J'emporte le premier tome du journal de Du Bos avec l'intention de demander le prix d'une "reliure de travail": il part littéralement en lambeaux, j'ai la robe couverte de petits bouts de papier.

(Ma curiosité a été réactivée récemment par une remarque de Claude Mauriac dans La terrasse de Malagar, qui lisait ce journal en citant un autre auteur qui disait qu'il y a toujours dans Paris la nuit quelqu'un en train de lire le journal de Du Bos (souvenir très fautif. Je chercherai le passage exact). Où ai-je relu, là aussi récemment, que Du Bos citait parfois longuement le livre qu'il devait critiquer en lieu et place de l'article qu'il devait écrire, entraîné par son amour des pages qui se défendaient si bien elles-mêmes? Je comprends si bien cette pulsion.)

Je le feuillette dans le RER, ou plutôt j'en lis la première page, car il est impossible de feuilleter un livre dans cet état. Maria Chapdelaine. Du Bos: «…si pour les esprits comme le mien auxquels une certaine naïveté naturelle fait défaut, ce ne sont pas les livres les plus simples qui donnent naissance et presque exclusivement aux préoccupations les plus techniques.»

Maria Chapdelaine lu au collège. Douze ou treize ans. Je me souviens de l'attente, de l'amour pudique, de l'ennui, du vide, de la tempête de neige, de l'angoisse, du chapelet récité, et m'être dit «ça ne marchera pas», parce que ça n'avait pas marché lorsque j'avais essayé pour ma chienne malade.

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Complément le 17 juillet 2014

Très fautif le souvenir :

Vers ces années-là, 1928-1929, mon père aimait raconter que le fils d'un de ses amis — Jean-Pierre Giraoudoux? François Valéry? — disait qu'il lui arrivait, au milieu de la nuit, d'aller chercher un volume de Du Bos pour en savourer quelques pages et pouvoir se dire: «…Dans le monde entier, je suis le seul qui lit, en ce moment, du Du Bos…»

Claude Mauriac, La Terrasse de Malagar, p.210-211