Véhesse

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mardi 24 juillet 2012

Une âme en paix

— La seule chose innée chez l'homme, disait-il à ses élèves, en pinçant sa barbiche érudite, c'est l'amour de soi. Et le bonheur est le but de la vie de tout homme! Et quels sont les éléments du bonheur? (Les yeux du philosophe étincelaient.) Deux, messieurs, et deux seulement: une âme en paix et un corps sain. Pour ce qui est de la santé du corps, n'importe quel médecin vous conseillera utilement. Mais pour la paix de l'âme, je vous dirai: mes enfants, ne faites pas le mal, et vous n'aurez ni repentir ni regret, qui sont les deux seules choses qui rendent les gens malheureux.

Mikhaïl Boulgakov, Le roman de monsieur de Molière, p.46 (Folio, dépôt 1993)

samedi 21 juillet 2012

Une journée bien remplie

Journal de Goethe. Une personne qui ne tient pas de journal est dans une position fausse à l'égard du journal d'un autre. S'il lit, dans le Journal de Goethe, par exemple: «II.I.1787. — Passé toutes la journée chez moi à prendre diverses dispositions», il lui semble qu'il ne lui est encore jamais arrivé de faire aussi peu de choses en une journée.

Franz Kafka, Journal, p.57, Poche biblio imprimé en 1982 (copyright 1954).


Je n'ay rien fait d'aujourd'huy. — Quoy? avez vous pas vescu? C'est non seulement la fondamentale mais la plus illustre de vos occupations.

Montaigne, Essais, III, 13, Paris, Gallimard, Pléiade, 1962, p.1088, cité par Pierre Hadot en exergue de Qu'est-ce que la philosophie antique?

mercredi 18 juillet 2012

Parler un peu de soi

G.Prokhorov attire notre attention sur l'aspect «autobiographique» de cette Vie du saint métropolite Pierre: en effet, on peut y voir un reflet de la vie de Cyprien et de ses ennuis. D. Obolensky a relevé également les mêmes ressemblances. «Les carrières des deux prélats, dit-il, on en effet un nombre surprenant de similitudes: tous deux eurent des liens étroits avec la Russie occidentale, eurent un rival qui tenta de les remplacer de façon frauduleuse, furent noircis par leurs ennemis russes devant les autorités de Constantinople, surmontèrent finalement ces obstacles et furent intronisés comme métropolites à Moscou.» L'élément autobiographique dans la Vie du saint métropolite Pierre n'est pas surprenant pour l'époque, car, comme l'a remarqué Mgr Louis Petit, «à Byzance, un hagiographe qui se respecte ne manque jamais de parler un peu de lui1».

Job Getcha, La réforme liturgique du métropolite Cyprien de Kiev, p.38, édition du Cerf, 2010, Paris
1 : L. Petit, Vie et office de Michel Maléinos, suivis du Traité ascétique de Basile le Maléinote, éd. L. Clugnet, Bibliothèque hagiographique orientale, IV, Paris, 1903, p.3. Mentionné dans D. Obolensky, «A philorhomaios anthropos: Metropolitan Cyprian of Kiev and all Russia (1375-1406)», p.92.

lundi 16 juillet 2012

La bureaucratie française vue par Limonov

Emprunté Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo à la bibliothèque du CE parce qu'il était en présentoir, que le titre me faisait rire et que les éditions Le Dilettante m'inspirent confiance.
Non, je n'ai pas lu le ''Limonov'' pour un certain nombre de très mauvaises raisons, dont la pire est sans doute que j'ai trouvé le style de ''Ce qu'aimer veut dire'' détestable, et que je tends à assimiler Lindon et Carrère (tous deux "fils de…" publiés par P.O.L, etc).

Cinq récits repris en 2011 mais déjà publiés entre 1986 et 1991 (Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo est le dernier du recueil). C'est intéressant par la causticité et l'anecdote, mais je crois que je vais en rester là. J'ai pensé à Houellebecq par moments: Limonov aurait pu être un personnage de Houellebecq, (mais un personnage de vainqueur, pas un loser), avec son obsession pour le sexe et ce genre de commentaire:
Ben était transparent: c'était l'histoire américaine la plus banale, il avait complètement raté sa vie, s'était vendu pour du confort, des sculptures africaines, la possiblilité de passer ses soirées dans un café de Saint Mark's Place, déconner sur la littérature, juger et critiquer les livres des autres. En échange de quoi, il avait donné à sa maison d'édition des années de sa vie, son talent, si jamais il en avait eu. Il était devenu un esclave, un rond-de-cuir. Il me l'avait confié au cours de la soirée: maintenant qu'il avait son studio, il pouvait enfin se mettre à son livre. Je ne lui avais pas rétorqué que c'était peut-être trop tard. Il n'était rien, il n'avait plus qu'à rentrer chez lui et se flinguer. Je n'avais pas pitié de lui. Je me levai.

Edward Limonov, Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo, p.101, Le Dilettante (2011)
Le plus ironique pour un Français est le dernier récit, qui raconte les tribulations du héros pour obtenir une carte de séjour de dix ans dans la France des années 80. Nous avons droit à une critique féroce de l'état du parc immobilier parisien:
De quelle révolution informatique vous causez quand le chauffage, véritable brontosaure, qui réchauffe mon gourbi rose, pompe l'électrécité comme c'est pas parmis, et fonctionne selon un système complètement archaïque. Ah! mais le système social, ah, la technique… En Union soviétique, où même les entrées d'immeubles sont chaufffées par d'énormes radiateurs, branchés sur le chauffage central, on rigolerait à en tomber à la renverse si l'on voyait la technique courante d'un pays qui a accompli la révolution informatique. Au pays du goulag, oui, oui, on rigolerait bien. […] J'ai changé cinq fois d'appartement à Paris, et aucun n'était bon marché, mais le niveau de confort était comparable à ce qu'on trouve en Italie du Sud. Aux USA, même l'hôtel le plus paumé pour chômeurs noirs a quand même le chauffage central… Dans le premiser appartement où j'ai habité à Paris, rue des Archives, le vécé électrique broyait bruyamment la merde dans l'étroit tuyau de plastique vers la large canalisation. La révolution informatique, putain, parlez-en à mon voisin, Édouard Maturin, sa femme et son gosse vont aux toilettes sur le palier, des chiottes à la turque, inconnues chez nous. Et en plus, il y a encore deux bébés qui dorment dans l'unique pièce où vit la famille, et qui est trois fois plus petite que mon appartement. Cinq dans une petite cage comme ça! La révolution informatique, putain, à cinq minutes à pied de la place des Vosges. Mais bon, quoi, on a construit une pyramide en verre et puis un opéra joujou, on a englouti des millions dans la Cité de la science de la Villette, et maintenant on s'apprête à construire, Dieu sait pourquoi, une Très Grande Bibliothèque. Et le maire de cette ville, où on manque de chiottes, est teriblement occupé par la course à la présidence. Il ferait mieux de construire des chiottes! Putain, il faut avoir du culot pour parler de progrès. (p.152-153)
Limonov fait jouer ses connaissances, essaie d'obtenir des soutiens politiques, écrit une apologie de la corruption («Alors qu'en fait la corruption est l'unique moyen pour lutter contre le côté inhumain de la loi.» p.170) qui m'a fait penser à Evguenia Guinzbourg remarquant que la vie était plus supportable dans les prisons mal tenues, où le règlement n'était pas appliqué avec rigueur. Nous avons droit à la description d'une mairie, d'un bureau au Palais royal, d'autres bâtiments de l'administration, à la façon dont celle-ci sait promettre et vous faire perdre beaucoup de temps, remplir beaucoup de papiers, avant d'avouer qu'elle ne peut rien pour vous.
A la fin tout se dénoue, non grâce à l'appui de Mme Deferre, femme de ministre, mais grâce à la maîtresse d'un ami travaillant à la préfecture:
Dans le bureau, derrière des tables, se renaient une dizaine de nanas de la préfecture, et en face d'elles des Iraniens et des Polonais, un peu moins que dans le couloir. Après m'avoir fait asseoir, Chantal a disparu. Elle est revenue au bout de quelques minutes.
— Non, ce n'est pas possible. La procédure fait qu'on ne peut pas donner une carte de séjour pour dix ans tout de suite après le récépissé. Il faut d'abord recevoir une carte d'un an, puis on peut la prolonger encore d'un an…
— Mais Mme Deferre! m'écriai-je, désemparé. Ça veut dire que l'intervention de la femme du ministre ne vaut rien. Et pourtant c'est pas le ministre de l'Industrie chimique, mais c'est Deferre qui justement commande toute cette machine…
— C'est le décalage entre le pouvoir politique et le pouvoir exécutif… constata Chantal. Et elle se mit à feuilleter le dossier préparé par la dame qui ressemblait à ma mère. Ah! mais tu as apporté le certificat du percepteur… Magnifique! Écoute, j'aurais pu te donner une carte de séjour d'un an, sans ministres ou sans femmes de ministre, puisque tu as une attestation de ressources financières…
Elle a continué à marmonner quelque chose, mais je ne l'écoutais déjà plus, plongé dans les pensées les plus sombres sur le fonctionnement de la démocratie.
Au bout d'un quart d'heure, on m'a fait une carte de séjour sur laquelle Chantal a personnellement inscrit la profession «écrivain». Le Journal d'un raté, le bouquin que je lui avais fait parvenir par le Rouquin, lui avait plu.
[…]
J'ai remercié mon rédacteur et sa femme, Mme Acôté, pour leur aide. Je ne leur ai pas dit cependant que toutes leurs manœuvres en coulisse et les miennes n'avaient servi à rien, au sens propre du terme; que le château de la démocratie s'élève, tel un roc imprenable, incorruptible, et que même la femme du ministre ne peut pas attendrir le cœur de pierre de Mme Abracadabra et autres chevaliers de la démocratie. Je ne leur ai pas dit non plus qu'une grosse fille bretonne avec des crevettes aux oreilles, un chemisier blanc et des grosses jambes sous sa jupe noire, avait au moins autant, sinon plus de pouvoir sur le destin d'un étranger que le ministre de l'Intérieur ou sa femme. J'avais pas envie d'importuner m'sieur et madame Acôté avec mes connaissances fraîchement acquises, de les décevoir. Il avaient quand même sincèrement essayé de m'aider… (p.189)
Il est classique dès qu'on évoque administration inextricable de penser à Kafka. Mais russité oblige, j'ai plutôt pensé à Ecrits à la va-vite, de Boulgakov, racontant sa vie dans les années 20 à Moscou:
— Vous n'avez pas dû remplir le formulaire?
—Moi? J'en ai rempli quatre, de vos formulaires. Et je vous les ai remis en mains propres. Avec tous ceux que j'ai remplis avant, ça fait 113.
— Il a dû se perdre. Remplissez-en un autre.
Et comme ça pendant trois jours. Au bout de trois jours, tout le monde s'est vu restituer ses droits. On a écrit de nouvelles ordonnances de paiement.
Je suis contre la peine de mort. Mais si on fusille madame Kritskaïa, je serai aux premières loges. Pareil pour la demoiselle en toque de loutre. Et Lidotchka, l'expéditionnaire adjointe.
…Dehors! Du balai!…
Madame Kriskaïa est restée là, les ordonnances à la main, et je déclare solennellement qu'elle ne les portera nulle part. Je n'arrive pas à comprendre comment ce toupet diabolique a échoué ici. Qui a pu lui confier ce travail! C'est la Fatalité, on peut le dire!
Une semaine a passé. Je suis allée au quatrième étage, escalier 4. On m'a apposé un cachet. Il en faut encore un autre, mais voilà deux jours que je cours en vain après le directeur de la commission des prix et tarifs.
J'ai vendu mon drap.

On ne touchera pas d'argent avant quinze jours.

Le bruit court que tout le monde touchera un acompte de cinq cents roubles.

Le bruit s'est avéré. Tout le monde s'est mis à remplir son ordonnance de paiement. Pendant quatre jours.

Je suis allé porter les ordonnances. J'ai tout. Tous les cachets. Mais en montant du premier au quatrième, j'en suis arrivé à tordre, dans ma rage, un clou qui dépassait du mur, dans un couloir.
J'ai déposé les ordonnances. On va les expédier dans un autre bâtiment, à l'autre bout de Moscou… Là elles seront visées. Réexpédiées. Et alors les sous…

Aujourd'hui j'ai touché mon argent. Mon argent!
Dix minutes avant de passer à la caisse, la femme du rez-de-chaussée qui devait apposer le dernier cachet m'a dit:
— Il y a une erreur. Je dois différer le paiement.
Je ne me souviens plus exactement de ce qui s'est passé. Comme un brouillard.
Je crois que j'ai crié douloureusement quelque chose. Du genre: Vous vous fichez de moi?
La femme est restée bouche bée.
— Aaah, c'est comme ça…
Alors je me suis calmé. Je me suis calmé. J'ai dit que j'étais énervé. Je me suis excusé. J'ai retiré ce que j'avais dit. Elle a accepté de corriger l'erreur à l'encre rouge. Elle a griffonné: à payer. Paraphe.
La caisse. Quel mot magique: la caisse. Je n'y croyait toujours pas quand le caissier m'a remis mes billets.
Et puis je me suis repris: mes sous!

Du moment de la rédaction des ordonnances au moment du paiement, il s'est écoulé vingt-deux jours et trois heures.
Chez moi, plus rien. Ni veste. Ni draps. Ni livres.

Mikhaïl Boulgakov, "Ecrits à la va-vite" in Cœur de chien, p.49 à 51, éd Radouga, 1990.

jeudi 12 juillet 2012

People

D'ailleurs Renaud et Romane, tout en reconnaissant avoir traversé comme tous les couples des moments difficiles, démentent absolument les rumeurs de séparation.

J.-R.G. du Parc & Denise Camus, Travers Coda, Index et Divers, p.92



(Comme souvent, la page indiquée dans l'index pour Travers Coda est fausse: apparemment, il s'est produit un décalage de deux pages à un moment donné de la fabrication du livre.)

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