«Les Royalistes sont romantiques, les Libéraux sont classiques», apprend Lousteau à Rubempré dans Illusions perdues: «par une singulière bizarrerie, les Royalistes romantiques demandent la liberté littéraire et la révocation des lois qui donnent des formes convenues à notre littérature, tandis que les Libéraux veulent maintenir les unités, l'allure de l'alexandrin et le thème classique[1].» C'est le début d'un chiasme dont Baudelaire se moquait : pas plus conservateurs en art que les adeptes du progrès social, «des esprits, non pas militants, mais faits pour la discipline, c'est-à-dire pour la conformité, des esprits nés domestiques, des esprits belges, qui ne peuvent penser qu'en société[2]» — précoce anticipation de la thèse de Thibaudet sur le tempérament dextrogyre des lettres en face d'une vie politique d'inclination sinistrogyre.
L'ambiguïté de Chateaubriand, modèle de l'antimoderne, est exemplaire. Rêvant à son destin si la Révolution n'avait pas eu lieu, il voyait un médiocre portrait dans un grenier oublié: «[...] si l'ancienne monarchie eût subsisté [...], je ferais dans quelque corridor abandonné la consolation de mes petits-neveux. "C'est votre grand-oncle François, le capitaine du régiment de Navarre: il avait bien de l'esprit! il a fait dans le Mercure le logogriphe qui commence par ces mots: Retranchez ma tête, et dans l'Almanach des Muses la pièce fugitive: Le Cri du cœur[3].» En lui, nageur entre deux siècles, comme au confluent de deux fleuves[4]»,s'accomplit une alliance étrange de penchants conservateurs et progressistes; son romantisme politique combine une révolution spirituelle et esthétique avec une réaction politique; il réclame silmutanément l'autorité (du roi) et la liberté (de la presse); il est à la fois authentiquement ultra et véritablement libéral; avec lui commence l'esthétisation de la politique.

Antoine Compagnon, Les Antimodernes, p.127


Notes

[1] Balzac, Illusions perdues, Pléiade t.V, p.337

[2] Baudelaire, Mon cœur mis à nu, Pléiade, t.I, p.691

[3] Chateaubriand, Mémoires d'Outre-tombe, Pléiade, t.II, p.654

[4] Ibid, p.1027