Une lecture au sens propre : un commentaire, sur un ton enjoué :

J’ai donc versé mes trois euros à la défense d’une cause, j’allais dire «comme tout le monde», ou pour qu’il ne soit pas dit que je passe à côté d’un «phénomène» rappelé par tous les médias. J’ai acheté le petit livre et, pas plus qu’à l’époque de Matin brun, je ne me suis guère interrogé sur les conditions exactes, concrètes, de l’apparition de ces fascicules. C’est comme ça. Des petites maisons d’édition jusqu’ici inconnues du grand public, aux tirages confidentiels, propulsent en un clin d’œil un de leurs livres à la meilleure place, à côté de la caisse, et parviennent à subvenir à la demande par centaines de milliers d’exemplaires sans la moindre rupture de stocks (la librairie d’une grande ville confie ainsi vendre 300 à 400 exemplaires par jour d’ Indignez-vous!). C’est comme ça, un point c’est tout. Il ne faudrait pas jouer les trouble-fête en rappelant les conditions matérielles, l’organisation et le très solide background indispensables à l’éclosion du «phénomène».

En attendant, j’avais de quoi meubler l’heure de bus qui m’attendait pour rentrer chez moi.

À vrai dire, c’était faire preuve d’un certain optimisme : la lecture d' Indignez-vous! ne permet pas de faire passer une heure de transport en commun. Tout au plus une demi-heure, en tenant compte d’un environnement assez peu favorable à la lecture. Et puis, j’étais fatigué par ma journée passée à courir d’un bureau à l’autre. Le livret refermé, je me suis laissé envahir par une somnolence pleine d’images vagues et de pensées décousues, sur fond de messages publicitaires et de chansons de variétés que diffusait dans le bus une station de radio. Sur fond d’autre chose, aussi, qui m’est revenu plus tard.

En retrouvant le calme de mon deux-pièces suburbain, j’ai d’ailleurs mis sur le compte de ce petit voyage routinier et pénible le peu qui me restait de ma lecture. Si quelqu’un, juste à ce moment, m’avait demandé ce que contenait de spécial Indignez-vous!, qu’est-ce que j’aurais répondu, au juste? «De spécial», je n’avais rien retenu. Étrange sensation de déjà-lu, quelque part, ici ou là, un peu partout : le déclin des acquis sociaux, le triomphe des riches, de la société de consommation, la persécution des «sans-papiers», la défense des Palestiniens. Envie de soupirer: «Ah bon? c’était ça?» Il me restait le sentiment d’un livre à la fois très court et pourtant avec des longueurs, une composition assez confuse, qui passait de l’actualité française la plus récente à la politique internationale, mélangeait les anecdotes personnelles et les considérations abstraites. J’avais l’impression d’avoir lu en diagonale. Je ressentais par-dessus tout un très grand décalage entre ce que promettait le titre et ce que j’avais trouvé à l’intérieur, un peu comme avec une publicité mensongère. À cela, il ne pouvait y avoir qu’une explication: j’avais lu dans de mauvaises conditions. Il fallait recommencer.

J’ai pris une douche, j’ai mangé un bout et rouvert le livret, confortablement installé sur mon canapé convertible. À tête reposée, j’allais comprendre.

Orimont Bolacre, J'y crois pas