29 décembre 2008

Cette correspondance est une sorte de miracle: qu'on ait retrouvé tant de lettres, qu'on les ait réunies, qu'elles soient si soigneusement annotées par Alphonse Jacobs que chaque événement prenne sens.
C'est superbe d'élan et de tendresse, cela provoque le regret intense qu'on écrive plus ainsi, franchement, intensément, en vidant son cœur sans coquetterie, sans s'excuser et sans timidité.
Ce qui se dit est d'une certaine façon toujours la même chose: la santé, la nature, les saisons, la famille, les pièces en train de s'écrire ou de se monter pour Sand, le travail, les recherches, les indignations et les colères pour Flaubert qui réclame de la Justice dans l'art, qui affirme que la cause de la Justice a perdu contre la doctrine de la Grâce, et que c'est ce qui pourrit la société française.
Et puis les morts, les morts.


A la dixième lettre échangée, Sand écrit déjà à Flaubert:

Apportez l'exemplaire [de Monsieur Sylvestre, de Sand]. Mettez-y toutes les critiques qui vous viennent. Ça me sera très bon, on devrait faire cela les uns pour les autres, comme nous faisions Balzac et moi. Ça ne fait pas qu'on se change l'un l'autre, au contraire, car en général on s'obstine davantage dans son moi. Mais en s'obstinant dans son moi, on le complète, on l'explique mieux, on le développe tout à fait, et c'est pour cela que l'amitié est bonne, même en littérature, où la première condition d'une valeur quelconque est d'être soi.

Sand à Flaubert, Correspondance p.64, édition Flammarion (1981)

On apprend des détails sur Sainte-Beuve, on découvre l'esprit voltairien de Flaubert, l'énergie de Sand et sa fatigue dès que sa santé flanche, on se dit qu'il faudrait lire le journal des Goncourt — sacrées langues de vipère.

5 janvier 2009

- Flaubert redoutable lecteur. J'en viens à le soupçonner de n'écrire que pour pouvoir lire. Nourri de classiques : «Voilà ce que c'est de ne pas avoir lu les classiques dans sa jeunesse! S'il [Alexandre Dumas fils] avait lu les maîtres avant d'avoir du poil au menton, il ne prendrait pas Dupanloup pour un homme fort...» (p.440)
- guerre de 1870 : rupture d'équilibre. assombrissement sans retour de Flaubert. Sand âgée.

F: la colère. la Justice. la Science. contre le suffrage universel, aussi bête mais moins odieux cependant que la monarchie. écrire pour quelques-uns, une poignée.
Instruire d'abord la classe éclairée, le reste suivra. Opinion curieusement camusienne: «Ce qu'il nous faut avant tout, c'est une aristocratie naturelle, c'est-à-dire légitime. On ne peut rien faire sans tête. [...] La masse, le nombre, est toujours idiot. [...] Tout le rêve de la démocratie est d'élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. Le rêve est en partie accompli! Il lit les mêmes journaux et a les mêmes passions.» (351)

S: la patience. la justice inséparable de l'amour. républicaine sans illusion sur les hommes. écrire pour les ignorants, pour ceux qui ne savent rien.

F: Donner son opinion sur ses personnages serait une faute de goût.

Sand explique d'un mot ce que je ressens à la lecture de Flaubert: désolation. («Toi à coup sûr, tu vas faire de la désolation et moi de la consolation.» p.511)
C'est aussi ce que je ressens désormais avec Proust. Après leur passage il ne reste plus rien, que des ruines.

7 janvier 2009

Le travail d'Alphonse Jacobs m'ayant rempli d'admiration par sa précision et son humilité, je songeais à lui écrire quelques mots: le nouvel an, c'est pratique, ça permet d'être indiscret.
Il est mort.
«En juillet 1985, quelques mois avant de disparaître, Alphonse Jacobs écrivit à Bruneau: "Ne me plains pas, hein. Je ne le fais pas moi-même. Je crois que ma vie a eu une certaine utilité. J'ai fait au moins une chose qui, je crois, restera."» (cité par Julian Barnes au moment de la mort de Jean Bruneau).