Dans la lignée d'une discussion amorcée plus bas, je copie le premier paragraphe d'un article d'Anne Henry consacré à Proust paru dans Schopenhauer et la création littéraire en Europe.

Comparé aux autres vitalistes, Proust est certainement l'écrivain qui a donné du Monde comme volonté et comme représentation la traduction la plus fidèle, la plus équilibrée, la plus littérale, si l'on entend par là qu'il n'a jamais cherché à exploiter avec démesure telle de ses propositions. A la recherche du temps perdu ignore les tragédies sanglantes du théâtre expressionniste, les révélations abyssales d'un Conrad, l'atmosphère funèbre des Buddenbroock ou les pitreries des clochards beckettiens. Ce livre a dit pourtant, dans un autre registre qu'eux, la séparation des êtres, la férocité du rituel social, la discontinuité des sentiments, l'angoisse de l'identité, l'incapacité du langage. Ayant eu en partage la même existence bourgeoise et les mêmes préoccupations égotistes que le penseur, peu atteint comme lui par les événements extérieurs, curieux, se prêtant à la mondanité, ne s'y donnant jamais, doué pour la spéculation théorique mais lui préférant l'examen de la vie concrète, Proust avait tout pour entrer calmement dans un système qui préconise l'art comme compréhension du monde et se garde bien finalement de réformer celui-ci, la condamnation schopenhauérienne de l'existence allant de pair avec un désengagement absolu.

Anne Henry, "Proust du côté de Schopenhaueur" in Schopenhauer et la création littéraire en Europe, p.149

L'article étudie l'influence de Schopenhauer sur Proust dès ses articles de jeunesse tout en notant les points sur lesquels Proust s'éloigne du philosophe.