En reprenant mes notes pour ce billet, je m'aperçois que le passage en italique au milieu de ce billet apportait des précisions (ou s'excusait de manque de) données en réalité le lendemain, dans cette communication de Gilbert Dahan.


Chaque salle a son président de séance, chargé avant tout de faire respecter les horaires (et ils le seront de façon remarquable, permettant aux auditeurs de circuler entre les différentes conférences sans en manquer le début ou la fin) et de présenter les intervenants. Notre président du matin a commencé par ces mots : «J'ai le plaisir, l'honneur et la charge...», belle formule que je me suis promis de réutiliser. Il nous informe de l'implacabilité des horaires, de la pause café («car nous savons que dans les colloques, elles sont aussi importantes que les communications»), d'un apéritif offert par l'éditeur Ashendorf à midi et quart dans la salle transformée en librairie («bien entendu, il est interdit d'y aller avant»). Il précise que chacun posera ses questions dans sa propre langue, à charge pour l'intervenant de se débrouiller pour comprendre et répondre.

Il nous présente Gilbert Dahan.
L'objet de sa communication sera de mettre en évidence l'exigence permanente d'exégèse parmi les commentateurs chrétiens du Moyen-Âge, qui n'ont jamais considéré les exégèse des Pères comme définitives (ceci aurait davantage été l'attitude des juifs).
(Je résume en début de transcription, car il manque beaucoup de transitions dans mes notes.)


Au haut Moyen-Âge, la Bible avait une importance considérable puisqu'elle imprégnait toutes les activités de la société. L'attitude des commentateurs de cette époque à l'égard de l'exégèse patristique restait très libre, ils réalisaient une alliance de la tradition et du progrès.
Le progrès était considéré comme une nécessité, comme un devoir. Je rappelle ce texte d'Henri de Gand dont j'ai déjà parlé ailleurs : la fidélité au Christ et aux apôtres exigeait une exégèse perpétuelle.
D'après Nicolas de Lyre († 1340), les textes de Jérôme, Augustin et autres docteurs de l'Eglise avaient à l'époque plus d'importance pour les Juifs que pour les chrétiens.
Rachi, qui a fondé une célèbre rabbinique à Troyes, meurt en 1105. Son commentaire du Talmuld était plus autoritatif pour les juifs que ne l'était la glossa ordinaria chez les chrétiens.
La Bible du XIIIe siècle est figée par le concile de Trente qui établit la liste des textes deutérocanoniques. Dès lors le canon biblique est figé. Quel rôle ont joué les pères de l'Eglise dans l'établissement de ce canon?

On se souvient de la controverse entre Jérôme et Augustin. Jérôme écrit un prologue à sa traduction du livre des Rois, dit "prologue casqué", casqué pour se prémunir des attaques.
Ce prologue établit une liste de textes. Doit-on retenir cette liste comme canon? Quels textes met-on dans le canon?
On trouve chez Junius , disciple de Théodore de Mopsueste, un écho de la controverse dans l'établissement d'un canon chez les Juifs.
Les Orientaux s'interrogent sur la canonicité de l'Apocalypse.
(J'ai juste noté des noms, Isidore de Séville, Hugues de Cher, Joachim de Flore).
Il y a des hésitations sur les livres de Salomon, sont-ils trois ou cinq? Au XIIe et XIIIe siècle, la liste est pratiquement arrêté, à quelques variation près.

Comment les commentateurs confrontent-ils ces listes au prologue casqué? En fait, ils le mentionnent mais ne discutent pas des écarts.

Qu'est-ce qu'un apocryphe? C'est un texte dont on ne connaît pas l'auteur ou dont on ne connaît ni l'auteur ni la doctrine, par exemple la jeunesse de Jésus ou l'Ascencion de la Vierge.
L'authenticité des épîtres aux Hébreux a ainsi été beaucoup débattu: étaient-elles de Paul ou pas? Ce fut souvent discuté au début du millénaire, mais plus tellement au XIIe et XIIIe et on conclut à l'authenticité de ces épîtres (ce qui n'est plus le cas aujourd'hui).

modestie d'Augustin.

Henri de Gand disait à propos des Ecritures: nous sommes loin d'avoir tout compris et tout expliqué. Le corpus de commentaires est donc infini, à condition d'agir avec méthode. Cependant il y a une hiérarchie entre les Pères:
Cyprien, Cyrille, Ambroise de Milan, Grégoire de Naziance,...
Origène, Eusèbe,...

Peut-on parler d'une exégèse normative au XIIe et XIIIe siècle? (question anachronique, car il s'agit d'une préoccupation moderne).
Vatican II rejoint le concile de Trente.
(petulentia: les esprits débordant de vitalité.)
Le nombre de versets dont le sens a été arrêté par des conciles (= exégèse normatif) ne dépasse pas une vingtaine.

L'exégèse retenue devait avoir recueillie "l'approbation unanime des Pères" : que se passait-il quand ce n'était pas le cas?

Par exemple : - Jean 3,5 : "Jésus répondit: «En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu."
Le concile de Trente a arrêté que l'eau, dans ce verset, n'était pas symbolique, mais à prendre au sens propre.
- Romains 5,12: "Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché;—"
Le concile de Trente en a déduit que le péché originel touchait tous les hommes (et non Adam seul).

La plupart du temps, il était difficile d'arrêter un sens unique, ne serait-ce qu'à cause des glissements de traduction. Hugues de St Cher et Thomas d'Acquin, par exemple, ont réfléchi aux problèmes des jeunes enfants morts avant d'avoir péché: étaient-ils eux aussi touchés par le péché originel? (réponse: oui).
Les traductions comportaient des fautes évidentes, on connaît les maux des traductions: ommission, xxx, corruption.
Le principe retenu était diversi sed non adversi: ils divergent mais ne s'opposent pas.

La démarche d'Abélard dans le prologue du Sic et non est d'éliminer toutes les raisons fausses de contradiction entre des interprétations. Concernant les raisons vraies, c'est au lecteur de prendre ses responsabilités et de choisir l'interprétation qui lui semble juste.

Ambroise, Bonaventure, Raoul de Fley.
Robert de Melun, élève d'Abélard, revient sur la controverse concernant le verset de l'épître aux Galates où Paul reproche à Pierre d'avoir respecté les interdits alimentaires juifs. Jérôme et Augustin en donnent des interprétations contradictoires. Robert de Melun fait remarquer qu'il est inutile de vouloir les concilier puisqu'ils admettent eux-mêmes ne pas être d'accord.

En conclusion, on peut dire que les exégèses patristiques étaient acceptées en tant que materialiter (solides), mais pas formaliter (pas fermes et définitives). L'exégèse du XIIe et XIIIe siècle n'est pas dogmatiques. Les Pères font partie du corpus autoritatif mais il n'y a pas de liste fermée des interprétations reconnues.
Il est souvent oublié que l'exégèse est une démarche sacrée. Ainsi les textes s'ajoutent aux textes. L'exégèse est l'exercice d'une liberté dans le cadre d'une tradition.

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questions de l'auditoire

Q1: Où s'arrête l'autorité des Pères, à la lettre, où va-t-elle jusqu'à l'esprit de l'Ecriture?
R de Dahan: La question reste floue jusqu'au XIIIe siècle.
Au XIIIe siècle, on assiste à la naissance de la théologie comme science, avec un vocabulaire spécifique. On semble alors considérer qu'il ne peut y avoir une discussion que sur la lettre.
Les Pères ne sont autoritatifs que sur la lettre.

Q2: et chez les juifs?
R: il y aurait une réception plus autoritaire par ou chez les juifs.
(J'espère ne pas dire de bêtises. Quand on répond ainsi à des questions imprévues on dit en général vingt pour cent de bêtises).
En particulier, Rachi est la référence.
Les textes deutérocanoniques (terme plutôt protestant) sont absolument rejetés par les juifs. Ils sont appelés sépharid trepsonim [1], les livres extérieurs.

remarque (dans l'auditoire): à Byzance, le problème était de faire reconnaître les pères latins.
R de Dahan. Oui: comment reconnaître les Pères latins en restant orthodoxes?
Cela posait moins de problèmes aux pères latins de reconnaître les grecs que l'inverse.


Notes

[1] phonétique!