Aux alentours de 600 avant JC

Lui aussi [Théognis] était noble et riche; lui aussi dut partir pour l'exil. Sa longue Elégie à Cyrnos est toute coupée de ses cris de rancœur et de haine:
...Notre ville, Cyrnos, est toujours une ville; mais elle a d'autres habitants, ceux qui jadis ne connaissant ni droit ni loi usaient sur leur dos des peaux de chèvres et allaient paître hors de la ville comme des cerfs; ce sont eux maintenant... les gens «bien», et les gens «bien» d'autrefois sont devenus gens de rien...

Et plus loin, il s'indigne contre les nobles qui épousent pour leur argent des femmes du peuple: «La richesse confond les races!»
Ces sentiments, suscités par les grands bouleversements sociaux, économiques et politiques alors communs à toutes les cités grecques, où ils se déploient avec plus ou moins de violence et qui n'ont pas partout trouvé leur poète, étaient ceux de Sappho et d'Alcée. L'un et l'autre se dressent, en rigides conservateurs, comme on en rencontre dans toutes les révolutions, non seulement contre les nouveaux chefs politiques, mais peut-être plus furieusement encore contre leurs frères de caste, ceux qui se rallient à l'ordre nouveau, et qu'ils accusent de trahir. On sait bien d'ailleurs qu'en pareil cas, les attardés des anciens régimes sont, à leur tour, férocement attaqués et persécutés par leurs anciens amis: pour ceux-là, on jugeait folle leur obstination aveugle à vouloir conserver la Lesbos d'autrefois...
Telle était Sappho, têtue dans son esprit de caste, imbue de ses privilèges; décevante peut-être pour ceux qui verraient volontiers en elle, à cause de ses mœurs, une sorte de moderniste secouant les portes du gynécée, narguant les hommes, se mettant, grâce à son génie, au-dessus des traditions communes. Mais du moins ne peut-on nier son courage à brocarder les ralliés, à fronder le pouvoir, à partir enfin pour un long, un inconfortable et périlleux voyage en mer, vers une lointaine et inconnue terre d'exil.»

Sappho, d'Edith Mora, p.4

source
le 28/04/2008

Les livres fondateurs des Français

Réalisée dans le cadre de la 7ème édition de " En train de lire " organisée à l'occasion de "Lire en fête" pour la SNCF, une étude TNS-Sofres dresse la liste des 100 ouvrages qui ont le plus marqué les Français.

Top 10 des 100 livres les plus cités
1 : La Bible ex aequo avec Les Misérables de Victor Hugo
3 : Le Petit Prince d’Antoine de St Exupéry
4 : Germinal d’Emile Zola
5 : Le Seigneur des Anneaux de JRR Tolkien
6 : Le Rouge et le Noir de Stendhal
7 : Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier
8 : Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne
9 : Jamais sans ma fille de Betty Mahmoody, Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, La Gloire de mon père de Marcel Pagnol, Le Journal d’Anne Frank

La palme d’or des "moins de 35 ans" est remportée par Le Seigneur des anneaux.

Pour de nombreux lecteurs, le livre fondateur semble avoir un impact certain sur eux, en les touchant profondément pour 47% d’entre eux, en leur donnant le goût d’un auteur, d’un genre littéraire (37%), en leur permettant de découvrir ou de comprendre certaines choses sur le monde (36%), en leur donnant le goût de la lecture et en leur faisant aimer les livres (28%) et enfin, en influençant leurs croyances, leurs idées et leurs valeurs (24%).

La majorité des Français (64%) a été marquée par 3 livres qualifiés de fondateurs. 18% des Français retiennent 2 livres, 8% en citent 1, et enfin 10% n’en citent aucun.

L’âge moyen de lecture du livre de référence est de 24 ans : 39% des lecteurs le lisent une fois, 39% de deux à trois fois et 19% quatre fois ou plus. Plus des trois quart des Français (78% d’entre eux) l’ont encore à l’heure actuelle chez eux, contre 21% qui ne le possèdent pas à leur domicile.

Dans 50% des cas, le livre préféré a été acheté. Pour 18% des lecteurs, ce livre leur a été offert. Dans 11% des cas, il leur a été prêté. Et enfin ce livre a, soit fait l’objet d’une lecture imposée par l’école, soit été emprunté dans une bibliothèque (10% à chaque fois).

68% (dont 50% souvent) des lecteurs tendent à recommander la lecture de leur livre fondateur à leur entourage.

source
le 29/04/2008

A qui se fier?

Voilà plus de dix ans que la BNF avait constaté la disparition de documents hébraïques, en particulier lors du grand récolement de 1998, juste avant le déménagement des collections sur le site de Tolbiac. Une centaine de livres anciens et cinq éditions du Talmud du Moyen Age manquait à l'inventaire. Plusieurs plaintes avaient été déposées, mais l'enquête judiciaire, faute d'indices, avait tourné court. Cinq ans plus tard, une lettre anonyme signale la vente chez Christie's à New York, en 2000, d'un manuscrit hébreu du XIV siècle, comportant le Pentateuque, et plusieurs rouleaux: les Leçons des prophètes, les Lamentations, l'Écclésiaste... Ce manuscrit, dit "52", d'une valeur inestimable, avait justement disparu de la BNF cette année-là. Une nouvelle enquête est entamée en mars 2004 qui permet de remonter jusqu'à un premier acquéreur, persuadé d'avoir acheté en toute légalité une pièce exeptionnelle. Les soupçons se portent alors sur Michel Garel. On retrouve en effet la signature du conservateur en chef apposé sur un faux certificat attestant que le manuscrit pouvait faire l'objet d'une vente.

Il est difficile de dire si les vols de manuscrits et de livres de bibliophilie ont tendance à augmenter ces derniers temps dans les bibliothèques européennes, car l'usage, il y a encore peu de temps, était de ne pas ébruiter ce genre d'affaires.

Livres Hebdo, 20 août 2004

source
le 29/04/2008

Le lecteur d'aujourd'hui ne change jamais sa façon de lire

Le sablier qu'il avait incorporé dans le livre était invisible mais, dans un silence complet, on pouvait entendre s'écouler le sable pendant la lecture. Quand tout le sable était écoulé, il fallait retourner l'ouvrage et continuer à le lire dans le sens inverse, vers le début, ce qui permettait d'en découvrir la signification secrète.
Le Dictionnaire khazar de Milorad Pavic, p.25


Il faut également souligner qu'on n'a pas pu, pour des raisons compréhensibles, reprendre ici l'ordre alphabétique du dictionnaire de Daubmannus, qui était écrit dans trois alphabets et trois langues différentes: grecque, hébraïque et arabe, et dans lequel les dates correspondaient aux trois calendriers. Ici, toutes les dates sont calculées selon un même calendrier, et le texte de Daubmannus est traduit des trois langues dans une seule. Il est également évident que dans l'édition du XVIIIe siècle les articles étaient classés différemment selon les langues employées (l'hébreu, l'arabe, le grec), car les lettres n'occupent pas les mêmes places dans des alphabets différents, de même qu'on ne feuillette pas les livres dans le même sens, et que les personnages principaux au théâtre n'apparaissent pas tous du même côté de la scène. Ce livre n'aura d'ailleurs pas le même aspect dans toutes les traductions, car inévitablement la matière du Dictionnaire Khazar sera ordonnée différemment dans chaque langue et dans chaque alphabet, les articles prenant d'autres places, et les noms une autre hiérarchie. Ainsi des noms importants, qui apparaissent déjà dans l'édition de Daubmannus, comme Saint Cyrille, Yéhuda Halévi ou Youssouf Masudi et d'autres encore, ont ici une autre disposition que dans la première édition du Dictionnaire Khazar. C'est sans doute le principal défaut de cette nouvelle version, car seul celui qui lit les différentes parties d'un livre dans le bon ordre peut recréer le monde. Mais il n'était pas possile de procéder autrement, puisque l'ordre alphabétique de Daubmannus n'a pas pu être maintenu.
Tous ces défauts ne sont cependant pas très graves: le lecteur capable de trouver la signification secrète du livre, en le lisant dans le bon ordre, a quitté depuis longtemps cette terre, et le public actuel estime que l'imagination est l'affaire de l'écrivain, non pas la sienne. Surtout lorsqu'il s'agit d'un dictionnaire. Pour un tel public le livre n'a pas besoin de renfermer un sablier qui indique le moment où il faut inverser le sens de la lecture, car le lecteur d'aujourd'hui ne change jamais sa façon de lire.
Ibid, p.28

Les mots sous les mots

Suite à la course à la fleur, je me suis procuré Les Mots sous les mots de Jean Starobinski. Comme le livre est épuisé[1], je vais essayer d'en donner une idée en le citant en diagonale, sachant qu'il me paraît théoriser un aspect des Églogues. Ce livre est l'exposé par Jean Starobinski des recherches de Ferdinand de Saussure sur les anagrammes dans la littérature latine.[2]

Ce qui fait la noblesse de la légende comme de la langue, c'est que, condamnées l'une et l'autre à ne servir que d'éléments apportés devant elles et d'un sens quelconque, elles les réunissent et en tirent continuellement un sens nouveau.(Saussure, p.19)

Dans cette phrase je lis les thèmes des trois premières Églogues: la langue (la phrase, le mot) pour Passage, la légende pour Échange, les éléments apportés devant elle pour Travers.

Résumons les opérations auxquelles, si les résultats que nous avons obtenus sont vrais, devait se livrer un versificateur en poésie saturnienne, pour la rédaction d'un elogium, d'une inscription quelconque, funéraire ou autre.
I. Avant tout, se pénétrer des syllabes, et combinaisons phoniques de toute espèce, qui se trouvaient constituer son THÈME. Ce thème, —choisi par lui-même ou fourni par celui qui faisait les frais de l'inscription—, n'est composé que de quelques mots, et soit uniquement de noms propres, soit d'un ou deux mots joints à la partie inévitable des noms propres.
Le poète doit donc, dans cette première opération, mettre devant soi, en vue de ses vers, le plus grand nombre de fragments phoniques possible qu'il peut tirer du thème; par exemple, si le thème, ou un des mots du thème, est Hercolei, il dispose des fragments -lei-, ou -co-; ou avec une autre coupe des mots, des fragments -ol-, ou er; d'autre part de rc ou de cl, etc. [...] (Saussure, p.24)

Bien entendu, on ne peut que penser aux Églogues, et surtout à Passage, mais aussi à cette phrase de Travers, p.145: «il est tout simplement faux que Passage soit réalisé à partir d'une (unique) petite idée, qu'il aurait suffi de raconter en quelques lignes.» Cependant, ce jeu s'étend bien au-delà. Je n'ai pu retrouver dans Sommeil de personne le passage où l'auteur déplore devoir modifier le texte de Vaisseaux brûlés afin de rétablir l'anonymat de Valerio, ce qui l'ennuie, écrit-il, car cela va détruire toutes sortes d'harmonies et de rimes internes. (Mais peut-être n'est-ce pas à propos de Valerio, et que ce n'est pas dans Sommeil de personne?)

L'hypogramme ou genre d'anagramme à reconnaître dans les littératures anciennes. Son rôle dans la poésie et la prose latine.
1. Pourquoi pas anagramme.
2. Sans avoir de motif [pour tenir] particulièrement au terme d'hypogramme, auquel je me suis arrêté, il me semble que le mot ne répond pas trop mal à ce qui doit être désigné. Il n'est en aucun désaccord trop grave avec les sens d'upograjein, upograjh, upogramma. etc., si l'on excepte le seul sens de signature qui n'est qu'un de ceux qu'il prend.
soit faire allusion ;
soit reproduire par écrit comme un notaire, un secrétaire,
soit même (si l'on songeait à ce sens spécial mais répandu) souligner au moyen du fard les traits du visage.
qu'on le prenne même au sens répandu, quoique plus spécial, de souligner au moyen du fard les traits du visage, il n'y aura pas de conflit entre le terme grec et notre façon de l'employer, car il s'agit bien encore dans «l'hypogramme» de souligner un nom, un mot, en s'évertuant à en répéter les syllabes, et en lui donnant ainsi une seconde façon d'être, factice, ajoutée pour ainsi à l'original du mot.» Saussure, p.30

La prose de César [...] était ce qui pourrait honnêtement servir de pierre de touche pour juger si la pratique de l'hypogramme était une chose plus ou moins volontaire, ou au contraire absolument imposée au littérateur latin: je considère en effet que s'il est prouvé que C. Julius Caesar ait perdu même peu de minutes dans ses écrits ou dans sa vie à faire des calembours sur le mode hypogrammatique, la chose est sans rémission dans ce cas pour l'ensemble des prosateurs latins. Nous n'en sommes pas là : c'est par centaines, c'est aussi abondamment que chez les gens-de-lettres des littérateurs que les hypogrammes courent et ruissellent dans le texte de César.
Plus caractéristiques encore que les Commentaires, les rares lettres que nous avons de lui : parce qu'elles le surprennent dans un moment où il s'agissait de tout autre chose que de soigner «l'écriture», ainsi quand il écrit la lettre à Cicéron après Ariminium Postremo, qui viro bono... etc. finissant par

civilibus controversiis? quod nonnulli quer-
CI - - - C - RO ER C - - - - - - - -I C

[...] Le mot CAVE semble courir entre les lignes de la lettre de César

Condemnavisse
C - - - - - AV – E
est un des endroits topiques. Mais à tout moment revient le mannequin C - - E et notamment dans les derniers mots (avant la date)

Contentione abesse
C - - - - - - E
C - - - - - - - - - - - E

[...] L'occasion et le sujet des lettres —lettres d'affaires, lettres de badinage, lettres d'amitié, lettres de politique—, plus que cela: l'humeur, quelle qu'elle soit, de l'écrivain, qu'il se montre par exemple accablé par les calamités publiques, par les chagrins domestiques, ou encore qu'il prenne un ton spécial pour répondre à des personnages avec lesquels il se sent en délicatesse ou en brouille ouverte,— tout cela n'exerce aucune influence sur la régularité vraiment implacable de l'hypogramme et force à croire que cette habitude était une seconde nature pour tous les romains éduqués qui prenaient la plume pour dire le mot le plus insignifiant.
Il est caractéristique de voir que pas un correspondant de Cicéron ne reste au-dessous de lui sous ce rapport, et parmi ceux qui avaient le moins de prétention, comme étant surtout hommes de guerre ou de [ ] à se mêler de littérature. Saussure, p.117

Starobinski note:

Mais Saussure ne se dissimule pas l'objection évidente: l'hypogramme, lu à partir du texte, n'est-il pas une construction arbitraire, née du caprice du lecteur, et reposant sur la distribution fortuite des phonèmes dans le texte? N'est-il pas trop facile d'obtenir partout des hypogrammes? C'est à ces objections qu'il cherche à répondre presque partout, ... p.117

Il poursuit, p.124:

On ne trouve que ce qu'on a cherché, et Saussure a cherché une contrainte phonétique surajoutée à la traditionnelle métrique du vers. Resterait à vérifier si ce qu'il a cherché et trouvé, en lisant les anciens poètes, correspond à une règle consciemment suivie par ceux-ci. Rien ne paraît alors plus nécessaire que de rencontrer, chez les anciens, un témoignage extérieur qui viendrait confirmer l'existence d'une règle ou d'une tradition effectivement observées. Ferdinand de Saussure a cherché ce témoignage, et n'a rien trouvé de décisif. Silence embarrassant, qui engage tantôt à formuler l'hypothèse d'une tradition «occulte» et d'un secret soigneusement préservé, tantôt à suggérer que la méthode devait sembler banale, allant trop parfaitement de soi pour qu'il fût nécessaire aux gens avertis d'en parler. D'où l'extrême prudence observée par Saussure dans ses cahiers, lorsqu'il s'agit de remonter des «faits» constatés à leur explication. Si les faits lui paraissent évidents, leur pourquoi reste inaccessible, comme s'il s'agissait d'un phénomène naturel et non d'une intention humaine.

A mesure qu'il progressait dans son enquête sur les hypogrammes, Ferdinand de Saussure se montrait capable de lire toujours plus de noms dissimulés sous un seul vers. Quatre sous un seul vers de Johnson! Mais eût-il continué, c'eût été bientôt la marée: des vagues et des vagues de noms possibles auraient pu se former sous son œil exercé. Est-ce le vertige d'une erreur? C'est aussi découvrir cette vérité toute simple: que le langage est ressource infinie, et que derrière chaque phrase se dissimule la rumeur multiple dont elle s'est détachée pour s'isoler devant nous dans son individualité.
Il faut ici le répéter: tout discours est un ensemble qui se prête au prélèvement d'un sous-ensemble: celui-ci peut être interprété: a) comme le contenu latent ou l'infrastructure de l'ensemble; b) comme l'antécédent de l'ensemble.
Ceci conduit à se demander si, réciproquement, tout discours ayant provisoirement le statut d'ensemble ne peut pas être regardé comme le sous-ensemble d'une « totalité» encore non reconnue. Tout texte englobe, et est englobé. Tout texte est un produit productif.

Saussure s'est-il trompé? S'est-il laissé fasciner par un mirage? Les anagrammes ressemblent-ils à ces visages qu'on lit dans les taches d'encre? Mais peut-être la seule erreur de Saussure est-elle d'avoir si nettement posé l'alternative entre « effet de hasard» et «procédé conscient». En l'occurrence, pourquoi ne pas congédier aussi bien le hasard que la conscience? Pourquoi ne verrait-on pas dans l'anagramme un aspect du processus de la parole,— processus ni purement fortuit ni pleinement conscient? Pourquoi n'existerait-il pas une itération, une palilalie génératrices, qui projetteraient et redoubleraient dans le discours les matériaux d'une première parole à la fois non prononcée et non tue? Faute d'être une règle consciente, l'anagramme peut néanmoins être considérée comme une régularité (ou une loi) où l'arbitraire du mot-thème se confie à la nécessité d'un processus.
L'erreur de Ferdinand de Saussure (si erreur il y a) aura aussi été une leçon exemplaire. Il nous aura appris combien il est difficile, pour le critique, d'éviter de prendre sa propre trouvaille pour la règle suivie par le poète. Le critique, ayant cru faire une découverte, se résigne mal à accepter que le poète n'ait pas consciemment ou inconsciemment voulu ce que l'analyse ne fait que supposer. Il se résigne mal à rester seul avec sa découverte. Il veut la faire partager au poète. Mais le poète, ayant dit tout ce qu'il avait à dire, reste étrangement muet. Toutes les hypothèses peuvent se succéder à son sujet: il n'acquiesce ni ne refuse. Starobinski, p.153

Et on pense à Kinbote, bien sûr, mais je pense aussi à moi, voyant Roussel partout quand je lis Roussel, ou Barthes, ou Flaubert, ou maintenant Saussure...

Starobinski conclut par ses mots, p.159 :

Il n'était pas inopportun de rappeler l'art de Bach, et ses marches de basse dont les notes-lettres successives construisent une signature ou un hommage. La méthode de composition de Raymond Roussel (remarquablement analysée dans un livre de Michel Foucault ) se fût prêtée elle aussi à cette forme d'investigation... Mais il faut généraliser: Ferdinand de Saussure interprète la poésie classique comme un art combinatoire, dont les structures développées sont tributaires d'éléments simples, de données élémentaires que la règle du jeu oblige tout ensemble à conserver et à transformer. Seulement il se trouve que tout langage est combinaison, sans même qu'intervienne l'intention explicite de pratiquer un art combinatoire. Les déchiffreurs, qu'ils soient cabalistes ou phonéticiens, ont le champ libre: une lecture symbolique ou numérique, ou systématiquement attentive à un aspect partiel, peut toujours faire exister un fond latent, un secret dissimulé, un langage sous le langage. Et s'il n'y avait pas de chiffre? Resteraient cet interminable appel du secret, cette attente de la découverte, ces pas égarés dans le labyrinthe de l'exégèse.

Et je repense à cette obsession du chiffre, du code secret dans Travers : «Il est sûr que tout se tient , que tout est lié, chaque détail nouveau lui paraît se rattacher à une infinité d'autres, il soupçonne tout, tout le monde, il ne voit partout que duplicité faux-semblant, chiffre, code, mots sous les mots.» p.214


Notes

[1] à nouveau disponible en septembre 2009

[2] Toutes les citations proviennent des Mots sous les mots. "Saussure" signifie Saussure cité par Starobinski.

Les billets et commentaires du blog vehesse.free.fr sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.