Journée Wake

Décryptage des carnets de Finnegans Wake dans la journée. En fait l'équipe du CNRS a trouvé une source (ie, un des livres dont proviennent les mots notés à la volée par Joyce dans ses carnets. Chaque fois que l'on trouve une source, ce sont des dizaines de mots qui soudain trouvent un sens. Trouver une source est toujours excitant, cela ressemble à trouver la clé d'un code secret), ce qui fait que nous sommes repassés sur les pages de carnet déjà déchiffrées pour vérifier les mots dans la source (The Rise of Man, du colonel Conder (étrangement je lis dans Wikipédia en faisant une recherche pour vérifier l'orthographe de son nom qu'il aurait été proposé comme une identité possible de Jack l'Eventreur. Le monde est petit.))
Je suis rassurée de constater que la plupart des mots que nous avions déchiffrés les semaines précédentes l'étaient exactement, car la lecture est réellement difficile.

Pour info, les carnets ressemblent à cela:


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Soirée à la Cartoucherie pour le premier chapitre de ''Finnegans Wake'' d'après la traduction de Lavergne. Extraordinaire performance de l'acteur Sharif Andoura (c'est normal qu'il soit aussi roux pour jouer un texte de Joyce?) dont on se dit avec envie qu'il doit être un extra-terrestre.
J'aime cette intuition qu'il a que la profusion du texte sert peut-être à cacher, à noyer, quelques phrases intimes de l'auteur. (Andoura l'a dit ce soir, nous pouvous également l'entendre le dire dans la vidéo en lien.)
Allez-y sans crainte, il suffit de se laisser porter. Cela m'a rappelé un commentaire de Joyce que j'ai lu, sans doute dans Mercanton (Les heures de James Joyce): «Ulysses est un souvenir, Finnegans est un rêve, toujours au présent.» (Je résume).

Du débat qui a eu lieu après je retiendrai ces paroles très justes: «On peut passer des heures sur quelques lignes. Là, on est obligé de faire des choix et d'avancer.»

Les finances sous l'Ancien Régime

Je sais que c'est facile, mais ça m'amuse.
Aidés par les Cours des Monnaies, les rois achetaient ou ramassaient les «espèces monétaires» (or, argent, cuivre), les faisaient frapper (admirablement à partir de 1640), et tentaient d'en régenter le cours au mieux de leurs intérêts, par des «ordonnances monétaires» d'application difficile. Difficultés qui vinrent assez rarement de la mauvaise volonté des provinces et des corps, mais de réalités internationales. La monnaie française n'avait que la valeur que lui accordaient les grands marchands, toujours internationaux: les négociants et armateurs français la connaissaient évidemment très bien, et tâchaient d'en jouer. D'autre part, les rois jouèrent jusqu'en 1726 de dévaluations par cascades successives; elles leur permettaient d'éponger une partie de leur dettes,— vieux système si allègrement repris en notre XXe siècle. Il régnaient mieux sur la petite monnaie intérieure, la monnaie des contribuables, malgré des «émotions» monétaires, aux XVIe et XVIIe siècles. Le grand marché international, où régnait de plus en plus des «constellations» de familles de banquiers, était appelé à leur réserver, au XVIIIe siècle, quelques mauvaises surprises. C'est que le «crédit» y régnait, qui reposait sur la «confiance» que peuvent donner un «potentiel» économique solide, et surtout une gestion sage. Elle fut perdue, on le sait, vers la fin du règne de Louis XVI — ce qui pose un problème non mineur de «causes» de la Révolution.

Pierre Goubert, L'Ancien Régime - 2 : les pouvoirs, Armand Colin collection U (1979), pp.34-35



Jurgen Habermas1 a bien décrit comment le principe de publicité est le principe de contrôle que le public bourgeois, composé d'individus cultivés, capables de raisonner, a opposé à la pratique du secret propre à l'État absolu. Créateur d'une véritable sphère publique, ce principe circonscrit, à partir du XVIIIe siècle, «un nouvel espace où tente de s'effectuer une médiation entre la société et l'État, sous forme d'une ''opinion publique'' qui vise à transformer la nature de la domination. Ainsi, dès la fin du XVIIe en Angleterre, et en France à partir des années 1730, se constitue une instance de jugement fondée sur l'usage «public» de leur raison par les personnes privées, de sorte que, au travers des salons, cafés, et clubs littéraires, notamment, se forme une «opinion publique» à l'examen de laquelle rien et nul, pas même le roi, ne peut se soustraire.

Dans son cas particulier, l'échec de la Chambre des comptes tient dans son incapacité à convaincre le roi de la «contre-productivité du secret», selon l'expression de Pierre Rosanvallon2. L'opacité notamment financière se révèle un piège pour l'État absolutiste, qui perd ainsi la confiance d'une société qui fait l'expérience de formes nouvelles de délibération et de publicité. L'existence des chambres des comptes ne garantit plus aux yeux des contemporains ''la transparence qui aurait pu désamorcer les révoltes contre l'impôt'': c'est au contraire «le secret des finances comme principe» qui l'emportera jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. […].

On retiendra donc que, sous l'Ancien Régime, si le contrôle ''juridictionnel'' des comptes par les chambres a pu exister, quoique de moins en moins étendu, le contrôle ''politique'' des finances de l'État était, lui, dès l'origine volontairement entravé. L'effet de ce refus d'une transparence politique de la gestion des finances a été peut-être la cause profonde de la Révolution de 1789 au moment où la monarchie française terriblement endettée se trouve dépendre du nouveau monde de l'économie financière, celui du crédit.

Rémi Pellet, La Cour des comptes, La découverte (1998), pp.14-15





1 : Junger Habermas, L'Espace public, Payot, 1978.
2 : Pierre Rosanvallon, L'État en France, de 1789 à nos jours, Seuil, 1990, p.27.

Dilemme

La faim ou une vieille… pas facile de trancher !
Il est terrible d'avoir faim, il est pire de coucher.
Affamé il priait pour trouver une vieille; au lit
Phillis demandait la famine!… Tu vois d'ici
l'affreux partage du pauvre gars sans héritage !

Parménion de Macédoine, cité dans La Couronne de Philippe, coll. Orphée, édition La Différence

Les paradoxes de l'absolutisme

Par trois de ses aspects, l’absolutisme contredisait sa propre dimension autoritaire, inégalitaire et théocratique par son opposition à la féodalité et par sa visée d’une égalisation des sujets devant le monarque, il avait une signification «démocratique» ; par sa volonté affichée de garantir la sécurité des individus, il avait une signification «libérale» ; enfin, dans la mesure où le droit divin du souverain signifiait l’émancipation du pouvoir temporel vis-à-vis du pouvoir spirituel de la papauté, sa signification était «laïque».

Cette triple dimension apparaît clairement chez Hobbes: en fondant le pouvoir absolu du souverain dans le contrat primitif des citoyens, Hobbes a inscrit dans l’idée même de l’absolutisme un moment «démocratique» — puisque le souverain tient originellement sa légitimité de la volonté des sujets — et un moment «libéral» — puisque la souveraineté repose sur des fondements juridiques et a pour fonction de garantir la sûreté des citoyens; on sait en outre comment Hobbes a exigé une totale subordination de l’Eglise à l’Etat1.

Mais Bossuet lui-même peut paraître un disciple de Hobbes lorsque, après avoir défini la servitude comme un «état contre la nature» et le roi comme «le support du peuple», il fixe pour but à l’Etat «l’égalité entre les citoyens» et leur affranchissement «de toute oppression et de toute violence»; on peut même être tenté d’entendre dans le gallicanisme de Bossuet un écho lointain et atténué de la volonté affichée par Hobbes de subordonner l’Eglise à l’Etat. Une tendance «démocratique» et «séculière» affectait ainsi l’idéal absolutiste jusque chez ses défenseurs les plus autoritaires et les plus cléricaux2.

Jean-Yves Pranchère, L'Autorité contre les Lumières, p.124





1 : Hobbes, Leviathan, chapitres XVI, XXI, XXX, XLII, tr. F. Tricaud, Sirey, Paris 1971, p.177 sq, 221 sq, 357 sq, 561 sq.
2 : Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte, III, II, 3 ; III, III, 1 ; VIII, I, 1 ; VIII, II, 2 ; édition de J Le Brun, Droz, Genève, 1967, p.68, 72, 288, 293.
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