouble de deux gaullistes de toujours; d'autre part cela fait contrepoint à ma lecture récente de la Théorie du partisan qui analyse (entre autres) l'action et la logique du général Salan.
Au fil du texte, tout cela paraît si récent, et tellement fort dans ses implications et possibles conséquences, qu'il me semble soudain mieux comprendre la gesticulation politique actuelle: en absence d'événements véritablement dramatiques, il faut bien théâtraliser l'absence d'enjeu.
Cette évocation se terminera avec 1968, sachant que la déconvenue, l'amertume ou le ressentiment de Pompidou sont rapportés par Claude Mauriac dans le tome 2 du Temps immobile (Les espaces imaginaires) (Pompidou était un ami de Claude Mauriac depuis l'époque de la Résistance).


Dans la première partie, intitulée "Malraux et de Gaulle", Claude Mauriac interroge Malraux pour tenter d'avoir des témoignages sur les périodes qui échappent à ses propres souvenirs. C'est l'occasion de prendre conscience de l'incongruité de la position de Malraux:
[…] Malraux servit de Gaulle et fut desservi par lui. Il lui apporta beaucoup et n'en reçut rien. Si puissant était, pour «la gauche», le préjugé antigaulliste que l'on s'y étonna de voir Malraux survivre à cette conversion. Tel est son génie (tel celui, enfin reconnu par les hommes de gauche, de de Gaulle) qu'il a gagné, à la fin, n'ayant rien perdu de son prestige s'il n'y a rien ajouté.
[…]
Et d'autant plus que l'on oublie le risque majeur qu'il y avait, au temps où Staline menaçait l'Europe, à être antistalinien. «Le prix sera peut-être le poteau d'exécution», me disait Malraux, le 19 mars 1946…

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.138-139, (29 mai 1975)
Comme Mauriac interroge Malraux, il s'en suit un échange de manuscrits afin de vérifier que tout ce qui est rapporté par Mauriac convient à Malraux, qu'aucune indiscrétion n'est commise.
Malraux fournit une bonne analyse du Temps immobile, des conditions pour lire Le Temps immobile (une fois encore il est question des témoins: les témoins doivent avoir disparu, condition minimale pour que la dimension littéraire d'un texte puisse être appréciée, apparemment2)):
2 rue d'Estienne-d'Orves, Verrières-le-Buisson,
le 22 février 1974.

Cher Claude Mauriac,
Je vous remercie d'avoir eu l'attention de m'envoyer les épreuves de votre livre.
Vous avez tenté une aventure considérable, dont personne, à la publication du livre, ne sera réellement juge. Même le rapprochement avec vos autres livres me semble vain. Pour que ce Temps immobile devienne ce qu'il est, il faut que le lecteur ne vous connaisse pas, n'ait pas connu François Mauriac; que demeurent seulement, d'une part, un passé dont vous aurez battu les cartes, et d'autre part, la relation avec le temps, de celui qui écrit: je. En face de cette relation, tous les personnages seront unis à l'ancêtre de 1873, séparés cependant de lui par l'optique et par le style. On a maintes fois écrit pour la postérité, mais il s'agit d'autre chose: de s'adresser délibérément à l'avenir. Ce qui était peut-être inévitable lorsque vous preniez le temps pour l'accusé.
[…]

Ibid, p.147
Dans cette première partie, Claude Mauriac tente d'analyser l'esprit de chevalerie qui entourait de Gaulle, ce dévouement inconditionnel (malgré les heures de doute) et cette foi que lui vouait son entourage. Il part du postulat que ce sentiment ou cette sensation sont intransmissibles, resteront incompréhensibles à ceux qui ne les ont pas vécus, et il se désole à plusieurs reprises que sa tentative soit vouée à l'échec. Or il me semble que c'est faux: ce sentiment de chevalerie, c'est l'aura qui entoure la Résistance et c'est bien ainsi que de Gaulle est (était?) présenté en classe, rapproché de Jeanne d'Arc (deux résistants à l'envahisseur), ce qui le nimbait d'un peu de son auréole et de son mystère de sainte (les voix et la prédestination).

Une frustration revient, récurrente: il manque la fin des histoires. Comme il s'agit d'un montage d'entrées de journal, certaines anecdotes commencent sans finir, certains événements, depuis longtemps oubliés, ne sont pas recontextualisés. Il manque désormais des notes de bas de page.

Terminons par une citation de Malraux qui m'enchante:
— Camus demanda au Général: «Comment servir la France?» Et le Général répondit: «Qui écrit bien la langue française sert la France!» (p.162)



La deuxième partie s'organise autour de Michel Foucault. Cette amitié tard venue dans la vie de Claude Mauriac est très émouvante, car Mauriac lui-même ne cesse de s'en étonner, ne cesse de s'étonner, avec une véritable candeur, de mériter un tel ami, d'une telle qualité. Or si je ne sais juger du mérite littéraire de Claude Mauriac (son journal le montre davantage historien, témoin, qu'inventeur de sa langue ou d'un style), quelques pages du Temps immobile suffisent à prouver sa droiture, son honnêteté et son esprit d'observation. C'était un homme de cœur.

Mai 68 avait ébranlé, non pas sa fidélité à de Gaulle, mais sa foi dans le fait que le Général représentait spontanément la France; sa mort libère Claude Mauriac de la fidélité à la ligne d'un régime qu'il ne comprend plus, une ligne qui ne lui paraît plus juste. La magie du journal de Claude Mauriac, c'est d'assister au travail d'un homme qui tente de mettre constamment en adéquation sa vie, ses actes, avec ses convictions; et par chance ou par courage, il y parvient constamment.
Cependant, Claude Mauriac ne s'habitue pas tout à fait à ce miracle et en reste étonné, ce qui donne beaucoup de charme à son écriture.

Cette deuxième partie présente de façon très suivie cette fois l'action de Foucault entre 1971 et 1975 en faveur des Arabes (les comités antiracistes), des prisonniers (le respect de leurs droits fondamentaux) ou contre la peine de mort ou Franco. Il s'en suit une vision des partis gauchistes, de leurs méthodes («Le seul fait de reconnaître, à leurs propres yeux, après coup, leurs erreurs, les en absout, et leur permet de recommencer, en toute bonne conscience, de nouvelles bêtises» (p.368)), dont les Maos, qui paraissent tout à fait fous et incontrôlables («paroxytiques»).

Dans ces premiers pas balbutiants dans l'engagement politique, Claude Mauriac souhaite rester honnête et juste, ce qui n'est pas sans poser quelques difficultés. Comment concilier principe et action, théorie et politique? Comment agir quand on se défie du principe même du pouvoir? (c'est un vieux problème, certes; mais j'aime la fraîcheur avec laquelle il est exposé et ressenti par un homme de soixante ans, qui a vécu la Résistance, a été le secrétaire de de Gaulle et est le fils de François Mauriac, qui a été le témoin de toute une époque, et pour qui, malgré tout, le problème continue à se poser, avec la même nouveauté et la même difficulté. D'autre part, c'est une belle conception du journalisme qui s'exprime, celle qui recherche la vérité, et non le spectaculaire. Enfin, que peut une telle conception mesurée de l'action face au fanatisme et à la désinformation, tels qu'exposés dans Théorie du partisan? ):
Cette amitié, donc, cette communion sans équivalent. Et l'impression, aussi, malgré tant de contradictions, d'être dans ma voie, enfin…
Côté négatif: ces contradictions si nombreuses, dont l'impossibilité de concilier mon amitié pour Israël avec ma collaboration de fait avec les comités Palestine. J'ai été pris très vite dans (le mot, banal, répond à l'exacte réalité) l'engrenage. J'ai fait rire, hier, à la réunion de la rue Marcadet (la Maison verte du pasteur Heidrich) en disant: «Je ne puis vous être d'une petite utilité que dans la mesure où je ne suis pas gauchiste… du moins officiellement.» Cet «officiellement» m'a échappé.
Mais aussi: l'impression désagréable de ne pouvoir isoler et préciser les points d'accord. De devoir accepter par solidarité, ou lâcheté, ou distraction, des formulations qui n'ont point mon adhésion. […] (p.298-299. 19 novembre 1972))


Claude Bourdet arrive donc, très tard, lorsque tout est fini, ce qui est une chance, car, s'il avait été là plus tôt, son goût sympathique de la nuance, de l'équilibre, de la perfection, aurait rendu, dès cette première réunion, toute action pratique impossible. Tandis qu'il énonce les noms, très nombreux, de ceux qui, selon lui, devraient figurer au départ même de notre association, noms difficilement assemblables et qui exigeraient, pour être réunis, l'adjonctions d'autres participants encore, pour qu'un dosage subtil maintienne l'équilibre entre les Eglises, les partis, etc., je dis, à voix basse, à Michel Foucault:
— Nous voyons là comment et pourquoi ces hommes admirables de la Résistance ont manqué le destin politique qui était le leur… (p.369-370. 17 mai 1972))


— Ecoutez, il y a quelque chose d'essentiel qui nous sépare: je suis fondamentalement contre la violence. Vous disiez par exemple, tout à l'heure, que vous ne faisiez pas confiance au pouvoir actuel pour appliquer la peine de mort. Cela m'a fait froid dans le dos…
Approbation accusée de Serge [Livrozet]; discrète de Foucault.
— … Et je vous le dis tout net: moi je ne vous fais pas confiance pour l'appliquer non plus. Et d'autant moins que je suis inconditionnellement et que j'ai toujours été, à une exception près, que je regrette, contre la peine de mort…
Attention marquée de Sartre.
— Même à la Libération j'étais contre la peine de mort. La seule exception, que je ne me pardonne pas, a été Salan.
Silence.
— La vérité est que je suis avec vous parce que vous n'êtes pas au pouvoir, et que je cesserai d'être des vôtres dès que vous serez au pouvoir. Après une déviation gaulliste de vingt-cinq ans, que je ne regrette pas, je me suis découvert, ou retrouvé, avant tout contre le pouvoir, quel qu'il soit. (p.423. 6 décembre 1972)


[Foucault répond] — Je ne me souviens pas. Mais, dans ce cas-là, il vaut mieux choisir l'expression la plus forte. Disons donc qu'il [un C.R.S.] m'a dit: «Je vais te faire avaler tes lunettes…»
Le même humour, de nouveau. Cette gaieté dans la voix. En moi, le même étonnement. J'ai pour habitude de chercher toujours à être le plus vrai possible. Il paraît que, dans l'action politique, ce n'est pas recommandé. (p.433. 21 décembre 1972)


Foucault dit: ne pas minimiser non plus. Ce ne sont pas les mots, mais le sens. Avec cet humour silencieux qu'il y a entre nous et nous rend complices, — tout se passant entre les mots, si bien que répéter les mots trahit plus que ne traduit ce que nous pensons et exprimons vraiment. Les mots:
— Ce qu'il y a d'ennuyeux, avec Claude Mauriac, c'est qu'il s'en tient à la stricte vérité, qu'il n'entend rien à l'utilisation politique des faits…
Non, les mots n'étaient pas tout à fair cela non plus. C'était le même débat que celui de «la bonne vieille sciatique» qu'il me conseillait de ne pas nommer telle, après les coups que j'avais reçus de ce C.R.S., boulevard Bonne-Nouvelle —et qui se révéla n'être point une sciatique, en effet—, si bien que c'était peut-être lui qui avait raison, après tout.
Je l'exaspère (ou plutôt: il feint d'être exaspéré) par mon objectivité systématique à l'égard des flics eux-mêmes. Que le petit gros banalisé me semble plutôt sympathique le met hors de lui (ou plutôt: l'incite à faire semblant de l'être, lui et moi étant au fait des règles de notre jeu). (p.569-570. 22 septembre 1975, retour d'Espagne où un groupe est allé protester contre la mort attendant des opposants à Franco).
Claude Mauriac admire Foucault pour son intelligence et son humour, Michel Foucault respecte Mauriac pour sa droiture et son intégrité. C'est tout à fait évident après que Mauriac a fait lire les épreuves de son livre à Foucault, comme avec Malraux, là encore pour garantir que rien n'est infidèle ou indiscret.

Ajoutons enfin qu'on croise dans ces pages Deleuze (qui tient une place importante aux côtés de Foucault), et de façon fugitive Genet (les pyjamas de Genet et la maison Gallimard), Sartre (la rencontre de Sartre et de Foucault, le respect et presque la tendresse dont Claude Mauriac entoure le personnage de Sartre (ce qui m'a surprise, car Sartre me paraît très décrédibilisé aujourd'hui)), Debray (l'expérience de Debray pour gêner les projets policiers), et des personnages secondaires comme Olivier Duhamel, que je suis très étonnée de retrouver dans ces pages parce que je l'ai eu comme professeur (cet homme en col roulé noir, engagé en 1972?), ou Jean Daniel, dont je comprends mieux au vu de son passé militant l'indignation contre Renaud Camus en 2000.


Je termine par une citation qui n'a rien à voir, mais qui me permet désormais d'aller à Roissy avec curiosité, la plaine désolée ayant acquis une histoire:
Les cèdres de Roissy. Je lui dis que je sais, par ma grand-mère, dont le grand-père était à Wagram, qu'ils sont les derniers vestiges du parc de Law. Cela l'intéresse. Il dit d'un ton rêveur:
— Vous avez connu quelqu'un dont le grand-père était à Wagram… (p.552. 22 septembre 1975)





1 : Les espaces imaginaires. Ne pas en rechercher de recension ici, il fait partie de mes multiples billets en retard.
2 : si l'on en croit une remarque de Compagnon à propos de Proust.

vendredi 7 janvier 2011

Sartre et les homards

En cours de philo, il venait d'apprendre comment Sartre, quand il était prof de lycée d'une trentaine d'années, avait tenté l'expérience de prendre de la mescaline, sous contrôle médical. JB m'apprenait à son tour que le philosophe avait eu un très bad trip: au plus fort de l'action de la drogue, il voyait des homards ou langoustes de la taille d'un teckel lui tourner autour et le menacer. Le problème, c'est que ces visions avaient continué bien après que la drogue eut cessé d'agir. Jean-Baptiste s'esclaffait en imaginant le philosophe poursuivi pendant des mois dans les rues de Paris par des langoustes hallucinogènes qui venaient se nicher jusque sous son bureau, dans la salle où il faisait cours. Le plus drôle c'est que Sartre, paraît-il, avait pris le parti de faire avec.

Michel Francesconi, La vitesse à laquelle nous oublions est stupéfiante, p.182

vendredi 11 décembre 2009

Yo-yo

Gide était fort habile au yo-yo: c'était le jeu à la mode et même il faisait fureur. Les gens se promenaient dans la rue, un yo-yo à la main. Sartre s'y exerçait du matin au soir avec un sombre acharnement.

Simone de Beauvoir, La force de l'âge (concerne l'année 1931)

jeudi 30 avril 2009

Manuscrits du Moyen-Âge et manuscrits littéraires modernes

Il y a à peu près un an, j'ai découvert qu'il existait une "Société des manuscrits des assureurs français" (SMAF). Comme je devais avoir l'air vivement intéressée, on me proposa un catalogue de l'exposition des manuscrits qui s'est tenue en 2001 à la Bibliothèque nationale.

Les assureurs français présentent aujourd'hui le catalogue des collections de la "Société des manuscrits des assureurs français". C'est une première. Cette publication accompagne l'exposition de ces manuscrits - pour la seconde fois cette fois-ci après celle de 1979 - à la Bibliothèque nationale de France.

Créée en 1978 à l'initiative de Guy Verdeil alors Président du GAN et en étroite concertation avec Messieurs Georges Le Rider, Administrateur de la Bibliothèque nationale et Pierrot, Directeur des Manuscrits de cette même institution, la SMAF rassemble dans son capital une grande partie des sociétés et mutuelles d'assurance de la place. Elle constitue un prototype intéressant de coopération Etat-industrie au service d'une politique nationale de gestion et de défense du patrimoine national des manuscrits anciens et modernes.

Notre souci est aujourd'hui de faire connaître le fonds de la SMAF aux assureurs, à leurs clients, aux bibliophiles et au grand public, et de leur faire prendre conscience du type de contribution que la profession des assureurs a apporté et est susceptible encore d'apporter à la conservation et à la recherche sur le patrimoine littéraire national, au service de la politique que souhaitent mener la Bibliothèque nationale et la Direction des Manuscrits.

Extrait repris en quatrième de couverture de l'introduction de Jean-Jacques Bonnaud, Président de la SMAF.

Je m'attendais à une brochure souple d'une centaine de pages, c'est en fait un livre magnifique de 350 pages emplies de photographies d'enluminure et de pages de cahiers, décrivant l'histoire de chaque manuscrit médiéval présenté et offrant des extraits des manuscrits modernes (un important fond Céline, Colette, Claudel, etc).

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A titre d'exemple, la SMAF possède les lettres inédites de Gide à Francis Jammes :
139 LETTRES, BILLETS ET CARTES AUTOGRAPHES SIGNÉES. Les lettres sont montées sur des feuillets de papier crème montés sur onglets en 3 volumes in-4 (230 x 180 mm) demi-maroquin bleu turquoise avec coins, étuis (Devauchelle).

TRÈS IMPORTANTE CORRESPONDANCE INÉDITE qui dresse un passionnant tableau de la vie littéraire au tournant du siècle.
Elle retrace l'amitié de toute une vie entre les deux écrivains, quelque divergents que soient leur esprit et leurs idées. Leurs œuvres littéraires respectives tiennent une grande place dans leurs propos.
Cette correspondance commence en 1895 et durera en dépit de quelques brouilles jusqu'à la mort de Jammes en 1938. Gide et Jammes, tous deux âgés de vingt-cinq ans, devinrent amis en 1893 mais ne se rencontreront pour la première fois qu'en avril 1896 à Alger ; ils ne s'étaient vus auparavant qu'en photographies mais se tutoyaient déjà. Leur longue amitié subira des périodes de troubles et des ruptures, notamment vers 1916 lorsque Jammes eut connaissance des mœurs scandaleuses de Gide, qui heurtaient profondément ses convictions chrétiennes, et en 1925 lorsque Gide vendit à Drouot sa bibliothèque, y compris des manuscrits de Jammes que celui-ci lui avait dédicacés (la partie Jammes comprend 33 numéros : éditions originales dédicacées, grands papiers, quelques lettres et manuscrits). Notons ici que Jammes ne fut pas le seul à être choqué et l'on cite volontiers l'anecdote de Régnier envoyant un ouvrage à Gide avec cette dédicace : ''Pour votre prochaine vente''.
La dernière lettre datée est écrite à la suite d'une lettre de condoléances de Mathilde Roberty du 9 juillet 1938 (Madeleine est morte le 17 avril 1938).

Une correspondance de 280 lettres échangées par Gide et Jammes fut publiée par Robert Mallet, chez Gallimard en 1948. Aucune des lettres ici présentes n'y figurant, nous sommes donc en présence de lettres restées inconnues de Robert Mallet ou qu'il avait écartées pour des raisons de discrétion, d'opportunité ou de contrainte éditoriale. Robert Mallet n'avait pas eu connaissance d'une lettre de Gide à madame Victor Jammes (8 avril 1900) et n'en avait pu citer qu'un extrait recopié par Mme Jammes (elle se trouve ici sous le numéro 67).
Entre juillet 1895 et l'automne 1897, de nombreuses lettres sont écrites sur papier de deuil encadré de noir (Gide a perdu sa mère le 31 mai 1895). Il n'est cependant pas fait mention de ce décès dans les lettres ; dans l'une d'elle Gide évoque en revanche le récent mariage de sa sœur.

Cher Monsieur, qui dorénavant m'appellerez cher ami tel est le début de cette correspondance qui allait durer un quart de siècle et dans laquelle les travaux littéraires des deux écrivains tiennent une grande place. Au fur et à mesure de leur relation, les termes par les quels Gide s'adresse à son ami évoluent: Cher monsieur (une seule fois au début - puis cher ami (assez souvent) puis cher vieux, cher faune, mon faune préféré, très cher et grand, etc…

extrait du catalogue p.235 et 236

Exemple de lettre de Gide à Jammes.

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Liste des acquisitions des manuscrits modernes :

Law. Lettres au prince deTingry. Hôtel Drouot, 21 juin 1979.
Voltaire. Lettre à M. Delille. Hôtel Drouot, 7 mai 1981.
Voltaire. Lettre à d'Alembert. Hôtel Drouot, 6 mai 1981.
Voltaire. Lettre à sa nièce. Hôtel Drouot, 6 mai 1981.
Restif de la Bretonne. L'Enclos et les oiseaux. Librairie Valette, 20 août 1981.
Napoléon. Expédition d'Egypte. Hôtel Drouot, 13 décembre 1982.
Bernadotte. Lettres militaires. Hôtel Drouot, 8 décembre 1980.
Dietrichstein. Lettres au comte de Niepperg. Hôtel Drouot, 28 février 1979.
Musset. Lettre à madame Joubert. Hôtel Drouot, 9 novembre 1979.
Sand. Lettre à Louis Blanc. Hôtel Drouot, 6 avril 1981.
Flaubert. Littérature-Esthétique. Hôtel Drouot, 12 décembre 1985.
Apollinaire. Les Peintres cubistes. Librairie Jean Hugues, bibliothèque Renaud Gillet, 5 novembre 1981.
Apollinaire. La Femme assise. Hôtel Drouot, bibliothèque Jacques Guérin,4 juin 1986.
Aragon.Traité du style. Librairie Jean Hugues, bibliothèque Renaud Gillet, 5 novembre 1981.
Aragon. L'Entrée des succubes. Librairie de l'Abbaye, 4 décembre 1980.
Breton. Les Vases communicants. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 23-24 mars 1981.
Breton. Autobiographie. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 23-24 mars 1981.
Camus. L'Etat de siège. Hôtel Drouot, 28-29 février 1979.
Céline. Guignol's band. Hôtel Drouot, 28 février 1979 et 28 juin 1985.
Céline. Guignol's band II, Le Pont de Londres. Hôtel Drouot, 9 juin 1980.
Céline. Féerie pour une autre fois II, Normance. Hôtel Drouot, 19 juin 1984.
Céline. Guignol's band II et Féerie pour une autre fois. Madame Destouches, 6 décembre 1985.
Céline. D'un château l'autre. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 13-15 juin 1983.
Claudel. Œuvres et correspondances dont l'Echange, Connaissance de l'Est, L'Homme et son désir, famille Claudel, janvier 1980.
Cocteau. Le Cap de Bonne-Espérance. Hôtel Drouot, 12 juin 1987.
Cocteau. Opium. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 13-15 juin 1983.
Colette. Lettres à Germaine Patat. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 13-15 juin 1983.
Colette. Lettres à Maurice Goudeket. Madame Goudeket, 8 mai 1981.
Eluard. L'Amour la poésie. Libraire Jean Hugues, bibliothèque Renaud Gillet, 5 novembre 1980.
Gide. Lettres à Francis Jammes. Hôtel Drouot, 24 novembre 1981.
Giono. Correspondance avec Simone Tery. Hôtel Drouot, 9 juin 1980.
Jacob. Le Cornet à dés. Librairie Jean Hugues, bibliothèque Renaud Gillet, 5 novembre 1980.
Jacob. Cahier de méditations. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 23-24 mars 1981.
Jarry. Messaline. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 13-15 juin 1983.
Maeterlinck. Lettres à Florence Perkins. Londres, Sotheby's, 23 mars 1981.
Montherlant. Lettres à Jeanne Sandelion. Hôtel Drouot, 12 décembre 1985.
Montherlant. Lettres à Alice Poirier. Hôtel Drouot, 12 juin 1984.
Montherlant. Don Juan. Hôtel Drouot, 12 juin 1984.
Pagnol. Cinématurgie. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 13-15 juin 1983.
Péguy. Les Récentes œuvres de Zola. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 13-15 juin 1983.
Pieyre de Mandiargues. Cartolines. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 23-24 mars 1981.
Prévert. Souvenirs de famille. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 23-24 mars 1981.
Renard. Lettres à Maurice Pottecher. Hôtel Drouot, 12 juin 1984.
Rolland. Lettres à Frans Masereel. Hôtel Drouot, 12 juin 1984.
Saint-Exupéry. Lettres à Consuelo. Hôtel Drouot, 6 juillet 1984.
Sartre. La Putain respectueuse. Librairie de l'Abbaye, 29 avril 1981.
Sartre. Notes pour la morale. Hôtel Drouot, 7 mai 1981.
Sartre. Notes autobiographiques et sur le théâtre. Hôtel Drouot, 7 mai 1981.
Sartre. La Mort dans l'âme. Hôtel Drouot, 12 juin 1984.
Sartre. Les Mots. Hôtel Drouot, 7 mai 1981.
Surréalisme. Au grand jour. Hôtel Drouot, bibliothèque Sickles, 23-24 mars 1981.

lundi 9 mars 2009

3 mars 2009 - Parlons de Barthes

Compagnon a expédié le fil de son cours pour passer à ce qui lui tenait à cœur: les livres posthumes de Barthes qui viennent de sortir.
Je peux comprendre qu'il soit ému. Je peux comprendre la détresse qu'on éprouve à mesurer celle de quelqu'un qu'on aimait et qu'on se reproche de n'avoir pas perçu quand il était encore temps d'être présent. Cependant, cependant... Qu'est-ce que ça venait faire là?


Reprenons: trois points d'attache chez Stendhal qui permettent d'avoir le sentiment que le temps s'est immobilisé, qu'on est le même aujourd'hui qu'hier: la mort de la mère, le régicide, le premier amour.

Il y a autre chose : la lecture des romans écrits par son oncle, qui lui ont fait décidé de devenir écrivain («Je sens cela aussi vivant en 1835 qu'en 1794» : la remarque reprend toujours la même structure. (voir chez sejan).

Stendhal décide donc à ce moment-là de vivre à Paris comme Molière (ie., écrire et vivre avec une actrice).

Mais surtout, dissimulation. Difficulté à parler sur ce qu'on aime.
Barthes dans son dernier article interrompu par son accident écrivait «on échappe toujours à parler de ce qu'on aime». Certes, il écrivait pour contredire ce jugement, et d'ailleurs, Stendhal a réussi à écrire son amour de l'Italie.

A la fin d' Henri Brulard, Stendhal évoque le plaisir de l'opéra pour dire son impossibilité d'en parler: il ne lui reste de la représentation que la dent en moins de la chanteuse Caroline. => Il est impossible de raconter de faire un roman.
La bataille du Tessin, l'arrivée à Milan: toujours le bonheur est impossible à décrire. Impossibilité du récit. Stendhal propose de le raconter et que nous sautions cinquante pages, sauf que le livre s'arrête!
=> impuissance à dire le bonheur de l'Italie. Si l'on revient non bredouille de la chasse au bonheur, alors on atteint l'indicible.
Car en faire une histoire, ce serait faire de l'emphase, manquer d'ironie.
Ainsi, le récit épisodique est aussi un choix: il permet d'éviter de devenir emphatique.

Ne pas se prendre au sérieux est une décision qui remonte aux années de jeunesse. Durant ses années de formation, Stendhal a été marqué par Rousseau (l'emphase), Vigny (le poète), Chatterton (le génie). Il n'a pas changé de modèles, mais souhaite évité l'emphase de Rousseau. Contre cela il choisit l'ironie.

(A l’emphase et à l’importance près (self importance) ce journal a raison.)
Ce qui marque ma différence avec les niais importants du journal et qui "portent leur tête comme un saint-sacrement", c’est que je n’ai jamais cru que la société me dût la moindre chose.
Henri Beyle, Vie d'Henri Brulard

Stendhal qualifie Chateaubriand de "roi des égotistes".
Stendhal s'élève donc contre l'emphase de ceux qui font de leur vie un récit. Dans Brulard, il explique qu'il a écrit Le Rouge et le Noir dans un style bâclé pour combattre l'emphase.

Voltaire: puérilité emphatique.
d'où le comte Mosca: ne se prend pas au sérieux. Séduit ainsi la comtesse. (à comparer avec la self importance de Roquentin dans La Nausée).

Roland Barthes

Ici transition vers Barthes que je n'ai pas notée tant elle m'a paru artificielle. J'ai noté des édifices, mais chez sejan je relève des précipices: ???

Toujours est-il que le thème du souvenir et des anamnèses nous mène à Barthes, dont on vient de publier Voyage en Chine et Journal de deuil, écrit en 1977, recueillant les traces du chagrin intime (non destiné à être publié) de Barthes à la mort de sa mère.
J'ai noté en finir avec Roland Barthes: est-il possible que Compagnon ait dit ça, ou n'est-ce que mon résumé d'une phrase du genre: «on vient de publier les ultimes papiers de Roland Barthes?»

Le voyage en Chine de Barthes a eu lieu en 1974.
Le Journal de deuil date de 1977. (Antoine Compagnon a soudain l'air fatigué et empli de regrets:«c'est une expérience éprouvante de découvrir la profondeur de la dépression dont souffrait Barthes»).
1/ découvrir un texte de deuil (il y aurait des parallèles nombreux à faire avec Albertine disparue);
2/ découvrir quelque chose qu'on ne connaissait pas de quelqu'un qu'on connaissait.

Le texte de deuil vérifie par l'absurde l'impossibilité d'écrire la vie. L'écrit de deuil refusant la vie ne peut accéder au récit.
La mort de la mère rend possible celle du fils qui écrit à 62 ans: «Ici commence ma mortalité».
Il est impossible de raconter la vie par peur de faire de la littérature. Raconter, c'est accepter le passage du temps. Il y a un lien essentiel entre le récit et le temps.
Refus d'une dialectique narrative qui mènerait à une résolution.

samedi 19 avril 2008

Complétude du présent

Les engouements de nos amis deviennent nos curiosités.
Je lis distraitement un texte de Sollers écrit à l'occasion de la parution de Principes de sagesse et de folie de Clément Rosset.
Quelques lignes font curieusement écho à mes lectures en cours.
Retournant l'expérience de Sartre dans la Nausée, Rosset a raison de dire que «le sentiment de l'existence peut être décrit comme un coup de foudre». On répond à ce «coup» par la nausée, justement (et ses corollaires dépressifs ou mélancoliques : «Tout est de trop!»), ou bien par la jubilation, la surprise. «Le jouisseur d'existence - l'homme heureux - se reconnaît à ceci qu'il ne demande jamais autre chose que ce qui existe pour lui ici et maintenant. " Il " souhaite l'infinie multiplication des choses qui existent».

extrait d'un article de Philipe Sollers sur Clément Rosset dans Le Monde du 6 mars 1992

C'était terrible à dire (il remit son chapeau), mais à son âge, cinquante-trois ans, on avait presque plus besoin des gens. La vie à elle seule, chaque seconde, chaque goutte de vie, l'instant présent, là, maintenant, au soleil, à Regent's Park, cela suffisait. C'était même trop. Une vie entière, c'était trop court pour en faire ressortir, maintenant qu'on en avait la faculté, la pleine saveur. Extraire la moindre once de plaisir, la moindre nuance de sens, devenus, plaisir aussi bien que sens, beaucoup plus tangibles que jadis, beaucoup moins personnels.

Virginia Woolf, Mrs Dalloway, Folio, p.165

mardi 22 juin 2004

Le cycle de nos inventions

Paris, mardi 9 mai 1972

Cette unité du Temps immobile, dont j'avais tendance à m'émerveiller, est pauvreté, non richesse. Je le pressentais depuis longtemps, et en ai eu, hier soir, la confirmation en lisant La Dernière Heure de Jean Guitton. Cela a toujours été un sujet de réflexion pour lui (comme pour moi), écrit-il, que cette identité du moi avec lui-même.

Le nombre de chromosomes est limité, je veux dire que ce que nous pouvons dire de neuf, de personnel, est plus réduit que nous le croyons. Le cercle ou le cycle de nos inventions est étroit. Les conversations que j'ai écoutées pendant quatre ans roulaient autour des mêmes thèmes, chacun y faisait sa petite pirouette, racontait ses mêmes anecdotes toujours pareilles (Œuvres complètes, III, p.503).

Anecdote, «chose inédite», (étymologie grecque): indéfiniment à redire. Le Journal que j'écris depuis trente ans roule autour des mêmes thèmes. C'est pourquoi le montage du Temps immobile est si facile.
Quant à ma relative inintelligence, elles s'accompagne d'un manque de méthode, qui lui est sans doute lié. Depuis le temps, j'aurais dû apprendre à penser, au sens donné par Sartre à cette expression, dans ce passage de Situations III, où, à propos d'un «triste exemple d'analphabétisation politique», il écrit:

Mais parler de Nietzsche et de Carlyle à propos de Cohn-Bendit, c'est prouver non seulement qu'on n'est pas cultivé mais qu'on n'a jamais appris à penser. (p.179)

D'où mon admiration (et mes inhibitions) lorsque j'écoute parler Michel Foucault ou Gilles Deleuze, à plus forte raison, Gilles Deleuze et Michel Foucault.


Paris, vendredi 26 mai 1972

Ecrivant ma dernière préface (non signée) pour Maurice Dumoncel (Taillandier), je calcule qu'elle est, à quelques unités près, la soixante-dixième. Ainsi vais-je, après tant d'années, retrouver une certaine liberté (mais qui va me coûter cher et nous devrions être plus inquiets que nous le sommes quant à notre budget...) Écrivant donc cet ultime avant-propos, sur Une Vie, je trouve, dans la Vie de Maupassant dédicacée à mon père par Paul Morand en 1942, cet extrait d'une lettre de Jacques-Émile Blanche au sujet de sa première rencontre avec Guy de Maupassant, chez la comtesse de Potocka:

Quand je fis la connaissance de Maupassant, m'écrivait-il cet hiver de sa propriété d'Offranville, il avait le type sous-off, portait le col rabattu à l' amant d'Amanda. En été, très canotier d'Argenteuil. Il ressemblait comme un frère au baron Barbier, l'homme debout tête penchée sur la table du Déjeuner de Renoir... Il parlait peu, sans ce qu'on appelle esprit, physionomie grave, inquiète, semblait-il, un convive "terne" selon Mme Aubernon, chez qui je ne l'ai jamais rencontré (une exception à cette époque). Ses amours, ses débats avec l'aimée (Marie Kann) et les autres, le rendaient presque muet, comme en état d'hypnose. Chez Madeleine Lemaire, j'ai souvenir d'une soirée de têtes ou costumes de papier. J'étais en Lohengrin, cygne sous le bras, casque, et Maupassant, comme un chien errant, parmis les déguisés...

...Ainsi Jacques-Émile Blanche, dont je me souviens, se souvenait de Guy de Maupassant qui lui-même...

Claude Mauriac, Le Temps immobile, p.272

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