Véhesse

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Billets qui ont 'Ti1' comme oeuvre littéraire.

mercredi 12 janvier 2011

Aragon en 1938

Il me présente à Aragon. Jeune, beau, mais entouré d'un halo démoniaque. Il y a vraiment chez cet homme quelque chose de gênant. On pense à une vipère. Sarcastique, gouailleur, âpre, véhément à la moindre occasion, comme un homme à bout de nerfs. Il éclate lorsque je lui dis qu'en ce qui concerne l'Autriche, il est un peu tard pour s'enthousiasmer:
— Mais il y a d'autres pays à sauver qui peuvent encore être sauvés…

Ses plaisanteries vous serrent le cœur. Il y a de l'inhumain dans ses moindres propos.

[…]

Aragon me fait peur: il a un visage de prédestiné — mais un double visage. Janus qui semble fait pour deux destins: celui du bourreau (avec quelle froideur il enverrait au poteau ses ennemis, ses anciens amis) et celui du condamné, qui lèvera un jour, vers le peloton, son masque pâle qu'un rictus satanique éclairera.

Claude Mauriac, Les Espaces imaginaires, p.14-15 (4 avril 1938)
(Finalement, c'est la description d'un fanatique.)

jeudi 23 septembre 2010

Citer, acte d'admiration

Du Bos, critique, arrive par ferveur et enthousiasme à la négation de toute critique, l’exaltation, l’admiration ne trouvant à s’exprimer que par la citation textuelle, continuée de page en page — cinq, dix pages à la suite — comme si aucun commentaire ne pouvait donner une «approximation» de ce qu’il préfère alors reproduire.

Claude Mauriac, Le Temps immobile, p.469 (16 août 1964)

La vérité de soi

S'il [Francis Ponge] est venu au communisme, c'est par le syndicalisme, non par la maison de la culture (où il ne mit presque jamais les pieds):

— Je me suis aperçu que seuls les communistes étaient efficaces lorsqu'il s'agissait d'obtenir sur des points précis l'amélioration des conditions de travail. Obtenir, par exemple, que les secrétaires n'aient pas obligatoirement tant de feuilles dactylographiées à faire (car on en était encore là!); qu'un statut soit donné aux cadres (car on pouvait nous renvoyer d'un jour à l'autre!). Lorsque j'eus fondé ce syndicats des cadres, nous fûmes presque tout de suite 250. Puis vint la Résistance… Ce n’était pas le moment de s’en aller, à cause du danger. J’ai toujours eu tendance à me forcer à faire ce qui m’était le plus difficile. C’est mon vieux côté protestant… C’était dur, dès avant la guerre, de militer au P.C., mais cela me paraissait mériter des sacrifices… Dans la Résistance ce fut plus dur encore, mais différemment. Remarquez qu’on ne me demanda jamais alors, au Parti, de faire des poèmes patriotiques… Veuillez m’excuser de la comparaison : mais quoi ! toutes proportions gardées, on ne demande pas à un Cézanne, qui peint des pommes ou des coquillages, de faire du Detaille ou Meissonier, et on a raison…

Ce fut après la Libération, ajoute-t-il, que l’atmosphère devint pour lui et pour des milliers d’autres, intellectuels ou ouvriers, irrespirable :

— On peut plier sa nature, l’obliger à la discipline, mais pas toute une vie. Il y a un moment où ce qui était sacrifice pour une cause devient trahison pure et simple. «Bien sûr, X… est un mauvais peintre… Mais la grève des mineurs… Mais la guerre d’Indochine, nous font un devoir, etc.» On cède une fois de plus, jusqu’au moment où l’on n’en peut plus de toujours aller à contre-courant de ce que l’on sent, de ce que l’on sait, de ce que l’on croit. Il vient un moment où quelques recoupements apportent la preuve que ce n’est pas dans tel cas particulier (celui qui nous a d’abord frappé) mais dans tous les domaines, que la politique dite de la fin et des moyens est une erreur, se trompe et trompe… De proche en proche, c’est le système entier que j’ai condamné. J’ai prévenu Hervé qu’il en viendrait à siéger dans un Tribunal révolutionnaire et à réclamer des têtes. Façon comme une autre de s’exprimer. Mais pas la mienne. Je tiens à rester honnête, vous me comprenez. J’ai un métier qui me suffit. Comment croire ceux qui prétendent me l’apprendre, et en en bafouant les règles fondamentales ?

Francis Ponge cité par Claude Mauriac dans Le Temps immobile, p.424 (22 décembre 1952)

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