C'est l'extrême fin du livre, un livre empli de rires, d'extravagances, de folie et de cauchemars. L'ensemble est tendre, hilarant, démesuré, baroque.
Le passage suivant met en scène Jésus et Ponce Pilate, Ponce Pilate qui souffre de terribles migraines depuis qu'il a abandonné Jésus à ses bourreaux.
Les personnages ne sont pas nommés, on les reconnaît car la Passion a couru tout le livre en contrepoint d'un récit passablement échevelé.

La scène suivante naît du rêve apaisé d'un professeur fou qui souffre de cauchemars.
Je crois que ces quelques lignes ne sont pas présentes dans toutes les traductions (ce qui me fait redouter de perdre cet exemplaire).

Du lit à la fenêtre s'étend un large chemin de lune, sur lequel marche un homme au manteau blanc doublé de pourpre, montant vers la lune. A côté de lui marche un jeune homme en tunique déchirée, dont le visage est mutilé. Tous deux parlent avec chaleur, discutent, cherchent à se mettre d'accord sur quelque chose.
«Dieux, dieux! dit l'homme au manteau blanc en tournant un visage orgueilleux vers son compagnon. Quel supplice vulgaire! Mais dis-moi, s'il te plaît — et là, le visage hautain se fit suppliant —, il n'a pas eu lieu, hein? Dis, je t'en prie, il n'a pas eu lieu?
— Bien sûr que non, il n'a pas eu lieu, répond l'autre d'une voix rauque. C'est un rêve que tu as fait.
— Et tu peux le jurer? demande obséquieusement l'homme au manteau.
— Je le jure! répond son compagnon dont les yeux, on ne sait pourquoi, sourient.
— C'est tout ce que je voulais! s'écrie l'homme au manteau d'une voix brisée, et il continue de monter, toujours plus haut, vers la lune. Derrière eux marche, calme et majestueux, dressant ses oreilles pointues, un gigantesque chien.

Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite traduit par Claude Ligny, p.509-510, le livre de poche biblio, imprimé en août 1992