La bonté

C'est ainsi qu'il existe, à côté de ce grand bien si terrible, la bonté humaine dans la vie de tous les jours. C'est la bonté d'une vieille qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c'est la bonté d'un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d'un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. C'est la bonté de ces gardiens de prison, qui, risquant leur propre liberté, transmettent des lettres de détenus aux femmes et aux mères.
Cette bonté privée d'un individu à l'égard d'un autre individu est une bonté sans témoin, une petite bonté sans idéologie. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. La bonté des hommes hors du bien religieux ou social.
Mais, si nous y réfléchissons, nous voyons que cette bonté privée, occasionnelle, sans idéologie, est éternelle. Elle s'étend sur tout ce qui vit, même sur la souris, même sur la branche cassée que le passant, s'arrêtant un instant, remet dans la bonne position pour qu'elle puisse cicatriser et revivre. […]

Vassili Grossman, Vie et destin

Des nouvelles de Jo et de Philippe

Longtemps, Le Monde des Livres a fait trembler le petit St-Germain-des-Prés tôt dans l’après-midi. Dirigé par Josyane Savigneau (par ailleurs chroniqueuse à Campus), dont le milieu annonce toutes les semaines «le retrait», «la mort» ou encore «l’exil », ce supplément s’est retrouvé dans le collimateur de la critique virulente de Jourde et Naulleau. On ne prête qu’aux riches : après tout Le Monde n’est-il pas le miroir versaillais, mais exact, de la presse et de l’édition française ainsi que de leurs mœurs ? «Le grand inceste professionnel», selon les termes d’Olivier Nora, éditeur de Grasset, semble être une spécificité française : dans ce pays on peut être tout à la fois éditeur, directeur de collection, écrivain, critique et jury littéraire, sans que cela ne froisse la déontologie. De plus, la plupart des collaborateurs des journaux et suppléments littéraires sont des pigistes qui doivent faire feu de tout bois, participant à de nombreuses publications et enquillant les activités dans l’édition en tant que lecteurs, nègres, éditeurs associés ou attachés de presse. Ce collaborateur d’un quotidien du matin témoigne : «On est souvent obligé d’aller au plus pressé pour rentabiliser nos piges. Résultat, de gros livres en font les frais, on ne peut pas lire des romans de plus de 500 pages qui ne feront l’objet que d’une distance de un feuillet, et encore, s’ils sont retenus.»
Philippe Lançon, l’un des critiques littéraires les plus doués et les plus redoutés, qui sévit à Libération, croit encore à une posture artisanale, presque angélique, du critique littéraire, loin des marées éditoriales. Sollicité par le Le Nouvel Economiste, il a tenu à se réfugier dans son trou ensauvagé. Peut-être pour ne pas répondre à des question sur le roman baroque qu’on le soupçonne d’avoir écrit sous pseudonyme chez Calman-Lévy : Je ne sais pas écrire et je suis innocent.

Emmanuel Lemieux dans ''Le Nouvel Economiste'', supplément au 19 mars 2004.




Objet : Des nouvelles du reste de la famille Ewing
Edifiant : au mois de février, l’avocate et épouse de Carlos, voulant faire la promotion de son livre, Epouser Carlos, sous-titré Un amour sous haute tension, est passé au-dessus de son éditeur, L’archipel. Isabelle Coutant-Peyre était invitée en exclusivité par M6, dans l’émission de Laurent Delahousse, Secrets d’actualité du 7 mars, et devait passer chez Ardisson le samedi 13 mars. Entre-temps Fogiel avait fait le forcing. Coutant-Peyre n’ayant pas du tout apprécié l’intitulé de M6, «J’ai épousé un terroriste», a répondu favorablement à Fogiel. Résultat: Tout le monde en parle d’Ardisson a invité l’avocate le premier, le samedi 6 mars, On ne peut pas plaire à tout le monde s’est désisté. M6, qui avait la primeur le dimanche 7, l’a eu mauvaise et s’est davantage concentré sur Carlos que sur le livre de son épouse avocate.

Ibid

Mince et moins sensationnel

Odette voudrait comprendre la beauté de la poésie, ou plus prosaïquement, son intérêt.
Hélas, Swann ne peut que la décevoir :
En lui disant qu'elle aimerait tant qu'il lui parlât des grands poètes, elle s'était imaginée qu'elle allait connaître tout de suite des couplets héroïques et romanesques dans le genre de ceux du vicomte de Borelli, en plus émouvant encore. Pour Ver Meer de Delft, elle lui demanda s'il n'avait pas souffert par une femme, et Swann lui ayant avoué qu'on n'en savait rien, elle s'était désintéressée de ce peintre. Elle disait souvent: «Je crois bien, la poésie, naturellement, il n'y aurait rien de plus beau si c'était vrai, si les poètes pensaient tout ce qu'ils disent. Mais bien souvent, il n'y a pas plus intéressé que ces gens-là. J'en sais quelque chose, j'avais une amie qui a aimé une espèce de poète. Dans ses vers il ne parlait que de l'amour, du ciel, des étoiles. Ah! ce qu'elle a été refaite! Il lui a croqué plus de trois cent mille francs.» Si alors Swann cherchait à lui apprendre en quoi consistait la beauté artistique, comment il fallait admirer les vers ou les tableaux, au bout d'un instant elle cessait d'écouter, disant: «Oui… je ne me figurais pas que c'était comme cela.» Et il sentait qu'elle éprouvait une telle déception qu'il préférait mentir en lui disant que tout cela n'était rien, que ce n'était encore que des bagatelles, qu'il y avait autre chose. Mais elle lui disait vivement: «Autre chose? quoi?… Dis-le alors», mais il ne le disait pas, sachant combien cela lui paraîtrait mince et différent de ce qu'elle espérait, moins sensationnel et moins touchant, et craignant que, désillusionnée de l'art, elle ne le fût en même temps de l'amour.

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, p.241 Pléiade éd.1954

BHL n'est pas stoïcien

La préface de Ilsetraut Hadot aux Consolations de Sénèque commence bien tristement :
Le genre littéraire de la consolation, si répandu dans l'Antiquité gréco-romaine a, autant que je sache, cessé d'exister à l'époque actuelle. Ce n'est pas un hasard: l'appel à la raison et à la maîtrise de soi en toutes circonstances est devenu tout à fait démodé1, et l'indulgence envers les faiblesses humaines, l'appel à l'étourdissement et à la drogue sous les formes les plus variées, prennent de plus en plus sa place.

Sénèque, Les Consolations, préface d'Ilsetraut Hadot, éditions Rivages poche.


Note

1 : Cf pour un bel exemple, B.H.Lévy, Les Aventures de la Liberté, Paris, 1991, p.57: "Il y a (chez Alain), c'est certain, toute une série de mots et de valeurs — la sagesse, la tempérance… — qui sont l'ordinaire de son discours, voire les article de son programme et auxquels on ne peut songer, de nos jours, sans avoir envie de sourire. Mais il y a des choses moins démodées…"

Le marché de l'édition

Une étude sur le marché du livre réalisée par TNS-Sofres révèle que près d'un Français sur deux n'a acheté aucun livre en 2003. Toujours dominé par les petits acheteurs —ceux qui achètent moins de quatre ouvrages par an, soit 53%— le marché se recentre vers les «moyens acheteurs» (entre 5 et 11 livres). 18% des acheteurs de livres concentrent à eux seuls plus de la moitié des volumes achetés et la moitité des sommes dépensées. Ce qui signifie en résumé qu'un Français sur dix achètent plus de la moitié des livres vendus.

Agefi, 22 mars 2003



18 % de 50 % font 9 %, aux arrondis près 10 %.

A la surface

Il me reste de Sevran, feuilleté samedi, cette phrase: «Sait-on jamais à quoi rêvent nos lecteurs?»

Comme cela (me) chante

Message de jmarc déposé le 17/03/2004 à 12h55 (UTC)

Je me suis souvent demandé si on devait dire d'Hegel ou de Hegel.

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Ma réponse

Je crois que c'est le nombre de syllabes qui guide spontanément mon choix: la philosophie de Hegel, l'hégélianisme, la philosophie d'Habermas, la philosophie d'Hannah Arendt, mais bizarrement je dirais la philosophie de Arendt ("d'Arendt": ce n'est pas joli, et peut-être peu compréhensible, peu écoutable), et parfois de Hannah Arendt, en une sorte d'insistance.

Il me semble que la sonorité de "de" met en relief le mot qui le suit.
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