Je loge à Lublin au bord de la Bystrzyca, dans un, comme on me dit, bon hôtel. La ville a été fondée au Xe siècle; mon hôtel en est un vestige. Quand j'y entre, le soir, il y a là un portier qui repose, comme une momie dans son sarcophage, dans un réduit sur l'arrière, il a rabattu sa casquette sur son visage et il ne comprend rien. S'il donne ensuite un signe quelconque, il ne répond qu'à une image de rêve, il a seulement compris ce que le rêve a laissé passer. Je monte l'escalier. Sa rampe est de marbre presque vrai, provisoirement de bois peint en blanc. Je loge au deuxième étage. Les murs ont été blanchis, huilés, au Xe. Plus tard, ils sont devenus gris, suivant un instinct naturel. Plus tard encore, l'hôtel s'est plusieurs fois trouvé en territoire de guerre; on a tiré à la mitrailleuse à l'intérieur du bâtiment; bien des murs et des portes sont criblés de trous, de fissures. L'administration de l'hôtel, d'une grande culture historique, veille à la conservation des traces. Depuis lors, des usages militaires se sont aussi transmis dans l'hôtel: on hurle le matin de bonne heure dans les couloirs comme pour ordonner l'assaut, on entretient à travers la porte des conversations terrifiantes. Et au-dessous de moi, dans la cour, on a dressé une machine qui travaille de six heures du soir à environ quatre heures de matin et feule comme une locomotive. On se met au lit, alors cela cogne en mesure, et l'on a vite le sentiment d'être en guerre ou de rouler en wagon-lit; illusion gratuite.

Alfred Döblin, Voyage en Pologne p.159 (Flammarion 2011)