Le 6 décembre, Dominique Moïsi nous avait fait un brillant exposé, et très drôle, sur l'avenir des Etats-Unis. Son propos était simple : l'Amérique traverse sa plus grave crise d'identité depuis son origine; et d'après lui, rien ne le refléte mieux que le film Dans la vallée d'Elah, et notamment sa dernière image, qui montre un père ayant perdu ses deux fils à cause de la guerre dans des circonstances bien différentes apprendre à un émigré comment on hisse les couleurs. Mais le drapeau est à l'envers.

Aujourd'hui coexistent deux Amériques, la bleue démocrate et la rouge républicaine, elles ont toutes les deux peur mais pas pour les mêmes raisons: les Républicains ont peur de l'autre tandis que les Démocrates ont peur d'eux-mêmes.
(Je simplifie et raccourcis à l'extrême: d'abord il est tard, ensuite je n'avais pas de papier pour prendre de notes, j'ai écrit en travers de mon agenda et je ne m'y retrouve plus.)

Washington est-elle en train de trahir Philadelphie (Philadelphie, autrement dit l'Amérique puritaine inspirée par les philosophes des Lumières)? On assiste en effet aujourd'hui à une catastrophe à un triple niveau:

  • régional : en Irak, l'option du retrait n'existe pas[1]. D'autre part le désordre grandit désormais en Iran.
  • international : le pouvoir de convaincre (soft law) a été affaibli par le pouvoir de contraindre (hard law). En conséquence, l'anti-américanisme a beaucoup augmenté ces dernières années.
  • interne : Guentanamo a exposé au grand jour le développement de la corruption et de la violence parmi l'armée et les dirigeants américains. L'Empire a mis la République en danger.

D'autre part, les deux présidents qui se sont succédés ont été mauvais:

  • Clinton a gaspillé deux mandats. Il ne s'est occupé que très tard du Moyen-Orient. Il a reconnu dans un interview: «j'aurais pu changer les règles du jeu». Les mandats de Clinton se sont déroulé à une époque où la Chine et l'Inde étaient encore en retrait.
  • Avec Bush, la politique a été/est déterminée à partir de faux principes. De 2000 à 2004, le premier mandat de Bush a mené droit dans le mur. Pendant ce temps, le monde accélérait: l'Europe stagnait, les contradictions au Moyen-Orient augmentaient, l'Asie progressait et l'Amérique régressait sur le plan éthique.

On assiste à la mise en place d'une multipolarité assymétrique: les Etats-Unis ne sont plus seuls sur la scène mondiale, mais ils sont seuls dans leur catégorie. L'Amérique est toujours la plus forte mais elle doit désormais tenir compte de la Chine, de la Russie et de l'Inde.
Comment se présente l'avenir? soit il ne s'agit que d'un cycle, un cycle spectaculaire, mais jamais qu'un cycle: l'Amérique saura se ressaisir; soit les contradictions sont trop profondes et l'Amérique va décliner, passant le flambeau à l'Asie.

Qui peut rétablir la confiance de l'Amérique en elle-même, et la confiance du monde en l'Amérique?
Un seul candidat peut réussir cela : Barak Obama. (Je rappelle que cette conférence avait lieu le 6 décembre. Pendant le reste de la séance, Moïsi nous parla avec chaleur d'Obama, avec le même enthousiasme que si nous avions été de futurs électeurs à convaincre. C'était drôle, touchant et très convaincant. Les phrases suivantes sont fidèles.)
Tout fait d'Obama un candidat exceptionnel, son nom, sa couleur, son histoire personnelle. Le vrai changement, c'est lui. Il incarne quelque chose de très rare, un universalisme noir (sic), ce qui explique d'ailleurs qu'il soit plus populaire parmi les blancs que les noirs. Il est presque aussi exceptionnel que Tigger Wood.

C'est pourquoi il faudra surveiller le caucus de l'Iowa le 3 janvier. Si Obama ne le gagne pas, il a perdu; mais s'il le gagne, tout devient possible.

Il faut bien voir que quel que soit le candidat élu, sa marge de manœuvre sera très faible: il pourra changer l'image de l'Amérique, mais pas réellement ses politiques. Obama représente un formidable changement symbolique même si le changement politique ne pourra qu'être minime.


Moïsi m'a convaincue, et j'ai été heureuse, pour lui, pour l'Amérique, pour le monde, qu'Obama remporte le caucus de l'Iowa.

Notes

[1] c'était également l'analyse de Maïli il y a quelques semaines.