Je continue De l'inégalité parmi les sociétés. Pour les sociétés humaines, le bétail est un avantage, mais il est également porteur de maladies. Celles-ci ont d'autant plus de risque de muter pour franchir la barrière des espèces que les hommes vivent prochent de leurs animaux, boivent leur lait ou se servent de leur fèces comme engrais.

Je rappelle que la question posée est de comprendre pourquoi certaines populations ont pris l'avantage sur d'autres au cours des siècles. Les chapitres précédents ont étudié les cultures et le bétail domesticables selon les régions. Celui-ci aborde les épidémies. Le début de ce chapitre m'a bien fait rire.
Un cas clinique dont j'ai eu connaissance grâce à un ami médecin devait illustrer, de manière pour moi inoubliable, les liens entre le bétail et les cultures. Mon ami était encore novice lorsqu'il fuat appelé à traiter un couple qui souffrait d'un mal mystérieux. Que l'homme et la femme eussent des difficultés de communication entre eux, et avec mon ami, n'arrangeait pas les choses. Le mari, petit et timide, souffrait d'une pneumonie due à un microbe non identifié et n'avait qu'une connaissance limitée de l'anglais. Sa belle épouse faisait office de traductrice: inquiète de l'état de son mari, le milieu hospitalier l'effrayait. Mon ami était aussi épuisé par une longue semaine de travail et par ses efforts pour deviner quels facteurs de risque peu communs avaient pu produire cette étrange maladie. Sous l'effet du stress, il avait oublié toutes les règles de confidentialité: il commit l'affreuse gaffe de prier la femme de demander à son mari s'il n'avait pas eu de relations sexuelles susceptibles de causer cette infection.

Sous les yeux du docteur, le mari devint cramoisi, se recroquevilla au point de sembler encore plus petit, comme s'il avait voulu disparaître sous ses draps, et bredouilla quelques mots d'une voix à peine audible. Soudain, la femme hurla de rage et se dressa devant lui. Avant que le médecin ait pu l'arrêter, elle se saisit d'une grosse bouteille métalique, l'assena de toutes ses forces sur la tête de son mari et sortit en trombe de la chambre.

Le médecin mit un certain temps à ranimer le patient et plus longtemps encore à comprendre, à travers son anglais haché, ce qui avait provoqué la fureur de sa femme. La réponse se précisa peu à peu: il confessa avoir eu des relations sexuelles répétées avec des moutons lors d'une récente visite sur la ferme familiale; peut-être était-ce à cette occasion qu'il avait contracté ce mystérieux microbe.

À première vue, l'incident paraît étrange et dépourvu de signification générale plus large. En réalité, il illustre un immense et important sujet: celui des maladies humaines d'origine animale.

Jared Diamond, De l'inégalité parmi les sociétés, p.290, collection Folio.