Arrivée très en retard. Merci à Tlön dont je copie/colle le résumé les notes qu'il m'a envoyées.

  • Danis Rose corrige Joyce

Émoi chez les Joyciens. Une nouvelle édition de FW (la dernière à 70 ans) sous la direction de Danis Rose et John O’Hanlon. N'est pas sans poser quelques problèmes. Ferrer quant à lui pense que c'est une erreur.
- Nouvelle pagination alors que toutes les éditions avaient la même.
- Environ 9000 corrections dans le texte (une moyenne d'une quinzaine de corrections par page). Selon l'éditeur, les erreurs proviendraient des problèmes de vue de Joyce et de fautes d'impression.
Compte tenu de la nature du texte, la notion d'erreur n'est pas évidente. "Les erreurs" ont peut-être été validées par Joyce lui même. Esthétique de l'erreur intentionnelle. Il n'existe pas vraiment de modèle originale.
Pour l'instant seule la première page est visible (je ne l'ai pas trouvé sur internet) via un prospectus envoyé à la communauté joycienne.

Examen des premières lignes:

riverrun, past Eve and Adam’s, from Swerve of shore to bend of bay, brings us by a commodius vicus of recirculation back to Howth Castle and Environs (version originale)

riverrun, past Eve and Adam’s, from swerve of shore to bend a day, brings us by a commodious vicus of recirculation back to Howth Castle & Environs (version amendée)

commodius (VO) pour commodious (VA)
and (VO) pour & (VA).

Rose s'appuie sur un placard avant prépublication dans une revue de ce qui sera le premier chapitre, placard où figurent l'esperluette et écrit à la main dans la marge (est-ce l'écriture de Joyce ou celle du secrétaire à qui il aurait dicté le texte, la question se pose) pour insertion dans le texte définitif "by a commodious vicus of recirculation". Dans les brouillons, on retrouve la version amendée par Rose.
Cependant dans les trois jeux d'épreuve avant publication définitive du livre (et corrigés par Joyce) aucune correction n'est apporté par Joyce. On peut supposer:
- que si il y avait eu erreur, Joyce aurait corrigé.
- que même si c'était une erreur, il se trouve que Joyce l'a gardée.

Différence entre étude génétique et Textual Criticism (Philologie).
Pour la première, il n'existe pas de texte stable, elle tend à déstabiliser le texte, alors que la seconde tend à fixer un texte définitif. Deux approches différentes.

Selon Ferrer, Rose n'applique pas non plus la règle philologique selon laquelle entre deux versions, il faut choisir "la plus difficile" dans la mesure où elle n'a pu être choisie que délibérément.

Je reprends la main à partir de ce point, c'est-à-dire que j'ai raté exactement l'intermède Danis Rose.
Il faut se méfier de la lectio facilior, qui tend à nous faire choisir ce que nous connaissons déjà, à rabattre le texte vers du déjà connu. Biasi pour sa part parle de "paranoïagenèse": cette impression de savoir ce qu'on va lire en tournant la page.


  • retour à l'explication des premières pages de FW

Nous nous arrêtons sur "assiegates" en deuxième page que Rose a transformé en "assiegales".

Claude Jacquet fut la fondatrice de l'équipe Item. En 1972, elle a fait paraître un essai tout à fait novateur pour l'époque, Joyce et Rabelais dans lequel elle démontrait que Joyce avait lu un livre sur Rabelais (et non Rabelais lui-même): La Langue de Rabelais de Lazare Sainéan (1922). Ce livre contient un chapitre sur l'art militaire.[1]
On trouve dans les carnets de Joyce "baddelaire" = épée (sword). Manière d'espée avec un tranchant et un dos à la manière des cimeterres turcs. => Baddelaries, déformation volontaire ou faute de frappe? (pour revenir à Danis Rose...)
J'ai noté ensuite Malachus, Verdon, qui se trouve à la suite de "Baddelaries" dans FW page 4, mais je ne sais plus à quoi ça correspond: des armes? une bataille?
Puis "assiegates" : Danis Rose l'a changé en "assiegales". Etait-ce nécessaire? Là encore, l'origine du mot remonte au vieux français, assegaie, sagaie (et j'entends "assiégés". "Gale" c'est la bise tandis que "gate" c'est le portail...)


  • Parenthèse sur les droits d'auteur

En 1994, Joyce est tombé dans le domaine public. Il y a eu un "trou", d'un an, avant une extension des droits d'auteur à 70 ans par la Communauté européenne, dans la ligne du Mickey Mouse act.
Cependant, les gens qui ont pu prouver qu'ils étaient de bonne foi et travaillaient à leurs projets bien avant de savoir que la protection des droits d'auteur allait être étendue ont eu l'autorisation de publier leurs travaux. Ils ont obtenu une compensatory licence.

Le droit des manuscrits est compliqué. Le délai de protection court à partir de la date de première publication. C'est plus compliqué pour ce qui n'a jamais été publié. Et la protection intellectuelle concerne-t-elle les traductions? (Songeons à la traduction problématique de Kafka par Alexandre Vialatte révisée par Claude David. Dès la chute du mur il est paru des traductions russes d'Ulysse dont on peut se demander si elles sont très sérieuses).

Daniel Ferrer glisse une anecdote sur la nouvelle édition d' Ulysse en folio classique. Commentant l'appareil de notes donnés dans l'édition La Pléiade, il reconnaît drôlement: «Il est vrai qu'on s'était lâché.»

Aujourd'hui, toutes les éditions se rapportent à l'édition de 1939. Changer la pagination et les mots, c'est se priver du formidable appareil critique élaboré pendant plus de cinquante ans.


  • retour au texte, à la patience dans la lecture. chapitre 8 de nouveau, dit "Anna Livia".

O tell me all about Anna Livia! I want to hear all about Anna Livia. Well, you know Anna Livia? Yes, of course, we all know Anna Livia. Tell me all. Tell me now. You'll die when you hear. Well, you know, when the old cheb went futt and did what you know. Yes, I know, go on. Wash quit and don't be dabbling. Tuck up your sleeves and loosen your talk-tapes. And don't butt me — hike! — when you bend. Or what-ever it was they threed to make out he thried to two in the Fiendish park. He's an awful old reppe. Look at the shirt of him! Look at the dirt of it! He has all my water black on me. And it steeping and stuping since this time last wik. james Joyce, Finnegans Wake p.196

Les topiques n'avancent qu'au fur à mesure qu'on avance (on ne les reconnaît et ne les identifie que lorsqu'on les a rencontrés un certain nombre de fois).
Il y a énormément d'airs d'opéra ou de chansons populaires dans FW. Pas dans "Anna Livia".

- Le début se présente en pyramide. (Ce blog ne me permet pas de reprendre la mise en page). On a récemment découvert une origine possible de cette mise en page: on a découvert que Joyce avait lu l'édition française du Coran par le Dr Mardrus. "Anna Livia se présente comme se termine le Coran.
- Cela peut représenter la source d'un fleuve qui va s'élargissant; ou la fin, en delta avant de se jeter dans la mer.
- On se souvient aussi du O au point dans le chapitre "Itaque" dans Ulysses. Mais là, ce O apparaît à la fin du chapitre.

Qui parle ici? Anna Livia (comme Molly Bloom) ne prendra la parole qu'à la fin. Ce sont les autres qui parlent d'elle.
Ces deux commères (les lavandières), dont le nom est donné ailleurs, sont aussi Shem et Shaun en train de parler de leur mère.
Rejoint également le folklore irlandais et breton : les lavandières bretonnes, présage sinistre.

O : une Origine du monde, explicite joliment Daniel Ferrer, qui nous reproche de ne pas avoir l'esprit assez mal placé. (Dans le chapitre II, S&S font des mathématiques et le triangle représente le triangle pubien).

"the old cheb went futt": "cheb" était "chap" (le gars, le type) sur le manuscrit. Phonétiquement, revient à "faire long feu".
Cheb: une rivière
vocabulaire limité, répétition de "know": "you know".
"What you know" => toujours sexuel ou scatologique.
dabbling : touche-à-tout + babbling: bavarder (babil, Babel). Et dabbling : Dublin

La base d'"Anna Livia" a été écrit d'un seul jet et peu retouché ultérieurement. Plutôt brodé et rebrodé. Ce chapitre a grossi avec le temps.

"don't butt me — hike! — when you bend."
"butt": les têtes se heurtent au-dessus du ruisseau étroit.
"when you bend": mais aussi le coude de la rivière. Très géographique.
"made herself tidal" : se faire belle et se faire marée (devenir marée (Anna Liva est aussi la rivière)).
"to join the mascarate" : le massacre et le mascaret (marée).

Quand Joyce a écrit ce chapitre il était en train de travailler à un chapitre sur Shem. Le chapitre "Anna Livia" a surgi au milieu. Le début de ce nouveau chapitre faisait partie intégrante du chapitre en cours d'écriture; il a été détaché pour devenir un chapitre à part entière.

"we all know" : chorique. La dimension de la rumeur.

"wash quit" <= "wash away" sur le manuscrit.         "futt" <= "phut" sur le manuscrit.

Joyce disposait de placards pour corriger avant la publication en revue. "Anna Livia" est le seul chapitre qui fut publié quatre fois en revue. Il fut corrigé à chaque fois.

"He thried to two" (he tried to do) : trois et deux. Pratique étrange, indéterminée, à deux, à trois : que s'est-il passé exactement? HCE et des jeunes filles? ou des soldats? Qui était voyeur? Qui faisait quoi? Flou.
Trois : c'est le nombre requis pour qu'un témoignage soit valable (en Grèce. voir aussi Suzanne et les vieillards).
+ problème œdipien%% + jumeaux.
Compter jusqu'à deux, compter jusqu'à trois, le deux qui se transforme en trois.

"Fiendish" : démoniaque (Phoenix park)

"reppe" : rivière (le viol, le rapt)

Le ruisseau se pollue par le lavage // L'innocence pervertit au contact de la civilisation urbaine.

steeping : tremper (pour laver la chemise). notion de fermenter.
stuping : stew => ragoût et stupre. Irish stew. wik : mascaret en norvégien. wake (sillage), wicked (la méchanceté), weakness (la faiblesse). Sur le manuscrit : wek et week