Femme au foyer

9 septembre 1937,
Beverly Wilshire Hotel, Beverly Hills, Californie

Chère Lilishka,
[…]
Life a publié des photos de toi lors d'un week-end chez les Kaufman: l'une n'est pas très réussie, celle où tu joues au tennis, sur l'autre, celle où tu tricotes, tu es à ton avantage. J'en déduis donc, finalement, que tu as le profil de la femme au foyer.
[…]

Tendrement à toi,
Dash

Dashiell Hammett, La mort c'est bon pour les poires, Allia 2002, p.133

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(6) Anstatt ihm den Himmel zu geben, wurde diese Ehe für ihn, durch den herrschsüchtigen Character seiner Frau, ein Fegfeuer und vielleicht wäre es erlaubt, einen anderen Ausdruck zu wählen und die Hölle zu nennen.

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La préposition zu

21. La préposition zu (à, de, pour, devant l'infinitif) se met immédiatement devant l'infinitif.
Ex. Au lieu de lui donner le ciel, ce mariage fut pour lui, à cause du caractère despotique de sa femme, un purgatoire, et peut-être se serait-il permis de choisir un autre terme et de le nommer l'enfer.
Constru. lui le ciel de donner; …un autre terme de choisir et l'enfer de nommer.

Lettre d'amour

26 novembre 1934,
18904 Malibu Road, Pacific Palisades, Californie

Ma chérie -
C'est moi trucmuche, et je t'aime vraiment très fort.
Je n'ai rien de plus à ajouter que ce que je t'ai raconté au téléphone, excepté que je t'aime toujours énormément et oserais-je demander que tu fasses de même; tu ne crains rien à essayer.
Je suis en train de lire le nouveau livre de Millay et un roman en français —Les Loups— et la dernière publication de Waldo Frank, et tout cela a été de lecture fort agréable sans être bouleversante et je t'aime très fort.
Alfred m'ennuie avec ses supplications concernant The Big Knockover, qu'il voudrait sortir sous forme de livre, avec un avant-propos la présentant comme une œuvre de jeunesse écrite il y a fort longtemps. Il prétend être harcelé par mes lecteurs — ah les chiens! — et moi je t'aime très fort, mais je ne pense pas le laisser faire.
A présent je vais retenter le coup — toujours en t'aimant très fort — et me remettre à l'écriture de lasuitedelintrouvable, ça n'avance pas vite en ce moment, mais je m'attends sous peu à être galvanisé par l'enthousiasme inconditionnel de Hunt Stromberg.

Je t'aime très fort.
Dash

Dashiell Hammett, La mort c'est bon pour les poires, Allia 2002, p.108

La lettre de Walter Benjamin à Carl Schmitt

La théologie politique de Paul est la transcription d'un colloque intervenu en février 1987. C'est la traduction critique (dans le sens où elle opère quelques modifications et corrige des erreurs) de la transcription allemande parue chez Fink. Elle y ajoute les références bibliographiques des textes parus en français et des annexes.

La première annexe est intitulée "L'histoire de la relation Jacob Taubes-Carl Schmitt". Elle commence par ces mots: «Je [Jacob Taubes] voudrais faire une remarque préliminaire», mais je ne comprends pas préliminaire à quoi: cette remarque (p.143) est-elle intervenue avant l'introduction (p.17) — et dans ce cas pourquoi cela n'a-t-il pas été mise au début du livre — ou en cours de colloque — mais dans ce cas pourquoi n'a-t-elle pas été placée au fil du texte, ou au moins appelée en note de bas de page au cours du texte?

Quoi qu'il en soit, je copie un extrait du début, qui cite la lettre de Benjamin à Schmitt, une «mine faisant tout bonnement exploser nos représentations de l'histoire intellectuelle dans la période de Weimar» (sans compter le plaisir de voir Adorno appelé "Teddy"):
Mais le problème est plus fondamental. La division en «gauche» et «droite», qui est mortelle depuis 1933, mortelle pour la gauche […1], lorsque, après la guerre, la guerre civile s'est poursuivie sur le plan intellectuel (en tout cas, je viens d'une ville2 où la première question est toujours: est-il de gauche ou de droite? Je ne cacherai pas que j'ai du mal à m'y faire). […]

On voit très bien que ce schéma gauche-droite ne tient pas la route, et en effet, l'ancienne Ecole de Francfort était en rapport étroit avec Schmitt, si nous considérons non pas seulement les chefs officiels de l'Ecole, à savoir M. Horkheimer et le «musicien» Adorno, mais également Walter Benjamin, un esprit plus profond qui, en décembre 1930, écrit encore une lettre à Carl Schmitt et lui envoie son livre sur le Drame baroque accompagné de la remarque suivante: «Vous remarquerez très vite combien ce livre vous doit dans sa présentation de la doctrine de la souveraineté au XVIIe. Permettez-moi de vous dire, en outre, que grâce à vos méthodes de recherche en philosophie de l'Etat j'ai trouvé, dans vos œuvres ultérieures, particulièrement La Dictature, une confirmation de mes méthodes de recherche en philosophie de l'art.» Quand j'ai eu cette lettre en main, j'ai appelé Adorno et je lui ai demandé: «Il y a deux volumes de correspondance de Benjamin. Pourquoi cette lettre n'a-t-elle pas été publiée?» Sa réponse a été que cette lettre n'existait pas. J'ai alors répliqué: «Teddy, je reconnais les caractères d'imprimerie, je connais la machine avec laquelle Benjamin écrivait, ne me racontez pas d'histoires, j'ai le texte en main.» Adorno a alors dit que cela n'était pas possible. C'est une réponse typiquement allemande3. J'en ai alors fait une copie et la lui ai envoyée à Francfort. Un archiviste, M. Tiedemann, s'y trouvait encore. Et Adorno m'a rappelé en disant: «Oui, cette lettre existe bien. Mais elle a été perdue.» J'en suis resté là!

Jacob Taubes, La théologie politique de Paul, Seuil 1999, annexe 1 p.143-144





1 Un passage n'a pas pu être enregistré.
2 Rappelons que Taubes arrive de Berlin, où il enseigne. [N.d.T.]
3 Allusion sans doute à ce vers célèbre du poème de Christian Morgenstern: «Weil nicht sein kann, was dicht sein darf» (car ce qui ne doit pas être ne peut pas être). [N.d.T.]

Commençons

Désespérant de résoudre ces questions, je les laisse en suspens. Naturellement, le lecteur perspicace a déjà deviné que tel était mon but dès le début, et il m'en veut de perdre un temps précieux en paroles inutiles. […] Voilà ma préface finie. Je conviens qu'elle est superflue; mais, puisqu'elle est écrite, gardons-la.
Et maintenant commençons.
L'auteur.
Dostoïevski, les frères Karamazov, Pléiade 1952, préface p.2

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(5) und sie heiratete ihn. Kassim glaubte, daß ihm eine so glänzende Heirat den Himmel öffnen sollte. Leider irrte er sich, wie es uns die Folge des Geschichte zeigt.

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règles concernant les pronoms

18. Dans une proposition principale, le pronom personnel COD ou COI suit le verbe.
Ex. Et elle l'épousa ; constr. Et elle épousa lui.

19. Quand le verbe doit par construction changer de place, le pronom COD ou COI se met devant le sujet.
Ex. Cassim croyait qu'un si brillant mariage devait lui ouvrir le ciel; constr. Cassim croyait qu'à lui un si brillant mariage le ciel ouvrir devait. — Malheureusement il se trompait; constr.Malheureusement trompait-il soi.

20. De deux pronoms COI et COD, l'accusatif précède le datif.
Ex. Comme nous le montre la suite de l'histoire; constr. Comme le nous la suite de l'histoire montre.

Enchaînements

J'enchaîne Les frères Karamazov à la suite de Taubes: je lisais Taubes parce que c'était un vieux désir, je lis Dostoïevski parce que Gwendoline m'a rappelé de façon fortuite que j'avais à le lire pour la fin du mois.

C'est ainsi que je lis à la suite deux livres dont le premier se termine par :
«Paul, juif romain de Tarse, s'empara de ce sentiment de culpabilité et le ramena correctement à sa source historique primitive. Il nomma celle-ci le "péché originel"; c'était un crime contre Dieu qui ne pouvait être expié que par la mort. Par le péché originel, la mort était entrée dans le monde. En réalité, ce crime digne de mort avait été le meurtre du père primitif, plus tard divinisé. Mais on ne rappela pas l'acte du meurtre; à sa place on fantasma son expiation, et c'est pourquoi ce fantasme pouvait être salué comme une nouvelle de rédemption (évangile)

Freud, L'Homme Moïse et la religion monothéiste, Gallimard 1986 p. 177-178, cité par Taubes dans son article "La religion et l'avenir de la psychanalyse" paru en anglais à New York en 1957 et repris à la fin du livre de Jacob Taubes, La théologie politique de Paul, Seuil, p.184.
et le deuxième commence par:
[Avril 1878] […]
A cette époque, deux hommes ont une influence sur sa pensée: ce sont Vladimir Soloviev, alors tout jeune, et Nicolas Fedorov. Soloviev faisait cette année-là un cours sur l'humanité divine que Dostoïevski suivait assidûment. Fedorov exposait un système philosophique destiné à restaurer l'unité parmi le hommes: il faut, dit-il, supprimer le conflit entre les générations et c'est aux fils de «ressusciter leurs pères». Le parricide, motif central des Frères Karamazov, est l'image même de la désunion qui empêche l'humanité d'accomplir sa mission rédemptrice. On trouve dans les carnets de Dostoïevski des notes qui ont trait à cette idée.

"L'élaboration des frères Karamazov" par Sylvie Luneau, p. XIX dans Les Frères Karamazov de Dostoievski, Gallimard Pléiade 1952.


(En 1928, Freud écrit un article, Dostojewski und die Vatertötung, soutenant que les plus grandes œuvres de la littérature occidentale traite de parricide: Œdipe, Hamlet, Les frères Karamazov.)

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(4) 3. Kassim allein, der ältere, verließ das Haus, wo sein Vater selig so einsam und ärmlich gewohnt hatte und bekam ein Schloß voll Sklaven und mehrere Koffer voll Geld. Als das Schicksal, das ihm anfangs günstig war, aber nur zu bald ungetreu wurde, den Sohn des armen Schneiders dieses großen Vermögens teilhaftig machte, war er ungefähr dreißig Jahre alt. Schön von Angesicht, gegen jedermann höflich und dienstfertig, von Character sehr sanft, gefiel er einer Witwe, die ungeheuer reich war.

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règles concernant les adjectifs

15. L'adjectif qui n'est ni attribut ni en apposition précède son nom, sauf allein, seul; selig, feu, défunt; voll, plein (de).

Remarque : par adjectif il faut entendre non seulement l'adjectif proprement dit, mais encore le participe présent et le participe passé s'il est isolé (c'est-à-dire s'il ne fait pas parti d'un temps conjugué).
Ex. Et le vieillard épuisé (constr. l'épuisé vieillard) mourut. Les deux frère eurent dans la suite un sort très différent (constr. un très différent sort). Cassim seul, l'aîné, abandonna la maison où feu son père (constr. où son père feu) avait si solitairement et si pauvrement vécu et eu un château plein d'esclaves et plusieurs coffres d'argent.

16. A l'exception de voll, l'adjectif complétant un groupe nominal au génitif, au datif ou à l'accusatif sans préposition, le suit.
Ex. Lorsque le sort qui lui fut d'abord favorable, mais (qui) ne lui devint que trop tôt infidèle, rendit le fils du pauvre tailleur participant de cette belle fortune ((constr. de cette belle fortune participant), il était âgé d'environ trente ans (constr. environ trente ans âgé).).

Remarque : Teilhaftig participant commande le génétif; günstig favorable et ungetreu infidèle, le datif, comme en général les adjectifs suivis de à; alt âgé l'accusatif ainsi que les autres adjectifs de quantité ou de mesure.

17. L'adjectif qui a des compléments introduits par une préposition peut les précéder ou les suivre; l'adverbe qui l'accompagne reste avec lui.
Ex. Beau de figure, poli et serviable envers tout le monde, très doux de caractère, il plut à une veuve qui était immensément riche. On peut dire, par exemple: envers tout le monde poli et serviable; si l'on veut mettre de caractère avant doux, il faut dire: de caractère très doux.

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(3) Sie versprachen ihrem Vater alles, und der ermattete Greis starb. Die zwei Brüder hatten in der Folge ein sehr verschiedenes Los.

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règle concernant les substantifs

14. Le nom au datif (complément d'objet indirect COI) précède le nom à l'accusatif (COD) quand les deux sont présent dans la phrase.
Ex. Ils promirent tout à leur père. Constr. Ils promirent à leur père tout.

Les langues — réflexions et méthode

… Lu dans Gide ce qui est mon propr cas: il dit aimer l'étude des langues — comme celle du piano — parce que chaque jour on peut y faire quelque progrès, s'assigner des buts et avancer avec sûreté, infaillibilité… C'est cela! Quand une langue ne demande plus aucun effort et n'offre plus aucune occasion de progrès, elle cesse d'attirer ceux qui goûtent précisément cette activité de jeu et ces acquisitions régulières.

Auguste Valensin, textes et documents inédits présentés par Henri de Lubac et Marie Rougier, Aubier, 1961, p.232
Et soudain, je me rends compte en lisant ces lignes que pour moi, apprendre une langue avait peu de choses à voir avec le travail: il y avait ceux qui étaient doués (retenaient vite, avaient l'oreille musicale, n'étaient pas intimidés par leur accent) et ceux qui n'y arriveraient jamais, ou très mal, dont je faisais partie.
Voilà donc une occasion de me mettre sérieusement au travail et de me consoler de n'avoir jamais fait de musique!
Si j'avais à apprendre le latin, je procèderais à peu près comme j'ai fait pour l'italien: je me fixerais une douzaine d'œuvres, que je traduirais avec l'aide d'une traduction, mais en m'imposant de me rendre compte de la traduction, d'en justifier le détail. Puis, cette demi-douzaine d'œuvres, je me fixerais de les lire sans les épeler, de me les rendre familières. Et il y aurait Virgile, (un peu de Bucoliques, un peu de Géorgiques, un peu d'Enéide; de quoi faire trois cents page de Virgile), Horace (deux cents pages), Cicéron (plus facile; cinq cent pages). Cela irait très lentement pour certains auteurs, plus vite pour d'autres… Je me ferais un programme triennal: avec une moyenne de trente à quarante pages par mois, la première année, de cinquante à soixante pages la deuxième, de quatre-vingt-dix la troisième…
Ibid. p.317

Plusieurs remarques:
Valensin a sans doute appris le latin à l'école (douze heures par semaine au collège en 1906, crois-je me souvenir), désapprouve-t-il la méthode utilisée? Ou n'est-elle souhaitable que pour les enfants car trop scolaire, justement?
Il ne parle pas de grammaire: je suppose que c'est ce qu'il entend par «rendre compte de la traduction»: cela signifie de traverser les grammaires (les livres) transversalement, par leur index, car le texte peut renvoyer à tout moment à n'importe quelle règle, sans hiérarchie.
Trente à quarante pages par mois, une par jour, trois cent soixante à quatre cent quatre vingt par an… Mais bien lire ou bien comprendre (ce qui est par exemple mon cas en anglais) ne garantit absolument pas de bien parler (syntaxe et accent). Il faut faire du thème, beaucoup de thème, j'ai toujours été trop paresseuse pour le thème, alors que c'est la vraie pratique de la langue.
Son étude de la langue [l'italien] est conduite avec rigueur. Il constitue des paquets de fiches, sur lesquelles il note les mots inconnus trouvés dans ses lectures. Il a toujours sur lui un paquet de trente fiches. On le rencontre, dans la rue, dans le tram, ses fiches au creux de la main. Il les révise inlassablement. «Tout est das le rabâchage, la persévérance.»
Ibid. p.183

22 octobre 1944. Sur la langue allemande. Je me suis remis depuis quelque temps à l'anglais après m'être aperçu que je le comprenais assez pour lire avec plaisir une nouvelle sans le secours du dictionnaire. Et je continue à lire de l'allemand. Cette dernière langue est beaucoup plus difficile, mais j'estime qu'elle s'écarte assez du français pour offrir, du point de vue pédagogique, les avantages qu'on demande au latin. Bien traduire de l'allemand, c'est vraiment interpréter; surtout si l'on a, comme moi, appris l'allemand par les racines, c'est-à-dire sans faire correspondre un mot français à chaque mot allemand. Pour moi, les mots allemands n'ont pas une acception fixe, un sens unique, ou des sens précis, entre lesquels le contexte permet de choisir; ils produisent pour ainsi dire leur sens chaque fois qu'ils se présentent; et, en dehors de tout contexte, leur signification reste virtuelle et plastique, insaisissable (car saisir une signification, c'est la fixer par un mot) et vague, consistant en une certaine direction de pensée… Par exemple, que veut dire Stimmung? Dans telle phrase, ce mot signifie disposition. Dans telle autre,… dans telle autre… et ainsi de suite. La plupart du temps, j'ignore ces signification que donne le dictionnaire. Stimmung signifie pour moi quelque chose pour quoi je n'ai pas de mot français jusqu'à ce que je le voie dans une phrase et alors il me faut trouver, il me faut découvrir le mot français correspondant à ce que Stimmung me suggère. Pratiquer ainsi la lecture de l'allemand la rend sans doute plus laborieuse, mais combien plus intéressante. Je suis convaincu que c'est ainsi que les Allemands eux-mêmes pensent les mots de leur langue.
Ni l'anglais, ni l'italien, ni l'espagnol, pour ne parler que des langues que je connais, ne se prêtent à être traités de la même manière. Là, un mot correspond la plupart du temps à un mot.
Ibid. p.324-325

Gide et la foi

Pour M.Pic.

C'est d'une curieuse manière que le Père [Auguste Valensin, sj] avait fait la connaissance d'André Gide.
On l'appela un jour au téléphone:
— «Ici, André Gide.»
Etonnement. Insistance.
— «Puis-je venir vous voir, mon Père? C'est pour une consultation grave et urgente.»
Dans une interview, le 24 décembre 1948, le Père racontait ainsi cette première entrevue:

«Vous confier l'objet précis de sa visite serait une indiscrétion. Mais je puis vous dire ceci: André Gide avait formé un plan pour soustraire éventuellement au camp de condentration une personne menacée. Le moyen comportait de sa part, à lui qui l'avait imaginé, un sacrifice énorme. Non pas d'argent, ce qui serait peu, mais d'amour-propre.
Sans obligation d'aucune sorte, pas même d'amitié, sans attrait personnel, il avait décidé d'affronter la calomnie, plus, peut-être, le ridicule… gratuitement, par charité pure.
Le projet n'était heureusement pas réalisable. L'ordre catholique, sur lequel André Gide me venait justement consulter pour le compte d'un tiers, ne le permettait pas. Il l'abandonna et eut la simplicité de s'en montrer soulagé.
— La charité, lui dis-je, couvre la multitude des péchés.
A quoi il répondit, avec un geste de la main que je revois encore:
— C'est qu'il y en a beaucoup!…
Ce jour-là, nous devînmes amis…»

Le 12 juillet 1946, on retrouve, dans un carnet du Père, la trace d'une de leurs rencontres:

«Longue entrevue avec André Gide. Conversation intime tout de suite. Il me dit qu'il est un esprit religieux, que beaucoup de ses amis se sont faits catholiques… qu'il garde précieusement trois lettres de jeunes gens entrant dans les ordres et lui disant ce qu'ils lui doivent… Nous parlons de Roger [Martin du Gard], de Catherine [Gide]…, de X. qu'il m'engage à voir pour la remonter à la suite de ses insuccès… de Valéry, des fils de Valéry… François serait remarquablement intelligent.
Parlons de la mort. Il croit qu'après la mort, il n'y a rien pour l'individu. Que concevoir les choses autrement, c'est de l'égoïsme… Vouloir satisfaire à un besoin…
Nous nous quittons très sympathiquement.
Il voudrait revoir le P. Doncœur.»

En septembre 1947, à Paris, le Père note encore:

«Vu longuement Gide, chez lui… Sujet religieux, tout de suite… Je lui dis: «Sans un au-delà, sans l'immortalité, la vie est absurde.» Il me répond: «Il dépends de nous qu'elle ne le soit pas», ce qui est la réponse existentielle orthodoxe. Puis nous lisons du Virgile, du d'Annunzio. Nous parlons de Claudel, d'Hélène et de Roger…»

Quand Gide est malade à Nice, à la clinique du Belvédère, le Père va le voir plusieurs fois. Le 18 octobre 1949, à la suite d'une longue conversation, à la Résidence des PP. Jésuites, ils s'embrassent. Ils se reverront plusieurs fois encore en 1950. Le Père passe la journée du 20 mars à Juan-les-Pins, dans la villa que Gide a loué. «Longues confidences très intimes, de Gide.» Quelques jours après, Gide demande au Père de revenir faire une partie d'échecs!

Leurs amis communs notent avec amusement la ressemblance de leur voix; on s'y méprend au téléphone: même accent, même manière d'appuyer sur les syllabes, de détacher certains mots, de les chanter. Tous deux s'intéressent aux méthodes, aux procédés, aux démarches de l'esprit. ils ont la même curiosité toujours en éveil, la même impatience juvénile, le même besoin d'avoir sans cesse l'esprit occupé par quelque problème: l'un lit Virgile dans la rue, l'autre, Dante. Même difficultés pour écrire si le papier ou la plume leur semblent rebelles. Ils sont surtout le même don d'accueil, de sympathie, de séduction.

Le Père s'amusait beaucoup de ces ressemblances. Cela ne l'empêchait pas de mesurer tout ce qui les séparait.
Au cours de l'interview dont il a été question plus haut, le Père poursuivait ainsi ses propos sur Gide:

«Je sais ce qu'on peut reprocher, très justement, à ses ouvrages et à sa vie. Je connais certains des désastres moraux qui lui sont imputés. Mais je sais aussi ce que l'on ignore d'ordinaire et qu'il a fait du bien à certaines âmes.
N'attendez pas de moi que je juge l'homme. Je n'en ai pas le droit et aussi bien je n'en ai pas l'envie.
Sans vouloir, bien sûr, rien excuser de ce qui est condamnable et si loin que je sois de le recommader à la jeunesse, je crois à sa bonne foi. Tout cela, uni à sa charité, peut peser d'un poids énorme dans la balance de Dieu.
— Mais Gide croit-il en Dieu?
— Il y a cru. Aujourd'hui, je pense que c'est fini… Dans ma dernière visite à l'homme qui m'avait dit être tiraillé entre Platon (le Platon de Phèdre et du Banquet) et le Christ, j'ai trouvé cet homme, en fait, durci et comme fixé définitivement dans son choix: incroyant et athée. Mais à l'enfant prodigue qui ne reconnaît pas son Père, son Père continue de tendre les bras. Respectons le mystère des relations de cette âme à Dieu: je crois éperdument à la Miséricorde.»

Auguste Valensin, textes et documents inédits présentés par Henri de Lubac et Marie Rougier, Aubier, 1961, p.232

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(2) Man konnte diesen Greis sast jeden Tag früh und spät in seiner Werkstätte arbeiten sehen. Er hatte einige Jahre glücklich leben. Allein seine Frau war schon längt gestorben, und er blieb allein mit seinen zwei Knaben Kassim und Alibaba, die noch jung waren. Der treiffliche Man, der doch gut arbeitete, gewann nur sehr wenig, weil die Schneider dort wimmelten. Da er übrigens oft krank war, so wurde er nach und ganz arm, und man kann sagen, daß er zulezt gar nichts besaß. Als er auf seinem Sterbebette lag, da rief er seine Söhne zu sich: Meine Kinder, sagte er traurig lächelnd, mein Tod, glaube ich, ist nahe. Serh gern wollte ich euch heute ein schönes Vermögen hinerhalten.

2. Allein das ist unmöglich, denn ihr wisset, daß ich nichts habe. Entweder die Krankheiten oder die Umstände haben mein Alter geprüft, und das Beispiel eures Vaters ist eure einzige Erbschaft. Aber seid gerecht und ehrlich. Weder die Arbeit noch das Glück fehlen dem, der seine Pflichten mit Entschlossenheit erfüllt. Nicht die Armut, sondern das Laster ist zu fürchten und zu vermeiden. Kann Gott die Ungerechtigkeit segnen und belohnen? Wer liebt und achtet eine Seele, die unehrlich ist? Welche Freude gibt das Gewissen einem solchen Menschen? O meine Kinder, darf ich hoffen, daß ihr diese letzten Ermahnungen beherzigt? Sind sie ja doch wenigstens eben so nützlich un kostbar, wie die größten Schätze.

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Règles concernant le verbe, sa place dans la phrase:
Je reformule les règles le cas échéant. A titre de curiosité, je recopie la façon de traduire mot à mot, si éloignée de notre pédagogie moderne (nous sommes en 1906). L'exposé des règles est l'occasion de traduire le récit.

2. L'infinitif et le participe passé se mettent en fin de proposition, subordonnée ou principale. De ce fait, ils se placent après leurs compléments.
Ex: On pouvait voir ce vieillard travailler presque chaque jour matin et soir dans sa boutique.
Construction: On pouvait ce vieillard presque chaque jour dans sa boutique travailler voir.
Il avait quelques années vécu heureux; mais sa femme était morte depuis longtemps déjà.
Constr.Il avait quelques années heureux vécu; mais sa femme était depuis longtemps déjà morte.

3. Le verbe (au mode personnel) d'une proposition subordonnée se met à la fin de cette proposition.
Ex: Et il restait seul avec ses deux fils Cassim et Alibaba, qui étaient encore jeunes. L'excellent homme, qui travaillait pourtant bien, ne gagnait que très peu, parce que les tailleurs abondaient en cet endroit.
Constr.: qui... jeunes étaient; qui... bien travaillait; parce que ... endroit abondaient.

4. Dans une proposition subordonnée, le pronom personnel sujet doit suivre immédiatement le mot de subordination.
Ex: Comme en outre il était souvent malade...
Constr.: Comme il en outre était souvent malade...

5. Le verbe de la proposition principale (de la première si plusieurs se suivent) précède le sujet quand elle est précédée de sa subordonnée. Dans ce cas, on met ordinairement en tête so (ainsi), s'il s'agit d'une conséquence, et da (là, alors) s'il s'agit d'un fait passé (c.-à-d. après als ou nachdem) (J'ai l'impression que cette règle de "so" et "da" n'est plus suivie : désuet)).
Ex:
Comme en outre il était souvent malade, il devint (constr. ainsi devint-il) peu à peu tout à fait pauvre et l'on peut dire qu'à la fin il ne possédait rien du tout.
Lorsqu'il fut sur son lit de mort, il appela (constr. alors appela-t-il) ses fils près de lui.

6. Le verbe d'une proposition intercalée précède le sujet, même quand le sujet est je.
Ex.
Mes enfants, dit-il en souriant avec tristesse, la mort, je crois (constr. crois-je), est proche.

7. Le verbe de la proposition principale précède le sujet, quand le premier mot n'est pas le sujet. Dans ce cas on ne peut commencer par deux compléments différents.
(Aujourd'hui la règle s'énonce ainsi: le verbe de la principale est toujours en deuxième position, y compris si la première place est occupée par une subordonnée (cf. point5.)
Ex. Très volontiers aujourd'hui je voudrais vous laisser une belle fortune. Constr. Très volontiers voudrais-je vous aujourd'hui une belle fortune laisser.

8. Les mots et, ou, car, mais (und, oder, denn, aber) ne comptent pas dans la construction comme "premiers mots"; ni les négations ou les choix : ne...pas, ni...ni, etc (nicht, weder...oder).
Remarque: si plusieurs "ou" se suivent, le premier se traduit par entweder. "Mais" se traduit par aber. Quand il signifie "seulement", ou "mais malheureusement" il se traduit allein; enfin il se traduit sondern après une négation.
Ex. Mais (allein) cela est impossible, car (denn) vous savez que je n'ai rien. Ou (enweder) les maladies ou (oder) les circonstances ont éprouvé ma vieillesse et l'exemple de votre père est votre unique héritage. Mais soyez justes et honnêtes. Ni (weder) ni (noch) le bonheur ne manquent à celui qui accomplit ses devoirs avec énergie. (Ce n'est) mais (sondern) le vice (qui) est à craindre et à éviter.

9. Le verbe, dans une interrogation (directe), se met en tête suivi du sujet. On ne traduit pas il, ils, elle, elles, sujets pléonastiques.
Ex. Dieu peut-il (constr. Peut Dieu) bénir et récompenser l'injustice?

10. S'il a un mot interrogatif comme qui? quel? où? quand?, c'est par lui qu'il faut commencer. Alors, si le mot interrogatif est le sujet, il n'y a pas de changement.
Ex. Qui aime et estime une âme (qui est) déloyale?

11. Si le mot interrogatif n'est pas le sujet, on met le verbe avant le sujet (règle 7 : en deuxième position).
Ex. Quelle joie la conscience donne-t-elle à un tel homme? Constr. Quelle joie donne la conscience à un tel homme?

12. Dans l'interrogation, les mots est-ce-que se suppriment.
Ex. O mes enfants, est-ce-que je puis (constr. puis-je) espérer que vous prenez à cœur ces derniers avis?

13. On emploie quelquefois la forme interrogative pour donner un tour plus vif à une affirmation. Dans ce cas, on ajoute dans la phrase les mots ja (oui, certes) ou doch (pourtant) ou les deux à la fois.
Ex. Ils (ces avis) sont pour le moins tout aussi utiles et (aussi) précieux que les plus grands trésors: Sind sie ja doch (littér. Sont-ils certes pourtant) wenigstens eben so nützlich un kostbar, wie die größten Schätze.

Deux livres de médecins, un livre sur l'amour

Je prends de l'argent au distributeur. Il me faut de la monnaie pour la machine à café. Je pense à l'automate de la poste du Cnit pour obtenir des pièces, mais la poste du Cnit, qui ne me déçoit jamais quand il s'agit de me décevoir, est fermée pour travaux.
Alors je décide d'aller à la Fnac, pour y trouver un truc pas trop cher.

Au passage j'épelle "Teilhard" à une vendeuse qui cherche sur son écran en interrogeant deux vieilles dames: «Théière?» Elles ne savent pas (et je me demande comment on peut avoir l'idée de chercher un livre de Teilhard sans savoir qui il est. Pour un petit-neveu, peut-être?)

Je vais au rayon religion (la dernière fois au Virgin j'avais trouvé un Wénin, je cherche un Boyarin, sait-on jamais) qui se trouve au même endroit que la spiritualité, la sociologie et la psychologie (un peu comme si on avait décidé de mettre tous les charlatanismes ensemble). J'aime bien cet endroit, on y trouve toujours des livres bizarres.
J'en feuillette plusieurs (Le Petit Prince adapté à la vie de bureau…) dont Pourquoi l'amour fait mal d'Eva Illouz. Ce n'est pas un livre érotico-sentimentalo-psychologique, mais une étude socio-économique sur les mutations de l'amour (ce qu'on entend par amour et ce que l'on attend de l'amour) dans un monde d'égaux où l'on ne croit plus au sacré. En fait, pour se donner une idée du livre, il suffit de savoir que l'autre titre de l'auteur traduit en français s'intitule Les sentiments du capitalisme («Aurait-on oublié que les sentiments sont des acteurs majeurs de l'histoire du capitalisme et de la modernité? et qu'elle a favorisé le développement d'une nouvelle culture de l'affectivité engageant le moi privé à se manifester plus que jamais dans la sphère publique?»)
Bref, un livre sérieux dont je note ici les références en attendant d'avoir du temps à y consacrer.

Je repars avec le livre de Jaddo, Juste après dresseuse d'ours. J'en aime le ton et les histoires courtes. Ce n'est pas du tout le même angle que celui du Dr Borée qui lui raconte ses aventures de médecin généraliste à l'ancienne (le médecin de famille, disait-on chez nous: Loin des villes, proches des gens).
Jaddo, c'est plutôt des aperçus de ses années d'études, de ses stages, de ses indignations (elle a l'indignation fréquente et spontanée, j'aime bien) contre le système (absurde), les pontes (arrogants), les patients (imprécis ou sans gêne).

Je ne vais pas citer le drôle ou l'indignant (se reporter au blog ou au livre), juste l'utile (je n'aurais jamais pensé que c'était si important, les médicaments que l'on prenait):
Alors très sérieusement, maintenant, un MESSAGE DE SANTE PUBLIQUE:
Soit on est capable de donner tout son traitement de tête, sans oublier un médicament et sans oublier les posologies ni la durée du traitement, soit on a toujours sur soi une fiche cartonnée avec la liste de ses médicaments.
Si vous avez un mère ou une grand-mère qui n'a plus toute sa mémoire, vous savez ce qu'il vous reste à faire.
Le prochain médecin qui la verra aux urgences construira un petit autel avec des bougies en hommage autour d'une photo de vous.
Et potentiellement, vous, vous sauverez la vie de votre grand-mère.

Jaddo, Juste après dresseuse d'ours, presses pocket, p.118-119
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