Véhesse

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samedi 28 février 2004

Un classique contemporain

C'est partout cette absence au monde, ce regard venant de loin et se dirigeant ailleurs, qui scellent l'écriture camusienne. Là où Robbe-Grillet lance ses fantasmes dans le réel et projette une écriture fantastique à l'assaut de la platitude du monde, Renaud traverse bruits et fureur en quête de silence. L'un est un auteur au fond baroque, l'autre serait un classique contemporain; le projet de Camus est moderniste, Robbe-Grillet a évolué vers le postmoderne. La portée autobiographique de leurs œuvres respectives témoigne de cette divergence : dans Les Romanesques (et dans certaines pages de La Reprise) la vie de l'auteur se façonne rétrospectivement selon les lignes de la création artistique: Alain est un prédestiné; dans le Journal (et dans maintes autres pages) la vie de Renaud Camus paraît se jouer au fil de la plume : l'écrivain est un ange perdu à la recherche de la lumière. C'est aussi pourquoi les textes de Camus, s'ils sont souvent moins achevés, toujours dans un état provisoire, connaissent tout au long de mornes plaines mélancoliques des échappées sublimes vers les hauteurs. J'en prends comme exemple dans le Journal de 1997, Derniers jours, le compte-rendu lyrique des manifestations artistiques de l'été à Plieux et à Lectoure. […] «Celan et Boltanski, sous l'instance de Jérémie, peuvent parfaitement être rapprochés —par dessus beaucoup de campagne et de nuit, tout de même— parce qu'on ne fait alors que rapprocher deux silences, deux refus d'expression, deux défaillances de la parole» (p.273). L'envol de la prose de Renaud Camus dans les pages qui relatent cette expérience (qui constituent indubitablement le sommet de ce volume du journal) marquent assez qu'il appartient à cette même famille d'artistes.

Sjef Houppermans, Renaud Camus érographe, p.121

jeudi 26 février 2004

La franchise

Transcription à la volée du cours sur le neutre de Roland Barthes au Collège de France.
séance du 25/02/1978 vers la 31ième minute
En France, l’une des premières vertus de cette morale laïque, c’est la franchise. C’est évidemment en relation avec ce que je viens de dire et la religion, ne pas oublier que, par exemple, l’institution du boyscoutt est d’origine protestante; il y a une communication des valeurs morales, il y a tout un complexe de valeurs morales à la fois religieuses et laïques, et dans ce complexe, la franchise est une valeur de premier plan. Et bien, combien de fois dans notre vie nous avons affaire, souvent pour notre malheur, à des gens francs, c’est-à-dire des gens francs, c’est-à-dire (en réalité personnellement cela ne nous intéresse pas de savoir s’ils sont vraiment francs ou non, si vraiment il y a un inconscient cela n’a n’a aucune espèce de sens de se demander si on est franc ou non) des gens francs, ça veut dire des gens qui se vantent de l’être. En général, quand on vous dit «je vais être franc», cela annonce toujours une petite agression (rires étouffés dans la salle) et on se dédouane d’être indélicat, c’est-à-dire sans délicatesse, en annonçant qu’on va être franc. Mais je dirais, un peu méchamment, ce qu’il y a de pire avec la franchise, c’est qu’elle en général une porte ouverte, grande ouverte, sur la bêtise. Car le fait d’être franc ne… n’empêche pas qu’on soit bête, malheureusement. «Je serais franc» introduit toujours, me semble-t-il, me fait toujours passer le frisson de la peur, d’une proposition bête.(…)

samedi 21 février 2004

Cratyle en Chine

En Europe, si on demande à quelqu'un de définir quelque chose, sa définition s'éloigne toujours des choses simples qu'il connaît parfaitement, elle se renfonce dans un région inconnue, une région d'abstraction de plus en plus éloignée.
Ainsi, si vous lui demandez ce qu'est le rouge, il répond que c'est une «couleur».
Si vous lui demandez ce qu'est une couleur, il vous répond que c'est une vibration ou une réfraction de la lumière, ou une division du spectre.
Et si vous lui demandez ce qu'est une vibration, il répond que c'est une sorte d'énergie, ou bien quelque chose de ce genre-là, jusqu'à ce que vous en arriviez à un mode d'être, ou de non-être. En tout cas, vous perdez pied, ou bien c'est lui qui perd pied.
[…]
[Le Chinois] veut définir le rouge. Comment peut-il le faire dans un dessin qui n'est pas peint en rouge?
Il réunit (ou son ancêtre réunissait) les dessins abrégés des choses suivantes: une rose, de la rouille, une cerise, un flamand rose.
[…]
Le «mot» ou idéogramme chinois pour rouge est basé sur quelque chose que tout le monde connaît.
[…]
Fenollosa expliquait comment et pourquoi un langage écrit de cette manière NE POUVAIT QUE RESTER POETIQUE; simplement il ne pouvait pas ne pas être ni rester poétique puisqu'aussi bien une colonne de caractères écrits anglais pouvait ne pas rester poétique.

Ezra Pound, a.b.c. de la lecture, chapitre 1

vendredi 13 février 2004

La para-littérature

«ce qu'on a payé pour qu'elle nous fasse entendre» (Aguets) : c'est en quoi j'ai de la tendresse pour la "para-littérature", les romans policiers, les livres pour enfants, les bandes dessinées, les journaux écrits par des people: ces livres sont honnêtes, ils ne trichent pas, ils nous donnent ce pour quoi on a payé.

Tandis que je n'ai pas de mots assez durs pour la "mauvaise littérature", celle qui se dit littérature, qui se vend pour de la littérature, bien pire, qui se croit sincèrement littérature. Et qui ne nous donne pas ce pour quoi on a payé, c'est-à-dire, si l'on suit ici le raisonnement jusqu'au bout, qu'elle nous donne exactement ce qu'on attendait —et redoutait qu'elle nous donnât: du convenu, de l'apprêté, de l'effet. «Vous avez vu comme je suis littéraire, comme j'écris beau?» Cette littérature-là est nombriliste, elle ne s'oublie jamais, sa conscience de soi l'étouffe.

vendredi 6 février 2004

Pas de discrimination positive à l'Académie française

Paul me disait s'être renseigné sur les chances de ma candidature à l'Académie. Comme il était prévisible, elles sont infimes, pour ne pas dire inexistantes. Il y aura beaucoup de candidats au siège de Julien Green, dont la vacance sera proclamée le 14 avril —parmi eux Franz-Olivier Giesbert, donc, et surtout René de Obaldia. Et jamais les académiciens ne voudront donner l'impression qu'ils remplacent «un homme qui aimait les hommes», selon la pudique expression de P.O.L, par un autre, comme si ce groupe humain disposait d'une sorte de droit à être représenté en de certaines proportions sous la Coupole, et comme s'il existait au sein de la Compagnie un parti des hommes à hommes, comme jadis un parti des ducs...

Je dois dire que je n'avais pas pensé à cela. Le lien entre Green et moi, dans mon esprit, c'était celui d'un prolixe auteur de journal à un autre, voilà tout.

Renaud Camus, Retour à Canossa, p.119

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