Un matin tu te réveilles (14 février 1989, presque un anniversaire) au son du radio-réveil, tu apprends qu'un auteur dont tu n'as jamais entendu parler est condamné à mort par une fatwa, mot dont tu ignores le sens et l'existence, lancé par un imam iranien.
Fuite, protection policière, vie en éclats.

Un midi chez le coiffeur tu apprends que Cabu et Wolinski se sont fait assassiner parce qu'ils avaient dessiné le Dieu des musulmans.

Un soir en lisant Twitter tu comprends vaguement qu'une ado se fait insulter et menacer parce qu'elle a dit qu'elle détestait la religion, en particulier l'islam. Tu ne fais pas trop attention parce que ce n'est pas la première fois que Twitter s'enflamme, Zineb el Rhazoui en a déjà fait les frais, tu te dis que ça va passer, qu'est-ce qu'ils ont inventé encore?
Et puis ça devient n'importe quoi, tellement n'importe quoi que j'ai envie de hurler. La France entière est tombée sur la tête, c'était bien la peine d'avoir Voltaire, c'est le chevalier de la Barre all over again.

Je tente une chronologie:
Le 19 janvier, Mila poste une vidéo où elle dit :«[…] Je déteste la religion […], le Coran, il n'y a que de la haine là-dedans, l'islam, c'est de la merde […]». Elle reçoit des menaces de mort, quelqu'un poste son adresse en ligne, son domicile est protégé par la police, elle ne va plus au lycée.
Le 23 janvier, une enquête est ouverte pour retrouver les auteurs des menaces, mais une autre contre Mila, pour vérifier s'il y a eu «incitation à la haine raciale».
Depuis quand une religion est-elle une race? A ce compte-là, pourquoi ne pas avoir poursuivi Rushdie et Wolinski?
(Heureusement, le parquet a conclu qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre…)
Le 29 janvier, la ministre de la justice Nicole Belloubet prononce une phrase bizarre: «l'insulte à la religion est évidemment une atteinte à la liberté de conscience» (si les Manif pour tous se souviennent de cela à leur prochain rassemblement!!)
Le 31 janvier quelques personnes appellent à la raison: voici une tribune juridique rappelant la loi sur le blasphème et la réaction de Mme Badinter dénonçant la lâcheté ambiante. (Je pense à Houellebecq et son Soumission : il était en dessous de la vérité).
Le 3 février Ségolène Royal prend Mila à partie plutôt que de la défendre (mais depuis quand prend-on parti pour les menaçeurs et non pour les menacés? Qu'est-ce qui tourne pas rond? La gauche devrait se trouver un autre nom, Jaurès ne la reconnaîtrait pas.)
Pendant ce temps, la jeune fille confirme ce qu'elle pense de la religion en général, tout en présentant des excuses si elle a blessé des croyants en particulier. (Chapeau bas : je l'imaginais effondrée, avec ses parents catastrophés à l'idée de devoir déménager, etc. Elle a du cran et paraît moins tête de linote que je ne l'aurais imaginé.)
Cerise sur le gâteau, c'est Le Pen qui finit par dire quelque chose de sensé: «Dans notre pays de libertés, ce n’est pas à #Mila de s’excuser: c’est à ceux qui la menacent de mort, la harcèlent, l’insultent, de rendre des comptes devant la justice. » (Me voilà bien: en train de citer Le Pen!)
Résumé le 4 février de Jean Quatremer: «Piégés par le discours sur "l’islamophobie" des islamistes, une partie de LREM et surtout de la gauche a permis à l’extrême-droite de récupérer le combat pour la laïcité, la liberté d’expression, le droit à l’athéisme, le féminisme, etc. A ce niveau de bêtise, chapeau bas 👏.


La règle est pourtant simple, claire: une victime n'est pas coupable. Elle est victime. Elle peut être désagréable, vulgaire, idiote, naïve, méchante, on peut ne pas souhaiter prendre le thé avec elle et garder ses distances. Mais elle n'est pas coupable. Le coupable, c'est celui qui émet des menaces, et bien sûr, celui qui les met à exécution.


Et pour ajouter à la confusion — ou pour la conforter, pour mieux démontrer que plus aucune norme de base n'est respectée ou même connue — des policiers de confession musulmane sont mis à pied sans réelle raison. Depuis quand être musulman est-il un délit? On voudrait ghettoïser et susciter le ressentiment qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Nous avons besoin de policiers musulmans, nous avons besoin que le recrutement dans la police représente le profil de la société française.
Noam Anouar est la victime en creux de la même hystérie que Mila.

Etre musulman n'est pas un délit.
Détester les religions, trouver la religion musulmane complètement con n'est pas un délit.
Menacer de mort est un délit.