Dostoievski à Florence

Tombé par hasard sur cette plaque que je n'attendais pas en face du palais Pitti.
Ainsi donc "les nuits blanches de St Pétersbourg" ont été écrites sous le ciel de Florence. Comme c'est étrange.






Dans cette maison entre 1868 et 1869 Fédor Mikhail Dostoïevski a écrit L'Idiot.

Roland Barthes écrit à Claude Mauriac

30 mars 1974

Cher Claude Mauriac,
j'ai enfin reçu votre livre, et avec un très grand plaisir. Peut-être avez-vous quelquefois l'idée que nous sommes loins l'un de l'autre; mais par ce livre, je me sens très près de vous; je ne parle pas seulement de la conception, si proche du pouvoir que j'attibue à l'
agencement des fragments, agencement qui possède le don d'immobilité du temps — je dirai presque d'immortalité, car le sujet de votre livre est en somme l'immortalité (la dénégation de mort, de deuil), mais aussi tout votre passé, ici rappelé, est d'une certaine façon le mien; vos dates sont les miennes, votre pays, celui de votre père, est le mien (j'ai lu très tôt ses romans avec délices, le délice des noms propres du Sud-Ouest retrouvés), les écrivains dont vous parlez, ce sont en somme mes écrivains, jusqu'à Bataille que vous décrivez avec une vérité absolue; et je vous remercie, parce que j'en ai été très touché, de m'avoir placé au nombre de tous ceux que vous appelez.
J'ajoute à cette gratitude réelle mon remerciement à tous deux de m'avoir amené en auto l'autre jour, à travers la pluie et les encombrements, à ma gare du Luxembourg.

A bientôt j'espère,
bien amicalement
Roland Barthes



Claude Mauriac, Le rire des pères dans les yeux des enfants, p.406 - Grasset 1981

Un dîner chez les Robbe-Grillet

J'ajoute des sauts de ligne pour faciliter la lecture à l'écran.
Paris, mercredi 11 juin 1958

Avec Marie-Claude, hier, chez les Alain Robbe-Grillet, avec Nathalie Sarraute. Arrivés à 6 heures et demie pour boire un verre de porto, nous sommes partis à près de 11 heures, en ayant l'impression de n'être restés que peu de temps.

[…]

Alain Robbe-Grillet et sa femme se montrent fiers de l'appartement qu'ils ont eu la chance d'obtenir grâce à Paulhan dans cette maison du voulevard Maillot où habite aussi Félicien Marceau (chez qui nous avons dîné il y a quelques mois). Il a fait lui-même non seulement la peinture mais la menuiserie et se montre justement orgueilleux de ses placards dont se ferment avec précision les portes par lui fabriquées et montées. Je dis:
— Nous savions bien que vous aviez un compas dans l'œil et un mètre dans la poche…
Ce dont il a la bonne grâce de rire.
Flashes dont la conversation fut éclairée :
Samuel Beckett (« Sam »), sous l'occupation, venant d'écrire Murphy, parlait à Nathalie Sarraute de destruction du langage (il habita chez elle et donna des leçons d'anglais à l'une de ses filles). Il ne fait plus jamais allusion désormais, dit Robbe-Grillet, à ses travaux: leur seule conversation porte sur leur amour commun des jardins. Beckett passe ses journées à tondre un gazon réticent et à lutter contre les taupes, l'essentiel de sa correspondance avec son éditeur américain consistant en des demandes et en des envois de produits chimiques divers destinés à leur destruction. Mais si j'ai bien compris, ce sont surtout ses arbres qui en souffrent — et en meurent.

Les deux premier romans de Nathelie Sarraute et le premier (resté inédit) de Robbe-Grillet ont été refusés par Gallimard. Sans le dire nettement, Nathalie suffère, laisse entendre, nous amène à avancer nous-mêmes que T. sous prétexte d'aider à la publication de Portrait d'un inconnu par Gallimard, fit le nécessaire pour la rendre impossible. Elle nous raconte que, chez un petit coiffeur de la rue Jacob, elle avait cette semaine comme voisine la même T., habituée de l'endroit et fort étonnée de la voir là. Elle était sous le casque et semblait gênée d'être surprise ainsi.
— Non point pour lui faire la leçon (rien n'était plus loin de ma pensée, je voulais au contraire marquer une différence qui n'était pas à mon honneur), par gêne, pour dire quelque chose, j'expliquai que, moi, je n'allais chez le coiffeur que tous les six mois et uniquement pour me faire couper les cheveux. Elle eut l'air furieuse, me tourna le dos, et, par la suite, quitta la maison sans me dire au revoir…
— Oui, elle a dû penser que vous lui donniez une leçon…
Cela dit, il apparaît, Robbe-Grillet le lui dit et le prouve sur quelques exemples, que Nathalie Sarraute a tendance à interpréter les réactions les plus simples et à inventer de touts pièces, sur un indice plus ou moins important, des histoires où tout ce qui se dit et se passe l'est à son détriment. Elle ne dit pas non. J'essaye d'expliquer:
— C'est parce que vous vous sentez toujours en faute, coupable d'on ne sait quoi…
Et elle approuve, heureuse d'être comprise et d'autre part satisfaite d'entendre Marie-Claude avouer que telle est, pour elle aussi, sa réaction immédiate: la culpabilité. (…)

Réunis en tandem par une célébrité qui se moque des nuances et rapproche toujours leurs deux noms, Alain Robbe-Grillet et elle font équipe de bon gré pour avoir été rapprochés par le hasard et se donnent la réplique sur un ton où l'ironie l'emporte heureusement sur le sérieux.
Je doute plus de l'avenir de Robbe-Grillet et de sa réelle importance que de ceux de Nathalie Sarraute. (Sans parler de Butor qui fait déjà carrière pour son propre compte et dont les recherches sont rendues d'un accès facile grâce à un classicisme rassurant.) Il n'empêche que c'est de Robbe-Grillet que s'occupent surtout les spécialistes de la chose littéraire — surtout aux Etats-Unis où l'on fait des thèses sur lui et d'où va venir, aux frais d'une université, un jeune homme chargé d'étudiet sur place son œuvre.
Il est vrai que les Américains sont on ne peut plus sérieux et méthodiques. J'ai reçu la visite d'un jeune professeur de Harvard qui écrit une thèse sur de Gaulle et le R.P.F., Nicolas Whal: il m'a appris qu'un de ses assistants est chargé d'étudier Liberté de l'esprit qu'il possède, lui, en totalité à deux numéros épuisés près: «Mais nous pouvons consulter heureusement la collection complète à l'université de Havard» — ce qui ne laisse pas de m'étonner et me fait rétrospectivement éprouver (en pensant aux conditions dans lesquelles je faisais cette revue!) une certaine satisfaction.

Claude Mauriac, Le rire des pères dans les yeux des enfants, p.98 à 101 - Grasset, 1981

Libération de Paris

Dans La terrasse de Malagar, Claude Mauriac cite Edmond Michelet:
Dachau, 27 août 1944

Edmond Michelet :

Pour montrer à quel point je me suis toujours senti en très pofonde communion avec la pensée du Général à cette époque même, je veux rappeler cet autre trait qui se rapporte aux jours qui ont suivi la libération de Paris. Nous étions bien sûr à Dachau toujours aux mains des S.S. C'était un dimanche, j'avais été convoqué à une heure indue par le Tchèque responsable du bloc 13 des tuberculeux; c'était un bon endroit, le bloc 13 parce que les Allemands, qui craignaient beaucoup les bacilles, n'y entraient pas, et nous avions installé là un petit poste récepteur.
Je me suis donc rendu au bloc 13 et j'ai vu là, devant moi, trois personnages; il y avait le Tchèque, qui se tenait droit comme un piquet, le Yougoslave et le Polonais. J'entends encore le Tchèque qui m'avait reçu deux ans plus tôt avec les réserves que vous savez, me dire d'une voix incroyable: «Michelet, je vous ai convoqué à cette heure parce que je voudrais vous faire part de la plus grande nouvelle reçue depuis que nous sommes ici: Paris est libéré et Paris est intact.»
Parmi mes trois, deux savaient que leur propre capitale avait été anéantie, le Polonais et le Yougoslave, et pourtant, pour eux c'était la plus grande nouvelle: Paris était libéré et intact.
(La Querelle de la fidélité)

Claude Mauriac, La Terrasse de Malagar, p.328 - Grasset, 1977

La tombe de Balzac

Dimanche… août 1946

— S'il vous plaît, monsieur, la tombe de Balzac?
Le gardien du cimetière a froncé les souvcils, sans comprendre; et tout à coup son visage s'est éclairé et il a dit sur un ton d'indulgente supériorité:
— Honoré de Balzac, vous voulez dire? Alors, c'est différent: écoutez…
Le jeune homme, embarrassé par les deux bouquets qu'il tenait — un blanc et un rouge — a remercié d'un signe de tête. Puis il est parti, ses fleurs à la main, dans la verte lumière sous-marine qui est celle du Père-Lachaise en été, et je l'ai suivi de loin à travers les sépultures, seul avec lui sous la voûte des arbres. Le buste de Balzac est apparu entre les croix, je me dissimulai derrière un caveau. Me jeune homme ne s'agenouille pas; il ne paraît point davantage prier: simplement, il dispose ses œillets et ses marguerites sur la pierre, avec autant d'amour, semble-t-il, que Félix de Vandenesse préparant, au bas du perron de Clochegourde, ses bouquets pour Mme de Mortsauf. Il reste ensuite un long moment immobile, les bras croisés, dominant comme Rastignac ce Paris assoupi que recouvrent déjà les ombres du soir. Mais aucun désir de conquête ne doit hanter cette âme que je devine sans ambition.
Lorsqu'il fut parti, je m'approchai à mon tour du tombeau et je vis, en regardant la plaque, qu'il y avait tout juste quatre-vingt-seize ans que Balzac était mort.


Lundi.

Cette tombe bien entretenue et que deux bégonias en pots me parurent décorer de façon permanente, me fit me souvenir d'une lettre que reçut le général de Gaulle à l'époque où il était au Gouvernement. Un correspondant inconnu l'y informait de l'état de délabrement dans lequel se trouvait la sépulture de Balzac. Je communiquai pour éléments de réponse cette lettre à Marcel Bouteron. Il répondit peu de jours après qu'il s'occupait de remédier à cet état de chose et que le Général pouvait être assuré que le tombeau du romancier de la Comédie humaine ne serait plus laissé à l'abandon. Une enquête discrète devait révéler peu après que Marcel Bouteron avait supporté personnellement les frais de la restauration et qu'il s'était soucié d'assurer la continuité de cette surveillance au cas où il viendrait lui-même à disparaître. Aussi bien ces deux bégonias étaient-ils vraiment la signature de l'amour.

Claude Mauriac, Aimer de Gaulle, p.345 - Grasset, 1978
Je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui, mais en avril 2010 la concession arrivait à son terme : «Concession en reprise administrative aux fins de sauvegarde, s'adresser à la conservation.»
Il faudrait que j'y repasse.


Contes polonais traduits et adaptés par Agnieszka Macias

Passé à la librairie polonaise pour acheter Gottland.
— Quoi? mais on en a déjà acheté trois ou quatre !
— Je sais, mais on n'en a aucun, je les ai tous offerts.

Près de la caisse sont exposés des livres des éditions L'école des loisirs: Contes polonais, Contes biélorusses et Contes yiddish. Je prends les trois.

La préface des Contes polonais est très intéressante et regorge de noms à peine connus par Wikipedia :
Les collecteurs de contes de la fin du XIXe et du début du XXe parcouraient la Pologne, partagée alors entre trois empires voisins, mais unie par une langue, une histoire et une culture communes.
Ils étaient animés par l'idée romantique, populaire à l'époque dans toute l'Europe, que le conte était un récit remontant à la nuit des temps et donc indépendant de la culture moderne. Leurs recherches ont eu pour effet de préserver le folklore disparaissant peu à peu avec la migration des paysans vers les villes et de fixer la langue du pays que l'on remplaçait souvent par les langues des empires souverains.

Les collectes des ethnographes polonais ont été diffusées en majeure partie dans le dadre des publications de l'Académie des sciences (Akademia Umiejętności) de Cracovie, existant grâce aux relatives libertés accordées aux Polonais vivant sous la domination de l'Empire austro-hongrois.

La plus riche est sans doute celle d'Oskar Kolberg, le plus grand, peut-être, parmi les collecteurs slaves. Son chef-d'œuvre, Le Peuple (Lud), comprenant cinquante volumes, répertorie les contes, mais aussi les croyances, coutumes, mélodies et danses polonaises, région par région.

D'autres collectes, dont les trésors se trouvent dans la présente anthologie, reflètent la culture paysanne de la Petite Pologne — terre natale de Jan Swietek, et terrain de recherche du premier professeur d'anthropologie en Pologne, Izydor Kopernicki —, de la Warmie — région dont le dialecte polonais fut étudié par Augustyn Steffe —, et de la Cujavie, où les quêtes folkloriques furent menées par Aleksander Petrow. Elles furent publiées sous forme de monographies ou dans des revues d'anthropologie et d'ethnographie comme Recueil des connaissances sur l'anthropologie du pays (Zbiór Wiadomości do Antropologii Krajowej), entre autres.

Le lecteur est invité à entrer dans le monde merveilleux, harmonieux et si souvent facétieux des contes polonais.

A.M

Joseph Brodsky - Vingt sonnets à Marie Stuart

Reçu aujourd'hui un livre tout à fait étonnant, qui confronte deux traductions françaises et une traduction anglaise déjà parues séparément des mêmes poèmes.
Les traductions sont présentées en vis-à-vis pour faciliter les comparaisons. (Mentionnons pour mémoire que le livre est publiée en deux parties tête-bêche, ce qui impose arrivé à la moitié de retourner le livre pour le recommencer au début.)

Sommaire:
Les deux traductions françaises en vis-à-vis: Claude Ernoult et André Markowicz
Le texte russe de Joseph Brodsky en face de la traduction anglaise de Peter France et l'auteur
Le texte russe en face de la traduction française d'André Markowicz
La traduction d'André Markowicz en face de la traduction anglaise de Peter France et l'auteur.

Selon la tendance actuelle, la traduction de Markowicz semble préférée. Et pourtant, l'élégante traduction de Claude Ernoult est plus conforme à la tradition française, respectant la forme du sonnet et privilégiant le sens sur le son.

La traduction anglaise validée par l'auteur peut servir de référence. Tout cela est effrayant, que lisons-nous de ce qu'ont écrit les auteurs étrangers?

A titre d'exemple, voici le septième sonnet — sans la version russe, mon blog ne supportant que les caractères latins.

1/ la traduction anglaise de Peter France
Paris is still the same. The Place des Vosges
is still, as once it was (don't worry), square.
The Seine has not run backward to its source.
The Boulevard Raspail is still as fair.
As for the new, there's music now for free,
a tower to make you feel you're just a fly,
no lack of people whom it's nice to see,
provided you're the first to blurt "How's life?"

Paris by night, a restaurant… What chic
in words like these—a treat for vocal cords.
And in comes eine kleine nachtmuzhik
an ugly cretin in a Russian shirt.
Café. Boulevard. The girlfriend in a swoon.
The General-Secretary-coma moon.

2/ Traduction d'Ernoult
Paris, je te le dis, n'a pas changé. La place
des Vosges reste encor parfaitement carrée.
La Seine vers l'amont ne s'est pas écoulée.
Le boulevard Raspail garde sa même grâce.

Quoi de neuf ? Des concerts gratuits et la pensée
que tu n'es rien qu'un pou sous la tour Montparnasse.
On voit beaucoup de gens dont les propos délassent
si l'on dit le premier : « Salut, c'est ma tournée ! »

Paris, la nuit, au restaurant. C'est un tel chic
de prononcer ces mots ; pour ma bouche une fête !
Mais qui donc entre ici ? C'est un petit moujik

de nuit. Sa gueule sort d'une étrange liquette.
Café et boulevard. A l'épaule une amie.
La lune : ton tyran pris de paralysie..

3/ Traduction de Markowicz
Paris ne change pas. La Place Carrée,
sans blague, n'est pas plus triangulaire.
Les cygnes sont rentrés chez Baudelaire,
Le fleuve Seine coule sans marées.
Quelques concerts accueillent le vulgaire
gratis, la tour nous tient désemparée.
Beaucoup d'amis qu'on ne revoit plus guère —
« Mais quel bon vent ?… » — On part. On est paré.

Paris, la nuit, un restaurant. Le chic
de cette phrase. Non, tu t'imagines?…
Se pointe quelque kleine nacht moujik
qu'un rhume écharpe et que prévoit l'angine…
Or, j'inspirais la nuque de l'aimée.
Café. La Lune — un Lénine embaumé.

Joseph Brodsky, Vingt poèmes à Marie Stuart, "VII", édition Les doigts dans la prose, 2013
Les billets et commentaires du blog vehesse.free.fr sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.